Ukraine : la guerre cognitive russe

Source: The Conversation – in French – By Christine Dugoin-Clément, Analyste en géopolitique, membre associé au Laboratoire de Recherche IAE Paris – Sorbonne Business School, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, chaire « normes et risques », IAE Paris – Sorbonne Business School

Au-delà de la confrontation militaire, la guerre en Ukraine se déploie dans le domaine numérique et dans l’espace informationnel. Une véritable guerre cognitive est en cours.


Le 10 mai 2025, suite à la mise en place de la « coalition des volontaires », Emmanuel Macron, Keir Starmer et Friedrich Merz se sont rendus à Kiev en empruntant un train de nuit depuis la Pologne. Les images issues de ce voyage nocturne ont été l’occasion pour la Russie de lancer une nouvelle campagne de désinformation visant la France : le président Macron y était présenté comme un cocaïnomane, car on l’y voyait en train de ranger un mouchoir – un mouchoir que les initiateurs de cette fake news, reprise notamment par Maria Zakharova, porte-parole du ministère des affaires étrangères, présentaient comme étant en réalité un sachet de cocaïne. Cette attaque, loin d’être la première du genre, a contraint l’Élysée à publier un démenti cinglant sur son compte X.

Dans le même temps, la Russie ne néglige pas le théâtre national : le premier adjoint du chef de l’administration présidentielle, Sergueï Kirienko, a mis en place le projet dit des « Architectes sociaux », qui lui permet de disposer d’un réseau de technologues politiques à travers toute la Fédération de Russie.

Au niveau international, l’ingérence russe est un outil de conflictualité qui, parce qu’elle cible les prises de décision et les perceptions humaines, est mobilisée au travers de la guerre cognitive qui sert ici les objectifs de guerre russes. L’importance de la guerre cognitive est telle que les Occidentaux qui travaillent à définir des doctrines sur ce sujet.

Si l’on analyse beaucoup les mouvements sur la ligne de front, on souligne moins le fait que, par sa résistance à Moscou, l’Ukraine montre au reste du monde qu’il est possible de s’opposer avec vigueur aux visées du Kremlin, ce qui nuit à l’image d’invincibilité que le Kremlin cherche à projeter. Cette résistance pourrait se résumer en un mot ukrainien : « воля » (volia) qui a le double sens de « volonté » et de « liberté ».

Les attaques informationnelles russes : formater la pensée et bloquer la capacité de décision

En matière informationnelle, la Fédération de Russie peut s’appuyer sur le long héritage des « mesures actives » soviétiques. Ces mesures, après la chute de l’URSS, ont fait l’objet de diverses évolutions ; l’invasion massive de l’Ukraine entamée en février 2022 a été l’occasion d’une mise à jour des approches, mais aussi des processus et des modes de gouvernance de cet aspect de la confrontation avec l’Occident.

On a ainsi pu voir la Russie s’adapter à différentes plates-formes et, notamment, suivre les internautes des unes vers les autres, notamment lors de la migration de nombreux utilisateurs de X vers Bluesky. Les spécialistes russes ont aussi su adopter les nouvelles techniques permises par l’IA, notamment en produisant des deepfakes (ou hypertrucages) très réalistes, ainsi que de nombreux textes destinés à être relayés sur les réseaux sociaux, y compris des contrefaçons d’articles parus sur des sites occidentaux.

Les IA génératives ont également été infiltrées et peuvent, suite à une massification des contenus de désinformation russes incorporés à leurs bases de données, diffuser de la désinformation.

Cette débauche de moyens, dont le coût financier a singulièrement baissé avec le développement de la technologie, a plusieurs finalités qui se regroupent en un objectif général : d’une part, déployer une stratégie du chaos impactant directement le libre arbitre en général ; et, d’autre part, influencer la perception des décideurs afin, selon les cas, qu’ils hésitent à s’opposer aux objectifs du Kremlin ou qu’ils soient confortés dans leur volonté de les soutenir.

Dès lors, ce qui pourra permettre un maintien du libre arbitre et sa manifestation lors des processus électoraux par des votes ne s’alignant pas avec les candidats favorables à Moscou sera un obstacle à la finalité d’influence poursuivie par la Russie. Ce type de tentative d’ingérence a pu être observée à de multiples reprises, même si cela ne doit pas cacher l’existence de votants sensibles aux programmes portés par des partis radicaux pouvant être alignés avec l’approche idéologique du Kremlin.

La stratégie russe ne se contente pas de faire passer des contenus partiellement ou totalement faux pour vrais ; elle instrumentalise également des informations avérées de façon à les présenter sous un jour favorable aux intérêts russes, avant de noyer ses cibles sous une masse d’informations dont il devient difficile de trier le vrai du faux. Résultat : on a pu passer d’une étape visant à faire croire du vrai à une seconde visant à pousser les cibles à ne plus croire en rien.

L’approche informationnelle russe se déploie également sur plusieurs lignes temporelles : elle peut être extrêmement opportuniste et se saisir d’un événement sensible ou clivant pour un groupe social donné, faisant de la Russie un sujet de préoccupation constant pour les services de renseignement, notamment intérieurs. Par ailleurs, en usant d’agents jetables, la Fédération continue de semer le trouble par exemple en participant à faire croire à une montée de dégradations de véhicules commises par des militants écologistes pour attiser le sentiment anti-Verts en Allemagne, mais elle peut aussi travailler sur le temps long pour influencer en profondeur les perceptions du monde des individus et des groupes.

