Pourquoi l’alcool augmente le risque de cancer, et ce, dès le premier verre

Source: The Conversation – France in French (3) – By Pranoti Mandrekar, Professor of Medicine, UMass Chan Medical School

En matière de cancer, il n’existe pas de consommation d’alcool sans risque. Krit of Studio OMG/Moment/Getty Images

Notre corps paye un tribut à l’alcool, qu’il soit consommé régulièrement ou occasionnellement. Cette substance a des effets nocifs sur la santé, affectant de nombreux organes, du cerveau au système gastro-intestinal, en passant par les poumons, les muscles (y compris le cœur) et le système immunitaire. On sait aujourd’hui que l’alcool provoque notamment des cancers.


Aux États-Unis, l’alcool est responsable d’environ 100 000 cas de cancer et de 20 000 décès par cancer chaque année, ce qui en fait la troisième cause évitable de cancer. À titre de comparaison, les accidents de la route liés à l’alcool causent environ 13 500 décès par an aux États-Unis.

(En France, en 2018, 28 000 nouveaux cas de cancers étaient attribuables à l’alcool, soit 8 % des cas incidents de cancer, avec une répartition de 11 % chez les hommes et 4,5 % chez les femmes. Les accidents de la route en lien avec une consommation d’alcool et/ou de stupéfiants ont causé près de 1 250 décès en 2024, l’alcool étant impliqué dans les trois quarts des cas, ndlr).

Les scientifiques ont soupçonné dès les années 1980 que l’alcool pouvait provoquer le cancer. Des études épidémiologiques ont, depuis, montré que la consommation d’alcool augmente le risque de cancers de la cavité buccale, de la gorge, du larynx, de l’œsophage, du foie, du côlon et du rectum, ainsi que du sein. D’autres travaux ont révélé une association entre consommation chronique ou alcoolisation massive ponctuelle et cancer du pancréas.

En 2000, les responsables du National Toxicology Program des États-Unis ont conclu que la consommation de boissons alcoolisées devait être considérée comme cancérogène avéré pour l’être humain. En 2012, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), l’agence spécialisée dans le cancer de l’Organisation mondiale de la santé, a classé l’alcool parmi les cancérogènes du groupe 1. L’appartenance d’une substance à cette catégorie, la plus élevée dans la classification du CIRC, indique qu’il existe des preuves scientifiques suffisantes pour conclure qu’elle cause des cancers chez l’être humain. Les Centers for Disease Control and Prevention et les National Institutes of Health s’accordent eux aussi à dire que les preuves sont concluantes : l’alcool est bien à l’origine de différents types de cancers.

Par ailleurs, aux États-Unis (comme en France, ndlr), les autorités sanitaires soulignent que même de faibles quantités d’alcool – moins d’un verre par jour – augmentent le risque de cancer.

Malgré tout, nombre de citoyens ne savent pas que l’alcool cause des cancers. En 2019, moins de 50 % des adultes aux États-Unis avaient conscience des liens entre consommation d’alcool et risque cancérogène.

En France, le lien entre alcool et cancer est également sous-estimé par une partie de la population. L’enquête Baromètre cancer de 2021, menée par l’Institut national du cancer, a révélé que 38,6 % des personnes interrogées pensent que « ce sont surtout les alcools forts qui augmentent le risque de cancer », tandis que 23,5 % estiment que « globalement, boire un peu de vin diminue le risque de cancer plutôt que de ne pas en boire du tout », alors même que le « French paradox » _est désormais battu en brèche, ndlr_.

En outre, l’édition 2023 de la National Survey on Drug Use and Health a relevé que plus de 224 millions d’Américains, âgés de 12 ans et plus, avaient consommé de l’alcool à un moment de leur vie – soit plus de 79 % des personnes de ce groupe d’âge. La consommation d’alcool augmentait déjà avant la pandémie de Covid-19, ce qui constitue un sujet de santé publique préoccupant.

En France, selon les données recueillies par Santé publique France, la consommation quotidienne d’alcool diminue régulièrement depuis trente ans. On constate toutefois que, si les « alcoolisations ponctuelles importantes » ont tendance à diminuer chez les jeunes hommes, elles augmentent de manière sensible chez les femmes de plus de 35 ans. Dans les deux cas, les disparités régionales sont marquées, ndlr.

En tant que chercheuse, j’étudie les effets biologiques de la consommation modérée et de longue durée d’alcool. Mon équipe travaille à élucider les mécanismes par lesquels l’alcool accroît le risque de cancer, en particulier via les atteintes portées aux cellules immunitaires et au foie.

L’administrateur de la santé publique des États-Unis a appelé à faire figurer le risque de cancer sur les étiquettes d’avertissement des bouteilles d’alcool.

Comment l’alcool provoque-t-il le cancer ?

Le cancer survient lorsque des cellules se mettent à croître de manière incontrôlée dans l’organisme. L’alcool peut favoriser la formation de tumeurs en endommageant l’ADN, provoquant des mutations qui perturbent la division et la croissance cellulaires.

Les chercheurs ont identifié plusieurs mécanismes pouvant expliquer comment la consommation d’alcool mène au développement de cancers. Un rapport publié en 2025 par l’administrateur de la santé publique des États-Unis (surgeon general of the United States) a répertorié quatre voies principales par lesquelles l’alcool peut causer le cancer :

  • le métabolisme de l’alcool,
  • le stress oxydatif et l’inflammation,
  • les altérations des niveaux hormonaux,
  • les interactions avec d’autres cancérogènes (comme la fumée de tabac).

L’expression « métabolisme de l’alcool » – la première voie par laquelle cette substance peut provoquer des cancers – désigne les processus grâce auxquels l’organisme dégrade et élimine l’alcool. Une fois ingéré, ce dernier subit, sous l’effet de diverses enzymes, des transformations chimiques qui vont permettre son élimination (on dit qu’il est « métabolisé »). Le premier sous-produit de ces réactions est l’acétaldéhyde, une substance elle-même classée comme cancérogène. Les scientifiques ont montré que certaines mutations génétiques peuvent amener l’organisme de certains individus à décomposer l’alcool plus rapidement, entraînant des niveaux accrus d’acétaldéhyde.

La seconde voie par laquelle l’alcool augmente le risque de survenue de cancer implique d’autres molécules nocives, appelées « radicaux libres ». L’alcool peut déclencher la libération de ces molécules chimiquement très réactives, qui endommagent l’ADN, les protéines et les lipides des cellules par un processus dit de « stress oxydatif ». Mon laboratoire a montré que les radicaux libres issus de la consommation d’alcool peuvent influer directement sur la manière dont les cellules synthétisent et dégradent les protéines, entraînant la production de protéines anormales qui entretiennent une inflammation propice à la formation de tumeurs.

Verre tulipe renversé contenant un liquide ambré, sur fond sombre
Réduire sa consommation d’alcool diminue le risque de cancer.
Mordyashov_Aleks/500px/Getty Images

Le risque de cancer peut également être accru par l’alcool d’une troisième façon, en raison de la capacité de cette substance à modifier les niveaux hormonaux. On sait qu’une consommation modérée d’alcool peut non seulement augmenter les niveaux d’œstrogènes, mais aussi favoriser la poursuite de la consommation. Or, des travaux ont montré que le risque de cancer du sein peut être augmenté par le niveau d’œstrogène. L’alcool amplifie également le risque de cancer du sein en réduisant les niveaux de vitamine A, laquelle régule les œstrogènes.

Enfin, l’alcool augmente le risque de cancer en interagissant avec d’autres substances cancérogènes. On sait par exemple que les personnes qui boivent et fument présentent un risque accru de développer un cancer de la bouche, du pharynx et du larynx. C’est parce que l’alcool facilite l’absorption, par l’organisme, des cancérogènes contenus dans les cigarettes et les cigarettes électroniques.

En l’état actuel des connaissances, le risque de cancer associé à l’utilisation à long terme des vapoteuses semble bien moindre que celui des cigarettes de tabac, mais il n’en est pas pour autant nul (comparé au fait de ne pas en utiliser) ; en cause, la présence de certains constituants potentiellement mutagènes ou cancérogènes dans les aérosols générés par les cigarettes électroniques, qui pourrait influer sur le risque de certains cancers, notamment en cas d’utilisation prolongée. Des données complémentaires doivent cependant encore être recueillies pour évaluer ledit risque, ndlr.

En outre, le tabagisme, à lui seul, peut également provoquer une inflammation, induisant des radicaux libres qui endommagent l’ADN.

Quelle dose d’alcool est sans danger ?

Si vous buvez de l’alcool, vous vous êtes peut-être déjà demandé s’il existe une dose minimale permettant une consommation sans risque. La réponse des cliniciens et des scientifiques risque de ne pas vous plaire : la consommation d’alcool n’est jamais sans risque.

Le risque de cancer augmente dès le premier verre et s’accroît avec la quantité consommée, quel que soit le type de boisson alcoolisée ingérée.

Aux États-Unis, les Centers for Disease Control and Prevention, le National Institute on Alcohol Abuse and Alcoholism et l’administrateur de la santé publique des États-Unis préconisent de ne pas dépasser un verre par jour pour les femmes et deux verres pour les hommes

En France, les repères de consommation d’alcool « à moindre risque » n’établissent pas de distinction entre les sexes. Pour communiquer sur le sujet, les autorités ont retenu la formule : « [Pour votre santé, l’alcool c’est maximum deux verres par jour, et pas tous les jours(https://www.drogues.gouv.fr/campagne-alcool-nouveaux-reperes-de-consommation-moindre-risque) »], ndlr.

La consommation d’alcool est donc une cause de cancer hautement évitable.

Il n’existe toutefois pas, à ce jour, de méthode pour déterminer le risque individuel de développer un cancer lié à l’alcool. Le profil génétique propre à chacun, le mode de vie, l’alimentation et d’autres facteurs peuvent influer sur la propension de l’alcool à mener à la formation de tumeurs. Une chose est sûre : reconsidérer ses habitudes de consommation peut contribuer à protéger sa santé et à réduire son risque de cancer.


Pour aller plus loin

The Conversation

Pranoti Mandrekar ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Pourquoi l’alcool augmente le risque de cancer, et ce, dès le premier verre – https://theconversation.com/pourquoi-lalcool-augmente-le-risque-de-cancer-et-ce-des-le-premier-verre-263022

Tique, punaise ou moustique ? Apprendre à identifier l’insecte qui nous a piqués

Source: The Conversation – France in French (3) – By Marta Diarte Oliva, Docente en la Universidad de San Jorge (Zaragoza), Universidad San Jorge

L’été, difficile d’échapper aux piqûres d’insectes. Il faut donc apprendre à les reconnaître pour appliquer les soins appropriés et savoir quand consulter. CeltStudio/Shutterstock

Quels sont les symptômes associés aux piqûres d’insectes les plus courantes et quelles sont les mesures à prendre ? On fait le point, avec des focus sur les situations à risque qui doivent conduire à consulter un professionnel de santé, voire à prévenir les urgences médicales.


Aux beaux jours, personne ne résiste à l’envie d’aller se promener au parc ou d’organiser une excursion à la campagne pour s’immerger dans la nature.

Cela semble fantastique (et ça l’est). Mais nous sommes souvent obligés de partager ces moments avec de petits compagnons indésirables. Moustiques, abeilles, tiques, araignées, puces, etc. peuvent transformer une journée parfaite en une expérience irritante, voire inquiétante.

Qui n’a jamais ressenti une démangeaison soudaine ou découvert une mystérieuse bosse en rentrant chez soi ? Le type de démangeaisons, leur intensité et leur aspect en disent long sur l’insecte qui nous a piqués. Et, in fine, cela nous donne des indices pour savoir comment agir afin de soulager les symptômes et déterminer s’il est nécessaire de se rendre dans un centre de santé.

En fin de compte, prendre les bonnes mesures avec discernement peut nous éviter bien des frayeurs, des visites inutiles chez le médecin et même des complications médicales.

Comment identifier les piqûres les plus courantes ?

Malgré une ressemblance indéniable entre la plupart des piqûres, il existe des différences entre elles. En effet, chaque piqûre possède ses propres caractéristiques, des symptômes spécifiques et doit être soumise à un traitement particulier.

