Donald Trump et les diverses traditions de la politique étrangère américaine

Source: The Conversation – France in French (3) – By Maxime Lefebvre, Permanent Affiliate Professor, ESCP Business School

Les actions de Donald Trump sur la scène internationale – qu’il s’agisse des rebondissements de sa guerre tarifaire, de son comportement sur le dossier russo-ukrainien ou, tout récemment, de son implication dans la guerre Israël-Iran – sont souvent jugées imprévisibles, voire irrationnelles. Mais en réalité, ces décisions s’inscrivent dans diverses traditions politiques américaines qui ne datent pas d’hier.


Il faut au moins un an pour juger la politique étrangère d’une nouvelle administration américaine, et c’est d’ailleurs le temps minimum que celle-ci se donne pour rédiger sa traditionnelle « stratégie de sécurité nationale » qui indique le cap et les priorités. Ainsi, la première administration Trump avait publié la sienne fin 2017, et l’administration Biden n’avait rendu son texte public qu’en octobre 2022, soit presque deux ans après son arrivée à la Maison Blanche.

Entre les craintes de « tsunami » et le choc suscité par le discours de J. D. Vance à Munich, il est néanmoins possible dès aujourd’hui de baser l’analyse sur des faits et pas seulement sur des présupposés. Trois points de repère doivent entrer ici en considération : le facteur personnel ; les traditions de la politique étrangère américaine ; et le poids du contexte géopolitique.

Le facteur Trump : chaos ou pragmatisme ?

Du premier mandat de Donald Trump, on avait retenu une présidence mal préparée, chaotique et freinée par « l’État profond » américain (l’administration, les diplomates, l’armée, les services de renseignement), par exemple dans ses velléités de se rapprocher de la Russie ou de trouver un accord avec la Corée du Nord.


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Le second mandat a commencé avec une volonté beaucoup plus affirmée de s’emparer de l’ensemble des rênes du pouvoir. En mars dernier, l’épisode de la fuite de la « boucle Signal » – le rédacteur en chef de The Atlantic aurait accidentellement été ajouté à une conversation confidentielle du gouvernement américain durant laquelle était discutée une opération de frappes aériennes contre les Houthis au Yémen – révélait déjà les contours et les débats du nouveau cercle décisionnel américain.

Se borner à fustiger l’imprévisibilité ou la vanité du président américain, et tout ramener à la question de savoir « où sont les adultes dans la pièce », ne permet ni de comprendre ni de rendre compte de la logique de ses décisions. Il est certain que les va-et-vient des menaces de droits de douane, par exemple, ou que les polémiques à répétition dans les relations avec les dirigeants étrangers, comme avec les présidents Zelensky et Macron, continuent de dérouter les observateurs et les usagers des pratiques diplomatiques.

France 24, 30 avril 2025.

Pour autant, il y a toujours, dans les actions et les déclarations du président américain, une finalité interne, populiste et électoraliste qui doit être prise en compte par ses interlocuteurs étrangers, même si c’est un facteur évident de complication. Mais l’analyse doit porter le regard au-delà de ces péripéties de forme.

Le trumpisme dans les traditions de politique étrangère américaine : populisme et réalisme

Walter Russel Mead a élaboré en 2001 une classification célèbre des traditions de la politique étrangère américaine : l’isolationnisme de Jefferson (président de 1801 à 1809), l’économisme de Hamilton (secrétaire au Trésor de 1789 à 1795), le populisme d’Andrew Jackson (président de 1829 à 1837), ou encore le libéralisme internationaliste de Woodrow Wilson (président de 1913 à 1921). Plus simplement, Henry Kissinger avait opposé en 1994 la posture du « phare » de la liberté (dans une logique jeffersonienne, donc isolationniste) à celle du « croisé » (dans une logique wilsonienne, donc interventionniste), plaidant pour sa part pour une autre voie intermédiaire, qu’il qualifiait de réaliste, inspirée de la diplomatie bismarckienne.

La politique étrangère de Donald Trump s’inscrit parfaitement dans la tradition jacksonienne, avec son populisme nationaliste avide de puissance et de force (« America First », « Make America Great Again », la « paix par la force »), illustré par des visées expansionnistes sur le Canada, le Groenland ou encore le canal de Panama. Mais on peut aussi voir chez lui certaines tendances isolationnistes au repli (qui remontent aux origines, dès le premier président américain George Washington), ainsi qu’une priorité affichée pour l’économie (qui peut rappeler la vision d’Hamilton, favorable au libre-échange mais n’écartant pas le protectionnisme).

Sur le plan des faits, Trump n’est pas un belliciste, mais ce n’est pas non plus un pacifiste ni un isolationniste, comme l’avaient déjà montré ses frappes en Syrie en 2017 et en 2018. Ses frappes sur le Yémen et sur l’Iran en 2025 l’ont confirmé : il n’entend pas mettre fin au leadership militaire américain dans le monde.

Au niveau économique, Trump renoue avec une tradition protectionniste américaine d’avant la Seconde Guerre mondiale (qui rappelle les tarifs McKinley en 1890 et la loi sur les droits de douane Hawley-Smoot en 1930), mais sans renoncer à conclure des accords commerciaux, qui restent la finalité ultime de ses guerres commerciales, dans une logique de rééquilibrage.

C’est évidemment avec l’internationalisme libéral américain que la rupture est la plus flagrante, et le contraste est net avec l’administration Biden qui avait ressoudé les alliances de Washington avec ses alliés traditionnels (UE, Japon, Australie…) face aux régimes autoritaires russe et chinois. Il reste que Trump n’a pas remis en question la présence de son pays au sein de l’OTAN, cherchant plus à faire payer ses alliés qu’à supprimer la garantie de sécurité américaine.

Le changement de posture sur la Russie n’est pas, en soi, un changement d’alliance. En effet, Washington n’est pas allé jusqu’à forcer Volodymyr Zelensky à se plier aux conditions maximalistes de Poutine. Trump est sans doute freiné en cela par l’hostilité profonde de l’opinion américaine à l’égard de la Russie. Sur la Chine, sa position dure est en revanche dans la continuité de la position des administrations précédentes.

Par ailleurs, il faut rappeler que les républicains sont marqués par une tradition réaliste (Eisenhower, Nixon, Bush père) par opposition à la tradition plus idéologique des démocrates – à l’exception très particulière de la présidence de George W. Bush, dominée par les « néoconservateurs », que Pierre Hassner caractérisait comme un « wilsonisme botté ».

Dans la lignée de Kissinger, Trump n’est ni dans l’isolement du « phare », ni dans la « croisade » démocratique, mais dans une logique transactionnelle qui dépend des rapports de puissance. C’est en effet à cette logique qu’il faut raccrocher ses efforts plus ou moins fructueux de régler les conflits (Gaza, Inde/Pakistan, RDC/Rwanda, Ukraine).

Les États-Unis entre leadership et retrait

Donald Trump est confronté, au-delà de ses orientations populistes, nationalistes et idéologiquement réactionnaires, à des changements structurels de la géopolitique mondiale qui mettent au défi le leadership américain depuis longtemps. Et là encore sa politique paraît afficher des continuités dont on peut donner plusieurs exemples.

L’unilatéralisme qu’ont manifesté par exemple les frappes au Yémen ou en Iran est une tradition très ancienne de la puissance américaine. « Multilateral when we can, unilateral when we must », disait un slogan de l’époque Clinton/Albright. Trump accentue certes le mépris des institutions multilatérales et des alliés, mais ce n’est pas de lui que date le mépris américain pour le droit international.

La tentation du retrait stratégique remonte à la présidence de Barack Obama et découle du fardeau militaire, politique, financier, humain, moral, qu’a été l’enlisement en Afghanistan et en Irak. Trump a essayé d’accélérer ce retrait durant son premier mandat, mais c’est Obama qui avait retiré les troupes américaines d’Irak en 2011, et c’est Biden qui a quitté l’Afghanistan en 2021. Trump a aussi manifesté la même réticence à engager des opérations autres qu’aériennes. En cela, il s’inscrit dans les pas d’Obama qui privilégiait une « guerre furtive » contre le terrorisme, dont les récentes frappes de Trump au Yémen et en Iran apparaissent comme un prolongement.

Le durcissement de la relation avec la Chine est également une évolution qui enjambe les mandats de Obama, Trump et Biden. C’est devenu la priorité de la politique étrangère américaine. Entre les années 2000 et 2020, un Dialogue quadrilatéral pour la sécurité (« Quad ») avait été lancé entre les États-Unis, l’Australie, l’Inde et la Chine. Ce format, destiné à contenir l’expansion chinoise, a été relancé par l’administration Trump en 2017. Il a donné lieu à plusieurs sommets sous l’administration Biden, et il a été l’objet de la première rencontre multilatérale à laquelle a participé le Secrétaire d’État Marco Rubio en janvier 2025.

Découlant de la volonté de réduire la dépendance à la Chine, les politiques d’autonomie stratégique de l’administration Biden (comme la loi sur la réduction de l’inflation « IRA » de 2022 et le « Chips Act » de 2023) ont été poursuivies sous une autre forme : le soutien aux énergies fossiles plutôt qu’aux renouvelables, ou encore les investissements venus de l’étranger plutôt que les subventions. Mais leur objectif, de même que celui des « tariffs », reste le même : relocaliser la production aux États-Unis, dans une optique mercantiliste, pour accroître la puissance économique américaine, réduire les vulnérabilités, diminuer les déficits et créer des emplois.

Enfin, la proximité avec Israël, plus que jamais revendiquée par l’administration Trump, est consubstantielle à la politique étrangère américaine depuis la création de l’État juif. Les démocrates avaient pris certaines distances avec la politique de Benyamin Nétanyahou, mais pas au point de s’en désolidariser totalement. Il est probable qu’Israël n’a pu attaquer l’Iran sans un soutien américain. En revanche, Trump a manifesté à plusieurs reprises son impatience vis-à-vis de son allié israélien, sans que tout cela n’ait encore débouché sur une politique complètement cohérente.

Trump déchaîné ou Trump enchaîné ?

Les premiers mois du deuxième mandat Trump montrent qu’il n’y a pas de plan établi et méthodique pour mettre en œuvre une politique étrangère radicalement nouvelle.

Trump n’est peut-être plus freiné par « l’État profond » comme il l’avait été durant son premier mandat, mais il est confronté à des pesanteurs géopolitiques qui ne peuvent qu’entraver sa volonté et ses actions quand il veut s’affranchir des réalités. Ce qui, pour les partenaires historiques de l’Amérique, est une évolution plutôt réconfortante.