Maintenir la pression sur les élections

Les séquences électorales font l’objet d’une attention particulière de la machine informationnelle russe, qu’il s’agisse de truquer directement les résultats ou de procéder, durant les campagnes, à des ingérences visant à influencer les votes. Ces pratiques sont bien connues, même si elles ne sont pas toujours contrecarrées.

Mais d’autres approches sont aussi mises en place, qui visent à dégrader la légitimité des structures d’observation. La Russie déploie ainsi de fausses missions d’observation des élections, parallèles à celles menées par les organismes traditionnels. À cette occasion, de faux observateurs, ou des observateurs partiaux, rendent des avis conformes aux récits souhaités par le Kremlin.

Ces « pseudo-observateurs » sont recrutés dans différents pays, y compris des États membres de l’UE. En ce sens, ils profitent de la légitimité accordée par le grand public à ces missions d’observation électorale souvent mal connues. Ces organisations de fausses observations électorales ont notamment pu être observées en Géorgie pendant les législatives de 2024.

« Volia » : un concept à l’opposé de l’influence russe

C’est ici que l’Ukraine prend une importance capitale dans la guerre informationnelle. Le pays a fait le choix d’adhérer à un modèle de société européen, dépeint par Moscou comme « décadent » en comparaison du sien – lequel est supposé protéger les « valeurs traditionnelles », mais aussi incarner l’ordre, à l’opposé du chaos qui serait la marque de fabrique des Européens. L’Ukraine paie le prix du sang, depuis maintenant plus de trois ans, pour avoir refusé d’adhérer au monde russe « Russkyi Mir », concept polymorphe qui se décline en des dimensions géopolitique, idéologique et sociétale.

Aux yeux de Moscou, remettre l’Ukraine au pas permettrait de prouver la supériorité du modèle russe. La russification opérée dans les territoires occupés a pour finalité de donner l’impression que ces populations sont heureuses de faire partie de la Russie et donc d’adhérer à ce même modèle. Ce supposé engouement serait la preuve de l’attrait du modèle social russe et soutiendrait la proposition selon laquelle Moscou peut représenter une alternative crédible au modèle occidental dans son ensemble. Devenir une alternative crédible permet à Moscou de prendre du poids au niveau international et de remettre en cause les règles de droit international qu’elle ne respecte pas et qu’elle aimerait voir changer, notamment au sein des instances internationales.

L’Ukraine pose un problème de nature ontologique, si l’on s’attache à une approche conceptuelle de l’ingérence russe. Ce problème se résume en un petit mot, « volia ». En ukrainien, ce mot à un double sens. Il signifie tout à la fois « volonté » et « liberté », la volonté ne pouvant s’entendre que comme libre, ne nécessitant pas de le préciser comme dans la notion de libre arbitre. Ce concept vient en opposition à la volonté de maîtrise et d’influence russe sur l’Ukraine.

La volonté russe de nier l’existence de l’Ukraine répond donc à des considérations multiples : imposer un choix de société que l’on présentera aux opinions des pays africains mais aussi du Moyen-Orient comme étant plus séduisant que le modèle occidental et européen ; participer à changer les règles du droit international ; et réaliser une projection de puissance en s’appuyant sur la force militaire, ce qui permettra de faire oublier que la Russie aura buté sur l’invasion de l’Ukraine pendant – au moins – plus de trois ans.

Une guerre cognitive

Le terme de « guerre hybride », bien que faisant débat dans la communauté académique, a été largement utilisé depuis le début de la guerre dans le Donbass en 2014. Ce concept s’appuie notamment sur des écrits de Franck Hoffman, datant de 2007, qui décrivaient alors les méthodes employées par Israël lors de la guerre du Liban en 2006.

Plus récemment, la notion de « guerre cognitive » a refait surface pour décrire les nouvelles modalités de la conflictualité moderne, mêlant guerre traditionnelle et actions informationnelles mais aussi économiques visant à affaiblir un adversaire pendant, et même avant le déclenchement de l’affrontement cinétique – ce qui ne va pas sans rappeler le fameux Art de la guerre, de Sun Tzu, qui affirmait qu’il était possible de gagner le combat avant même de le mener.

Là encore, le concept de guerre cognitive a fait l’objet de multiples débats. Au cours des années, il a été employé pour désigner divers types d’actions, incluant aussi bien les opérations psychologiques, ou PsyOps renommées Military Information Support Operations (MISO) à l’Ouest, quand on parlait plus volontiers de mesures actives à l’Est, ces dernières s’appuyant sur la fameuse Maskirovka, c’est-à-dire l’art de la duperie russe, puis sur les théories du contrôle réflexif.

In fine, on parle en Russie de « guerre non linéaire » qui consiste à mêler moyens miliaires et non militaires pour atteindre les objectifs. Lors d’un discours prononcé devant l’Académie des sciences militaires en 2019, Sergueï Choïgou, alors ministre de la défense, affirmera même la primauté des mesures non militaires sur la puissance militaire.

La guerre cognitive reste un concept flou pour les Occidentaux, qui le définissent, au sein de l’Otan, comme « des activités menées en synchronisation avec d’autres instruments de puissance, afin d’influer sur les attitudes et les comportements, en influençant, en protégeant ou en perturbant la cognition d’un individu, d’un groupe ou d’une population, afin d’obtenir un avantage sur un adversaire ».

La Russie semble le comprendre de manière encore globale et ontologique : ses opérations informationnelles visent différents niveaux de la société (allant de l’individu aux différents types de groupes), mais également différents niveaux d’activité humaine (économiques, politiques, sociétaux, culturels, etc.).