C’est pourquoi nous allons vous donner les clés pour distinguer au moins six piqûres parmi les plus courantes : celles occasionnées par des moustiques, des guêpes et des abeilles, des tiques, des puces, des punaises de lit et des araignées.

1. Les moustiques

  • Symptômes : rougeur, gonflement léger et démangeaisons intenses.
    Les piqûres de moustiques disparaissent généralement sans complications et spontanément au bout de trois jours.

  • Recommandations : laver la zone avec de l’eau et du savon, appliquer une compresse froide et utiliser des crèmes antihistaminiques en cas de démangeaisons intenses.

2. Les abeilles et les guêpes

  • Symptômes : douleur immédiate, gonflement léger, démangeaisons intenses. Les abeilles laissent leur dard, mais pas les guêpes.

  • Recommandations : retirer le dard s’il y en a un, appliquer de la glace, prendre des antihistaminiques en cas de réaction locale et surveiller les signes d’allergie.

3. Les tiques

  • Symptômes : la particularité de cet insecte vient du fait que sa piqûre peut passer inaperçue. Ce qui doit nous mettre sur la piste, le signe qui doit alerter, est le fait que sa piqûre laisse une petite marque, une rougeur en forme de cible.
Rougeur en forme de cible qui peut être laissée par une piqûre de tique.
Alexey Androsov/Shutterstock
  • Recommandations : retirer à l’aide d’une pince sans tourner ni presser le corps de l’insecte. (Les crochets « tire-tique » sont particulièrement appropriés et sont même recommandés. À défaut, une pince fine ou une pince à épiler peut constituer une alternative, ndlr.) Désinfecter et surveiller l’apparition d’une fièvre ou d’éruptions cutanées au cours des jours suivants.



À lire aussi :
Les tiques sont de retour : ce qui fonctionne pour éviter les piqûres


Comment retirer une tique.

4. Les puces

  • Symptômes : apparition de petites taches rouges, généralement en plaques ou groupées, accompagnées de démangeaisons intenses. Celles-ci sont généralement localisées sur les chevilles, les jambes ou au niveau des zones où les vêtements sont serrés. Le pic peut durer plusieurs jours et il existe un risque de surinfection en cas de grattage excessif.

  • Recommandations : laver la zone concernée à l’eau et au savon, appliquer des antihistaminiques topiques (qui agissent localement, ndlr) et oraux si les démangeaisons sont sévères. Il convient d’effectuer un contrôle sur les animaux domestiques et les textiles de la maison, car ils sont souvent à l’origine de la présence de ces insectes.

5. Les punaises de lit

  • Symptômes : de multiples piqûres groupées provoquant une démangeaison intense, surtout la nuit.

  • Recommandations : laver la zone et appliquer des antihistaminiques topiques. Inspecter les environs et prendre des mesures de lutte contre ces nuisibles.




À lire aussi :
Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur la punaise des lits


6. Les araignées

  • Symptômes : douleur locale et rougeur. On observe parfois deux points visibles (crocs).

  • Recommandations : laver à l’eau et au savon et appliquer du froid. Consulter en cas de nécrose, de fièvre ou de malaise.

Quand faut-il s’inquiéter ? Quels sont les signes d’alerte ?

En général, les piqûres mentionnées ci-dessus ne représentent guère plus qu’une simple gêne qui disparaît au bout de quelques jours. Cependant, nous ne pouvons ignorer le fait qu’elles peuvent parfois aussi se transformer en un problème de santé sérieux.

Voici trois conséquences parmi les plus graves associées à une piqûre :

1. Réaction allergique grave (« anaphylaxie ») : on ressent des difficultés à respirer, un gonflement des lèvres ou des paupières, des vertiges ou une perte de connaissance.

Que faire ? Appeler les urgences. Si la personne dispose d’un auto-injecteur d’adrénaline, elle doit l’utiliser.

En France, pour les urgences médicales, il convient de composer le 15 qui correspond au SAMU ou le 112 qui est le numéro d’urgence européen. Le 114, accessible par application, Internet et SMS est le numéro pour les personnes sourdes, sourdaveugles, malentendantes et aphasiques.

2. Infection : apparition progressive d’une rougeur, d’une sensation de chaleur locale, de pus et de fièvre.

Que faire ? Consulter un professionnel de santé. La personne peut avoir besoin d’un traitement antibiotique.

3. Transmission d’une maladie par l’intermédiaire des tiques, par exemple la maladie de Lyme. Quelques jours après la piqûre, des éruptions cutanées en forme de cible, de la fièvre et des douleurs musculaires ou articulaires apparaissent dans ce cas-là.

Que faire ? Toujours consulter un professionnel de santé.




À lire aussi :
Maladie de Lyme :  pourquoi le diagnostic est-il si difficile à établir ?


Les répulsifs sont-ils tous identiques ?

Pour réduire le risque de souffrir des conséquences, légères ou graves, des piqûres d’insectes, l’une des mesures les plus efficaces, et donc l’une des plus recommandées, consiste à utiliser des répulsifs autorisés, contenant du DEET (diéthyltoluamide) ou de l’icaridine.

On trouve dans les pharmacies et les rayons des supermarchés de nombreux produits contenant ces composés. Le problème réside dans le fait que l’offre peut être déroutante. Cependant, choisir judicieusement n’est pas aussi difficile qu’il y paraît. La réponse se trouve sur l’étiquette.

Vous y trouverez des informations sur la composition des répulsifs, et c’est là que vous devez regarder. Parmi les ingrédients, vérifiez si figurent du DEET ou de l’icaridine, ces substances actives couramment utilisées pour repousser les insectes tels que les moustiques, les tiques et les autres insectes vecteurs de maladies.

Mais lequel des deux est le plus efficace ? Leurs effets durent-ils aussi longtemps ? Sont-ils aussi efficaces dans notre environnement que dans un pays exotique ? Pour faire un choix éclairé, examinons en détail chacun d’entre eux :

  • le DEET : c’est le répulsif le plus utilisé et le plus étudié scientifiquement. Il est considéré comme l’un des plus efficaces contre les moustiques, les tiques et les mouches.

Il est utilisé depuis les années 1950. Sa durée d’action dépend de sa concentration. Par exemple, si l’étiquette du flacon vendu en pharmacie indique 30 % de DEET, ses effets peuvent durer environ six heures.

En termes de sécurité, on peut affirmer que l’utilisation de répulsifs contenant du DEET ne présente aucun risque pour la santé s’ils sont utilisés correctement. Il convient toutefois de noter qu’ils peuvent irriter la peau ou endommager les vêtements en tissu synthétique.

  • l’icaridine : il s’agit d’une alternative plus moderne et plus actuelle au DEET, tout aussi efficace à des concentrations similaires. Par exemple : un répulsif contenant 20 % d’icaridine équivaut en durée d’action à un autre contenant 30 % de DEET.

Il se distingue du DEET par son odeur moins forte, sa texture moins grasse et sa meilleure tolérance pour la peau et les tissus. De plus, il est efficace contre les moustiques et les tiques, et sa durée d’action varie de six à huit heures.

Pour une application sur des enfants ou des personnes à la peau sensible, il est préférable d’utiliser l’icaridine, car elle est plus douce.

Dans les zones à haut risque de maladies telles que la dengue, le paludisme ou Zika, les deux composés sont efficaces. Il faut toutefois s’assurer qu’ils présentent une concentration suffisante : au moins 30 % de DEET et au moins 20 % d’icaridine.

D’autres moyens de protection

Outre les répulsifs, nous pouvons utiliser des mesures physiques telles que le port de vêtements protecteurs, en particulier dans les zones rurales ou à végétation dense. Il est également très utile d’installer des moustiquaires et, bien sûr, d’éviter les eaux stagnantes.

Une autre bonne habitude à adopter consiste à inspecter minutieusement son corps à son retour d’une promenade dans la campagne (ou en forêt, ndlr), car les tiques se cachent dans des zones telles que les aisselles, les aines ou même derrière les oreilles.

Si une personne sait qu’elle est allergique à la piqûre d’un des insectes cités dans cet article, elle doit toujours avoir sur elle un auto-injecteur d’adrénaline.

Être la cible de ces insectes n’a rien d’exceptionnel. En effet, leurs piqûres sont fréquentes, surtout au printemps et en été. Sachant qu’il est assez difficile d’y échapper, l’essentiel est donc de savoir identifier les piqûres, d’appliquer les soins appropriés et de savoir quand il est nécessaire de demander de l’aide ou une assistance médicale.

Une intervention éclairée peut faire la différence entre un simple désagrément et une urgence médicale.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Tique, punaise ou moustique ? Apprendre à identifier l’insecte qui nous a piqués – https://theconversation.com/tique-punaise-ou-moustique-apprendre-a-identifier-linsecte-qui-nous-a-piques-259174

Sydney Sweeney, American Eagle et le retour à une féminité « traditionnelle »

Source: The Conversation – in French – By Meaghan Furlano, PhD Student, Sociology, Western University

L’actrice Sydney Sweeney est une nouvelle fois au cœur d’une polémique. Après avoir fait parlé d’elle pour la vente de savons infusés avec l’eau de son bain ou pour la publication de photos où ses invités portent des casquettes rouges inspirées du mouvement MAGA, la star d’Euphoria fait cette fois la une pour son rôle dans une campagne publicitaire controversée menée par American Eagle Outfitters.

Si l’ensemble de la campagne a suscité un vif débat en ligne, une publicité en particulier a été la cible de critiques spécialement virulentes.

On y voit Sweeney allongée avec élégance sur une chaise longue, en train d’enfiler un jean American Eagle. D’une voix haletante, elle dit : « Les gènes sont transmis des parents à leurs enfants et déterminent souvent des traits tels que la couleur des cheveux, la personnalité et même la couleur des yeux. »

Alors que la caméra se déplace lentement et qu’elle tourne les yeux vers le spectateur, Sweeney conclut : « Mon jean est bleu. »

Des commentateurs et des utilisateurs des réseaux sociaux ont affirmé que cette campagne était un message codé destiné aux conservateurs, exprimant un soutien à peine voilé à la suprématie blanche et à l’eugénisme.

Sydney Sweeney dans la publicité controversée de American Eagle.

American Eagle a publié un communiqué défendant la publicité le 1er août, affirmant que « Sydney Sweeney Has Great Jeans » (Sydney Sweeney a de beaux jeans) faisait toujours référence aux jeans.

Marketing innocent ou message subliminal intentionnel ?

L’eugénisme est une idéologie discréditée enracinée dans la suprématie blanche et le racisme scientifique. Elle promeut la fausse croyance selon laquelle les groupes raciaux sont déterminés biologiquement et que certains groupes sont génétiquement supérieurs à d’autres, et devraient se reproduire de manière sélective afin de préserver leurs « bons gènes ».

Historiquement, l’objectif ultime de l’eugénisme a été d’éliminer les soi-disant « mauvais gènes » — souvent associés aux communautés non blanches, aux personnes handicapées, aux populations pauvres ou marginalisées — afin que les élites sociales puissent maintenir leur domination.

La publicité dans le domaine de la mode qui joue sur les thèmes de l’eugénisme a une longue histoire. Des commentateurs ont souligné les similitudes entre la publicité de Sweeney et la célèbre campagne Calvin Klein des années 1980 mettant en scène Brooke Shields, alors âgée de 15 ans, qui se roule dans ses sous-vêtements Calvin Klein tout en parlant de codes génétiques, d’évolution et de survie du plus apte, un langage évocateur de la pensée eugéniste.

La campagne American Eagle semble être un hommage direct à celle de Calvin Klein, mais la rhétorique eugéniste est-elle vraiment quelque chose que nous voulons voir employée dans le marketing ?

Le retour de la féminité « traditionnelle »

La campagne American Eagle est intitulée de manière provocante « Sydney Sweeney Has Great Jeans » (Sydney Sweeney a de beaux jeans), le mot « jeans » étant parfois remplacé par « gènes ». Il s’agit clairement d’une plaisanterie.

Mais elle n’est pas pour autant inoffensive. Si la campagne ne reflétait pas des tensions culturelles plus larges, ni le président américain Donald Trump ni le sénateur Ted Cruz n’auraient pris la peine de s’y intéresser.