The Conversation

Maxime Lefebvre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Donald Trump et les diverses traditions de la politique étrangère américaine – https://theconversation.com/donald-trump-et-les-diverses-traditions-de-la-politique-etrangere-americaine-260434

Les psychédéliques sont détournées de leur usage traditionnel par l’industrie médicale, et ce n’est pas pour le mieux

Source: The Conversation – in French – By Kevin Walby, Professor of Criminal Justice, University of Winnipeg

Autrefois stigmatisés et interdits, les psychédéliques sont passés de la contre-culture à la culture dominante. De l’utilisation de la psilocybine par le prince Harry aux aventures du quart-arrière (quarterback) de la Ligue nationale de football américain Aaron Rodgers avec l’ayahuasca, nos médias regorgent de témoignages vantant leurs bienfaits.

Des centaines d’universités à travers le monde se lancent désormais dans la recherche sur les psychédéliques. Et des initiatives de légalisation prennent forme.

Les psychédéliques sont en train de devenir un marché très lucratif. Tout comme le capital privé a inondé le secteur du cannabis il y a quelques années, une nouvelle ruée vers l’or est en cours, cette fois autour des psychédéliques.

De riches entrepreneurs investissent dans l’industrie psychédélique tandis que des start-up biotechnologiques lèvent des fonds et mènent des essais cliniques sur de nouvelles molécules psychédéliques. Les investisseurs en capital-risque convoitent les perspectives offertes par un nouveau marché de masse lucratif.




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Une couverture de livre avec des dessins colorés
Les auteurs de cet article ont publié un nouveau livre : Psychedelic Capitalism.
(Fernwood)

Trois sujets de préoccupation

À ce jour, la plupart des débats sur les psychédéliques ont peu analysé de manière critique leur relation avec l’économie politique du capitalisme moderne et les structures de pouvoir au sens large. Dans notre nouveau livre Psychedelic Capitalism, nous formulons trois constats sur ce que l’on appelle la renaissance psychédélique.

Premièrement, la médicalisation des psychédéliques risque de restreindre leur accès et de renforcer les inégalités sanitaires et sociales existantes.

Deuxièmement, la « corporatisation » des psychédéliques permettra aux élites économiques de dominer le marché tout en s’appropriant le vaste réservoir de connaissances accumulées par les communautés autochtones, les institutions publiques et les chercheurs clandestins.


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Et troisièmement, plutôt que de représenter une réforme progressiste en matière de drogues, la légalisation limitée de certains psychédéliques à des fins médicales contribuera à renforcer et à pérenniser la guerre contre la drogue et la criminalisation de sa consommation.

Ignorer les connaissances communautaires

Partout en Amérique du Nord, nous assistons à une médicalisation des psychédéliques. De nombreux problèmes sont présentés comme pouvant être traités par ces substances. Cela se fait d’une manière qui renforce le contrôle des entreprises sur le processus et met de côté les connaissances communautaires et autochtones.

Nous avons vu ce phénomène en Australie. Certaines substances comme la psilocybine et la MDMA sont désormais légales, mais uniquement sur ordonnance médicale et à un coût financier élevé, ce qui soulève des questions sur l’équité, l’accès et les destinataires de ces thérapies.

Le fait de présenter les psychédéliques comme des produits pharmaceutiques et des solutions de santé individualisées renforce le discours prohibitionniste selon lequel ces substances ne sont pas adaptées à une utilisation en dehors du contexte médical. Ce discours détourne l’attention de la manière dont l’utilisation médicalisée pourrait perpétuer une idéologie néolibérale, qui réduit les troubles mentaux à des problèmes individuels plutôt que de s’attaquer aux causes plus systémiques telles que la pauvreté, les inégalités et l’exclusion sociale.

Il ignore également des siècles de traditions créées par l’usage communautaire autochtone, ainsi que les valeurs de la culture psychédélique underground.

Un système fondé sur des thérapies individuelles coûteuses et un accès clinique hypercontrôlé n’est pas le modèle envisagé par la plupart des défenseurs.

Un modèle basé uniquement sur la pilule pour la productivité et le bonheur

Les fondements du capitalisme psychédélique ont été largement créés par l’innovation publique aux frais du contribuable et sont aujourd’hui en train d’être repris par le capital privé.

Les conférences sur les psychédéliques prennent de plus en plus l’allure de salons commerciaux. L’industrie du tourisme psychédélique continue de se développer et de s’adresser à une clientèle élitiste. Des entreprises à but lucratif telles que Mind Medicine et Compass Pathways éliminent la psychothérapie de leurs protocoles de traitement et adoptent un modèle strictement médicamenteux, privilégié par les grandes entreprises pharmaceutiques.

Les psychédéliques, y compris le microdosage et la thérapie assistée par psychédéliques, sont commercialisés comme un moyen pour la population générale d’améliorer leur productivité dans une vie déjà surchargée, tout en y trouvant du bonheur.

Les entreprises se font concurrence pour s’approprier la propriété intellectuelle afin de tirer profit des composés existants et d’ériger des barrières juridiques autour des nouvelles substances chimiques et de leurs applications.

L’industrie lucrative de la kétamine offre déjà un aperçu de l’avenir de la thérapie psychédélique commercialisée. Cela inclut une négligence des risques, un marketing trompeur et peu de considération pour les soins thérapeutiques.

Il y a eu une vague de nouvelles demandes de brevets (et de brevets accordés) aux États-Unis sur des substances telles que la psilocybine, le LSD, le DMT, le 5-MeO DMT et la mescaline, qui visent à garantir l’exclusivité, à monopoliser les chaînes d’approvisionnement et à privatiser des connaissances qui existent déjà dans le domaine public.

Les psychédéliques ont été intégrés dans les logiques bien établies du capitalisme, où des acteurs privés s’approprient des droits exclusifs sur ce qui est en fin de compte le fruit de la lutte collective de l’humanité et de ses réalisations intellectuelles.

Légalisation médicale des psychédéliques

L’approche médicalisée des psychédéliques est également liée à la législation et à la politique en matière de drogues.

En Amérique du Nord, l’approche biomédicale la principale voie d’accès aux psychédéliques dans la plupart des juridictions. Cette approche est largement soutenue par l’industrie des psychédéliques qui ont un intérêt financier dans la légalisation médicale et souhaitent limiter l’accès légal à tout ce qui ne relève pas du cadre médico-pharmaceutique.

Aux États-Unis, des États comme l’Oregon et le Colorado ont adopté des modèles juridiques plus holistiques qui incluent des éléments de contrôle communautaire afin d’empêcher la mainmise des entreprises. Mais la plupart des initiatives étatiques restent limitées dans leur portée et sont centrées sur les thérapies médicalisées, en particulier pour les anciens combattants. Même dans l’Oregon, qui a été salué pour ses politiques progressistes en matière de drogues, on observe une nette tendance à la médicalisation.

L’industrie canadienne du cannabis illustre parfaitement comment les processus de légalisation peuvent s’entremêler avec les intérêts des industries dominées par les grandes entreprises.

Comme l’explique Michael Devillaer, professeur de psychiatrie et de neurosciences comportementales et auteur de Buzz Kill (2024), l’industrie du cannabis a donné la priorité à la maximisation des profits, à la promotion des produits et à l’augmentation de la consommation au détriment des préoccupations de santé publique.




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Qu’est-ce qui est le mieux pour l’intérêt public ?

À mesure que la légalisation médicale des psychédéliques s’accroit, nous assisterons probablement à un durcissement des sanctions pénales pour les usages récréatifs et autres.

En effet, les saisies policières de psychédéliques tels que la psilocybine ont augmenté ces dernières années aux États-Unis. Les arrestations pour le transport de composés tels que l’ayahuasca, l’iboga et le peyotl ont également augmenté dans le monde.

Ces problèmes risquent d’être exacerbés par les systèmes de classification bifurquée, dans lesquels un produit pharmaceutique est classé dans une catégorie différente de celle de son principe actif ou de sa substance.

Par exemple, si la Food and Drug Administration (FDA) américaine autorisait la psilocybine pour traiter la dépression ou la MDMA pour traiter le syndrome de stress post-traumatique, il est probable que seuls les produits médicinaux à base de psilocybine et de MDMA approuvés par la FDA seraient reclassés, tandis que les substances elles-mêmes continueraient d’être interdites en tant que stupéfiants soumis à restriction.

Il est dans l’intérêt public de dépasser une vision étroite de la légalisation médicale pour adopter un modèle plus ouvert et dépénalisé d’accès public. Une telle approche permettrait non seulement d’atténuer les menaces liées à la mainmise des entreprises, mais aussi de réduire les méfaits associés à la criminalisation et à la guerre contre la drogue.

La dépénalisation contrôlée par la communauté est une meilleure voie pour intégrer les psychédéliques dans la société que de céder le pouvoir à l’industrie médicale et aux cartels pharmaceutiques qui fournissent des services monopolistiques à une clientèle principalement aisée.

Et le fait de traiter la consommation de drogues et la dépendance comme une question de santé publique et d’encourager la réduction des risques et les services de soutien aux populations à risque contribueraient grandement à atténuer les tragédies de la guerre contre la drogue.

La Conversation Canada

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Les psychédéliques sont détournées de leur usage traditionnel par l’industrie médicale, et ce n’est pas pour le mieux – https://theconversation.com/les-psychedeliques-sont-detournees-de-leur-usage-traditionnel-par-lindustrie-medicale-et-ce-nest-pas-pour-le-mieux-260744

« La crise politique est plus inquiétante pour l’économie française que la crise budgétaire seule »

Source: The Conversation – France (in French) – By Mathieu Plane, Economiste – Directeur adjoint au Département Analyse et Prévision OFCE, Sciences Po

Mardi 15 juillet, le premier ministre François Bayrou annoncera son plan pour réduire les dépenses publiques et stabiliser la dette. Cela devrait se faire sans augmentation d’impôts, même s’il pourrait y avoir « des efforts particuliers » demandés a indiqué le premier ministre sur LCI le 10 juillet.

Nous avons demandé à Mathieu Plane, économiste à l’OFCE, d’analyser la situation et les mesures envisagées. Au-delà de la situation financière de la France, la situation politique doit être étudiée de près car elle pourrait enclencher une crise financière qui pourrait pourtant être évitée. Parmi les questions abordées, il évoque l’impact des mesures annoncées sur les plus fragiles ou les aides aux entreprises.


The Conversation : Le premier ministre a annoncé préparer un plan d’économies budgétaires pour réduire le déficit. Le montant de ce plan serait de 40 milliards. D’où vient ce chiffre ? À quoi correspond-il ?

Mathieu Plane : En adhérant à l’Union européenne, la France s’est engagée à respecter certaines règles. Ainsi, le déficit public doit baisser conformément à la trajectoire voulue par la Commission européenne. Pourtant, ces 40 milliards – soit 1,3 % du PIB – représentent davantage que ce demande la Commission, soit 0,7 point de PIB.

