Source: The Conversation – in French – By Amani Braa, Assistant lecturer, Université de Montréal
En 2025, des mobilisations portées par la jeunesse ont éclaté du Maroc au Népal, en passant par Madagascar et l’Europe. Partout, une génération refuse le silence face à la précarité, la corruption et le manque de démocratie.
Nées dans des contextes très différents, ces colères rencontrent pourtant les mêmes réponses : répression, mépris, et suspicion envers une jeunesse jugée irresponsable.
Mobilisation sur plusieurs continents
Au Maroc, le mouvement #Gen212, né sur les réseaux sociaux, dénonce la vie chère, les violences policières, le musellement de la société civile et l’absence de perspectives. Cette mobilisation, d’abord numérique sur des plates-formes telles que Discord, a rapidement débordé les écrans pour s’incarner dans des actions concrètes dans plusieurs villes du pays.
À Madagascar, c’est dans un climat de fortes tensions préélectorales que la jeunesse est descendue dans la rue pour réclamer un véritable changement dès la fin du mois de septembre, avant d’être violemment réprimée. Au Népal, des milliers de jeunes occupent l’espace public, exigeant une démocratie authentique et la fin de la corruption qui mine le pays.
En Europe aussi, la jeunesse se mobilise face aux dérives autoritaires et aux inégalités persistantes. En Italie, en France ou en Espagne, les jeunes descendent dans la rue contre les violences sexistes, les réformes impopulaires, les répressions policières ou encore pour la reconnaissance des droits politiques.
Malgré la diversité des contextes, ces mobilisations traduisent une même volonté : refuser l’injustice et faire entendre des voix trop souvent marginalisées.
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Ces mouvements sont souvent traités comme des élans émotionnels passagers, alors même qu’ils expriment des revendications politiques structurées : plus de justice sociale, de liberté, de sécurité économique, d’accès à la dignité et à la participation.
Pourtant, la réponse des États semble suivre un autre chemin : celui du durcissement. Les jeunes manifestants et manifestantes sont surveillés, arrêtés, stigmatisés, parfois accusés de trahison ou d’être manipulé par des puissances étrangères.
Au Maroc, par exemple, depuis septembre 2025, près de 2500 jeunes ont été poursuivis, dont plus de 400 condamnés — parmi eux 76 mineurs. Les chefs d’accusation incluent la « rébellion en groupe », l’« incitation à commettre des crimes » ou encore la participation à des rassemblements armés. Plus de 60 peines de prison ferme ont été prononcées, certaines allant jusqu’à 15 ans.
Cette judiciarisation massive d’un mouvement pacifique a été dénoncée par Amnesty International, qui pointe un usage excessif de la force et une criminalisation croissante de la protestation.
À Madagascar, la réponse a été tout aussi brutale : au moins 22 morts, plus de 100 blessés et des centaines d’arrestations arbitraires recensées lors des mobilisations de la jeunesse contre la corruption et les irrégularités électorales. Selon les Nations unies, les forces de l’ordre ont eu recours à des balles en caoutchouc et à des gaz lacrymogènes pour disperser les foules. La crise a culminé avec la fuite du président Andry Rajoelina, confirmant que cette répression n’a pas désamorcé le conflit, mais révélé la fragilité des institutions face à une jeunesse politisée.
Un discours qui renvoie à la responsabilité des parents
Les jeunes interpellés lors des récentes mobilisations ont souvent été renvoyés à la responsabilité parentale dans un discours profondément moralisateur. Au Maroc, par exemple, le ministère de l’Intérieur a appelé les parents à surveiller et encadrer leurs enfants. Que ce soit en Indonésie, aux Philippines, au Pérou, ou au Népal, les autorités ont régulièrement appelé les parents à surveiller, encadrer ou retenir leurs enfants, déplaçant ainsi le conflit politique vers la sphère familiale.
Ce mouvement illustre ce que la chercheuse Fatima Ahdash nomme la « familialisation » du politique : au lieu de traiter les causes sociales, économiques et idéologiques des mobilisations, les gouvernements dépolitisent, individualisent et privatisent les contestations en en faisant un problème d’éducation domestique. Les familles deviennent alors le prisme par lequel les conduites politiques des jeunes sont interprétées, évaluées, et parfois sanctionnées.