« La gauche folle s’en prend aux belles femmes », a écrit Cruz dans un tweet à propos de la controverse. Un média de droite est allé plus loin, affirmant que la positivité corporelle menait « la blonde rieuse à la poitrine généreuse… au bord de l’extinction. »

En célébrant l’apparence conventionnellement attirante de Sweeney, American Eagle a réintroduit haut et fort la silhouette féminine « traditionnelle ». En ce sens, cette campagne symbolise un changement de tendance culturelle : fini la positivité corporelle, place à la « poitrine généreuse » et tout ce qu’elle implique.

Dans le contexte culturel actuel, saturé de messages conservateurs, il n’est guère surprenant de voir Sweeney, une jeune star hollywoodienne mince, blanche et sexualisée, vendre la qualité de ses « gènes » (pardon, de ses « jeans »).

De la montée en puissance des tradwife influencers et des SkinnyTokers à la performance féminine ritualisée des « morning shedders », la campagne s’inscrit clairement dans un renouveau plus large des idéaux féminins régressifs, enrobés d’une esthétique policée et édulcorée.


Déjà des milliers d’abonnés à l’infolettre de La Conversation. Et vous ? Abonnez-vous gratuitement à notre infolettre pour mieux comprendre les grands enjeux contemporains.


Exorciser l’amour-propre de l’agenda des entreprises

En tant que chercheuse féministe spécialisée dans les médias et intéressée par l’intersection entre la culture pop et l’extrême droite, mes recherches actuelles explorent la montée de l’antiféminisme et de la politique de droite. Nous ne sommes plus à l’ère du féminisme populaire, où les entreprises s’appropriaient avec empressement la rhétorique féministe pour vendre leurs produits et services.

À la place, les marques reviennent à des images traditionnelles : des femmes minces et blanches stylisées pour le regard masculin, un terme qui désigne l’objectivation et la sexualisation des femmes dans les médias populaires, du cinéma et de la télévision aux publicités de mode. C’est une stratégie qui a longtemps fonctionné et que les marques se réjouissent de voir redevenir tendance.

La régression esthétique incarnée par la campagne Sweeney/American Eagle révèle ce que de nombreux critiques soupçonnaient depuis longtemps : l’adhésion des entreprises au féminisme n’a jamais été sincère.

Les campagnes vantant « l’amour de son corps », « l’émancipation » et « la confiance en soi » à la fin des années 2010 et au début des années 2020 ont été délibérément conçues pour séduire les consommateurs progressistes et tirer profit de la popularité du féminisme. Le modèle économique fondamental de ces entreprises – vendre des insécurités et engranger des profits pour leurs actionnaires – n’avait pas fondamentalement changé.

Au contraire, comme le soutiennent d’autres chercheurs, le marketing de l’amour de soi a encouragé les femmes à améliorer non seulement leur corps, mais aussi leur esprit. Il n’était plus culturellement acceptable que les femmes soient belles ; elles devaient également se sentir bien dans leur corps. Cette norme exigeait davantage d’efforts et, bien sûr, davantage de produits, que les marques se faisaient un plaisir de vendre.

Poussées par un climat politique de plus en plus conservateur, de nombreuses marques n’hésitent plus à exprimer leurs motivations. La minceur est de retour et la blancheur est à nouveau associée à la « rectitude »

Vivre le contrecoup culturel

Comme je l’ai expliqué ailleurs, nous vivons actuellement une période de contrecoup. Dans son livre publié en 1991, la journaliste Susan Faludi écrit que le contrecoup est « un phénomène récurrent qui revient chaque fois que les femmes commencent à faire des progrès vers l’égalité ».

Bien que de nombreux articles décrivent une « réaction négative » des consommateurs à la campagne Sweeney/American Eagle, je parle ici d’une réaction négative culturelle contre les mouvements sociaux et politiques progressistes. Elle se manifeste aujourd’hui dans les sphères politique, juridique et économique, et va bien au-delà d’une simple publicité.

Le contrecoup actuel vise le féminisme populaire, le mouvement Black Lives Matter, la diversité, l’inclusion et à l’équité (DEI) et les analyses systémiques incisives issues des études et du militantisme féministes, antiracistes et queer. La campagne Sweeney n’en est qu’un symptômes parmi d’autres.

Faludi a observé que « les images de femmes contraintes tapissent les murs de la culture populaire » dans les périodes de contrecoup. Cette remarque semble tristement d’actualité.

Quelques jours seulement après l’abandon de la campagne d’American Eagle, la marque SKIMS de Kim Kardashian a lancé ses « sculpt face wraps », un produit destiné à donner à celles qui les portent un menton plus « sculpté ». Les photos promotionnelles montrent des femmes emprisonnées dans des produits qui ressemblent au célèbre masque d’Hannibal Lecter ou à un appareil orthodontique. Des images particulièrement dérangeantes.

Si Faludi nous a appris quelque chose, c’est que la tendance à montrer des images de femmes contraintes — physiquement ou par des rôles rigides — ne préfigure pas seulement un avenir inquiétant : elle reflète aussi un présent alarmant, qu’il faut reconnaître pour pouvoir y résister.

La Conversation Canada

Meaghan Furlano ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Sydney Sweeney, American Eagle et le retour à une féminité « traditionnelle » – https://theconversation.com/sydney-sweeney-american-eagle-et-le-retour-a-une-feminite-traditionnelle-262852

Résurgence du paludisme aux Comores : où en est-on de son élimination ?

Source: The Conversation – in French – By Attoumane ARTADJI, Géographe de la santé et Ingénieur de Recherche en Sciences de l’Information Géographique au LPED, AMU, IRD, Institut de recherche pour le développement (IRD)

Depuis vingt ans, une lutte intensive est engagée contre le paludisme aux Comores, en Afrique australe. À terme, l’élimination de cette maladie dans ce pays n’est pas un rêve impossible, mais cet objectif demeure encore lointain. On fait le point sur la stratégie dite de « traitement de masse » mise en œuvre sur l’archipel, ses succès et ses limites.


Le 25 avril 2025, l’Union des Comores a célébré, comme le reste du monde, la Journée mondiale de lutte contre le paludisme. Ce pays de moins de 900 000 habitants s’est engagé depuis 20 ans dans une course à l’élimination du paludisme, dont il convient de retracer l’évolution.

Sur les trois îles (Grande Comore, Mohéli et Anjouan) de l’archipel des Comores, situé au sud-est du canal du Mozambique, entre le Mozambique et Madagascar, des efforts de contrôle considérables ont permis une spectaculaire « diminution de 97 % des cas de paludisme entre 2010 et 2016 » (passant de plus de 103 600 en 2010 à moins de 1 500 en 2016).

Une stratégie dite de « traitement de masse »

Ces efforts ont porté sur des distributions massives de moustiquaires imprégnées d’insecticides puis sur des campagnes de traitement de masse (TDM) par des médicaments proposés par la Chine : l’Artequick (qui est une combinaison d’artemisinine et de piperaquine) associé à la primaquine. Le paludisme a ainsi été quasiment éliminé à Mohéli et à Anjouan, mais est resté présent à la Grande Comore à des proportions faibles par rapport à 2010, laissant espérer son élimination définitive.

Malheureusement, le miracle de ce traitement de masse n’a pas suffi et le nombre de cas de paludisme n’a cessé d’augmenter depuis 2017, pour atteindre 21 079 en 2023, soit une augmentation de 87 %. Son élimination est-elle encore possible ?

Le succès de l’expérimentation à ciel ouvert de Mohéli

En novembre 2007, le programme « Fast Elimination of Malaria by Source Eradication » (FEMSE) a été lancé à Mohéli. Il s’agissait d’une campagne expérimentale visant à éliminer les parasites du paludisme (Plasmodium falciparum, Plasmodium malariae, Plasmodium vivax et Plasmodium ovale) dans le sang des habitants de cette île dont la population a été estimée à moins de 40 000 personnes (d’après des chiffres de 2007). Mohéli est ainsi devenue un laboratoire à ciel ouvert pour l’expérimentation du traitement de masse du paludisme.

Ce programme était dirigé par des experts de l’université de médecine traditionnelle chinoise de Guangzhou (Canton), accompagnés par des équipes du Programme national de lutte contre le paludisme (PNLP-Comores).

Concrètement, une bulle sanitaire a été mise en place dans toute l’île pour distribuer à tous les résidents, malades ou non, un traitement d’Artequick (composé d’artémisinine et de piperaquine) ainsi que de la primaquine. Ce traitement a également été imposé à tous les visiteurs de l’île pendant trois ans. La finalité de ce programme était d’éliminer le réservoir de parasites pour interrompre la chaîne de transmission entre l’humain et les moustiques vecteurs (Anopheles gambiae et Anopheles funestus) en moins de deux ans.

En moins de six mois, à Mohéli, une réduction de 98 % de la charge parasitaire a été constatée chez les enfants. Un recul spectaculaire de la charge parasitaire chez les anophèles, les moustiques responsables de la transmission du paludisme, a également été observé.

Le traitement de masse élargi à toutes les Comores

Les résultats concluants de l’expérimentation de Mohéli ont convaincu les autorités comoriennes et leurs partenaires d’élargir le traitement de masse aux deux autres îles, Anjouan en 2012 et la Grande Comore en 2013. Plus de 80 % de la population des deux îles a pris ce traitement. Parallèlement, la campagne de distribution de moustiquaires imprégnées d’insecticide à longue durée d’action (MILD) a connu le même succès.

Mais cette joie a été de courte durée. En effet, une recrudescence de l’incidence du paludisme a été observée dès 2017, avec plus de 500 cas pour 100 000 habitants. En 2023, ce sont plus de 2 400 cas pour 100 000 habitants qui ont été recensés, soit 12 fois plus qu’en 2016.

Cette résurgence du paludisme a suscité l’inquiétude des autorités comoriennes et de leurs partenaires.

Un effet de résistance aux médicaments ?

En réponse à cette crise, dès 2018, plusieurs campagnes de traitement de masse ont été réalisées à la Grande Comore dans des zones géographiques ciblées. La dernière en date a été réalisée en décembre 2024 dans la région de Hamahamet-Mboinkou, à Moroni, et dans bien d’autres régions de l’île.

Combien faudra-t-il encore de traitement de masse pour mettre fin à la transmission du paludisme aux Comores ? La multiplication de ces traitements de masse à la Grande Comore sans réelle efficacité, contrairement à ce qui fut observé lors des campagnes de 2007 à Mohéli ou à Anjouan en 2012, suscite de nombreuses inquiétudes. Peut-on avancer l’hypothèse de résistances à l’Artequick ?

La littérature scientifique confirme que certaines mutations observées dans les gènes du P. falciparum entraînent, dans certains pays d’Afrique, une résistance aux deux molécules contenues dans l’Artequick, c’est-à-dire l’artémisinine et la pipéraquine.

Or, les études évaluant la résistance aux médicaments antipaludiques aux Comores sont peu nombreuses. La dernière étude, réalisée entre 2013 et 2014 par les mêmes équipes ayant conduit le traitement de masse, a montré qu’aucune forme de résistance n’avait été observée à la Grande Comore. Depuis, ce constat serait-il encore le même ? Comment expliquer alors cet échec ?

La population pointée du doigt par les autorités sanitaires ?

D’après les déclarations des autorités sanitaires publiées dans les journaux, la Grande Comore « empêcherait » l’élimination du paludisme en Union des Comores. Les habitants de cette l’île seraient « méfiants » à l’égard de la prise de médicaments et « moins adhérents » aux efforts de lutte, ce qui a entraîné un faible taux de couverture des traitements de masse par rapport au reste des îles.

Aussi, la population « refuserait » d’utiliser les moustiquaires. Selon elles, la population devrait plutôt « coopérer » davantage, car l’élimination du paludisme nécessite un « engagement national ». Mais la population serait-elle l’unique coupable ?

Quelle place, à côté du nouveau vaccin antipaludique ?