L’exemple des étoiles de David peintes sur les murs de Paris peu après les attaques du 7 octobre 2023 par des ressortissants moldaves engagés par les services russes en fournit une bonne illustration. Ces agents sont qualifiés de « jetables » car ils sont recrutés et payés pour l’occasion afin de réaliser des actions simples dans le monde physique en n’ayant que peu, voire pas, d’attache avec le Kremlin. Cette action était ensuite facile à utiliser dans la sphère informationnelle et à amplifier numériquement. De plus, des personnes de bonne foi pouvaient observer ces graffitis, bien réels, ce qui donnait une crédibilité et une existence à une action pourtant créée de toutes pièces afin de déstabiliser la société française.

La guerre cognitive est aujourd’hui un concept encore en cours de définition. Si elle implique l’usage de stratégies destinées à mener des attaques sur les cognitions humaines, elle ne peut cependant se limiter à cette approche. Elle doit être pensée dans une perspective plus vaste, d’ordre ontologique. Cela suppose de prendre en compte les domaines dans lesquels ses actions peuvent se déployer, et les fondements sur lesquels elle s’appuie. L’objectif de ces actions est de perturber, de détourner, voire de tordre la prise de décision – un processus qui, par essence, devrait rester libre, comme le suggère le terme « volia ».


Cet article a été co-écrit avec Dmitro Zolotukhin.

The Conversation

Christine Dugoin-Clément ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Ukraine : la guerre cognitive russe – https://theconversation.com/ukraine-la-guerre-cognitive-russe-258506

Polanyi, pour mieux comprendre ce qui nous arrive

Source: The Conversation – in French – By Nicolas Postel, Professeur de Sciences Economiques- Titualire chaire Socioeconomie des communs, Université de Lille

Pour Karl Polanyi, le marché n’est pas une structure abstraite, il est encastré dans la société. (_Le Marché et la fontaine des Innocents en 1855_, de Fédor Hoffbauer [1839-1922]). Fédor Hoffbauer/Wikimedia Commons, CC BY

Économiste, sociologue, mais aussi philosophe, Karl Polanyi est un penseur critique des excès du capitalisme des années 1920. Dans la Grande Transformation (1944), il décrypte le lien entre un capitalisme sans limite et les totalitarismes. Une œuvre à redécouvrir d’urgence, alors que l’on peut craindre que les mêmes causes produisent les mêmes effets.


Que nous arrive-t-il ? Pour de nombreux citoyens et chercheurs en sciences sociales, le début de l’année 2025 a été le temps d’une sidération, souvent refoulée. Les premiers mois du mandat de Donald Trump nous secouent d’autant plus que, dans le même, temps, jour après jour, les informations les plus alarmantes se succèdent sur l’accélération des effets du réchauffement climatique et de l’effondrement de la biodiversité. L’analyse que propose Karl Polanyi peut nous aider à sortir de cette sidération, en nous donnant des clés de lecture de la situation que nous vivons et des voies permettant de sortir de l’ornière.

Karl Polanyi (1886-1964) est un analyste extrêmement précieux des rapports problématiques qu’entretient notre système économique avec la société et la biosphère. Dans la Grande Transformation, son ouvrage majeur (1944), il propose à la fois une histoire du capitalisme et une mise en évidence de sa singularité à l’échelle du temps long de l’humanité.

Le capitalisme constitue en effet une réponse très singulière à la question économique – question dont aucune société ne peut s’affranchir et que Polanyi définit comme : un « procès institutionnalisé d’interaction entre l’homme et son environnement qui se traduit par la fourniture continue des moyens matériels permettant la satisfaction des besoins ».

Trois bouleversements

À première vue, cette définition peut sembler banale. Mais si on confronte cette définition à notre impensé économique, c’est bouleversant pour trois raisons :

(1) L’économie est un process institutionnalisé, cela nous dit clairement que la réponse que donne toute société à la question de la satisfaction des besoins (aux conditions de sa reproduction) est d’abord collective, sociale, politique. Il n’y a pas d’économie « avant » les institutions collectives. Exit donc, nos illusions sur l’économie comme étant le lieu d’une émancipation par l’égoïsme rationnel ! Il n’y a, à l’origine, ni Homo œconomicus, ni concurrence libre et non faussée, ni loi de marché. L’économie est d’abord et toujours une question d’institutions et donc de choix collectifs et politiques. Là se joue la liberté des acteurs : participer à la construction des institutions qui forment une réponse collective à la question de la vie matérielle.




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(2) Un process « entre l’homme et son environnement » : cette définition pose ici immédiatement la question de l’insertion de la communauté humaine dans la nature, dans la biosphère, dans son lieu de vie. Seconde surprise, donc : la question écologique n’est donc pas « nouvelle »… C’est même la question fondatrice de l’économie pour Polanyi.

(3) Il s’agit de satisfaire « des besoins » et non pas des désirs insatiables d’accumulation… Là encore, cette dimension substantive de l’économique nous est devenue invisible, enfouie sous un principe d’accumulation illimitée qui nous a fait oublier la question de « ce dont nous avons vraiment besoin », au point paradoxalement de conduire nos sociétés contemporaines à assurer le superflu mais plus le nécessaire. Nous sommes, de fait (c’est ce que nous indique le franchissement des « limites environnementales »), sortis d’une trajectoire de reproductibilité des conditions de vie authentiquement humaine sur terre, alors même que nous accumulons des biens et services inutiles.