Ceci rappelé, ce ne sont pas vraiment 40 milliards d’ajustements structurels. Un quart, soit 10 milliards, correspond à la compensation des mesures exceptionnelles prises en 2025 pour un an (la contribution exceptionnelle sur les grandes entreprises et les hauts revenus). Donc, pour stabiliser le déficit à son niveau actuel, il faut commencer par trouver dix milliards de baisses de dépenses. Il « reste » 30 milliards d’efforts budgétaires, soit 1 point de PIB.

Sur ce point, il y a un débat qui monte, qui peut sembler technique, mais qui est très concret. Quand vous voulez réduire un déficit, vous avez deux leviers : baisser les dépenses publiques ou augmenter les recettes. Si vous annoncez une hausse d’impôts, c’est assez simple de calculer l’impact que cela aura. Mesurer la baisse des dépenses est plus compliqué car tout dépend du point de comparaison, c’est-à-dire de la trajectoire de référence. Quand vous dites que vous réduisez de 30 milliards la dépense publique, c’est par rapport à une trajectoire qui aurait eu lieu si aucune mesure n’avait été prise et que l’on n’observera jamais par définition. Ainsi, les annonces de 30 milliards d’économies ne signifient pas que les dépenses vont baisser de 30 milliards en valeur absolue. Cette discussion avait eu lieu lors du budget censuré finalement de Michel Barnier. Le reférentiel de calcul est donc important pour chiffrer correctement les économies en dépense et il faut être attentif à cela.

Comment procédez-vous dans vos prévisions ?

M.P. : Dans nos analyses, pour mesurer l’effort budgétaire du côté de la dépense, nous regardons l’évolution comparée des dépenses publiques et du PIB potentiel. Pour réaliser de véritables économies budgétaires, il faut qu’à fiscalité constante, la dépense publique augmente moins vite que le PIB potentiel, qui croît d’environ 3 % en valeur par an. C’est quelque chose de très mécanique, puisqu’on parle d’un ratio : si le numérateur augmente moins vite que le dénominateur, le taux diminue !

Et cela concerne l’ensemble des dépenses publiques, c’est-à-dire les dépenses de l’état (35 % du total environ), les collectivités locales (20 %) et toutes les dépenses de protection sociale (santé, retraites, famille…) soit 45 % du total. Pour faire des économies structurelles, il faut que tout cela augmente de moins de 3 % en valeur. L’enjeu n’est pas tant de baisser la dépense publique que de la faire croître moins vite que le PIB potentiel.


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Pourquoi n’essaie-t-on pas d’augmenter le PIB potentiel plutôt que de réduire les dépenses ?

M.P. : C’est un argument important et il est d’autant plus facile de faire des économies structurelles et se désendetter que la croissance potentielle est élevée. Mais agir sur la croissance potentielle ne se fait pas du jour au lendemain. C’est un travail de longue haleine pour améliorer la productivité de long terme d’une économie. Cela passe par des politiques qui soutiennent l’innovation, la R&D, l’émergence de nouvelles industries, des investissements importants dans l’éducation ou la formation, les infrastructures… Ces politiques d’investissements importants ne portent pas leurs fruits immédiatement.

Et le risque d’ailleurs, pour des raisons budgétaires, c’est de couper dans ses investissements qui ont peu d’effets à court terme mais dont les effets sont cruciaux à long terme. France 2030 ou les fonds pour la transition écologique en sont de bons exemples. Le but est donc de limiter la croissance des dépenses sans réduire la croissance potentielle. Mais le risque, en baissant trop fort les dépenses, c’est d’avoir un impact très négatif sur la croissance et, donc, un cercle vicieux s’enclenche. Le PIB baissant à la suite de la réduction des dépenses en année T, il faut baisser encore plus les dépenses en T+1 pour réduire le déficit. Là, c’est la double peine pour l’économie.




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Y’a-t-il une urgence à réduire le déficit en soi ? Ou faut-il le faire pour contenir l’évolution de l’endettement public ?

M.P. : Le déficit ponctuel ce n’est pas très grave, s’il est maîtrisé. Ce qu’il faut à tout prix protéger, c’est notre capacité à emprunter aux taux actuels. Et pour cela, il faut une trajectoire crédible de réduction des déficits et de stabilisation de la dette à un certain horizon tout en limitant les effets négatifs sur la croissance.

La crainte pourrait venir des investisseurs qui achètent de la dette française et donc qui prêtent à l’État français. S’ils commencent à s’inquiéter quant à la capacité de la France à redresser ses comptes publics et à stabiliser sa dette, en points de PIB, ils risquent de demander des taux d’intérêt plus élevés, d’où une charge de la dette en hausse qui peut être très vite problématique. Il peut y avoir ce qu’on appelle un effet boule de neige de la dette quand les taux d’intérêt deviennent supérieurs à la croissance. Or, avec la remontée des taux d’intérêt, nous sommes dans une zone dangereuse contrairement à une grande partie de la décennie des années 2010 où les taux d’intérêt étaient très faibles, inférieurs à la croissance. Aujourd’hui, la croissance potentielle n’est pas élevée et ne va pas augmenter dans les années à venir et les taux d’intérêt sont supérieurs à 3 %. Le risque pour la France c’est plus la situation italienne que grecque comme on l’entend parfois dire. L’Italie a connu cette situation où la croissance était largement inférieure à ses taux d’intérêt. Cela veut dire qu’il faut avoir d’importants excédents budgétaires primaires (l’écart entre les dépenses et les recettes hors charges d’intérêt) pour stabiliser la dette et cette situation mange toute marge de manœuvre budgétaire, notamment pour investir.

La crise la plus dangereuse est-elle la crise financière potentielle ou la crise politique que nous connaissons avec une assemblée sans majorité claire ? Le risque n’est-il pas que la crise politique finisse par déboucher sur une crise financière faute de mesures difficiles mais pas fondamentalement impossibles à prendre ?

M.P. : Sur ce dernier point, je vous suis. Il y a certes une crise budgétaire inquiétante mais très particulière : la France est le seul pays concerné, alors que la crise des dettes souveraines du début des années 2010 impliquait l’Europe, et en particulier les pays d’Europe du Sud. Ce n’est pas une crise budgétaire européenne mais française et cela veut dire que tous les pays européens ne vont pas couper les vannes en même temps, l’Allemagne annonce même un gigantesque plan de relance… ce qui va être bon pour nos exportations.

Pour revenir à la situation française, l’écart de taux avec l’Allemagne sur les emprunts publics à 10 ans est passé de 0,5 à 0,7 depuis la dissolution, mais il faut noter que l’économie française ne s’est pas effondrée car les fondamentaux structurels de la France sont solides et qu’on possède notamment beaucoup d’épargne. S’il y avait une majorité claire, il serait possible de développer un plan de redressement budgétaire réfléchi et étalé sur plusieurs années à même de rassurer nos prêteurs et de dépasser la crise budgétaire.

Cet hiver, qui votera à l’assemblée des mesures impopulaires, à 18 mois d’une élection présidentielle ? Car, pour commencer, nous avons parlé des 40 milliards d’euros à trouver, mais ce sont environ 100 milliards à dégager d’ici à la fin de la décennie. Pour rendre acceptable ce redressement des comptes publics, il faudrait une stratégie claire de moyen terme qui lisse les efforts sur plusieurs années et qui vise à limiter les effets négatifs sur l’économie et le social. Mais pour cela, il faudrait une assise politique solide.

Un rapport sénatorial sur les aides aux entreprises révèle une absence de visibilité des dépenses et de leurs effets. Les dépenses sont-elles hors de contrôle ?

M.P. : De nombreuses mesures budgétaires pérennes ont été prises sans évaluation préalable. La situation budgétaire dont nous venons de parler résulte largement de l’accumulation de mesures dont le financement a été ignoré et les effets sur la croissance surestimés. Depuis la crise des gilets jaunes et la pandémie et son « quoi qu’il en coûte », il y a eu une multitude de mesures prises (renoncement à la taxe carbone, suppression de la taxe d’habitation pour tous, défiscalisation des heures supplémentaires, baisse des impôts sur la production en même temps que celle de l’impôt sur les sociétés…) sans que jamais ne soit posée la question du financement budgétaire de ces mesures. Certaines de ces mesures sont bonnes assurément mais les effets sur la croissance n’ont pas été suffisants pour qu’elles soient auto financées. Nous sommes arrivés en bout de course et c’est désormais l’heure des comptes avec un trou budgétaire à combler. La politique de l’offre a en partie obtenu des résultats sur la croissance, l’emploi et la compétitivité mais à quel prix. Ne pouvait-on pas obtenir des résultats similaires à moindre coût ? La question n’est jamais posée. Une analyse claire des mesures prises dans le passé est plus que nécessaire avant d’aller plus loin.

BFM Business 2025.

Un rapport de l’Insee indique que le taux de pauvreté n’a jamais été aussi élevé et atteint 15 % de la population. La politique de réduction des dépenses peut-elle se faire sans aggraver leur situation ni pousser davantage de personnes dans la pauvreté.

M.P. : La situation dans laquelle nous entrons va être difficile, très difficile socialement. Le retournement du marché du travail est enclenché avec une remontée du chômage. Ce retournement devrait se prolonger sous l’effet de la réduction budgétaire et la faible croissance… d’autant plus si certaines des mesures budgétaires ciblent les politiques de l’emploi comme l’apprentissage. De plus, une année blanche sur les prestations sociales réduit en premier lieu le niveau de vie des ménages les plus modestes qui bénéficient de ces prestations.

ll faut donc trouver un chemin de crête avec des mesures budgétaires qui ne grèvent pas trop la croissance et n’alourdissent pas la problématique du chômage et des inégalités. Mais cela nécessite de développer une vision stratégique macroéconomique et budgétaire sur plusieurs années qui sorte des logiques comptables et politiques de court terme. Mais là, nous revenons au problème politique majeur que nous affrontons depuis la dissolution.


Propos recueillis par Christophe Bys

The Conversation

Mathieu Plane ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. « La crise politique est plus inquiétante pour l’économie française que la crise budgétaire seule » – https://theconversation.com/la-crise-politique-est-plus-inquietante-pour-leconomie-francaise-que-la-crise-budgetaire-seule-260942

Afrique de l’Ouest : cinq leçons pour comprendre la vague de coups d’État et préserver la démocratie

Source: The Conversation – in French – By Salah Ben Hammou, Postdoctoral Research Associate, Rice University

Août 2025 marque les cinq ans du coup d’État au Mali. En 2020, des soldats ont renversé le président Ibrahim Boubacar Keïta. Ce coup a bouleversé la vie politique malienne. Mais il a aussi ouvert la voie à une série de prises de pouvoir militaires dans d’autres pays africains, entre 2020 et 2023

Des soldats ont renversé les gouvernements du Niger, du Burkina Faso (à deux reprises), du Soudan, du Tchad, de la Guinée et du Gabon.