Peut-on envisager une alternative au traitement de masse aux Comores ? Dès le début de l’année 2024, plusieurs pays d’Afrique ont introduit, dans leur programme de lutte contre le paludisme, le vaccin antipaludique RTS,S de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). C’est le cas notamment du Cameroun, du Burkina Faso, du Bénin et de la Côte d’Ivoire, pour n’en citer que quelques-uns.

Interrogées sur la possibilité d’intégrer ce vaccin aux Comores, les autorités ont déclaré ce qui suit :

« Cela ne veut pas dire qu’on est contre la vaccination, mais nous préférons poursuivre la stratégie nationale déjà conçue avec la mission chinoise à travers la sensibilisation, le traitement de masse et la distribution de moustiquaires imprégnées ». La stratégie du traitement de masse va donc se poursuivre.

Lutte contre le paludisme : un financement compromis sous l’ère Trump ?

Outre le soutien de la Chine, l’Union des Comores bénéficie de financements de partenaires internationaux pour la lutte contre le paludisme. Il s’agit principalement du Fonds mondial et de l’OMS, des institutions largement soutenues financièrement par les États-Unis. Or, la rétractation de l’administration Trump risque de mettre en péril la lutte contre le paludisme aux Comores.




À lire aussi :
Comment le gel de l’USAID menace la surveillance sanitaire mondiale


En effet, le diagnostic et le traitement gratuits des patients dans les structures de soins, la distribution de moustiquaires dans les villages et la collecte de données épidémiologiques dans les districts sanitaires en sont dépendants. Avec un financement réduit, un retour à un nombre important de cas menace les Comores.

Cette résurgence du paludisme démontre les limites de la stratégie du traitement de masse imposée à une population qui la déboute depuis un certain temps.

Alors, sans stratégie alternative de lutte et sans autres sources de financement, le rêve d’un « avenir sans paludisme en Union des Comores à l’horizon 2027 » semble compromis et prolongé pour une période encore indéterminée.

The Conversation

Attoumane Artadji a bénéficié d’une Allocation de Recherche pour une Thèse au Sud (ARTS, 2015 à 2017) de l’IRD et a été financé en 2016 par le Fonds de coopération régionale via la préfecture de La Réunion pour mener des enquêtes de terrain dans le cadre du projet « GeoH2O-Comores, enquête sur l’eau et la santé dans l’Union des Comores ».

Vincent Herbreteau a coordonné le projet « GeoH2O-Comores, enquête eau et santé dans l’Union des Comores » financé en 2016 par le Fonds de Coopération Régionale via la Préfecture de La Réunion.

ref. Résurgence du paludisme aux Comores : où en est-on de son élimination ? – https://theconversation.com/resurgence-du-paludisme-aux-comores-ou-en-est-on-de-son-elimination-259965

République centrafricaine : les énergies renouvelables peuvent-elles contribuer à la stabilité ?

Source: The Conversation – France (in French) – By Romain Esmenjaud, Docteur du Graduate Institute, chercheur associé à l’Institut Français de Géopolitique (IFG – Laboratoire de recherche de l’Université Paris 8, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)

Depuis le renversement en 2013 du président François Bozizé, la République centrafricaine est plongée dans une grave crise politique et sécuritaire. Dans ce pays, qui est l’un des moins électrifiés au monde, une transition vers les énergies renouvelables permettrait de promouvoir le développement et la stabilité. L’ONU, présente par le biais de la Minusca, forte de 18 000 personnes, pourrait donner l’exemple.


L’apport environnemental des énergies renouvelables n’est plus à démontrer. En Afrique subsaharienne, elles représentent un moyen idéal et peu onéreux d’accroître l’accès à l’électricité sans augmenter l’empreinte carbone des pays de la région.

Le projet Powering Peace, co-piloté par le Stimson Center et Energy Peace Partners met en évidence un autre atout de ces énergies : celui de pouvoir contribuer à la stabilité dans les pays en sortie de crise.

Des rapports consacrés à la République démocratique du Congo, au Mali, à la Somalie et au Soudan du Sud ont abordé le rôle que les opérations de paix de l’ONU pouvaient jouer en appui du développement des renouvelables.

En assurant leur approvisionnement grâce à ces énergies, ces opérations peuvent non seulement briser leur dépendance à l’égard de générateurs diesel – une option coûteuse et inefficace d’un point de vue opérationnel –, mais aussi introduire des nouvelles infrastructures énergétiques dans les zones qui en ont le plus besoin. Un récent rapport évoque des avantages similaires dans le cas de la République centrafricaine (RCA).

France 24, 13 avril 2025.

À l’origine de la crise centrafricaine, des périphéries délaissées

Plus de dix ans après le début de la crise née du renversement en 2013 du président François Bozizé par la coalition Séléka, la RCA semble connaître une accalmie sécuritaire. Depuis l’échec, début 2021, de la tentative de prise de Bangui par une nouvelle coalition de groupes armés, les rebelles ont été repoussés dans les zones frontalières sous la pression des forces armées centrafricaines, fortement appuyées par les mercenaires du groupe paramilitaire russe Wagner.




À lire aussi :
Dans les coulisses du groupe Wagner : mercenariat, business et diplomatie secrète


L’amélioration de la situation reste toutefois très relative et les causes profondes de la crise restent à traiter. L’une d’elles est la marginalisation des régions périphériques. Traditionnellement délaissées par les élites banguissoises, ces zones restent largement dépourvues d’infrastructures et de services publics (routes, écoles, hôpitaux, etc.). C’est le cas notamment dans le nord-est, berceau de nombreux groupes armés, où se sont diffusés un sentiment d’abandon et l’impression que la violence est l’unique moyen de faire entendre ses revendications.

À la demande des groupes armés, l’Accord politique pour la paix et la réconciliation en RCA de février 2019 reconnaissait d’ailleurs la nécessité de « corriger les inégalités qui affectent les communautés et les régions qui ont été lésées par le passé ».




À lire aussi :
Centrafrique : la face cachée du processus de paix


Développer les renouvelables pour lutter contre la marginalisation des périphéries

L’accès à l’électricité est un exemple frappant de la pauvreté du pays en infrastructures, mais aussi du caractère inéquitable de leur répartition. La RCA a l’un des taux d’électrification les plus bas du monde (17,6 %), mais il est encore bien plus faible en dehors de la capitale, notamment dans le nord-est, le nord-ouest ou le sud-est, où les infrastructures électriques sont quasi inexistantes.

Comme souligné dans le Plan national de développement 2024-2028, publié en septembre 2024, les renouvelables constituent un excellent outil pour renforcer l’accès à l’électricité sur l’ensemble du territoire, notamment à travers l’installation de réseaux locaux décentralisés.

Les principales sources d’énergie utilisées aujourd’hui dans le pays sont, elles, sources de problèmes : la déforestation dans le cas de la biomasse et un approvisionnement très incertain dans le cas du carburant (qui alimente les générateurs).

La RCA dispose déjà de sources d’énergie renouvelable grâce aux infrastructures hydroélectriques de Boali, opérationnelles depuis 1954, qui représentent près de la moitié du mix électrique national. Depuis 2023, plusieurs champs de panneaux solaires ont également vu le jour.

Mais les leviers d’amélioration demeurent très nombreux, tout particulièrement si l’on souhaite assurer un développement équilibré du point de vue géographique.

De nouveaux projets énergétiques – solaires et hydrauliques – sont envisagés dans la région de Bangui, dans le centre, dans l’ouest et dans le sud-ouest du pays. Il s’agit de régions où les besoins sont importants, car elles sont très peuplées, mais ce sont aussi celles qui sont déjà les mieux dotées. D’autres zones, comme le nord-est, qui bénéficie d’un fort ensoleillement et donc d’un potentiel élevé en énergie photovoltaïque, mériteraient une attention accrue.

TV5 Monde, 16 mars 2025.

Prioriser les régions traditionnellement délaissées permettrait de répondre aux revendications portées par les mouvements d’opposition, politiques comme armés. Surtout, l’accès à l’électricité permet de dynamiser l’activité, de créer de multiples opportunités pour les locaux et d’amorcer un cercle économique vertueux de nature à limiter les capacités de recrutement des groupes armés.

Étant donné que le nord-est héberge une partie importante de la minorité musulmane, déployer des installations dans cette zone contribuerait aussi à apaiser les tensions intercommunautaires et religieuses qui ont alimenté le conflit.

In fine, l’installation de renouvelables peut donc aider à lutter contre l’une des causes profondes du conflit : la marginalisation des périphéries.

Les multiples avantages d’une transition vers les énergies renouvelables

Comme dans les autres crises mentionnées précédemment, l’ONU peut jouer un rôle clé en faveur du déploiement des renouvelables, notamment à travers la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en RCA (Minusca).

En mettant en œuvre une transition vers les énergies vertes pour son propre approvisionnement, l’opération pourrait tout d’abord faire évoluer le mix électrique du pays dans son ensemble. Comptant près de 18 000 personnels, la Minusca consomme pas moins d’un cinquième du carburant et près d’un quart de l’électricité du pays.

Alors que son approvisionnement repose aujourd’hui sur les renouvelables à hauteur de 3 % seulement, la Minusca vise un triplement de ce taux d’ici à fin 2025 (8 à 9 %). Plusieurs bases ont été équipées de panneaux solaires, mais la marge de progression reste très importante si la mission souhaite atteindre l’objectif de 80 % fixé dans le plan d’action Climat 2020-2030, adopté par le secrétaire général de l’ONU en 2019.

Une transition vers les renouvelables présente des avantages opérationnels pour la Minusca. Presque entièrement dépendante de générateurs diesel, la mission fait face à des défis logistiques majeurs pour l’approvisionnement en carburant de ses nombreuses bases, particulièrement celles situées en zones instables et éloignées de la capitale. Limiter les besoins en matière de sécurisation de ses convois libérerait ainsi d’importants effectifs pour des tâches primordiales comme la protection des civils.




À lire aussi :
République centrafricaine : écouter les récits des gens sur les forces étrangères pourrait contribuer à ramener la paix


Des infrastructures bénéficiant aux populations locales : un levier de consolidation de la paix pour la Minusca

Du fait de sa présence sur l’ensemble du territoire, la Minusca est dans une position unique pour déployer des infrastructures énergétiques au profit des populations locales, y compris dans les zones périphériques (et instables). Elle pourrait s’inspirer de l’exemple de Baidoa en Somalie, où l’ONU a financé l’installation de panneaux solaires alimentant la base locale et bénéficiant également aux populations environnantes.

En permettant le développement de services de base et de nouvelles activités économiques, ce projet a contribué à la consolidation de la paix au niveau local et au-delà. Les infrastructures installées représentent aussi un héritage positif que la mission peut laisser à son départ.

La capacité de la mission à initier ce genre de projets reste limitée par son mandat (protection des civils, appui au processus de paix et à la livraison de l’aide humanitaire, etc.) et ses ressources (financières et humaines, y compris un nombre réduit d’ingénieurs). Il est donc essentiel qu’elle collabore avec les autres partenaires internationaux, dont l’ensemble des agences des Nations unies, les institutions financières internationales et régionales, et les pays donateurs.

L’impact à long terme des renouvelables requiert aussi le développement d’une expertise locale afin d’assurer le maintien en état des infrastructures. En dépit de ces défis, ces énergies présentent aujourd’hui un potentiel sous-exploité et qu’il est important d’ajouter à la « boîte à outils » des gestionnaires de crise en RCA et au-delà.


Cet article a été coécrit avec Dave Mozersky, président et co-fondateur d’Energy Peace Partners.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. République centrafricaine : les énergies renouvelables peuvent-elles contribuer à la stabilité ? – https://theconversation.com/republique-centrafricaine-les-energies-renouvelables-peuvent-elles-contribuer-a-la-stabilite-260939

Argentine : le risque d’une nouvelle crise monétaire

Source: The Conversation – France (in French) – By Jonathan Marie, Professeur d’économie, Université Sorbonne Nouvelle, Paris 3

Lorsque la croyance que la crise économique va survenir se diffuse, il est déjà trop tard. L’Argentine en a fait les frais à de nombreuses reprises. MatiasLynch/Shutterstock

Javier Milei, président de l’Argentine depuis décembre 2023, s’était engagé à déclencher la dollarisation intégrale de l’économie nationale. Il entreprend de « tronçonner » les dépenses publiques et les impôts et cherche à stabiliser le change. Pour quels résultats ? Le risque d’une crise monétaire progresse et fait craindre de nouvelles heures sombres pour les Argentins.