Marché autorégulateur

Cette sortie de route est un effet pervers du déploiement, depuis la révolution industrielle, d’un système de marché autorégulateur qui sert de base au mode de production capitaliste. C’est le second apport de Polanyi. Pendant des millénaires, la communauté humaine est parvenue à se reproduire de manière résiliente en pratiquant des formes d’économie socialement encastrées et cohérentes avec notre milieu de vie.

Polanyi repère ces formes sociales d’économie : l’économie domestique (autarcique) du clan ; la réciprocité entre les différentes entités progressivement mises en relation et pratiquant de manière ritualisée du don contre don ; la redistribution qui se met en place à un stade plus avancé de communautés humaines organisées autour d’un centre puissant et légitime, habilité à prélever des ressources et à les repartir, selon des critères considérés comme justes, entre les différents membres de la communauté… et le commerce, ou marché-rencontre, aux marges de la société (le mot donnera marché) dans lequel les acteurs diversifient leur consommation et négocient de gré à gré, en dehors de toute logique concurrentielle, le « juste prix ».

Ces formes économiques insérées, mises au service de la société, sont balayées par le capitalisme. Lorsque le phénomène industriel émerge et, avec lui, la promesse de l’abondance, il apparaît très clairement nécessaire de plier la société aux besoins de l’industrie. Il faut alimenter la machine productive en flux continu de travail, de matière première, et de financement permettant l’investissement. Pour que cette dynamique capitaliste fonctionne, il devient donc « nécessaire » de traiter le travail (la vie humaine), la terre (la biosphère) et la monnaie de crédit (indispensable à l’investissement) comme s’ils étaient des marchandises « produites pour être vendues ». C’est nécessaire, mais c’est faux, évidemment.

La société au service de l’économie ou l’inverse

Là est le mythe fondateur de nos sociétés qui se comprend assez vite dans les expressions désormais courantes : « ressources humaines », « ressources naturelles », « ressources monétaires ». Mais ressources pour qui ? pour quoi ? Pour la production de richesse ! Voilà ce qui constitue une inversion remarquable : la société et son environnement naturel se voient artificiellement « mises au service » de l’économie… et non l’inverse. La biosphère et la société doivent se soumettre, enfin, à « la loi » de l’économie !

Ce mythe – souligne Polanyi – travaille et détruit la société si l’on ne prend pas garde de « protéger » la vie humaine, la nature et le monnaie de cette logique concurrentielle. C’est ce que vécut Polanyi : l’effondrement de la société viennoise de l’entre-deux-guerres et de sa vie intellectuelle brillante (Einstein, Freud, Wittgenstein, Hayek, Popper… sans parler d’écrivains comme Zweig ou Schnitzler) qui s’abîma en quelques mois, dans le nazisme.

Karl Polanyi, juif, dut fuir en Angleterre. Il passera sa vie à saisir les causes de cet effondrement. Il perçoit alors que le fascisme révèle au fond « la réalité d’une société de marché » : c’est le produit d’un libéralisme économique débridé. L’échec des contre-mouvements qui, au long du XIXe siècle, cherchèrent à limiter l’emprise du marché sur la société (les paysans attachés aux communaux, les artisans attachés au travail libre, puis les prolétaires à celle d’un respect des droits humains, les nations attachées à l’étalon-or…) se traduit par une crise sociale majeure.

Une réaction sociale convulsive

Dans cette société dominée par la concurrence de tous contre tous, chaque individu est renvoyé à son intérêt propre, désocialisé.
L’espace commun de délibération se réduit, s’étiole, disparaît. Mais la société ne disparaît pas : elle se régénère maladivement, de manière dysfonctionnelle non plus par la raison et l’existence d’un dessein commun, mais par le sang, la « race », et l’homme providentiel. Le totalitarisme, c’est cette réaction sociale, presque convulsive, maladive et qui est le symptôme d’une société disloquée sous l’effet du libéralisme.


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Polanyi pense, lorsqu’il présente cette analyse dans l’immédiat après-guerre, que cet effondrement appartient au passé. Les sociétés occidentales vont se reconstruire en pleine connaissance de cause. C’est le sens de la « grande transformation » (le titre de son livre) qui s’opère avec, notamment, les accords de Philadelphie (fondateurs, en 1944, de l’Organisation internationale du travail) qui actent la nécessité de « protéger » le travail contre la logique concurrentielle, et ceux de Bretton Wood qui actent la constitution d’un système monétaire international réduisant le rôle des marchés et plaçant la question du financement dans la main des États.

Les institutions collectives, politiques, reprennent la main sur l’économique et lui assignent des règles qui, partiellement, « dé-marchandisent » le rapport à la monnaie et au travail (mais pas à la nature). Le monde occidental connaît alors un cycle long de prospérité et de paix. Les Occidentaux voient leur qualité de vie augmenter au fur et à mesure que la production se déploie, grâce à la redistribution des gains de productivité, au point que hausse du PIB et hausse du bonheur finissent par se confondre dans l’esprit public… au détriment des rentiers qui voient leur avoir diminuer.

Réencastrement partiel

Mais ce réencastrement de l’économie dans la société est partiel. La sphère domestique continue d’être niée, la nature d’être pillée, le travail d’être aliéné dans son contenu (c’est la période taylorienne).