Le retour des coups d’État militaires a choqué de nombreux observateurs.
On pensait que ces pratiques appartenaient au passé, à l’époque de la guerre froide. Elles semblaient avoir disparu. Pourtant, elles font leur retour.

Aucun nouveau coup d’État n’a eu lieu depuis celui du Gabon en 2023. Mais les conséquences sont toujours là. En mai 2025, le général Brice Oligui Nguema, auteur du coup au Gabon, a été officiellement investi président. Ce faisant, il a rompu sa promesse de retirer l’armée du pouvoir.

Au Mali, la junte au pouvoir a dissous tous les partis politiques afin de renforcer son emprise sur le pouvoir.

Dans tous les pays touchés, les dirigeants militaires restent bien implantés. Le Soudan, pour sa part, a sombré dans une guerre civile dévastatrice à la suite du coup d’État de 2021.

Les analystes invoquent souvent la faiblesse des institutions, l’insécurité croissante et le mécontentement populaire à l’égard des gouvernements civils pour expliquer les coups d’État. Si ces facteurs comptent, ils ne suffisent pas pour comprendre ce qui se passe.

J’étudie et écris sur les coups d’État militaires depuis près de dix ans, en particulier sur cette vague de coups d’État.

Mon analyse montre que la communauté internationale doit changer de regard. Ces coups ne sont pas des événements isolés. Ils suivent une logique. Les chefs de junte ne font pas que prendre le pouvoir. Ils s’inspirent les uns des autres. Ils apprennent à s’installer durablement, à contourner les pressions internationales, et à construire un discours qui légitime leur pouvoir.

Pour défendre la démocratie, la communauté internationale doit tirer cinq enseignements des récentes prises de pouvoir militaires.

Principaux enseignements

L’effet domino: À peine un mois après que l’armée guinéenne a renversé le président Alpha Condé, l’armée soudanaise interrompait la transition démocratique dans le pays. Trois mois plus tard, des officiers burkinabés ont renversé le président Roch Marc Christian Kaboré dans un contexte d’insécurité croissante.

Chaque coup d’État a eu des déclencheurs spécifiques, mais le timing suggère plus qu’une simple coïncidence.

Les putschistes potentiels observent ce qui se passe ailleurs. Ils veulent savoir si un coup réussit, mais aussi quels problèmes apparaissent ensuite. Si les auteurs d’un coup sont punis sévèrement, cela peut décourager d’autres tentatives.

La propagation des coups d’État dépend autant des risques perçus que des opportunités. Mais lorsque les coups d’État réussissent, en particulier si les nouveaux dirigeants prennent rapidement le contrôle et évitent une instabilité immédiate, cela envoie un signal encourageant à d’autres militaires tentés par le pouvoir.

Le soutien de la population civile est important : le soutien de la population civile aux coups d’État est une réalité observable.

Depuis le début de la récente vague de coups d’État en Afrique, de nombreux observateurs ont souligné les foules en liesse qui accueillent souvent les soldats, célébrant la chute de régimes impopulaires. Le soutien de la population civile est un aspect souvent sous-estimé.

Pourtant, il donne de la légitimité aux putschistes. Il leur permet aussi de mieux résister aux critiques, aussi bien internes qu’internationales. Par exemple, à la suite du coup d’État de 2023 au Niger, les putschistes ont été confrontés à la condamnation internationale et à la menace d’une intervention militaire. En réponse, des milliers de partisans se sont rassemblés dans la capitale, Niamey, pour soutenir les dirigeants putschistes.

Au Mali, des manifestants ont envahi les rues en 2020 pour saluer le renversement par l’armée du président Ibrahim Boubacar Keïta. En Guinée, des foules se sont rassemblées derrière la junte après la destitution d’Alpha Condé en 2021. Et au Burkina Faso, les deux coups d’État de 2022 ont été accueillis par une approbation généralisée.

Réactions internationales : La réaction de la communauté internationale envoie des signaux tout aussi forts. Lorsque ces réactions sont faibles, tardives ou incohérentes – comme l’absence de sanctions significatives, la suspension symbolique de l’aide ou l’exclusion symbolique des instances régionales –, elles peuvent donner l’impression que la prise illégale du pouvoir ne coûte pas grand chose.

Les réactions internationales aux récents coups d’État ont été mitigées. Certaines, comme celle du Niger, ont déclenché des réactions initiales fortes, notamment des sanctions et des menaces d’intervention militaire .

Mais au Tchad, la prise de pouvoir de Mahamat Déby en 2021 a été légitimée par les principaux acteurs internationaux, qui l’ont présentée comme une mesure nécessaire pour assurer la stabilité après la mort au combat de son père, le président Idriss Déby, aux mains des forces rebelles.

En Guinée et au Gabon, les mesures de suspensions régionales ont été largement symboliques, avec peu de pression pour rétablir le pouvoir civil. Au Mali et au Burkina Faso, les calendriers de transition ont été prolongés à plusieurs reprises sans grande opposition.

Cette incohérence indique aux auteurs des coups d’État que la prise du pouvoir peut provoquer l’indignation, mais rarement des conséquences durables.

Les auteurs de coups d’État apprennent les uns des autres : l’effet domino ne se limite pas au moment de la prise de pouvoir. Les auteurs de coups d’État tirent également des leçons de la manière dont leurs prédécesseurs se sont maintenus au pouvoir. Ils observent quelles tactiques permettent de neutraliser l’opposition et de prolonger leur emprise sur le pouvoir.

En général, dans les pays touchés, le pouvoir militaire s’installe dans la durée. En moyenne, les dirigeants militaires restent au pouvoir pendant près de 1 000 jours depuis le début de la vague actuelle. Avant cette vague, les dirigeants militaires conservaient le pouvoir pendant 22 jours en moyenne depuis l’année 2000.

Au Tchad, Mahamat Déby a consolidé son pouvoir grâce à des élections contestées en 2024. Le Gabonais Nguema lui a emboîté le pas en 2025, remportant près de 90 % des voix après que des modifications constitutionnelles lui ont ouvert la voie.

Dans ces deux cas, les élections ont servi à donner une apparence démocratique à des régimes militaires. Mais sur le fond, le rôle de l’armée reste inchangé.

Relier les pièces du puzzle

Les gouvernements putschistes du Mali, du Burkina Faso et du Niger ont tourné le dos à l’Occident pour se rapprocher de la Russie, renforçant ainsi leurs liens militaires et économiques. Les trois pays ont quitté la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest et formé l’Alliance des États du Sahel (AES), dénonçant les pressions régionales.

S’aligner sur la Russie offre à ces régimes un soutien extérieur et un vernis de souveraineté, tout en légitimant l’autoritarisme sous couvert d’indépendance.

La dernière leçon est claire : lorsque les coups d’État sont traités comme des événements isolés plutôt que comme des phénomènes interconnectés, il y a de fortes chances que d’autres suivent. Les comploteurs potentiels observent la réaction des citoyens, la réponse du monde et la manière dont les autres leaders putschistes consolident leur pouvoir.

Et si le message qu’ils reçoivent est que les coups sont tolérés, qu’ils peuvent réussir, l’effet dissuasif s’affaiblit.

Poema Sumrow, chercheur au Baker Institute, a contribué à cet article

The Conversation

Salah Ben Hammou does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.

ref. Afrique de l’Ouest : cinq leçons pour comprendre la vague de coups d’État et préserver la démocratie – https://theconversation.com/afrique-de-louest-cinq-lecons-pour-comprendre-la-vague-de-coups-detat-et-preserver-la-democratie-260641

Les amours de vacances des adolescents : entre liberté, exploration et normes sociales

Source: The Conversation – France (in French) – By Marine Lambolez, Doctorante, ENS de Lyon

Le temps des vacances permet aux jeunes d’explorer sans pression, loin de leur cercle quotidien, des relations avec des jeunes issus d’autres milieux qu’ils n’auraient pas croisés autrement. Un temps de liberté précieux pour le développement de leur personnalité ?


Les grandes vacances s’accompagnent de tout un imaginaire : la chaleur (de plus en plus), la baignade, le vélo entre copains, l’ennui des longues journées, les cartes postales, le camping, la maison des grands-parents ou le quartier qui se vide pour deux mois… et les amours de vacances, qui se nouent plus souvent en bord de plage qu’aux vacances de la Toussaint, d’où leur nom anglais de « summer fling ».

En dehors de l’espace scolaire et, bien souvent, sous un contrôle parental plus diffus qu’à l’accoutumée, la liberté estivale des jeunes s’étend à la sphère amoureuse.

Loin du regard du cercle quotidien, les idylles se lient sans pression. L’été, les jeunes peuvent se réinventer et sortir de leur place attitrée au sein de leurs familles ou de leurs groupes d’amis : l’intello, le rigolo, la bonne copine, l’ex d’untelle…). C’est l’occasion d’explorer des relations amicales et amoureuses avec des jeunes de milieux sociaux ou d’appartenance géographique éloignées, que l’on ne croiserait pas dans son quotidien, et de faire fi de son capital de popularité scolaire.




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Le crush à l’adolescence : une pratique culturelle ?


Il est fréquent que les élèves débutent l’année scolaire avec un nouveau style vestimentaire, une nouvelle coiffure, une nouvelle facette de leur identité expérimentés et perfectionnés à l’abri des regards pendant l’été.

Il en va de même pour les relations amoureuses. Les vacances permettent au jeune couple de passer beaucoup de temps ensemble, dehors ou à des évènements estivaux organisés par la ville, le camping, le club de vacances… tout cela en ayant généralement moins besoin de demander l’autorisation aux parents de voir un ou une partenaire en particulier ni de s’organiser autour des activités extrascolaires et sociales qui rythment l’année scolaire.

Ces espaces de liberté et d’expérimentation permettent aux jeunes de construire une base de relation solide avant de présenter leur partenaire à leurs familles et leurs amis et amies au retour des vacances… ou d’arrêter la relation avant qu’elle soit soumise à l’approbation des proches ou à la logistique du quotidien, notamment pour les relations à distance.

Échapper au jugement des autres

Les amours de vacances fonctionnent comme des espaces de liberté pour les jeunes, hors du regard des pairs et de la famille. À l’école, au contraire, les histoires d’amour sont un sujet de conversation quotidien.

Du côté des groupes de garçons, il convient de se moquer de l’ami amoureux. D’abord, il faut mettre à distance l’intérêt pour l’amour car celui-ci serait fondamentalement féminin. Par conséquent, les garçons amoureux, surtout à un jeune âge, vont être moqués et leur masculinité remise en cause.

Chez les adolescents, quand le fait d’avoir une petite amie n’est plus sanctionné socialement, il convient de bien rappeler aux garçons en couple que la loyauté masculine surpasse la relation amoureuse, selon l’adage sexiste « les potes avant les putes ».