Se définissant comme « anarchocapitaliste », Javier Milei annonce résoudre les problèmes économiques qu’il estime provoqués par la « caste » en libéralisant à tout crin. Lors de son élection, l’Argentine souffrait d’une inflation particulièrement élevée – plus de 133 % pour l’année 2023 selon l’indice des prix à la consommation, atteignant même 211 % à la fin de l’année – et d’une récession sévère – -1,6 % en 2023… terreaux d’un chômage massif et de réductions du pouvoir d’achat.

Stratégie macroéconomique

La stratégie de stabilisation, adoptée depuis son élection et lancée après une importante dévaluation en décembre 2023, repose sur la stabilisation du taux de change. Concrètement, le prix du dollar états-unien exprimé en peso, la monnaie argentine, ne doit pas augmenter rapidement. Si la dévalorisation du peso s’accélère, les prix des importations sont en hausse et l’inflation augmente. Quels sont les liens entre dévalorisation, importation et inflation ?

Les Argentins sont habitués à évaluer la valeur de leurs actifs en dollars. Ils cherchent de facto à stabiliser leurs revenus en dollars, augmentant au besoin les prix exprimés en pesos. Chaque dévaluation, ou diminution du cours du peso augmente le prix de toutes les importations. Les produits étrangers – des États-Unis, de l’Union européenne ou de la Chine – deviennent plus chers pour les Argentins. A contrario, il est plus facile pour les pays étrangers d’acheter les produits de l’Argentine, puisque le peso est moins cher. À long terme, cette dévaluation créée de l’inflation, en raison de la hausse du prix des importations.

Pour stabiliser le cours du peso, la Banque centrale argentine doit être en mesure, si cela est nécessaire, de racheter des pesos sur le marché des changes et donc… de vendre des dollars. C’est pour cela que la clé du maintien d’une telle politique est liée à la capacité de conserver des dollars dans l’économie argentine.

Histoire des crises argentines

Chaque Argentin le sait parfaitement : une ruée sur le dollar peut très rapidement s’enclencher. Ce fut le cas en 1989, l’économie souffrant alors d’hyperinflation, ou en 2001. Pour chacun, il s’agit alors de changer ses pesos en dollars avant la crise, avant qu’ils ne valent plus rien. Mais c’est un phénomène autoréalisateur. Lorsque la croyance que la crise va survenir se diffuse, il est déjà trop tard.

L’Argentine est coutumière de telles crises économiques. La dernière de très grande ampleur, en 2001, avait provoqué l’abandon du régime de la convertibilité. Depuis 1991, la loi garantissait qu’un peso s’échangeait contre un dollar : le taux de change stabilisé, l’inflation avait été vaincue. Le déficit commercial et la hausse de l’endettement externe ont progressivement rendu intenable ce programme. Malgré les aides records du Fonds monétaire international (FMI), à partir de 1995, le taux de change est devenu intenable. La convertibilité fut abandonnée, le peso largement déprécié.

Cette crise fut politique : se succèdent d’éphémères présidents jusqu’à l’élection de Néstor Kirchner en 2003. Bénéficiant d’une situation monétaire stabilisée et d’un peso déprécié, il impose une réduction de la dette publique externe, ce qui allège les contraintes macroéconomiques. En réduisant cette dette en dollars et en la rééchelonnant, l’Argentine parvient à conserver plus de dollars pour constituer des réserves de change, permettant de mener une politique macroéconomique avec de plus grandes marges de manœuvre.

Dès le milieu de la décennie 2010, on assiste à la réactivation de tensions sur la répartition du revenu, l’ouverture économique et le régime de change. La stratégie visant à protéger l’économie domestique par la sous-évaluation du peso et par des restrictions sur le change – que les Argentins désignent par le terme cepo, verrou en espagnol – est contestée. Elle l’est en particulier par les classes moyennes et supérieures qui consomment des biens importés, qui voyagent et qui souhaitent épargner en dollars pour se protéger de l’inflation. Le dynamisme économique s’essouffle.

Le mandat (2015-2019) du conservateur libéral Mauricio Macri se caractérise par l’ouverture économique et financière. Mais le déficit courant se creuse, tout comme l’endettement externe.

L’élection en 2019 du péroniste Alberto Fernández n’atténue pas les difficultés, alors que la crise sanitaire et la récession globale vont avoir des effets particulièrement sévères. L’inflation annuelle, estimée à 48 % en 2021, atteint 72 % en 2022, puis dépasse les 130 % en 2023. Les salaires réels diminuent, les réserves de change s’épuisent et chaque dévaluation du peso alimente l’augmentation de l’inflation.

Lutte contre l’inflation

L’importance du dollar dans le quotidien des Argentins explique qu’au cours de la campagne présidentielle de 2023, la promesse de dollarisation de l’économie portée par Milei ait pu bénéficier d’un soutien important.

Élu, Milei ne met en œuvre ni démantèlement de la banque centrale ni dollarisation, mais il modifie substantiellement la politique monétaire. Dès décembre 2023, il dévalue le peso de 54 %. Il limite sa dépréciation à 2 % par mois jusqu’en février 2025, puis à 1 % par mois jusqu’en avril dernier. Cette politique dite de crawling-peg (ou de parité glissante) est la clé de la désinflation ; l’inflation étant l’effet secondaire de long terme d’une dépréciation.




À lire aussi :
La tronçonneuse de Buenos Aires et le DOGE de Washington : vague d’austérité sur le continent américain


L’inflation étant très sensible aux variations du taux de change, il faut les limiter. En rythme mensuel, l’inflation dépasse 25 % en décembre 2023, puis se réduit nettement, jusqu’à 2,7 % en décembre 2024 et même 1,6 % en juin 2025.

Diminution des dépenses publiques

Outre la stabilisation du change, la désinflation est aussi nourrie par la sévère diminution des dépenses publiques de 27 % en 2024, adossée essentiellement à la réduction des retraites et de l’investissement public. Si ces mesures génèrent un excédent primaire, elles induisent aussi des effets récessifs, le PIB argentin reculant de 1,7 % en 2024.




À lire aussi :
Comment Javier Milei transforme l’Argentine


Parmi les principales diminutions des dépenses publiques adoptées : arrêt des investissements publics, restrictions de l’accès aux services de santé, désindexation des retraites, division par deux du nombre de ministères, suppression de 33 000 fonctionnaires, rétrogradation du ministère de la science en secrétariat ou encore fermeture de l’agence de presse nationale Télam.

Les comptes publics s’améliorent en 2024 à +0,3 % du PIB. Les exportations bénéficient de prix mondiaux des matières premières en hausse, quand la récession de 1,7 % restreint les importations, la baisse de la consommation limitant les importations de biens de consommation. Les comptes extérieurs s’améliorent alors eux aussi.

Ces résultats sont salués par la directrice générale du FMI Kristalina Georgieva :

« L’Argentine est un exemple de pays ayant réalisé de grands progrès grâce à des réformes structurelles et à une discipline budgétaire rigoureuse. »

Inflation sous les 3 %, taux de pauvreté à 37 % ou excédent commercial de 906 millions de dollars états-uniens en juin 2025.

« L’Argentine a une opportunité majeure dans un monde avide de sa production, tant dans l’agriculture que dans les minéraux, l’exploitation minière, le gaz et le lithium. »

Démantèlement du cepo

Une nouvelle étape est franchie en avril 2025. Le gouvernement engage le démantèlement du cepo, soit des restrictions sur le change pour le secteur privé. Cela facilite la ratification d’un accord de prêt avec le FMI de 20 milliards de dollars sur quatre ans, déclenchant immédiatement un premier versement de 12 milliards.

En augmentant ses réserves en dollars, La Banque centrale argentine accroît ses moyens d’intervention pour stabiliser le change. Le gouvernement espère le déclenchement d’un cercle vertueux : les Argentins, rassurés par la stabilité du change et bénéficiant en outre d’une loi d’amnistie fiscale ad hoc devraient réintroduire dans l’économie les dollars conservés « sous les matelas », permettant de gonfler les réserves officielles. L’adoption de cette mesure permet aux Argentins de réintroduire dans l’économie les dollars épargnés de manière occulte sans avoir à en justifier l’origine ni à devoir régler des impôts.

Rassurés et bénéficiant eux aussi d’un régime fiscal favorable, le « régime d’incitation pour les grands investissements (Rigi) », les investisseurs étrangers devraient investir dans l’économie argentine.

Évolution du taux de change

La soutenabilité de cette politique est questionnée. La question est d’ordre macroéconomique : l’Argentine peut-elle durablement attirer et conserver les dollars nécessaires à la stabilité du change ? Ou même pour parvenir à aller vers la dollarisation intégrale ?

Sur le long terme, cette politique favorise la surappréciation de la valeur du peso, provoquant une perte de compétitivité des secteurs exposés à la concurrence internationale. Il devient plus coûteux de produire certains biens en Argentine que de les importer à cause d’une inflation, qui, bien que réduite, reste plus élevée que chez les concurrents.




À lire aussi :
Le régime péroniste, racine du déclin économique de l’Argentine


De ce fait, la primarisation de l’Argentine est encouragée. Ce terme signifie que le secteur primaire – l’exploitation directe des ressources naturelles – est largement prépondérant dans une économie, au détriment du secteur secondaire – industries de transformation – ou tertiaire – services. L’exploitation des matières premières et le secteur agro-exportateur sont les seuls compétitifs en Argentine et les seuls susceptibles de générer des revenus en devises.

Les matières premières sont d’ailleurs les seuls secteurs qui attirent aujourd’hui des investissements directs étrangers (IDE), alors que les IDE reculent ces derniers trimestres. Dans le même temps, les importations de biens et services sont favorisées.

Dépréciation du peso argentin face au dollar.
Direction générale du Trésor (France), Service économique régional de Buenos Aires (Argentine), « Brèves économiques Cône Sud », 11 juillet 2025

Les controverses actuelles ne se focalisent pas seulement sur une telle temporalité. La dépréciation du peso depuis la mi-juin (voir graphique ci-dessus) est plus importante que ne le souhaitent les autorités. C’est la preuve d’une fébrilité croissante, attestée aussi par les achats de devises par le Trésor en juin 2025.

Autre signe, les chaînes d’information en continu, comme les sites des grands journaux, proposent tous depuis quelques jours des lives commentant en direct non stop l’évolution du taux de change. Cette question est véritablement au centre de toutes les conversations et de toutes les préoccupations.

Vers une inéluctable crise de change ?

D’autres facteurs jouent. Le gouvernement est sous la menace d’une amende de la justice états-unienne relative à la (re)nationalisation, en 2012, de la société d’exploitation du pétrole et du gaz Yacimientos Petrolíferos Fiscales (YPF).

Les craintes sont encore alimentées par la faiblesse du stock de réserves de change à disposition de la Banque centrale. Actuellement d’environ 40 milliards de dollars (ce montant représente au mieux six mois d’importations), le montant est inférieur à ce qu’escomptaient les autorités. Il est insuffisant pour faire face à un mouvement massif de spéculation sur le change qui pourrait survenir dans le contexte pré-électoral. Les élections législatives d’octobre prochain représentent un enjeu électoral décisif pour Milei.

S’il est impossible d’en anticiper l’instant précis, une crise de change va se déclencher, certains fondamentaux la rendent probable, sinon certaine.

Les derniers indicateurs macroéconomiques de l’INDEC ne sont pas rassurants. Le solde courant de la balance des paiements au premier trimestre 2025 est très largement déficitaire, de -5 191 millions de dollars. À titre de comparaison, le solde commercial était positif au 1er trimestre 2024 (3 649 millions de dollars) alors qu’il fut négatif au 1er trimestre 2025 (-1 992 millions). Dans le même temps, le taux de chômage est élevé, à 7,9 %. Et si la désinflation se confirme, selon les derniers chiffres (1,5 % en mai 2025, soit un rythme de croissance annuelle d’environ 20 %), l’inflation demeure élevée.

