Source: The Conversation – in French – By Rémi Quirion, Scientifique en chef du Québec et professeur au Département de psychiatrie de l’Université McGill, McGill University

En science, la collaboration est devenue un mot d’ordre. On la cite volontiers dans les appels à projets, dans les publications, dans les communiqués de presse. Elle incarne un idéal de travail collectif, d’ouverture, de mise en commun des expertises.
Depuis 2011, la collaboration est au cœur de mon mandat à titre de premier scientifique en chef du Québec. En plus de mes fonctions de conseil auprès du gouvernement et de PDG du Fonds de recherche du Québec (FRQ), j’ai tissé au fil des ans de nombreuses ententes avec des partenaires à travers le globe pour soutenir et développer des collaborations scientifiques sur des préoccupations communes, et positionner nos équipes sur l’échiquier mondial de la recherche.
Alors que je quitterai mes fonctions à l’automne prochain, je souhaite aujourd’hui faire un vœu pour l’avenir : celui d’oser aller plus loin. Face aux défis de plus en plus complexes, transnationaux et systémiques auxquels nous sommes confrontés, je fais le vœu de véritables partenariats en recherche.
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Favoriser le partenariat
En français, le mot partenariat a une profondeur particulière. Il dépasse la simple collaboration ponctuelle ou utilitaire. Il évoque une relation fondée sur la confiance, la durabilité et une intention commune d’avancer ensemble, en toutes circonstances. Certains vont jusqu’à le comparer à un mariage : une union qui suppose engagement, patience, résilience et loyauté, y compris dans les périodes de turbulence.
Les collaborations, bien qu’essentielles, restent souvent éphémères. Elles naissent autour d’un projet, durent le temps d’un financement, puis s’effacent lorsque les conditions changent ou que les agendas se séparent. Ce modèle, qui a longtemps suffi pour répondre à des problématiques scientifiques bien définies, montre aujourd’hui ses limites.
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Car les enjeux auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui – crise climatique, pandémies, sécurité alimentaire, intelligence artificielle, migrations, perte de biodiversité – ne respectent ni les frontières disciplinaires ni les frontières géographiques. Ils exigent des réponses coordonnées, durables, enracinées dans des liens solides et stables.
Par exemple, le partenariat entre le FRQ et le Centre National pour la Recherche Scientifique et Technologique (CNRST) du Maroc permet depuis 2021 de rassembler nos équipes respectives autour de projets de recherche portant sur de grands défis de société, tels que la santé humaine ou encore les adaptations aux changements climatiques et la gestion de l’eau.

(Courtoisie de l’auteur)
Les partenariats scientifiques ont cette capacité unique de résister aux aléas. Là où une collaboration peut s’interrompre à la première difficulté administrative, financière ou politique, un partenariat repose sur une intention de long terme, sur une infrastructure de confiance et de partage qui dépasse les projets individuels. Ces relations profondes entre institutions, entre équipes, entre individus, permettent de continuer à travailler même lorsque le contexte se durcit.
La science au-delà des contingences politiques
Un exemple emblématique de cette résilience des partenariats scientifiques peut être observé dans les relations entre chercheurs canadiens et américains.
Malgré des divergences politiques ponctuelles entre gouvernements, des liens profonds entre institutions de recherche ont permis de préserver, voire de renforcer, des coopérations critiques. Dans le contexte actuel trouble, nous avons pu observer que des quantités considérables de données en santé publique, en climatologie, en biodiversité ont été sauvées, partagées, et mises à disposition des communautés scientifiques, alors qu’elles auraient pu être perdues.
Il ne s’agissait pas d’un simple échange ponctuel, mais bien d’une action conjointe rendue possible par des années de travail en commun, de confiance mutuelle, et d’objectifs partagés. Ce sont ces partenariats durables qui permettront à la science de faire face aux crises actuelles et futures.
Le programme de scientifique en résidence dans les représentations du Québec à l’étranger, que j’ai initié en collaboration avec le ministère des Relations internationales et de la Francophonie du Québec, constitue un moyen pour bâtir et renforcer ce type de partenariat. En plus d’ouvrir les horizons de carrière de la relève en recherche, ces résidences les initient à la diplomatie scientifique en contribuant à la coopération et la mobilité internationales en recherche. Depuis 2017, treize délégations en Amérique du Nord, en Afrique, en Asie et en Europe ont accueilli des scientifiques en résidence.
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Dans un monde de plus en plus polarisé, où la diplomatie scientifique devient parfois la dernière ligne de dialogue entre nations, les partenariats entre chercheurs jouent un rôle critique. Ils incarnent des ponts de compréhension, des espaces de continuité, même en temps d’incertitude.
Lorsque les liens politiques vacillent, les liens scientifiques, eux, peuvent perdurer – à condition qu’ils aient été construits avec soin, dans la durée, avec un véritable engagement de part et d’autre.
Une diplomatie quotidienne
Créer de tels partenariats exige plus que des accords institutionnels ou des lettres d’intention. Cela demande du temps, des efforts constants, des échanges réguliers, une reconnaissance réciproque des contraintes et des savoirs. Cela demande aussi une volonté politique et institutionnelle de soutenir ces liens sur le long terme, au-delà des échéances électorales ou des cycles de financement.
Il ne s’agit pas d’idéaliser : les partenariats ne sont pas toujours faciles. Ils nécessitent une diplomatie quotidienne, une capacité à gérer les désaccords, à s’adapter à l’évolution des contextes. Mais c’est précisément dans cette complexité qu’ils trouvent leur force.

(Courtoisie de l’auteur)
Car lorsqu’une crise éclate, ce ne sont pas les collaborations de circonstance qui tiennent. Ce sont les partenariats éprouvés, forgés au fil du temps, qui permettent d’agir rapidement, efficacement, avec cohérence.
Penser ensemble
Aujourd’hui, plus que jamais, nous avons besoin de ces partenariats.
Si nous voulons que la recherche scientifique joue pleinement son rôle dans la résolution des grands défis de notre temps, nous devons bâtir des liens durables, profonds, transdisciplinaires et transnationaux.
Il ne s’agit plus seulement de partager des données ou de publier à plusieurs mains, mais de penser ensemble, d’agir ensemble, de construire ensemble un avenir commun.
La science ne peut plus être une mosaïque de projets isolés. Elle doit être un tissu vivant, tissé de relations fortes, de valeurs partagées, d’engagements communs. Le partenariat n’est pas une option : c’est une condition essentielle pour que la science continue à éclairer notre monde, même dans ses zones les plus obscures.
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Rémi Quirion ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
– ref. Les enjeux actuels sont mondiaux. Pour y faire face, il faut créer de véritables partenariats en recherche – https://theconversation.com/les-enjeux-actuels-sont-mondiaux-pour-y-faire-face-il-faut-creer-de-veritables-partenariats-en-recherche-257186