Chez les filles, le jugement des amies porte plus sur le partenaire que sur leur amie. Il s’agit pour elles de protéger leur amie de garçons malintentionnés, ou qui ne les « mériteraient » pas. Cependant, les critères selon lesquels un partenaire masculin va être considéré comme à la hauteur ou non varient et souffrent parfois des ancrages sociaux des jeunes. Ainsi, un garçon issu d’un milieu social plus défavorisé, ou d’une culture tout à fait différente, pourra faire l’objet des critiques des proches de sa petite amie, sans raison valable.

C’est par exemple autour de ces dynamiques conflictuelles que s’ouvrait la série Newport Beach (The OC). Les réactions amicales genrées sont représentées, de façon caricaturales, dans la chanson Summer nights de Grease, dans laquelle Sandy et Danny décrivent leur histoire de vacances de façons bien différentes :

Summer Nights (Clip du film Grease).

Evidemment, échapper au jugement des autres peut être particulièrement libérateur pour les jeunes soumis à des normes familiales strictes. C’est notamment le moment idéal pour les adolescent·es LGBTQIA+ de découvrir leurs attirances sans craindre de conséquences sociales au sein de leur famille ou de leur établissement scolaire.

Remettre en cause les normes de socialisation

En dehors de l’institution scolaire et à distance, figurativement ou géographiquement, de l’institution familiale, les normes de socialisation auxquelles est soumis chaque individu, a fortiori parmi les plus jeunes, se font moins sentir. L’été devient le moment parfait pour remettre en cause les normes respectées le reste de l’année.

Toutefois, ce n’est pas toujours une mauvaise chose quand les autres se mêlent des histoires de cœur des adolescentes et adolescents. Le contrôle parental permet bien sûr d’éviter des situations inappropriées (écarts d’âge, manque de prévention) et les filles (et de plus en plus les garçons) savent mettre en garde leurs amies contre des comportements toxiques dans leurs relations amoureuses. L’autre face du jugement est celle des conseils, parfois bons, qui permettent aux jeunes (et moins jeunes) de naviguer dans ces premières relations de couple.


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En dehors des vacances, les jeunes sont friands de moments dérobés au regard de leurs proches pour se découvrir « de leur côté ». Nous observons notamment cela avec l’investissement sentimental des espaces numériques anonymes. Les rencontres amoureuses se font aussi maintenant sur Discord ou dans les tchats de jeux en réseau (League of Legends, Fortnite…).

Parfois, l’entièreté de la relation amoureuse se vit sans rencontrer le cercle de son partenaire et, cela en étonnera plus d’un, sans même que les amoureux ne se rencontrent « en vrai ».

Internet offre ces « vacances infinies », enfermées dans le temps du loisir, au sein duquel les jeunes couples virtuels peuvent ne se soucier que de leur relation et de leurs activités ludiques. On peut se questionner sur le rôle que joueront ces relations dans la formation amoureuse des nouvelles générations, qui semblent convaincues de la fable « pour vivre heureux, vivons cachés ».

The Conversation

Marine Lambolez ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Les amours de vacances des adolescents : entre liberté, exploration et normes sociales – https://theconversation.com/les-amours-de-vacances-des-adolescents-entre-liberte-exploration-et-normes-sociales-258093

Qui fait la culture ? Le modèle français à l’épreuve des tensions budgétaires

Source: The Conversation – France (in French) – By Fabrice Raffin, Maître de Conférence à l’Université de Picardie Jules Verne et chercheur au laboratoire Habiter le Monde, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)

La programmation du festival des arts de rue de Ramonville, organisé par l’association Arto, près de Toulouse, a dû être réduite d’un tiers en 2025 du fait des coupes budgétaires. Mathieu Lacout, CC BY-ND

Réductions budgétaires et logiques de concurrence mettent sous tension les différents acteurs de la culture publique. Une recomposition silencieuse du modèle français serait-elle en cours ?


Depuis un an, les coupes budgétaires annoncées par l’État et les collectivités territoriales bouleversent l’écosystème culturel français. Ces réductions sont plus complexes à appréhender qu’elles n’en ont l’air. Il demeure qu’elles ont un effet structurel majeur : elles mettent en tension les différents acteurs du secteur culturel public, dont l’équilibre reposait sur des soutiens croisés (État, régions, départements, villes). De plus, elles ravivent d’anciennes lignes de fracture entre ces acteurs de la culture inégalement dotés, renvoient à des conceptions différentes de la culture, et interrogent plus largement la pertinence du modèle français d’action culturelle fondé sur l’intervention publique.

Quatre grandes familles de professionnels face à la crise

La crise actuelle révèle avec acuité la coexistence, au sein du monde de la culture subventionnée, de quatre grandes familles d’acteurs aux logiques différentes – et parfois concurrentielles.

Un premier type d’acteur est constitué des structures les plus historiquement installées : théâtres nationaux, centres dramatiques, scènes nationales, opéras, musées nationaux, conservatoires. Elles concentrent environ 75 % des crédits d’intervention du ministère de la Culture affectés au spectacle vivant et bénéficient d’une multisubvention stable et pluriannuelle. Ce sont aussi elles qui disposent d’un personnel permanent (direction, technique, administration), et qui structurent l’agenda culturel national. Mais leur centralité symbolique et économique est aujourd’hui questionnée : ces structures restent souvent centrées sur une offre culturelle relevant des Beaux-Arts, de la création contemporaine, du patrimoine artistique. Actrices de la culture légitime, inscrites dans une logique de démocratisation culturelle et centrées sur des questions artistiques, elles apparaissent parfois éloignées des pratiques et des attentes de la population. De plus, leur gouvernance verticale fait parfois obstacle à l’expérimentation ou à l’inclusion.


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Compagnies indépendantes et collectifs artistiques

Les compagnies indépendantes et collectifs artistiques constituent un deuxième groupe d’acteurs qui apparaît de plus en plus dépendant du premier. Ils sont essentiellement financés sur projets, via appels à candidatures, aides à la création ou conventionnements limités dans le temps. Ces équipes sont au cœur de la création contemporaine, mais subissent de plein fouet les logiques de sous-traitance qui les assignent à un rôle d’exécutants, contraints de s’adapter aux conditions imposées par les institutions détentrices des lieux, des moyens et de la visibilité. Près de 80 % des compagnies n’ont aucun lieu de diffusion en propre, ce qui les oblige à négocier en permanence avec les institutions pour diffuser leur travail. Le Syndicat des Cirques et Compagnies de Création (SCC) a d’ailleurs rejeté, en février 2025, la « Charte des relations entre équipes artistiques et lieux » proposée par le Syndeac, l’une des principales organisations professionnelles du secteur culturel public, estimant que le texte renforçait cette logique de sous-traitance.

Secteur associatif et citoyen

Le tiers secteur culturel (associatif et citoyen) regroupe lui les initiatives culturelles locales citoyennes, souvent portées par des associations, des tiers-lieux, des collectifs d’habitants ou des structures hybrides. Ces acteurs incarnent une vision décentrée de la culture, centrée sur l’animation des territoires, les droits culturels, et la co-construction de l’offre avec les habitants. Loin des canons de la culture classique des grandes institutions, elles apparaissent plus en phase avec les pratiques culturelles réelles des Français et les dynamiques locales : pratiques amatrices, participation, ancrage dans les réseaux locaux. Si la logique artistique et la création peuvent irriguer ces initiatives, elles sont avant tout orientée vers l’animation, l’événementiel, l’expression et la créativité des habitants. Les coupes budgétaires fragilisent en priorité ces structures, car elles dépendent le plus des financements croisés et ne disposent ni de réserves ni de financements d’État direct. En mai 2025, le collectif MCAC (Mobilisation et Coopération Arts et Culture) mettait ainsi en avant dans une lettre ouverte à la ministre de la Culture que près d’une structure sur deux a subi des coupes de la part d’au moins deux niveaux de collectivités, menaçant la pérennité d’écosystèmes locaux entiers.

Le clown Typhus Bronx devant une foule au festival de Ramonville en septembre 2024
Le clown Typhus Bronx au festival des arts de rue de Ramonville en 2024. Organisé par une association, le festival a vu sa programmation diminuer d’un tiers en 2025 en raison des coupes budgétaires.
Mathieu Lacout, CC BY-ND

Les agents territoriaux

Enfin, un quatrième groupe d’acteurs, moins visibles, regroupe les agents territoriaux chargés de la mise en œuvre concrète des politiques culturelles au sein des collectivités locales : chargés de mission, médiateurs culturels, responsables des affaires culturelles dans les mairies, départements ou régions. Au fil des lois de décentralisation, les collectivités territoriales ont acquis un rôle majeur dans la gestion et le développement culturel. Elles ont ainsi pris en charge des compétences clés comme le soutien à la création artistique, la diffusion, l’éducation artistique et culturelle, la médiation culturelle, ou encore animent des projets d’inclusion sociale. Leur action repose souvent sur des partenariats avec des structures associatives, des établissements scolaires ou des institutions artistiques. Lorsque les budgets culturels sont revus à la baisse – ou coupés comme dans la Région Pays de la Loire – les conséquences sont immédiates : suppression de projets éducatifs, gel des subventions aux associations partenaires, fermeture temporaire ou définitive d’équipements culturels, etc. Ne sachant plus comment maintenir leur action sans moyens, ces agents expriment depuis quelques mois un profond sentiment de découragement, voire de désespoir.

Concurrentes plutôt qu’irréconciliables ?

Il serait excessif de dire que ces familles d’acteurs sont « irréconciliables » : des coopérations existent, des passerelles aussi. Mais la réduction de moyens observable depuis septembre 2025 les met en compétition directe pour l’accès aux subventions, aux lieux, à la reconnaissance institutionnelle. Cette mise en concurrence accentue les asymétries, renforce le pouvoir des structures les mieux dotées, et tend à marginaliser les formes plus fragiles et expérimentales.

Dans ce contexte, les débats sur la gouvernance, sur les droits culturels ou sur la légitimité des modèles économiques prennent une tournure conflictuelle. Le rejet de la Charte du Syndeac par le SCC, mentionné plus haut, en est un symptôme : derrière un désaccord sur les conditions de travail, se cache une fracture sur la définition même du pacte culturel républicain. Le SCC revendique ici une parole singulière, celle de « ceux qui font », en opposition à « ceux qui ont ». Plus qu’un désaccord financier ou professionnel, c’est un désaccord sur les fondements mêmes du pacte culturel. Qui décide ? Qui produit le sens ? Qui est légitime pour parler au nom de « la culture » ?

La poursuite du désengagement budgétaire, même marginal, risque ainsi de déséquilibrer durablement le modèle français de soutien à la culture. Elle renforce les logiques de sélection, de concentration des moyens, et affaiblit les formes culturelles les plus proches des publics éloignés de l’offre institutionnelle.