Ces données macroéconomiques rappellent la difficulté pour l’Argentine de maintenir simultanément et durablement un taux de change stable en l’absence d’entrave sur celui-ci, une inflation faible et le dynamisme de l’ensemble de l’économie. Cela s’impose à Milei comme à tous ses prédécesseurs.

The Conversation

Jonathan Marie ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Argentine : le risque d’une nouvelle crise monétaire – https://theconversation.com/argentine-le-risque-dune-nouvelle-crise-monetaire-261412

Marguerite de Wendel, « la dame du fer » des forges françaises, une capitaine d’industrie d’exception

Source: The Conversation – France (in French) – By Danièle Henky, Maître de conférences habilité à diriger les recherches en langues et littérature française (9e section) émérite, Université de Strasbourg

Des siècles passés, il reste l’histoire de nombreux talents féminins à exhumer. En avance sur leur temps, des femmes furent aussi capitaines d’industrie. Tel fut le cas de Marguerite de Wendel (1718-1802), née d’Hausen, qui devint, à partir de 1739, d’abord aux côtés de son mari puis seule, dirigeante des plus grandes forges françaises. Une main de fer dans un gant de velours… avec un caractère aussi trempé que l’acier.


Durant ce que l’on a appelé le « siècle des Lumières », l’éducation féminine fut mise à l’ordre du jour. Le recul de l’illettrisme réduisit l’écart dans l’alphabétisation entre les sexes. Dans un monde très marqué par les valeurs paternalistes, il restait difficile, cependant, d’être une femme et d’accéder aux savoirs. D’importantes barrières et contraintes limitaient les possibilités de conquérir les domaines masculins. La diffusion des savoirs allait favoriser, néanmoins, une évolution de la condition féminine.

On ne peut nier que de nombreuses femmes, parmi les classes privilégiées, jouèrent un rôle majeur dans divers domaines. Parmi elles, il y eut, notamment dans les milieux du commerce et de l’industrie, des épouses qui secondèrent leurs maris dans leurs charges professionnelles, se distinguant par leur acharnement au travail et leur intelligence des affaires.

En avance sur la marche du temps, elles furent des chefs d’entreprise d’exception. Tel fut le cas, comme le révèlent les archives de la Maison de Wendel, de Marguerite d’Hausen qui devint, en 1739, Marguerite de Wendel (1718-1802). C’est ce que je retrace sa biographie le Destin fou de Marguerite de Wendel : maîtresse de forges, des Lumières à la Terreur (2021).

Épopée industrielle

Une véritable épopée industrielle, comme le narre l’historien René Sédillot. Elle commence avec Jean-Martin de Wendel (1665-1737), qui acheta en 1704 à Hayange, petit village mosellan, une forge à demi ruinée.

Originaire de Bruges, la famille s’était installée en Lorraine avec Christian de Wendel (1636-1708). Son fils cadet, Jean-Martin, devint directeur des forges d’Ottange, avant de débuter à Hayange cette lignée de maîtres de forges qui dirigea les entreprises de Wendel jusqu’en 1978. À la mort de ce pionnier, ses fils héritèrent de cinq forges en pleine activité.

Le destin fou de Marguerite de Wendel, maîtresse des forges, des Lumières à la Terreur.
Hal, Fourni par l’auteur

Le 10 mai 1739, Marguerite d’Hausen, née à Sarreguemines (Moselle) en 1718, fille du receveur des finances de Lorraine, épousa Charles de Wendel, de dix ans son aîné, maître de forges et seigneur d’Hayange. Il était l’un des fils de Jean-Martin, devenu conseiller secrétaire du roi en la chancellerie du parlement, anobli en 1727 par le duc Léopold. Lors de ce mariage, Jean Alexandre d’Hausen dota sa fille d’une somme de 60 000 livres, soit le double de ce que valait l’affaire Wendel en 1704.

Dès lors, grâce au travail et à la bonne gestion de Charles, l’affaire ne cessa de prospérer et de s’étendre. Lors de la guerre de succession d’Autriche (1740-1748) puis de la guerre de Sept Ans (1756-1763), sous le règne de Louis XV, les Wendel reçurent des commandes de boulets que les ouvriers façonnaient en coulant de la fonte liquide dans des moules sphériques. Ils fabriquaient aussi des affûts. De la platinerie sortaient des casques pour les cavaliers…

Main de fer dans un gant de velours

Bonne épouse et bonne mère, Marguerite de Wendel eut sept enfants dont cinq survécurent. Elle n’en eut pas moins la curiosité de s’intéresser aux affaires de son mari, aux nouvelles techniques et à l’univers inconnu pour elle de la sidérurgie.

Elle a d’abord relayé par nécessité son époux, toujours en voyage pour trouver de nouveaux marchés et de nouveaux financements. Il lui a appris à surveiller les coulées de fonte des hauts fourneaux et à diriger les ouvriers mieux qu’un contremaître aguerri. À une époque où beaucoup de femmes de son milieu ne se préoccupaient que de leurs galants ou de leurs toilettes, elle conduisit les forges en capitaine d’industrie : une main de fer dans un gant de velours !

Veuve de Charles de Wendel en 1784, celle qu’on a appelée Madame d’Hayange resta seule face à la tourmente révolutionnaire qu’elle affronta du mieux qu’elle put. Secondée par ses gendres, Alexandre de Balthazar et Victor de la Cottière, elle surveillait les hauts-fourneaux, veillait à la commercialisation des produits manufacturés et se réservait la responsabilité des relations avec les autorités politiques. Il fallut se battre avec les bureaux de Versailles pour faire payer les fournitures livrées aux armées. Marguerite en s’acharnant parvint à tenir renégociant en 1788 les contrats avec les arsenaux royaux. Elle obtint des conditions plus avantageuses que celles acquises de haute lutte par Charles.

Terreur révolutionnaire

En 1789, les révolutionnaires eurent besoin, comme la monarchie avant eux, des armes sortant des usines de Wendel. Protégée par l’armée, « Madame d’Hayange » fut en revanche en butte aux rancœurs de certains habitants de la ville, à commencer par l’ancien cocher du château, Jacques Tourneur. La Révolution en fit un maire qui ne cachait pas le mépris que lui inspiraient les « ci-devant » – les personnes ayant bénéficié d’un privilège « avant ». Ayant demandé un jour qu’on lui fournisse des chevaux pour livrer les munitions d’artillerie, la « citoyenne Wendel » se vit répondre par la municipalité d’utiliser les chevaux de son carrosse.

Les forges Wendel furent utilisées pendant la Révolution française pour produire des canons.
Musée Carnavalet

Dès les débuts de la Terreur (5 septembre 1793-28 juillet 1794), sa vie devint un enfer. Son petit-fils, accusé de collusion avec l’ennemi, fut guillotiné à Metz, le 25 octobre 1793. Restée seule après le départ des siens, Marguerite poursuivit sa mission, contre vents et marées, en obtenant du représentant du peuple à l’armée de Moselle qu’on ne réquisitionne aucun des biens ou des ouvriers utiles à la fabrication des boulets de canon. Elle passa ses journées et parfois ses nuits aux forges, surveillant la coulée aux côtés des contremaîtres et des ouvriers.

Caractère aussi trempé que l’acier

Dans les convulsions d’une époque qui, après l’optimisme scientiste des Lumières, fut plongée dans les abominations de la Terreur, cette femme au caractère aussi trempé que l’acier, incarnait un bel exemple d’énergie féminine au service de sa famille, de son entreprise et de son pays.

Cela n’empêcha pas la mise sous séquestre de tous ses biens, ni sa mise en accusation, le 14 germinal An II (3 avril 1794), pour avoir favorisé l’émigration de ses fils, comme le rappelle l’historien Jacques Marseille. Emprisonnée à Metz puis à Sarreguemines, elle fut de retour à Hayange, le 6 octobre 1795, pour constater que les hauts fourneaux étaient éteints et les forges à l’abandon.

Bientôt, les forges de Wendel furent vendues aux enchères pour payer des dettes. Très affaiblie par son incarcération, logée dans un petit appartement de la rue des Prisons militaires (aujourd’hui, rue Maurice-Barrès) à Metz (Moselle), Marguerite n’eut de cesse de se battre pour tenter de récupérer son entreprise.

Elle s’éteignit le 4 janvier 1802, laissant quelques habits usés et de modestes meubles en sapin sans avoir eu le bonheur de voir la résurrection de sa Maison.

« La dame du fer »

Cette maîtresse des forges n’a rien à envier aux hommes par son incroyable capacité à mener à bien coulées de fonte et opérations de laminage. Elle a su aussi diriger des équipes d’ouvriers et des contremaîtres aussi bien que son époux. Ne la connaissait-on pas sous le nom de « la dame du fer » ? Sa pugnacité mais aussi son sens de la gestion comme ses connaissances en droit lui permirent de gagner des procès difficiles. Elle n’hésita pas à rencontrer les politiques nécessaires à la bonne marche de son entreprise et aurait pu, sans la Terreur, laisser à ses héritiers une entreprise prospère.

Ce fut indubitablement une pionnière, mais elle n’en a sans doute pas eu conscience, tant le féminisme ne pouvait se concevoir encore. Au début, elle a seulement voulu relayer son époux. Aurait-elle pu entreprendre tout ce qu’elle a fait, cependant, si elle n’y avait pas pris goût ? Elle aimait son travail, investissait, se lançait dans des projets en étant force de proposition face à ses fournisseurs. Elle a accompli son destin sans état d’âme en mobilisant toutes ses ressources. Par son exemple, elle a montré tout naturellement, sans avoir besoin de faire de longs discours, ce dont une femme est capable si on lui laisse le champ libre.

Droits des femmes

Au cours du XVIIIe siècle, certaines femmes profitèrent des temps si particuliers de la Révolution pour tenter de défendre leurs droits, pendant que des figures d’exception marquèrent l’histoire des arts, des sciences ou du pouvoir.

Comment ne pas évoquer Olympe de Gouges reconnue comme l’une des premières féministes françaises ? En proclamant les droits des femmes, elle posa des questions qui participèrent aux luttes à venir, au moment où le statut civil des citoyennes, pour un temps, s’améliorait. C’est à cette époque que vécut Marguerite de Wendel qui n’est pas connue comme une militante pour l’égalité des sexes, mais qui a largement montré par son comportement à quel point les femmes méritaient de voir leur condition évoluer.

The Conversation

Danièle Henky ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Marguerite de Wendel, « la dame du fer » des forges françaises, une capitaine d’industrie d’exception – https://theconversation.com/marguerite-de-wendel-la-dame-du-fer-des-forges-francaises-une-capitaine-dindustrie-dexception-262353

La plage n’a pas toujours été une destination de vacances : pour les Grecs de l’Antiquité, c’était un endroit effrayant

Source: The Conversation – in French – By Marie-Claire Beaulieu, Associate Professor of Classical Studies, Tufts University

La plage était perçue comme un lieu de danger et de mort dans l’Antiquité grecque, alors que de nos jours elle est souvent associée aux vacances et à la détente. Norbert Nagel via Wikimedia Commons, CC BY-SA

Aujourd’hui associée au plaisir et à la détente, la plage a longtemps été perçue comme un lieu menaçant. Dans la Grèce antique, elle évoquait la stérilité, la douleur et parfois même la mort. Cet article retrace l’évolution de notre relation à la mer à travers les mythes, les perceptions sensorielles et les croyances anciennes.


Nous sommes nombreux à aller à la plage pour profiter du soleil et prendre du bon temps pendant les vacances d’été. Des études ont montré que pour nombre d’entre nous, passer du temps à la plage est synonyme de décompression. Contempler l’océan nous plonge dans un état de méditation légère, l’odeur de la brise nous apaise, la chaleur du sable nous enveloppe et, surtout, le bruit continu et régulier des vagues nous permet de nous détendre complètement.

Mais les vacances à la mer ne sont devenues prisées qu’à partir de la fin du XIXᵉ et du début du XXᵉ siècles, par les classes aisées des pays occidentaux. Les premiers Européens, et en particulier les Grecs de l’Antiquité, considéraient la plage comme un lieu de souffrance et de mort. En tant que peuple de marins, ils vivaient principalement sur le littoral, mais ils craignaient la mer et pensaient qu’un mode de vie agricole était plus sûr et plus respectable.