Au début des années soixante-dix, les détenteurs de patrimoine financier, lésés par l’État social, sonnent l’heure de la révolte, et parviennent à démanteler le système monétaire international et à réactiver la puissance des marchés financiers. Ceci tandis que les populations mondiales dénoncent l’épouvantable exploitation des ressources mondiales au seul profit de l’Occident et que les salariés dénoncent le taylorisme. Le compromis de l’après-guerre ainsi mis en critique s’étiole et laisse la place à une phase dite néolibérale. C’est cette phase de remarchandisation très rapide qui, aujourd’hui, nous amène au bord du gouffre.

Le néolibéralisme a débuté sa révolution par la remarchandisation de la monnaie et la redynamisation du pouvoir des marchés et des actionnaires, la seconde phase se traduit par la remarchandisation du travail (le droit du travail est allégé, les protections sociales affaiblies), et de la nature (marché de l’énergie, marché carbone, brevetabilité du vivant, accaparement foncier…). Cette remarchandisation, qui oublie totalement les leçons de l’histoire, nous conduit au bord d’un précipice écologique et social.

Monétairement, socialement, politiquement, écologiquement, tout notre système se fissure. Ces failles structurelles entraînent un immense désarroi social et… la résurgence de mouvements néo-fascistes, néonazis, nationalistes autoritaires… Selon une mécanique extrêmement proche de celle que décrit Polanyi. La crise politique de nos démocraties est donc d’abord une crise de notre économie, ou, plus précisément, de la pression qu’exerce l’économique (dans sa version marchande) sur le social et la biosphère.

BFM Business.

Retour aux sagesses anciennes ?

Au-delà du diagnostic, Polanyi nous donne des ressources pour agir. Il nous permet de percevoir la résilience des structures de « l’ancien monde » dans nos vies et nos économies. Les sagesses anciennes n’ont pas disparu : nous pratiquons à très grande échelle la redistribution, une large part de nos échanges sociaux est fondée sur la réciprocité (et notamment au sein de l’économie sociale et solidaire), et chacun sait l’importance vitale de notre foyer familial.

Nous vivons, des temps polanyiens, et ils ont leur part de noirceur. Mais, si l’on suit Polanyi, la liberté – celle qui consiste à choisir ensemble un horizon commun – est devant nous. Notre extraordinaire capacité de production – héritage indéniable du capitalisme – doit nous permettre de nous poser sereinement la question de nos besoins, et cela nous amènera à consommer moins !

Moins de nourriture, moins de psychotropes, moins de déplacements professionnels, et plus de temps libre : ce ne serait tout de même pas triste ! Polanyi ne nous propose pas de solutions clés en main, mais montre un chemin : retrouver le goût de la délibération collective et la défendre contre l’établissement d’un principe de concurrence généralisée – celui de la gouvernance actionnariale – qui détruit la société, nourrit le totalitarisme et se heurte violemment aux limites planétaires.

The Conversation

Nicolas Postel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Polanyi, pour mieux comprendre ce qui nous arrive – https://theconversation.com/polanyi-pour-mieux-comprendre-ce-qui-nous-arrive-257393

Virus « exotiques » dans l’Hexagone : que faut-il savoir du chikungunya ?

Source: The Conversation – in French – By Yannick Simonin, Virologiste spécialiste en surveillance et étude des maladies virales émergentes. Professeur des Universités, Université de Montpellier

Représentation en trois dimensions et fausses couleurs de particules virales similaires au virus chikungunya. National Institute of Allergy and Infectious Diseases (NIAID)

Depuis le début de l’été, un nombre record de cas autochtones d’infections par le virus chikungunya a été recensé dans l’Hexagone. Voici ce qu’il faut savoir de ce virus, propagé par les moustiques appartenant au genre Aedes, comme le moustique tigre Aedes albopictus.


Le virus chikungunya a été décrit pour la première fois en 1952 en Tanzanie, sur le plateau du Makonde. Son nom dérive du mot signifiant « se déformer » en langue kimakonde, parlée notamment dans le sud-est de la Tanzanie. Il décrit la façon dont la posture des malades, perclus de graves douleurs articulaires, se transforme durant la maladie.

Si la plupart des patients finissent par se rétablir complètement, ce virus est particulièrement dangereux pour les nouveau-nés et les personnes âgées. Dans un grand nombre de cas, il peut aussi être à l’origine de lourdes séquelles, notamment des douleurs articulaires ou une fatigue chronique. Ces dernières peuvent perdurer pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, dégradant la qualité de vie des personnes concernées.

Biologie et transmission

Le virus chikungunya (CHIKV) est un arbovirus, autrement dit un virus transmis par les arthropodes (« ARthropod-BOrne VIRUS, en anglais). Il s’agit d’un virus enveloppé avec comme génome de l’ARN.

Il est propagé par les femelles de différentes espèces de moustiques appartenant au genre Aedes. Les espèces d’Aedes le plus souvent responsables de sa transmission sont Aedes aegypti et Aedes albopictus, le tristement célèbre moustique tigre. Dans les régions rurales du continent africain, Aedes furcifer et Aedes africanus sont aussi impliqués, ainsi que plusieurs autres espèces d’Aedes.

Sur le continent africain, divers réservoirs animaux ont été identifiés (primates, rongeurs, oiseaux…), impliqués dans le cycle du virus. Le virus peut donc se transmettre de l’animal à l’être humain, ce qui en fait une zoonose.

Le bétail peut aussi être un réservoir, mais son rôle dans la transmission n’est pas clairement déterminé.

Une femelle de moustique tigre en train de prendre un repas de sang.
C’est lors du repas de sang des femelles moustique (ici une femelle moustique tigre) que le virus chikungunya est transmis.
CDC/ James D. Gathany

Si les moustiques du genre Aedes piquent toute la journée durant, ils sont toutefois plus agressifs en milieu de matinée et en milieu d’après-midi. Les risques de transmission de la maladie sont donc plus importants pendant cette période.