Ce réflexe répressif n’est pas nouveau, mais il prend aujourd’hui une ampleur inédite dans un contexte global de fragilisation démocratique et de recentrage autoritaire du pouvoir, marqué par la restriction des libertés, le contrôle de la contestation et la criminalisation des mouvements sociaux. Les États adoptent une posture défensive, percevant l’engagement de la jeunesse non comme une ressource civique, mais comme une menace à neutraliser. Ce durcissement révèle un malaise plus profond : une génération qui refuse de se satisfaire de promesses creuses et de compromis imposés, face à des pouvoirs qui peinent à reconnaître la légitimité de sa colère et de ses aspirations.
Des réflexes répressifs pour faire taire la critique
La répression, en réponse à la critique, devient alors une manière d’éviter la remise en question. Mais cette stratégie est de plus en plus fragile. D’abord parce qu’elle nie la légitimité des colères exprimées. Ensuite, parce qu’elle ignore une réalité de fond : ces colères sont ancrées dans des expériences collectives de déclassement, de discrimination, d’impuissance politique. Ce ne sont pas des colères vides. Elles expriment une demande de transformation — sociale, politique, environnementale — que les institutions peinent à saisir.
Contrairement aux mobilisations comme les « printemps arabes » de 2011, les mobilisations actuelles portées par la génération Z sont horizontales, sans leaders identifiables, décentralisées et ancrées dans l’urgence du présent. Elles naissent sur les réseaux, s’organisent en micro-cellules autonomes, rejettent les récits idéologiques structurants, et privilégient une politique du quotidien : refus de la précarité, dignité immédiate, justice concrète. Leur esthétique est fluide, empruntant aux codes numériques — memes, mangas, remix visuels — et leurs formes circulent par affinités d’émotions plus que par imitation. Ce qui les rend insaisissables pour les pouvoirs, mais puissamment virales.
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Ces mobilisations activent des émotions politiques (la colère, mais aussi l’espoir), des langages nouveaux, des pratiques numériques, et des formes d’engagement souvent en dehors des partis traditionnels. Un élément visuel fédérateur revient sans cesse : le drapeau noir à tête de mort coiffée d’un chapeau de paille, symbole tiré du manga One Piece. Plus qu’un clin d’œil à la pop culture, ce Jolly Roger incarne une soif de justice, de liberté et de révolte partagée par une jeunesse globalisée, de Katmandou à Rome.
En Serbie, par exemple, début 2025, un soulèvement étudiant sans leader visible a rassemblé des milliers de personnes autour d’un mot d’ordre simple : plus de démocratie. Le mouvement s’est étendu à d’autres générations, sans parti ni hiérarchie, défiant un gouvernement qui a tenté d’étouffer la contestation par la force et la stigmatisation. De leur côté, les jeunes de Cuba Decide mobilisent sur les plates-formes numériques pour exiger un référendum démocratique, malgré une surveillance constante. Grâce à des outils chiffrés et des alliances à l’étranger, ils déjouent la censure et amplifient leurs voix au-delà des frontières.
La criminalisation de la jeunesse et des mobilisations peut certes ralentir les élans, mais elle ne résout rien. Elle dégrade le contrat social, alimente le désenchantement politique, et renforce la polarisation. Plus encore, elle risque de transformer des revendications réformistes en posture de rupture.
Les mobilisations récentes nous rappellent une évidence : les jeunes ne sont pas « l’avenir », mais des acteurs politiques du présent. Et ce que les gouvernements devraient entendre, ce n’est pas seulement le bruit de la contestation, mais la clarté des demandes : justice, dignité, représentativité, avenir.
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Amani Braa a reçu des financements des Fonds de Recherche du Québec – Sociétés et Culture (FRQ-SC).
– ref. De Katmandou à Casablanca : la révolte d’une génération sous surveillance – https://theconversation.com/de-katmandou-a-casablanca-la-revolte-dune-generation-sous-surveillance-268837