En tant qu’historienne de la culture et spécialiste de la mythologie grecque, je m’intéresse à ce changement d’attitude envers la plage.

Couple vêtu de vêtements du XIXᵉ siècle marchant sur une plage avec un cheval et une charrette
Sur la plage à Trouville, peinture de 1863 de l’artiste français Eugène Boudin.
Metropolitan Museum of Art, New York

L’expérience sensorielle de la plage

Comme je l’écris dans mon livre publié en 2016, The Sea in the Greek Imagination (non traduit), on ne recense dans la littérature grecque ancienne aucune évocation positive de la plage et de la mer. Seuls les aspects négatifs sont évoqués, ce qui souligne le malaise qu’éprouvaient les Grecs de l’Antiquité à l’égard de la plage et de la mer en général.

La littérature grecque met par exemple l’accent sur l’odeur intense des algues et de l’eau salée. Dans « L’Odyssée », un poème épique du VIIIe siècle avant notre ère qui se déroule en grande partie en mer, le héros Ménélas et ses compagnons se perdent près des côtes égyptiennes. Ils doivent se cacher sous des peaux de phoques pour attraper le dieu de la mer Protée et lui demander de leur indiquer le chemin du retour. L’odeur des phoques et de l’eau salée leur est si répugnante que leur embuscade manque de tourner au désastre. Seule une ambroisie magique placée sous leur nez, en neutralisant l’odeur pestilentielle, sauve leur entreprise.

De même, si le bruit des vagues par temps calme est souvent vécu comme relaxant, la violence des tempêtes en mer peut être angoissante. La littérature grecque antique se concentre uniquement sur la puissance effrayante des mers agitées, la comparant aux bruits d’une bataille. Dans l’Iliade, un poème contemporain de l’Odyssée, l’assaut de l’armée troyenne sur les lignes grecques est comparé à une tempête en mer :

« Ils avancèrent comme une tempête mortelle qui balaye la terre, au tonnerre de Zeus, leur père, et agite la mer avec un rugissement prodigieux, laissant derrière elle des vagues déferlantes sur les eaux résonnantes, des rangées serrées de grandes vagues arquées blanches d’écume telles qu’une tempête, pleines de frémissements et de clameurs, se précipitaient, furieux. »

Finalement, même le beau Ulysse est rendu laid et effrayant par l’exposition au soleil et au sel de la mer. Dans « L’Odyssée », ce héros erre en mer pendant 10 ans sur le chemin du retour après la guerre de Troie. À la fin de ses tribulations, il s’accroche tant bien que mal à un radeau pendant une tempête envoyée par le dieu de la mer Poséidon, en colère. Il finit par lâcher prise et nage jusqu’au rivage ; lorsqu’il débarque sur l’île des Phéaciens, il effraie les serviteurs de la princesse Nausicaa avec sa peau brûlée par le soleil, « tout souillée d’eau salée ».

Vase grec représentant Ulysse nu mendiant auprès d’Athéna et d’une jeune femme, Nausicaa
Vase représentant Ulysse sortant de la mer et effrayant les servantes de la princesse Nausicaa. 440 av. n. è., Staatliche Antikensammlungen, Munich.
Carole Raddato/Flickr, CC BY-SA

Le sable de la plage et la mer elle-même étaient considérés comme stériles, contrairement à la fertilité des champs. C’est pourquoi l’Iliade et l’Odyssée qualifient régulièrement la mer d’« atrygetos », ce qui signifie « non récoltée ».

Cette conception de la mer comme stérile est bien sûr paradoxale, puisque les océans fournissent environ 2 % de l’apport calorique total de l’homme et 15 % de son apport en protéines et pourraient probablement fournir beaucoup plus. Les Grecs eux-mêmes mangeaient beaucoup de poisson, et de nombreuses espèces étaient considérées comme des mets délicats réservés aux riches.

La mort sur la plage

Dans la littérature grecque antique, la plage était effrayante et évoquait la mort. Il était d’ailleurs courant de pleurer ses proches décédés sur la plage.

Les tombes étaient souvent situées en bord de mer, en particulier les cénotaphes, des tombes vides destinées à commémorer ceux qui étaient morts en mer et dont les corps ne pouvaient être récupérés.

Monument antique au sommet d’une falaise en bord de mer
Exemple de tombe grecque en bord de mer. Tombe du tyran Cléobule sur l’île de Rhodes, en Grèce.
Manfred Werner (Tsui) via Wikimedia, CC BY-SA

C’était un sort particulièrement cruel dans le monde antique, car ceux qui ne pouvaient être enterrés étaient condamnés à errer éternellement sur terre sous forme de fantômes, tandis que ceux qui recevaient des funérailles dignes allaient dans l’au-delà. Le monde souterrain grec n’était pas un endroit particulièrement enviable : il était humide et sombre, mais il était considéré comme une fin respectable.

Ainsi, comme l’a montré la spécialiste de la culture classique Gabriela Cursaru, la plage était un « espace liminal » dans la culture grecque : un seuil entre le monde des vivants et celui des morts.

Révélation et transformation

Pourtant, la plage n’avait pas que des aspects négatifs pour les Grecs. Comme elle servait de pont entre la mer et la terre, ils pensaient qu’elle reliait également le monde des vivants, celui des morts et celui des dieux. La plage avait donc le pouvoir d’offrir des présages, des révélations et des visions des dieux.

C’est pourquoi de nombreux oracles des morts, où les vivants pouvaient obtenir des informations des morts, étaient situés sur des plages et des falaises au bord de la mer.

Les dieux fréquentaient également la plage. C’est même là qu’ils apparaissaient parfois à leurs adorateurs, dont ils entendaient les prières. Dans l’Iliade, le dieu Apollon entend son prêtre Chrysès se plaindre sur la plage du mauvais traitement infligé à sa fille par les Grecs. Le dieu en colère riposte en déchaînant immédiatement la peste sur l’armée grecque, un désastre qui ne peut être arrêté qu’en rendant la jeune fille à son père.

Outre ces croyances religieuses, la plage était également un point de connexion physique entre la Grèce et des terres lointaines.

Les flottes ennemies, les marchands et les pirates étaient tous susceptibles de débarquer sur les plages ou de fréquenter les côtes, car les navires anciens n’avaient pas la capacité de rester en mer pendant de longues périodes. De ce fait, la plage pouvait être un endroit assez dangereux, comme l’a fait remarquer l’historien militaire Jorit Wintjes.

D’un autre côté, les épaves pouvaient apporter d’agréables surprises, comme des trésors inattendus, qui ont souvent marqué un tournant dans de nombreuses histoires de la Grèce antique. Dans le roman antique « Daphnis et Chloé » par exemple, le pauvre berger Daphnis trouve une bourse sur la plage, qui lui permet d’épouser Chloé et de mener leur histoire d’amour à bien.

Il reste peut-être aujourd’hui quelque chose de cette conception de la plage. Le « beachcombing » (ramassage d’objets sur des plages) est toujours un passe-temps populaire, et certaines personnes utilisent même des détecteurs de métaux. Outre ses effets psychologiques positifs démontrés, le « beachcombing&nbsp`;» témoigne de la fascination éternelle de l’homme pour la mer et tous les trésors cachés qu’elle peut receler, des coquillages et du verre de mer aux pièces d’or espagnoles.

Tout comme pour les Grecs, la plage nous donne l’impression d’être à l’aube d’un monde différent.

The Conversation

Marie-Claire Beaulieu ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. La plage n’a pas toujours été une destination de vacances : pour les Grecs de l’Antiquité, c’était un endroit effrayant – https://theconversation.com/la-plage-na-pas-toujours-ete-une-destination-de-vacances-pour-les-grecs-de-lantiquite-cetait-un-endroit-effrayant-262631

Le tambour sacré de Côte d’Ivoire revient : leçons du Kenya pour transformer des vies

Source: The Conversation – in French – By Timothy Gachanga, Lecturer, Kenyatta University

Le Parlement français a adopté à l’unanimité une loi visant à restituer le Djidji Ayôkwé, un tambour sacré volé par les forces coloniales en Côte d’Ivoire en 1916.

Ce grand tambour en bois sculpté était autrefois utilisé par le peuple Ebrié, dans le sud côtier du pays. Il servait à rassembler les gens, annoncer les messages royaux et renforcer l’identité de la communauté. Bientôt, il retrouvera sa terre d’origine. Là-bas, il ne sera pas juste un objet ancien, mais un symbole vivant de mémoire collective et de dignité.

Je suis enseignant en études sur la paix et les conflits. Mes recherches portent souvent sur le rôle des musées et des expositions artistiques dans la promotion de l’unité. En tant que participant et chef de projet à l’exposition Journeys of Peace (Voyages de la paix) au Kenya, j’ai analysé comment les objets culturels exposés pouvaient contribuer à rapprocher des communautés divisées et favoriser la réconciliation.

En Côte d’Ivoire, nation marquée par des guerres civiles, le Djidji Ayôkwé peut devenir un puissant symbole de paix. Il peut contribuer à panser les blessures ethniques et politiques. En s’inspirant des enseignements tirés de l’exposition au Kenya, je pense que le retour de ce tambour pourrait transformer un moment de restitution en un véritable mouvement de réconciliation.

Cet héritage culturel, ancré dans le passé, a un pouvoir immense pour façonner un avenir commun.

Voyages de la paix

Journeys of Peace (Voyages de la paix) a été organisé par la Community Peace Museums Heritage Foundation du Kenya et l’organisation non gouvernementale suédoise Cultural Heritage Without Borders. Au cours de la tournée de l’exposition, j’ai été témoin du pouvoir des objets culturels – tabourets, calebasses, chasse-mouches, ceintures de femmes – pour réparer des communautés fracturées.

Ces objets traditionnels ont été délibérément choisis pour leur importance culturelle et leur capacité à toucher les communautés locales. Il s’agit d’objets traditionnels du quotidien imprégnés d’une signification symbolique, représentant un patrimoine et une identité communs. Leur rôle réside dans leur capacité à susciter le dialogue et la réconciliation. En un an, l’exposition itinérante a touché plus de 4 000 personnes dans les zones rurales du Kenya, transformant ces objets en outils de dialogue communautaire.

À Pokot, dans l’ouest du Kenya, où les conflits liés au vol de bétail sont fréquents, j’ai vu des anciens utiliser des objets similaires à ceux présentés dans l’exposition pour organiser des veillées pour la paix et réconcilier deux communautés ennemies, les Pokot et les Tugen, divisées par le vol de bétail.

À Samburu, une communauté de la région du North Rift qui a connu des conflits interethniques entre communautés pastorales rivales pour le pâturage, des guerriers ont troqué leurs armes contre des bâtons de marche. Ils ont embrassé la paix grâce à leur patrimoine. Ces moments m’ont montré que les objets culturels ne sont pas des reliques, mais des points d’ancrage vivants pour l’identité et la guérison.

Nous ne nous sommes donc pas contentés d’exposer des objets, nous leur avons donné vie. Les communautés les ont touchés, ont partagé leurs histoires et les ont utilisés pour affronter des questions douloureuses telles que les violences ethniques, les conflits fonciers et même les mutilations génitales féminines.

À Machakos, une région de l’est du Kenya, les paroles d’un élève m’ont frappé :

Je ne savais pas que nous avions autant en commun avec nos voisins. Cela m’a redonné foi en l’humanité.

Les objets ont suscité l’empathie et la confiance, ce qui a donné des résultats concrets : le retour du bétail, la réouverture des marchés et la mise en place de partenariats avec les autorités locales.

Le Djidji Ayôkwé et la guerre civile

Le Djidji Ayôkwé porte la même promesse pour la Côte d’Ivoire, un pays qui se remet encore de deux guerres civiles dévastatrices.

La première, de 2002 à 2007, a opposé les rebelles du nord aux forces gouvernementales du sud. Elle était alimentée par des tensions ethniques et régionales. La seconde, de 2010 à 2011, a éclaté après une élection contestée, faisant plus de 3 000 morts et creusant les divisions entre les groupes ethniques tels que les Ebrié, les Baoulé et les Dioula.