Lorsqu’une femelle moustique se nourrit sur un individu dont le sang contient le virus, ce dernier se multiplie dans l’organisme de l’insecte pendant une dizaine de jours, notamment dans son système digestif et ses glandes salivaires. Quand le moustique infecté pique une nouvelle cible, il lui injecte systématiquement sa salive, principalement pour empêcher la coagulation du sang et ainsi faciliter le repas sanguin. C’est de cette façon qu’il transmet le virus.

Une fois dans le sang de son nouvel hôte, le virus se multiplie à nouveau en quelques jours. Les moustiques qui piqueront l’individu nouvellement contaminé seront à leur tour infectés, poursuivant le cycle de transmission du virus… C’est ainsi qu’apparaissent des foyers de cas autochtones, voire des épidémies.

Lors des flambées humaines, c’est donc la transmission du virus d’une personne à une autre qui entretient l’épidémie. Une personne porteuse du virus peut le transmettre durant la phase « virémique » (lorsqu’il est présent dans le sang), soit un à deux jours avant le début des symptômes et jusqu’à sept jours après.

La contamination peut aussi se faire via une exposition au sang contaminé (transfusion, piqûre avec une aiguille contaminée, projection ou contact…). Par ailleurs, bien que rare, le virus peut aussi être transmis de la mère à l’enfant au cours de l’accouchement, avec de graves conséquences pour le nouveau-né.

Très fragile en dehors de son hôte, le virus chikungunya survit mal dans l’environnement. Il ne se transmet donc pas par des objets ou des surfaces contaminées, contrairement à bon nombre d’autres virus.

Symptômes

Selon les études, l’infection par le virus n’est asymptomatique que dans 5 à 40 % des cas. La majorité des personnes infectées développent donc des symptômes, contrairement à d’autres virus transmis par les moustiques comme la dengue ou le Zika.

Chez les personnes symptomatiques, les signes de la maladie débutent généralement d’un à douze jours après la piqûre d’un moustique infecté (en moyenne plutôt de deux à trois jours).

Atteinte de la main d’une jeune fille de 15 ans contaminée par le virus chikungunya, à Rome en 2017, en même temps que son frère de 21 ans.
Maria Laura Tini et Giovanni Rezza, « Morbilliform skin rash with prominent involvement of the palms in Chikungunya fever », IDcase Volume 13, 2018, e00421, CC BY

Cette fièvre s’accompagne de douleurs articulaires souvent sévères, qui touchent principalement les extrémités (mains et pieds, poignets, chevilles) ainsi que les genoux, et plus rarement les hanches ou les épaules. Ces douleurs sont principalement liées à l’inflammation consécutive à l’infection. Les patients présentent aussi souvent des maux de tête et des douleurs musculaires importantes (dans 70 % à 99 % des cas), ainsi qu’une éruption cutanée sur les membres et le tronc.

La plupart des malades se rétablissent complètement. La fièvre disparaît généralement en deux à sept jours, l’éruption cutanée en deux à trois jours et des douleurs articulaires en quelques semaines.

Cependant, chez certaines personnes, notamment les plus de 40 ans ou les personnes ayant des antécédents de maladies articulaires, une forme chronique de la maladie peut s’installer. Certains symptômes persistent alors. Les douleurs articulaires peuvent notamment perdurer jusqu’à plusieurs années après l’infection. Cette situation peut se révéler très invalidante au quotidien, d’autant plus qu’elle peut être associée à une fatigue chronique.

Certaines études évaluent qu’entre 30 % et 40 % des patients adultes symptomatiques présentent encore des douleurs articulaires persistantes au-delà de trois mois à six mois, tandis que 5 à 20 % des patients symptomatiques rapportaient encore ces symptômes deux ans après l’infection. Loin d’être anodines, ces atteintes chroniques peuvent donc représenter un très lourd fardeau sociétal, tant sur le plan sanitaire qu’économique…

Quelques cas occasionnels de complications oculaires, neurologiques (encéphalites, syndrome de Guillain-Barré) et cardiaques (myocardites) ont également été répertoriés.

Heureusement, les décès dus au chikungunya sont rares (entre 0,1 et 1 pour 1 000 cas symptomatiques). Ils concernent principalement des nouveau-nés, pour lesquels la maladie est très dangereuse, générant des problèmes neurologiques et cardiaques, ainsi que les personnes âgées ou souffrant de comorbidités (le virus aggravant les pathologies sous-jacentes).

À la suite de l’exposition au virus, notre organisme développe une immunité durable qui persiste généralement plusieurs années, voire plusieurs dizaines d’années. Dans de nombreux cas, la protection pourrait même durer toute la vie. Les cas décrits de réinfection sont très rares, ce qui suggère que cette immunité acquise est suffisante pour protéger la plupart des personnes exposées au virus.

Diagnostic et traitements

Les symptômes étant très proches de ceux d’autres virus, comme le virus de la dengue ou le virus Zika, le diagnostic peut s’avérer difficile à établir.

Le virus peut être détecté dans des échantillons sanguins par RT-PCR, durant la première semaine de la maladie. Ultérieurement (après le cinquième jour), l’infection peut aussi être confirmée par une recherche d’anticorps dirigés contre le virus.