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Fabrice Raffin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Qui fait la culture ? Le modèle français à l’épreuve des tensions budgétaires – https://theconversation.com/qui-fait-la-culture-le-modele-francais-a-lepreuve-des-tensions-budgetaires-260359

Shopping en ligne : comment Shein, Temu et les autres utilisent l’IA pour vous rendre accro

Source: The Conversation – in French – By Ghassan Paul Yacoub, Associate Professor of Innovation and Strategy, EDHEC Business School

Le succès rencontré par des applis comme Temu ou Shein (et d’autres) s’appuie sur des outils marketing très efficaces. L’intelligence artificielle est devenue un levier majeur pour fidéliser les clients… Au-delà du raisonnable ?


Ces dernières années, plusieurs sites Internet à positionnement ultra low cost ont fait leur apparition sur le marché français. Shein, Temu ou encore Aliexpress, pour ne citer qu’eux, rebattent les cartes du commerce en ligne. D’après une étude menée par BPCD Digital & Payments en 2023, le nombre de cartes de paiements enregistrant au moins une transaction mensuelle sur un site discount a ainsi augmenté de 20 % entre le premier trimestre de 2022 et le premier trimestre de 2023.

Rien d’étonnant si le site Temu compte 18,4 millions d’internautes français chaque mois, selon les données de la fédération du e-commerce et vente à distance (Fevad)). Et, désormais, les plates-formes low cost représentent 22 % des colis pris en charge par la Poste, contre 5 % il y a 5 ans. Cette hausse devrait se prolonger, puisque l’on anticipe une croissance du secteur à 6,5 % en 2025.

Bien entendu, l’inflation galopante en France ces dernières années explique pour partie cet engouement. Mais celle-ci n’est pas la seule explication de ces évolutions. L’usage de l’intelligence artificielle (IA), au cœur du business model de ces plates-formes low cost, permet de fidéliser les consommateurs.




À lire aussi :
Comment fait Temu pour proposer des prix aussi bas ?


Profilage comportemental

Ainsi, dans nos derniers articles sur Shein et Temu, nous avons analysé, notamment, la façon dont ces plates-formes œuvrent en coulisses. En analysant les données comportementales des utilisateurs, les outils d’IA utilisés par les plates-formes peuvent identifier les clients les plus susceptibles de réaliser un achat et ajuster les messages publicitaires que ceux-ci reçoivent.

Des algorithmes prédictifs analysent également le comportement des utilisateurs pour leur proposer des recommandations personnalisées. Cette approche vise à créer un besoin avant même qu’il n’apparaisse, en jouant sur le sentiment de rareté et d’urgence. C’est le fameux FOMO, l’acronyme de fear of missing out, défini comme la crainte de rater une occasion importante.

Ces algorithmes prédictifs existent depuis de nombreuses années, mais leurs nouvelles capacités « augmentées » par les outils IA ouvrent une nouvelle ère, s’adaptant encore plus finement et rapidement à chaque internaute. En bas de chaque page, figure ainsi une liste d’« articles également consultés » par les autres utilisateurs, qui ressemblent au produit recherché. Cette technique marketing classique est poussée plus loin : les algorithmes soumettent en permanence de nouveaux contenus au client pour étudier sa réaction. La moindre réaction (clic, ajout d’un article dans le panier…) est analysée en direct. L’algorithme, appuyé par l’IA, utilise ensuite ces données pour inciter l’utilisateur à acheter d’autres produits, qu’il n’était pas venu chercher en premier lieu.


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Jouer pour mieux vendre

La gamification, aussi appelée ludification en français, désigne l’utilisation des mécanismes du jeu à des fins de marketing pour capter l’attention des clients.

Sur l’application Temu, les interfaces s’inspirent des jeux d’argent, connus pour être particulièrement addictifs : roue de la fortune, comptes à rebours mettant en avant des offres limitées dans le temps, cadeaux et codes promotionnels à débloquer… Ces stimulations constantes génèrent chez l’utilisateur un sentiment d’urgence, tout en perturbant le mécanisme biochimique du circuit de la récompense.

Les leviers psychologiques exploités par les plates-formes low cost sont redoutables. Elles agissent sur :

  • le besoin : grâce à des prix très bas qui incitent à acheter toujours plus de produits ;

  • le sentiment d’urgence, avec des comptes à rebours qui laissent croire que l’article ne sera bientôt plus disponible ;

  • la transformation de l’expérience shopping en un jeu.

Tarification dynamique

Toujours sur Temu, des mini-jeux intégrés à l’application mobile (Farmland, Fishland) promettent de gagner des objets gratuits et des coupons de réduction. Par ailleurs, des systèmes de points et de bons d’achat sont utilisés pour pousser les utilisateurs à retourner sur le site le plus souvent possible. Des notifications personnalisées sont également envoyées selon le moment propice, en fonction des données recueillies sur l’utilisateur (jour, heure, humeur supposée).

Par ailleurs, des algorithmes de tarification dynamique (qui ajustent les prix en fonction des variations de la demande) affichent des réductions dont la réalité est parfois loin d’être patente. Elles n’en sont pas moins psychologiquement puissantes sur les consommateurs.

Une hyperpersonnalisation en temps réel

Autre levier utilisé : l’hyperpersonnalisation de la plate-forme. Grâce à l’intelligence artificielle, qui collecte d’abondantes données relatives aux profils des utilisateurs, chaque client dispose d’une boutique en ligne différente, personnalisée selon son historique, ses goûts, ses préférences et ses aversions. De quoi augmenter la probabilité d’un ou de plusieurs achats impulsifs.

Mais la contribution la plus importante de l’IA au succès de Shein va bien plus loin, et précède l’arrivée des clients sur la plate-forme. En effet, Shein a développé ses propres outils d’IA et ses propres algorithmes pour collecter et analyser des données. Les utilisant pour suivre le comportement de ses clients sur Internet (sur et au-delà de son site), Shein s’appuie aussi sur ces outils pour analyser les résultats des recherches faites en ligne, les posts des réseaux sociaux, les sites de ses concurrents, etc.

Ces outils sont donc au cœur du succès de Shein, qui peut identifier les tendances (couleurs, prix, designs, etc.) en temps réel ou presque, et ajuster très rapidement la conception et la production de ses produits car l’ensemble de ces données est partagé avec ses fournisseurs, qui produisent l’intégralité des pièces vendues sur son site. Ceci est facilité par une stratégie privilégiant une production de petits volumes (100 pièces ou moins) pour tout nouveau produit.

France 24 2025.

D’importants enjeux éthiques

L’ensemble de ces éléments soulève évidemment des problèmes éthiques, eu égard à l’opacité des algorithmes utilisés et du manque de transparence quant à l’utilisation qui est faite des données recueillies.

Shein a d’ailleurs été condamnée en 2022 par la justice new-yorkaise pour ne pas avoir informé près de 40 millions d’utilisateurs d’un vol de données sur les utilisateurs intervenu en 2018. Comme nous l’avons évoqué plus haut, l’entreprise est aussi dans le viseur de la Commission européenne, qui lui reproche au moins six pratiques trompeuses ou abusives envers les consommateurs (faux rabais, informations mensongères, pression à l’achat, opacité de certaines informations, etc.).

Alors, jusqu’à quel point faut-il réguler l’intelligence artificielle dans la vente et le marketing en ligne ? Quelles limites doit-on poser ? Jusqu’où, enfin, doit aller la protection du consommateur ? Selon un rapport Statista de 2024, les systèmes de recommandation basés sur l’intelligence artificielle influencent près de 35 % des achats en ligne, ce qui démontre leur impact considérable. Ceci interroge sur la portée effective du Digital Services Act et de l’EU AI Act, pourtant supposés œuvrer pour une meilleure protection des consommateurs.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Shopping en ligne : comment Shein, Temu et les autres utilisent l’IA pour vous rendre accro – https://theconversation.com/shopping-en-ligne-comment-shein-temu-et-les-autres-utilisent-lia-pour-vous-rendre-accro-257029

Tour de France 2025 : quand des réserves naturelles émergent sur des sites pollués

Source: The Conversation – France (in French) – By Patrick de Wever, Professeur, géologie, micropaléontologie, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)

La mare à Goriaux, née d’un affaissement minier. Wikimedia commons, CC BY-NC-SA

Au-delà du sport, le Tour de France donne aussi l’occasion de (re)découvrir nos paysages et parfois leurs bizarreries géologiques. Le XXIe siècle est marqué par un regain de sensibilité à la nature, qui a poussé à la protection de certains sites, sélectionnés parmi de nombreuses possibilités. Mais paradoxalement, certaines aires sont protégées alors qu’elles semblent polluées… par un phénomène naturel ?


Le naturaliste respecte tout ce qui vient de la nature. De cette dernière il exclut généralement l’humain et ses œuvres, tant elles portent atteinte à un équilibre sain. En témoignent les nombreuses traces laissées par le passé industriel de notre pays : certaines sont visibles (bâtiments en ruines…), quand d’autres, plus insidieuses, sont chimiques (sols pollués).

Et pourtant, en France, certaines pollutions et désordres industriels sont aujourd’hui classés… comme des réserves naturelles.

La troisième étape du Tour de France 2025, le 7 juillet dernier, a permis de l’illustrer avec deux exemples : les pelouses métallicoles de Mortagne-du-Nord et la « Mare à Goriaux », deux réserves biologiques du Parc Naturel régional Scarpe-Escaut traversées par la route dans la forêt de Saint-Amand, à une dizaine de kilomètres de son départ. Nous évoquerons aussi un troisième cas dans le Massif central, que les cyclistes parcourront lors de la 10e étape, le lundi 14 juillet 2025.

Pelouses métallicoles et plantes hyperaccumulatrices

Éliminer les cicatrices que l’humain a laissées en maltraitant la Terre n’est pas chose aisée et les approches sont aussi variées que les causes sont différentes. Les blessures visuelles se résorbent quand les moyens financiers sont mobilisés. La pollution chimique en revanche requiert, outre des subsides, un bien non achetable : du temps.

Magie de la nature, certaines plantes dites hyperaccumulatrices ont la propriété de prospérer sur des sols qui empoisonneraient la plupart des autres. Elles ne sont pas rares : on en connaît près de 400 espèces. La plupart bioaccumulent un ou deux métaux, mais certaines prélèvent un plus large éventail, en pourcentage variable selon le polluant.


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Ces capacités d’extraction par des plantes qui absorbent et concentrent dans leurs parties récoltables (feuilles, tiges) les polluants contenus dans le sol sont utilisées pour la dépollution : on parle de phytoremédiation. Le plus souvent, les végétaux sont récoltés et incinérés : les cendres sont stockées ou valorisées pour récupérer les métaux accumulés.