Le tambour, voix sacrée des Ebrié, a été réduit au silence pendant la période coloniale. Cette perte fait écho au silence imposé aux communautés pendant les conflits. Son retour offre une chance de restaurer cette voix et de favoriser l’unité et la réconciliation, comme nous l’avons vu lors de l’exposition au Kenya.

Le tambour, qui était autrefois une force unificatrice lors des rassemblements des Ebrié, peut devenir un symbole de paix. Une cérémonie de bienvenue organisée par la communauté, en collaboration avec les anciens, les jeunes, les artistes et les historiens ébriés, pourrait marquer son retour par des rituels, de la musique et des récits, pour renouer avec sa fonction de voix de la communauté.

La cérémonie au Musée du quai Branly.

Des dialogues sur sa signification, ses chants, ses silences et ses histoires pourraient contribuer à combler les divisions ethniques, en invitant des groupes tels que les Baoulé et les Dioula à participer au processus de guérison. A l’image des Journeys of Peace, on pourrait faire découvrir le tambour aux régions touchées par les conflits, en intégrant des récits oraux et des performances afin d’en faire un emblème vivant de paix. Ces rencontres pourraient offrir un espace pour traiter les tensions persistantes, comme les disputes foncières ou la méfiance entre communautés.

L’inclusion, pierre angulaire de Journeys of Peace, est essentielle pour la Côte d’Ivoire. Les femmes, souvent gardiennes de la culture, et les jeunes, qui ont grandi dans le sillage de la guerre, doivent être au cœur de ces efforts.

En intégrant le tambour dans les programmes éducatifs, les ateliers de consolidation de la paix ou les festivals culturels, la Côte d’Ivoire peut donner à ces groupes les moyens de reconstruire une identité nationale commune. Comme nous l’avons appris au Kenya, quand une communauté s’approprie son patrimoine – en le touchant, en l’écoutant, en y ajoutant sa touche – elle renforce sa capacité à agir et à réconcilier au-delà des divisions.

Le rapatriement pour la guérison et l’autonomisation

Le retour des Djidji Ayôkwé s’inscrit dans un mouvement plus large visant à réparer les injustices coloniales liées au pillage d’objets culturels, des bronzes du Bénin aux trésors royaux de l’Éthiopie.

Journeys of Peace m’a appris que la restitution ne se résume pas à rendre des objets. Il s’agit de leur redonner le pouvoir de transformer des vies.

Participer à l’exposition m’a montré que le patrimoine culturel est une force pour le présent, et pas seulement un souvenir du passé. Au Kenya, nous avons appris que lorsque les objets sont mis en valeur, ils font plus que nous rappeler qui nous étions. Ils nous révèlent aussi qui nous pouvons devenir.

The Conversation

Timothy Gachanga a été chef de projet pour l’exposition Journeys of Peace (JoP), soutenue par la Fondation suédoise par l’intermédiaire de l’ONG suédoise Cultural Heritage without Borders (CHwB). L’auteur reconnaît la collaboration avec la co-chef de projet Diana Walters et les conservateurs du CPMHF. Aucun autre conflit d’intérêts n’est déclaré.

ref. Le tambour sacré de Côte d’Ivoire revient : leçons du Kenya pour transformer des vies – https://theconversation.com/le-tambour-sacre-de-cote-divoire-revient-lecons-du-kenya-pour-transformer-des-vies-262845

Les éléphants font-ils des gestes délibérés pour demander quelque chose ? Notre étude répond par l’affirmative

Source: The Conversation – in French – By Vesta Eleuteri, PhD candidate, Universität Wien

Les éléphants sont connus pour leur intelligence, leurs forts liens sociaux et leur bonne mémoire. Mais communiquent-ils pour exprimer leurs intentions réelles ? Une nouvelle étude suggère que oui. Les recherches ont montré que les éléphants font parfois des gestes pour demander de la nourriture lorsqu’une personne est présente. Ils peuvent continuer à gesticuler s’ils ne reçoivent pas toute la nourriture. Ce sont des signes qui indiquent que les éléphants essaient de communiquer avec une intention précise.

Nous avons interrogé la doctorante Vesta Eleuteri, auteure principale de l’étude, pour comprendre ce que cela signifie et pourquoi c’est important.


Pourquoi avez-vous étudié la façon dont les éléphants utilisent les gestes pour communiquer ?

La plupart des recherches sur la communication portent sur leurs cris et leurs signaux chimiques, probablement en raison de leur ouïe et de leur odorat très développés. La communication gestuelle des éléphants est relativement peu étudiée. Il existe des descriptions d’éléphants utilisant une grande variété de gestes et d’expressions corporelles selon les contextes, ce qui suggère un rôle clé des gestes dans la communication des éléphants.

Cependant, la question de savoir si les éléphants utilisent de façon délibérée des gestes pour communiquer leurs intentions à d’autres n’a jamais été étudiée de manière systématique. Mes collègues et moi-même étudions la cognition et la communication des animaux afin de comprendre comment leurs capacités cognitives complexes ont évolué. C’est le sujet de cet article.

Dans notre étude menée par l’université de Vienne en collaboration avec l’université de St Andrews, l’université de Portsmouth et la City University of New York, nous montrons que les éléphants en semi-captivité utilisent intentionnellement de nombreux gestes différents pour demander à un humain de leur donner des pommes (leur objectif).

Nous avons découvert que les éléphants utilisaient intentionnellement 38 types de gestes différents. Les éléphants continuaient à gesticuler lorsqu’ils n’obtenaient que la moitié des pommes (objectif partiellement atteint), tandis qu’ils changeaient de gestes lorsqu’ils n’obtenaient aucune pomme (objectif non atteint). Ces deux comportements montrent qu’il s’agit d’une communication intentionnelle.

Pourquoi est-il important de savoir si leur communication est intentionnelle ?

La capacité à communiquer intentionnellement des objectifs à l’aide de divers gestes pourrait aider les éléphants à gérer leur vie sociale complexe. En montrant que les éléphants en semi-captivité font des gestes intentionnels à l’intention des humains en utilisant de nombreux types de gestes différents, notre étude s’appuie sur des preuves que cette capacité n’est pas propre aux primates. Elle est apparue à plusieurs reprises au cours de l’évolution.

Nous considérons ici l’intentionnalité comme une « intentionnalité orientée vers un but », c’est-à-dire la capacité à communiquer à autrui les objectifs que nous avons en tête. Cette capacité était autrefois considérée comme une compétence propre à l’être humain. Aujourd’hui, nous savons que tous les autres singes et même certains autres primates (bien que de manière moins flexible) communiquent intentionnellement en utilisant plus de 70 types de gestes différents pour communiquer de nombreux objectifs différents comme « viens ici », « donne-moi ça », ou « fais-moi la toilette ».




Read more:
Comment la sociabilité des éléphants les aide à survivre au braconnage


Chez les animaux non primates, ce genre de communication intentionnelle n’a été observée que chez quelques espèces comme le poisson guppy ou le cratérope écaillé. Mais dans ces cas, il ne s’agissait que d’exprimer un ou deux gestes pour un but spécifique comme dire “suis-moi.

Les éléphants sont des parents éloignés de l’être humain sur le plan évolutif. Notre dernier ancêtre commun remonte à plus de 100 millions d’années. Mais, comme les singes, ils sont très intelligents et vivent dans des sociétés complexes où ils entretiennent de nombreux types de relations (entre parents, alliés, amis et étrangers). De plus, il existe des descriptions d’éléphants utilisant de nombreux mouvements et expressions corporels variés dans des contextes différents. Par exemple quand ils se saluent, s’affilient, jouent entre eux ou même lorsqu’ils voyagent ensemble.

Quels gestes les éléphants ont-ils utilisés et comment savez-vous qu’ils étaient intentionnels ?

Les éléphants en semi-captivité tendaient souvent leur trompe ou la balançaient d’avant en arrière vers l’humain ou le plateau contenant les pommes. Cela montrait clairement qu’ils communiquaient leur envie d’avoir les pommes.

Gestes des éléphants.

Pour savoir si les éléphants utilisaient leurs gestes intentionnellement, nous avons appliqué les critères comportementaux initialement élaborés pour étudier le développement de la communication intentionnelle chez les nourrissons humains. Ces critères sont les suivants : orientation vers le public, persistance et élaboration.

Les émetteurs doivent utiliser des gestes lorsqu’il y a un destinataire et de manière appropriée selon que celui-ci regarde ou non (orientation vers le public). Par exemple, si le destinataire ne les regarde pas, ils doivent utiliser des gestes tactiles plutôt que des gestes visuels que le destinataire peut ne pas voir.

Après avoir fait un geste, l’éléphant doit attendre la réaction du destinataire et, si celui-ci ne réagit pas comme il le souhaite, il doit continuer à faire des gestes (persistance) ou changer de gestes (élaboration) pour mieux se faire comprendre.

Prenons un exemple. Si je veux vous demander de me passer le sel (mon objectif), je dois d’abord vérifier si vous me regardez et, si c’est le cas, je peux tendre la main vers le sel (orientation vers le public). Si vous ne réagissez pas ou si vous me passez le mauvais objet, par exemple le poivre, je dois continuer à faire le geste (persistance) ou changer de geste, par exemple en pointant vers le sel pour clarifier que je veux que vous me passiez le sel (élaboration).

Vous avez travaillé avec des éléphants semi-captifs. Les éléphants sauvages agissent-ils de la même manière ?

Nous et de nombreux autres experts en éléphants avons observé à maintes reprises sur le terrain des éléphants sauvages faisant des gestes apparemment intentionnels les uns envers les autres (et même envers nous !). Néanmoins, nous ne pouvons pas confirmer leur capacité à gesticuler intentionnellement sur la base de nos seules observations. La science est là pour tester systématiquement, à l’aide de données, les intuitions ou les impressions que nous tirons de nos observations.

Il serait intéressant d’étudier si les éléphants sauvages utilisent les mêmes gestes que ceux que nous avons observés chez ce groupe en semi-captivité. Il en va de même pour déterminer si différents groupes ou populations d’éléphants utilisent des gestes différents. D’après des descriptions précédentes, les éléphants sauvages semblent utiliser intentionnellement certains des gestes que nous avons observés (mouvements de la trompe). Mais peut-être n’utilisent-ils pas certains des gestes « plus créatifs » comme celui consistant à « souffler une feuille en l’air » que notre éléphant Pfumo aimait tant faire ?

Quelle est la suite de vos recherches ?

Nous voulons tester systématiquement si les éléphants sauvages utilisent intentionnellement des gestes entre eux, décrire le répertoire de leurs gestes intentionnels et les objectifs (significations) pour lesquels ils utilisent ces gestes (peut-être qu’ils veulent dire : « viens avec moi », « éloigne-toi », « arrête ça »). Nous avons collecté des milliers de vidéos sur deux populations d’éléphants en Afrique du Sud, que je suis en train de coder pour identifier les gestes et leur utilisation intentionnelle.

Il faudra du temps pour définir le répertoire et la signification des gestes intentionnels des éléphants. Mais nous espérons y parvenir un jour et comparer les gestes de différentes populations afin de comprendre si les éléphants peuvent avoir différents « langages gestuels ».

L’étude de la communication animale nous offre une « fenêtre » sur notre propre langage, sur notre esprit, car elle nous permet de comprendre ce qui rend le langage unique. Montrer que les animaux ont tant en commun avec nous permet aux gens de mieux les comprendre et de mieux prendre soin d’eux, ce qui est important pour leur conservation.

Plus important encore, l’étude de la communication animale est cruciale car elle nous permet de mieux comprendre les animaux. Si nous les connaissons mieux, nous pouvons prendre de meilleures mesures pour les protéger.

The Conversation

Vesta Eleuteri est affiliée à l’Université de Vienne et bénéficie d’un financement du Fonds autrichien pour la science (FWF) dans le cadre de la subvention « DK Cognition and Communication 2 » : W1262-B29 (10.55776/W1262).

ref. Les éléphants font-ils des gestes délibérés pour demander quelque chose ? Notre étude répond par l’affirmative – https://theconversation.com/les-elephants-font-ils-des-gestes-deliberes-pour-demander-quelque-chose-notre-etude-repond-par-laffirmative-262729