Il n’existe pas de médicament antiviral contre le virus chikungunya. La prise en charge consiste à soulager les symptômes en administrant des antalgiques/antipyrétiques, comme le paracétamol, pour lutter contre les douleurs et les fièvres, ainsi que des anti-inflammatoires pour traiter les problèmes articulaires.

Micrographie électronique à transmission (TEM) représentant de nombreuses particules du virus chikungunya, composées d’un noyau central dense entouré d’une enveloppe virale. Chaque virion a un diamètre d’environ 50 nm.
Micrographie électronique à transmission (TEM) représentant de nombreuses particules du virus chikungunya, composées d’un noyau central dense entouré d’une enveloppe virale. Chaque virion a un diamètre d’environ 50 nm.
Cynthia Goldsmith/Centers for Disease Control and Prevention (CDC)/Wikimedia Commons

Depuis juin 2024, un vaccin contre le chikungunya, le vaccin Ixchiq du laboratoire Valneva, dispose d’une autorisation de mise sur le marché dans l’Union européenne. Il s’agit d’un vaccin vivant atténué : il contient une souche du virus chikungunya qui a été affaiblie en laboratoire et qui ne peut donc plus provoquer la maladie, mais qui peut stimuler le système immunitaire.

Mise en œuvre durant l’épidémie d’ampleur qui a touché La Réunion en 2025, la vaccination a été suspendue chez les sujets de 65 ans et plus, avec ou sans comorbidités. En effet, plusieurs cas d’effets indésirables graves ont été signalés dans cette tranche d’âge. Des investigations complémentaires sont en cours afin d’évaluer la balance bénéfice-risque chez les personnes âgées, et adapter les recommandations vaccinales en conséquence.

Épidémiologie

Le virus chikungunya a circulé pendant plusieurs décennies en Afrique, en Inde et en Asie, ainsi que dans l’océan Indien. C’est d’ailleurs l’épidémie qui a frappé La Réunion, de même que l’île Maurice, Mayotte et les Seychelles, en 2005-2006, touchant 38,2 % de la population réunionnaise, qui a participé à le faire connaître du public français.

Avant cette première grande épidémie, La Réunion n’était pas une zone de circulation du virus chikungunya, car Aedes aegypti, le moustique vecteur principal de ce virus n’y est pas implanté. Le moustique tigre Aedes albopictus y circulait en revanche, mais n’était pas connu pour transmettre le virus. On a découvert ensuite qu’une mutation lui avait permis de s’adapter à ce moustique, qui est devenu un nouveau vecteur. Désormais, plusieurs souches de virus chikungunya circulent, selon qu’elles sont adaptées à Aedes aegypti ou au moustique tigre. Depuis ce changement, l’aire du virus s’est considérablement modifiée.

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), depuis 2004, des flambées de chikungunya ont été signalées dans plus de 110 pays d’Asie, d’Afrique, d’Europe et des Amériques. Elles sont devenues plus fréquentes et plus étendues à mesure que les populations d’Aedes aegypti ou d’Aedes albopictus s’étendaient.

En outre, des adaptations permettant au virus d’être plus facilement transmis par le moustique tigre ont été détectées. Le fait que le virus ait été introduit dans des populations qui n’y avaient jamais été exposées (immunologiquement naïves) explique également l’augmentation de fréquence des flambées.

Situation en France

En France, le risque de transmission du virus chikungunya concerne à la fois les régions où Aedes aegypti est implanté, comme les Antilles (Guadeloupe, Martinique, Saint-Martin, Saint-Barthélemy) ou la Guyane, mais aussi dans celles où le moustique tigre (Aedes albopictus) circule, comme à La Réunion ou en France hexagonale. À Mayotte, qui abrite les deux espèces de moustiques, le risque est élevé, notamment en raison d’un climat tropical humide favorable.

On considère qu’environ 80 % des départements français rassemblent les conditions propices à l’émergence de la maladie, notamment en raison de l’expansion continue du moustique tigre dans l’Hexagone. Ce moustique y est bien établi : en janvier 2024, il était implanté dans 78 de ses 96 départements, non seulement dans le Sud, mais aussi en Île-de-France et jusque dans l’Est.

Des cas autochtones de chikungunya – liés à des infections sur le territoire et non à des voyageurs déjà infectés à leur arrivée – ont déjà été répertoriés par le passé en France hexagonale. Le tout premier cas autochtone de chikungunya dans l’Hexagone a été identifié à Fréjus, dans le Var, en septembre 2010. Depuis, plusieurs foyers sporadiques ont été signalés principalement dans le sud de la France, avec un foyer de 11 cas à Montpellier (Hérault) en 2014 ou encore de 17 cas dans le Var en 2017.

Le virus chikungunya s’était ensuite fait plus discret, mais, en 2024, un premier cas autochtone a été détecté en Île-de-France, où le moustique tigre s’est installé ces dernières années. L’année 2025 s’annonce comme une année record, portée par la circulation intense du virus à La Réunion, puis à Mayotte : début juillet, une trentaine de cas autochtones ont déjà été détectés dans l’Hexagone.

Conduite à tenir pour prévenir la maladie

À l’heure actuelle, le seul moyen de lutter contre la maladie est de se protéger des piqûres et de lutter contre les moustiques qui la propagent.

Pour éviter de se faire piquer, il faut porter des vêtements clairs (qui diminue l’attractivité visuelle et thermique pour les moustiques), amples et couvrants, utiliser des répulsifs cutanés et mettre en place des moustiquaires (autour de son lit, à ses fenêtres…).