Mortagne du Nord, commune qui appartient au Parc naturel régional Scarpe-Escaut, en offre un exemple édifiant. Une usine y traitait du zinc, du cadmium, du plomb et quelques terres rares.

Mortagne-du-Nord, une pelouse métallicole décontaminante environne le collège, 2005.
Patrick De Wever, Fourni par l’auteur

Désormais, en lieu et place de l’amoncellement de déchets qui y étaient entreposés, prospèrent de jolis prés. Des pelouses dites « métalicolles » ou « calaminaires » qui entourent un collège en pleine nature.

Une réserve biologique fruit d’un effondrement minier

Le nord de la France est connu pour son absence de relief, comme la plaine de Flandre, vers Dunkerque, ou la région marécageuse de Saint-Amand-les-Eaux. Cette horizontalité est démentie par une dépression, notamment visible sur certaines routes.

Ainsi, à proximité de la terrible « trouée de Wallers-Arenberg », passage célèbre du Paris-Roubaix, une route montre une dépression très nette qui semble évoquer le passage d’une rivière. Or il n’y a pas de rivière. Quelle peut en être l’explication ?

La dépression de la route D313 ne correspond pas à un vallon naturel mais à un effondrement minier du Boulevard des mineurs d’Aremberg.
Patrick de Wever, Fourni par l’auteur

La dépression de la route ci-dessus permet de quantifier l’effondrement topographique. On notera, sur la partie droite de la photo, que la ligne de chemin de fer est restée horizontale car un remblai régulier était effectué. C’est d’ailleurs ce remblai, pris annuellement en charge par les houillères, qui a permis de les rendre responsables de cet effondrement. La gauche de la route, derrière les arbres, est bordée par le terril qui délimite la Mare à Goriaux (gorets en picard), une zone naturelle protégée installée sur un terril plat.

Les bois de la gauche de la route sont ceux de la « Mare à Goriaux », une réserve naturelle créée suite à un affaissement minier en 1916. En effet, il existait là un ancien terril horizontal – avant de prendre leur forme conique avec la mécanisation des apports, les terrils étaient horizontaux car alimentés par des wagonnets poussés par des hommes ou tirés par des chevaux. L’affaissement a formé trois mares, qui ont fini par se réunir en 1930 en un seul plan d’eau, la Mare à Goriaux.

La colonisation des lieux par la flore et la faune, riche et diversifiée, a conduit à décréter ce lieu réserve biologique domaniale de Raismes-St Amand-Wallers en 1982.

Une source de pétrole au cœur de l’Auvergne

La nature rejette du pétrole depuis toujours : on en connaît dans les Caraïbes tant au fond de la mer, où il suinte et est constamment digéré par des bactéries spécialisées, qu’à terre. Il était déjà utilisé par les Amérindiens Olmèques 12 siècles avant notre ère, afin d’imperméabiliser les toitures, étanchéifier les navires, les canalisations, les récipients ou décorer des masques. Dans l’Antiquité Classique, il a servi à étanchéifier les jardins suspendus de Babylone, à enduire l’arche de Noé ou à conserver les momies.

Si le bitume affleurait en surface dans toutes les régions aujourd’hui connues comme étant pétrolifères, de l’Arabie saoudite à l’Iran (alors la Perse) en passant par l’Irak (alors la Mésopotamie), en France, le pétrole est plus rare. Il existe néanmoins un endroit où il coule en surface.

Près de Clermont-Ferrand, à proximité de l’aéroport de Clermont-Aulnat se trouve une rivière de pétrole. L’eau, très riche en organismes (bactéries, algues…), présente une couleur d’un vert très particulier.
Patrick de Wever, Fourni par l’auteur

À l’est de Clermont-Ferrand, que traversera le peloton lors de la 10e étape, est visible entre l’autoroute et l’aéroport la « Source de la Poix », un lieu géré par le Conservatoire des espaces naturels. Le bitume qui s’y écoule librement est associé à de l’eau salée, du méthane et des traces d’hydrogène sulfuré, dont l’odeur parfois forte peut évoquer celle d’œufs pourris. Le mélange, qui circule sur une quinzaine de mètres avec un débit extrêmement faible (de l’ordre d’un hectolitre/an), surgit par des fractures dans la roche volcanique, ce qui explique qu’il n’est plus exploité. Dans le passé, il fut utilisé pour calfater (c’est-à-dire, étanchéifier) les embarcations de l’Allier.

Panneau de la source de la poix. Ce site, unique en France, n’est cependant pas protégé aux yeux de la loi. Il est demandé de le « préserver ensemble » (haut du panneau), mais (est-ce parce qu’il s’agit de pétrole ?), en bas… on pense à le partager !
Patrick de Wever, Fourni par l’auteur

Cet hydrocarbure vient des sédiments de Limagne qui se sont déposés dans un grand lac peu profond qui permettait une vie abondante, il y a une trentaine de millions d’années (Oligocène). Celle-ci a évolué avec le temps pour devenir le bitume que l’on trouve aujourd’hui – il ne s’agit pas vraiment de pétrole car il a subi une légère oxydation. N’ayant pas été piégé par une couche ou une structure imperméable, le liquide remonte lentement en surface.

Les suintements de bitumes sont nombreux en Limagne : outre au Puy de la Poix, on en connaît au Puy de Crouël, à la carrière de Gandaillat et à Dallet, à quelques kilomètres, où une mine a été exploitée jusqu’en 1984.

Cette source de bitume a été plus ou moins aménagée au cours des siècles, mais depuis, le site est presque tombé dans l’oubli. Il présente pourtant un joli potentiel pédagogique, d’un point de vue géologique, biologique, environnemental et sociétal.




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The Conversation

Patrick de Wever ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Tour de France 2025 : quand des réserves naturelles émergent sur des sites pollués – https://theconversation.com/tour-de-france-2025-quand-des-reserves-naturelles-emergent-sur-des-sites-pollues-258130

Destruction des statues de la reine égyptienne Hatchepsout : une nouvelle étude conteste la vengeance

Source: The Conversation – in French – By Jun Yi Wong, PhD Candidate in Egyptology, University of Toronto

Après la mort de la reine pharaon égyptienne Hatchepsout vers 1458 avant notre ère, de nombreuses statues à son effigie ont été détruites. Initialement, les archéologues pensaient que son successeur, Thoutmosis III, avait agi par vengeance. Cependant, l’état des statues retrouvées à proximité de son temple funéraire varie et beaucoup ont survécu avec leur visage pratiquement intact.

Une nouvelle étude, menée par l’archéologue Jun Yi Wong, propose une autre explication. En se basant sur les fouilles anciennes, il suggère que les statues n’ont pas été détruites par haine. Il pense plutôt qu’elles ont été « désactivées » lors d’un rituel, puis recyclées comme matière première. Nous lui avons demandé de nous en dire plus.


Qui était la reine Hatchepsout et pourquoi était-elle importante ?

Hatchepsout a régné en tant que pharaon d’Égypte il y a environ 3 500 ans. Son règne fut exceptionnellement prospère : elle fut une bâtisseuse prolifique de monuments et son règne fut marqué par de grandes innovations dans les domaines de l’art et de l’architecture. C’est pourquoi certains la considèrent comme l’un des plus grands souverains de l’Égypte antique, hommes et femmes confonfus. Elle a également été décrite comme la « première grande femme de l’histoire ».

Hatchepsout était l’épouse et la demi-sœur du pharaon Thoutmôsis II. Après la mort prématurée de son mari, elle devient régente au nom de son beau-fils, le jeune Thoutmosis III. Cependant, environ sept ans plus tard, Hatchepsout accéde au trône et se proclame souveraine d’Égypte.

Pourquoi a-t-on cru que ses statues avaient été détruites par vengeance ?

Après sa mort, le nom et les représentations d’Hatchepsout, notamment ses statues, ont été systématiquement effacés de ses monuments. Cet événement, souvent appelé la « proscription » d’Hatchepsout, fait actuellement partie de mes recherches plus vastes.

Il ne fait guère de doute que cette destruction a commencé sous le règne de Thoutmôsis III. En effet, certaines représentations d’Hatchepsout, effacées puis dissimulées, ont été retrouvées derrière les nouvelles constructions qu’il avait fait ériger

Les statues sur lesquelles porte ma récente étude ont été découvertes dans les années 1920. À cette époque, la proscription d’Hatchepsout par Thoutmôsis III était déjà bien connue. Les archéologues ont donc tout de suite – et à juste raison – pensé que les statues avaient été détruites sous son règne. Certaines d’entre elles ont même été retrouvées sous une chaussée construite par Thoutmôsis III, ce qui confirme cette hypothèse.

Comme les statues ont été retrouvées en fragments, les premiers archéologues ont supposé qu’elles avaient dû être brisées violemment, peut-être en raison de l’animosité de Thoutmosis III envers Hatchepsout. Par exemple, Herbert Winlock, l’archéologue qui a dirigé les fouilles de 1922 à 1928, a remarqué que Thoutmosis III avait dû « décréter la destruction de tous les portraits (d’Hatchepsout) existants » et que

toutes les indignités imaginables avaient été infligées à l’effigie de la reine déchue.

Le problème avec cette interprétation est que certaines statues d’Hatchepsout ont survécu dans un état relativement bon, avec leurs visages pratiquement intacts. Pourquoi y a-t-il eu une telle variation dans le traitement des statues ? C’est cette question qui a guidé l’essentiel de mes recherches.

Comment avez-vous cherché à résoudre cette énigme ?

Il était évident que les dommages causés aux statues d’Hatchepsout n’étaient pas uniquement le fait de Thoutmôsis III. Beaucoup d’entre elles avaient été laissées à l’air libre et n’avaient pas été enterrées, et beaucoup avaient été réutilisées comme matériaux de construction. En effet, non loin de l’endroit où les statues ont été découvertes, les archéologues ont trouvé une maison en pierre partiellement construite à partir de fragments de ses statues.

La question est bien sûr de savoir dans quelle mesure ces réutilisations ont contribué à endommager les statues. Heureusement, les archéologues qui ont fouillé les statues ont laissé des notes de terrain assez détaillées.

Grâce à ces archives, il est possible de reconstituer les emplacements où bon nombre de ces statues ont été trouvées.

Les résultats sont surprenants. Les statues les plus abîmées, souvent dispersées sur de grandes surfaces ou incomplètes, présentent des visages fortement endommagés. En revanche, les statues trouvées dans un état relativement complet ont généralement le visage intact.

En d’autres termes, les statues qui ont été largement réutilisées sont beaucoup plus susceptibles d’avoir subi des dommages au niveau du visage.

Il est donc probable que Thoutmôsis III ne soit pas responsable des dommages subis par les visages des statues. Les dégâts qu’on peut lui attribuer semblent plus spécifiques : il aurait fait briser les statues au niveau du cou, de la taille et des genoux.

Ce type de traitement n’est pas propre aux statues d’Hatchepsout.

C’est fascinant. Mais alors, qu’est-ce que cela signifie ?

La pratique consistant à briser les statues royales au niveau du cou, de la taille et des genoux est courante dans l’Égypte ancienne. Elle est souvent appelée « désactivation » des statues.

Pour les anciens Égyptiens, les statues étaient plus que de simples images. Par exemple, les statues nouvellement créées étaient soumises à un rituel appelé « ouverture de la bouche », où elles étaient rituellement ramenées à la vie. Les statues étant considérées comme des objets vivants et puissants, leur pouvoir inhérent devait être neutralisé avant qu’elles puissent être jetées.




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En effet, l’une des découvertes les plus extraordinaires de l’archéologie égyptienne est la Cachette de Karnak, où des centaines de statues royales ont été trouvées enterrées dans un seul dépôt. La plupart de ces statues ont été « désactivées », alors même qu’elles représentent des pharaons qui n’avaient subi aucune hostilité après leur mort.

Cela indique que la destruction des statues d’Hatchepsout était principalement motivée par des raisons rituelles et pragmatiques, plutôt que par la vengeance ou l’animosité. Cela change bien sûr la façon dont on comprend la relation entre Hatchepsout et Thoutmôsis III.

The Conversation

Jun Yi Wong bénéficie d’un financement de la Fondation Andrew W. Mellon.

ref. Destruction des statues de la reine égyptienne Hatchepsout : une nouvelle étude conteste la vengeance – https://theconversation.com/destruction-des-statues-de-la-reine-egyptienne-hatchepsout-une-nouvelle-etude-conteste-la-vengeance-260639

Raison d’être : une nouvelle arme stratégique pour les conseils d’administration européens ?

Source: The Conversation – in French – By Rodolphe Durand, Professeur, stratégie et Politique d’Entreprise, HEC Paris Business School

Comme des centaines de grandes entreprises européennes, le groupe Véolia s’est doté d’une raison d’être. Shutterstock

Une étude menée auprès de 21 très grandes entreprises européennes comme Accor, Barclays, Decathlon, Enel, L’Oréal, Michelin, Philips ou RTL Group, révèle une approche nuancée du corporate purpose par les conseils d’administration des entreprises européennes interrogées. Quatre approches se dégagent: la raison d’être comme slogan, guide, style et boussole, chacune avec ses avantages.


Le 24 avril dernier, l’assemblée générale de Veolia a voté à plus de 99 % l’inscription de la raison d’être dans les statuts de la société. Ce qui veut dire que le conseil d’administration de Veolia plus encore qu’avant devra suivre la mise en œuvre de sa raison d’être par la direction générale de l’entreprise. Quelle sera son approche ?

Dans cet article, plutôt qu’une fois encore se poser la question du management de la raison d’être de l’entreprise (ou corporate purpose) par la direction de l’entreprise, nous nous demandons comment les conseils d’administration des grandes entreprises européennes orchestrent… leur administration. Pour rappel, le conseil d’administration organise les pouvoirs de décision, définit la stratégie de la société, et s’assure de sa mise en œuvre.

La récente étude menée par HEC Paris et Oxford University auprès de 21 très grandes entreprises européennes comme Accor, Barclays, Decathlon, Enel, L’Oréal, Michelin, Philips ou RTL Group, révèle une approche nuancée du corporate purpose par les conseils d’administration des entreprises européennes interrogées . Elle révèle une vision de la raison d’être comme un principe organisateur qui structure la prise de décision, définit les activités et contours identitaires de l’entreprise.

En Europe, au sein des conseils d’administration, quatre approches existent, que nous avons appelé: slogan, guide, style et boussole, chacune avec ses avantages et ses inconvénients. Le maître mot ? Ajuster l’approche de la raison d’être par le conseil d’administration avec les objectifs et les moyens donnés à la direction générale et au management pour sa bonne mise en œuvre.

Quatre approches de la raison d’être

Notre étude identifie ces quatre approches au niveau des conseils d’administration des grandes entreprises européennes. L’approche change selon deux dimensions : si le conseil, et ses comités associés se réfèrent à la raison d’être de façon implicite ou explicite et si les mesures, valeurs et comportements associés à la raison d’être sont abordés de façon générale – abstraite – ou précise – détaillée.

Types de mode d’administration de la raison d’être au sein des conseils des grandes entreprises européennes. Motto signifiant slogan.
Fourni par l’auteur

L’une des conclusions les plus frappantes concerne l’importance cruciale de l’alignement entre l’orchestration au niveau du conseil et la mise en œuvre opérationnelle par le management. Les entreprises qui échouent à synchroniser ces deux niveaux risquent de dysfonctionner. Soit elles engagent trop de ressources, alors que leur mode d’administration ne le requiert pas. Soit elles engagent trop peu de ressources, alors que leur mode d’administration l’exigerait.

Le défi principal ne réside pas tant dans la formulation du corporate purpose, que dans sa traduction opérationnelle au sein des conseils d’administration, à l’interface des représentants des actionnaires – les administrateurs – et de ceux qui agissent pour le développement de l’entreprise – les managers.

Slogan : l’agilité au prix de la cohésion ?

L’approche « Slogan », implicite et abstraite, est la version la plus libre et fluide des quatre approches. Dans cette celle-ci, la raison d’être demeure implicite, car elle n’est pas inscrite dans des pratiques formalisées. Elle est invoquée sous forme de rappel lors de certaines décisions, sans processus formel au sein des comités. Prenons l’exemple d’une des entreprises interrogées.

« La raison d’être est partie intégrante de qui nous sommes et alimente la prise de décision, tant au sein du conseil qu’à l’intérieur de l’entreprise ». rappelle la présidence d’un comité interviewé

Cette approche permet une grande agilité, sans brider la capacité à innover rapidement. En laissant aux équipes de management la liberté d’interpréter la raison d’être selon leur contexte culturel et concurrentiel, elle autorise une forte résonance locale à la raison d’être. Elle séduit particulièrement les entreprises opérant dans des environnements complexes ou multiculturels. Cette flexibilité peut toutefois virer à la dispersion. Lorsque chaque filiale ou business unit s’approprie à sa manière les valeurs et la finalité de la raison d’être de l’entreprise, le risque existe de perdre la cohésion d’ensemble. Le sens commun s’effiloche, et avec lui, l’alignement stratégique.


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Style : les valeurs comme moteur, au risque de l’ambiguïté ?

L’approche « Style » correspond à une compréhension implicite de la raison d’être par le corps social de l’entreprise corrélée à un suivi par le conseil d’un certain nombre d’indicateurs. Cette approche valorise la confiance et l’autonomie des dirigeants dans les propositions stratégiques qu’ils soumettent au conseil. En retour, le conseil suit des indicateurs d’engagement des salariés, de cohérence des valeurs dans les décisions, notamment au sein de comités spécifiques traitant de la stratégie ou de la rémunération des dirigeants.

Pour le management, le caractère implicite permet de s’appuyer sur la force de cultures professionnelles. Le suivi détaillé d’indicateurs fournit des appuis pour décliner des pratiques managériales au sein des unités opérationnelles. Comme pour l’approche « slogan », l’absence de cadre explicite peut générer des interprétations ambiguës de la raison d’être et mener à des incohérences. Chacun y projette son propre sens, au risque de créer de la confusion stratégique. Si des mécanismes de suivi trop lourds sont mis en place, cette approche se retrouve piégée dans une logique d’exécution… plus que d’inspiration.

Guide : des principes affichés, mais pas infaillibles ?

L’approche « Guide » rend explicites les valeurs de la raison d’être sans pour autant imposer un suivi détaillé d’indicateurs par le conseil d’administration. Ce mode d’orchestration renforce la coordination entre les équipes, installe une culture d’entreprise partagée par le plus grand nombre, ce qui favorise l’engagement des collaborateurs. Le conseil peut mobiliser la raison d’être au sein de comités, notamment le comité stratégique au sujet des cessions et des acquisitions. La raison d’être sert de guide informel pour orienter le management dans ses plans de développement de l’entreprise.




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Du point de vue de la direction générale, cette approche peut s’avérer difficile à suivre en l’absence de critères détaillés. La culture forte de l’entreprise peut, avec le temps, devenir une fin en soi, voire réduire la raison d’être à un symbole plutôt qu’un véritable moteur stratégique. En période de crise, en l’absence d’indicateurs suivis précisément par les comités du conseil, le « guide » peut être oublié pour se tourner vers les solutions plus immédiatement lucratives. Et le management pourrait prendre des décisions déconnectées de la raison d’être initiale, semant les graines de dilemmes futurs.

Boussole : aligner mais sans étouffer

Le modèle « Boussole » combine une explicitation de la raison d’être avec un suivi détaillé de nombreux indicateurs. Dans cette configuration, l’espace de jeu entre le conseil et le management est réduit : ils sont conjointement tenus responsables de la réalisation de la raison d’être.

« Les chiffres des budgets vus en conseil reflètent de façon précise et détaillée l’application factuelle de la raison d’être et le développement à long terme des projets qui viennent la soutenir », confie un président de conseil d’administration

Une autre présidente souligne que l’ensemble des comités (y compris celui sur les risques) se réfèrent explicitement à la raison d’être et aux indicateurs pour porter ses analyses. Cette approche crée une forte mobilisation, des comportements alignés et une cohérence globale. Cette rigueur a un prix. La mesure et le reporting de la raison d’être peuvent devenir complexes, voire paralysants selon certains dirigeants. Lorsque les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes élevées, le risque est de susciter incompréhensions, frustrations, voire désenchantement au sein de l’entreprise.

La raison d’être s’administre autant qu’elle se manage

L’avenir du corporate purpose en Europe ne se résume pas à une compliance réglementaire ou à une stratégie de communication. Non plus à un ensemble de pratiques managériales. Pour en retirer le meilleur, il s’agit de bien aligner les pratiques du conseil d’administration et les demandes et moyens alloués au top management pour mettre en œuvre la raison d’être. Quatre approches existent, chacune avec ses forces et ses faiblesses.

Nous pensons que cette conception européenne du corporate purpose, ancrée dans l’histoire du continent et tournée vers l’avenir, dépasse désormais la simple question du management. Elle concerne la définition, le rôle et les responsabilités des membres des conseils d’administration et plus généralement de la gouvernance des entreprises, au service d’une compétitivité repensée dans ses dimensions, sa finalité, et sa temporalité.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Raison d’être : une nouvelle arme stratégique pour les conseils d’administration européens ? – https://theconversation.com/raison-detre-une-nouvelle-arme-strategique-pour-les-conseils-dadministration-europeens-256615