Pour réduire le développement des larves de moustique, il est recommandé de vider tous les récipients d’eau stagnante, notamment les coupelles des pots de fleurs et les arrosoirs, et de couvrir les réceptacles d’eau de pluie, surtout en période de fortes précipitations.

Losqu’un cas d’infection est signalé, des opérations de démoustication sont menées à proximité des cas détectés, accompagnées d’actions de sensibilisation auprès du public et des professionnels de santé (collaboration entre les agences régionales de santé, Santé publique France et des agences de démoustication telles que Altopictus ou l’Entente interdépartementale de démoustication).

Des tests de contrôle des populations de moustiques vecteurs par des techniques comme celle de l’insecte stérile sont aussi en cours.

The Conversation

Yannick Simonin a reçu des financements de l’Université de Montpellier, de l’ANRS-MIE, de la région Occitanie et de l’Union européenne.

ref. Virus « exotiques » dans l’Hexagone : que faut-il savoir du chikungunya ? – https://theconversation.com/virus-exotiques-dans-lhexagone-que-faut-il-savoir-du-chikungunya-261034

Sénégal : la politique étrangère du tandem Faye-Sonko, rupture ou continuité ?

Source: The Conversation – in French – By Ayrton Aubry, Associate Doctor at Sciences Po, lecturer in International Relations, Sciences Po

Lors de la campagne présidentielle de mars 2024, le tandem d’opposition Bassirou Diomaye Faye – Ousmane Sonko, aujourd’hui au pouvoir (respectivement président et premier ministre), avait annoncé son souhait de mettre en place une politique de rupture, tant au niveau intérieur que dans les relations extérieures du Sénégal. Ces déclarations s’inscrivaient alors dans un registre plus général lié au néo-souverainisme et au néo-panafricanisme, qui ont le vent en poupe sur le continent depuis le début du XXIe siècle. Plus d’un an plus tard, un premier bilan montre que la diplomatie de Dakar n’a pas connu de réelle révolution.


Depuis l’arrivée au pouvoir de Bassirou Diomaye Faye, certaines mesures mises en place par le gouvernement de son fidèle allié Ousmane Sonko ont tranché avec les décisions prises sous la présidence de Macky Sall (2012-2024). Par exemple, le retrait définitif des militaires français du pays est prévu pour la fin du mois de juillet 2025, alors que cette question n’était pas à l’agenda du précédent président. Désormais coordonné entre la France et le Sénégal, le retrait français avait été annoncé le même jour que la dénonciation par le Tchad des accords de défense avec la France, le 28 novembre 2024, un timing qui avait été perçu négativement par Paris.

Le président Diomaye Faye et le premier ministre Sonko ont aussi cherché à se rapprocher des membres de l’Alliance des États du Sahel (AES) : le Niger, le Burkina Faso et le Mali. En mai 2025, Ousmane Sonko s’est rendu au Burkina Faso où, dans une interview donnée à la télévision nationale, avec une tonalité néo-panafricaine prononcée, il a tenu des propos critiques à l’encontre de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), qui célébrait alors son cinquantenaire sur fond d’interrogations existentielles.

Ousmane Sonko a par ailleurs rassuré les autorités burkinabées sur la solidité des relations avec le Sénégal. La semaine précédente, le ministre des forces armées du Sénégal, le général Birame Souleye Diop, était en visite au Niger, autre État membre de l’AES, pour renforcer la coopération sécuritaire.

Cette visite n’aurait pas eu lieu sous la présidence de Macky Sall, ce dernier s’étant déclaré prêt à participer à une action militaire conjointe avec la Cédéao (ce qui n’a finalement pas eu lieu) contre le régime issu du coup d’État militaire de 2023 au Niger.

Pour autant, peut-on dire que la politique étrangère du gouvernement sénégalais issu des élections de 2024 rompt brutalement avec celle de ses prédécesseurs ? Ne s’inscrit-elle pas plutôt dans la continuité de la diplomatie sénégalaise depuis l’indépendance du pays en 1960 ?

« Sénégal : chronique d’un basculement », Arte, 26 mars 2024.

Des principes structurants de la politique étrangère au Sénégal inchangés

Sur certains aspects très médiatisés, la rupture semble dominer dans la politique étrangère du Sénégal. Mais, en réalité, les continuités sont tout aussi importantes, même si elles sont moins mises en avant.

Les autorités sénégalaises maintiennent les grandes lignes diplomatiques qui caractérisent la diplomatie du pays depuis son indépendance : adhésion aux principes du multilatéralisme, promotion du dialogue, politique active de bon voisinage, diversification des partenariats stratégiques, etc. Les relations avec la France elles-mêmes sont plutôt caractérisées par une inflexion que par une rupture.

Ainsi du 16 au 20 juin 2025, une mission parlementaire sénégalaise s’est rendue en France, pour la première fois depuis 2013, à l’invitation du groupe d’amitié parlementaire Sénégal-France, pour rencontrer plusieurs députés français.

« Nous avons une idéologie souverainiste, panafricaniste. Nous voulons certes une rupture profonde, audacieuse et ambitieuse avec la France. Mais pas une rupture brutale »,

avait alors précisé Amadou Ba, le porte-parole du Pastef, le parti de la majorité présidentielle.

Le multilatéralisme est par ailleurs une priorité diplomatique du Sénégal depuis son indépendance. En plus des centaines de fonctionnaires internationaux de nationalité sénégalaise, plusieurs institutions multilatérales ont été dirigées par des Sénégalais, souvent avec des mandats marquants : Ahmadou Mahtar Mbow a dirigé l’Unesco entre 1974 et 1987, Jacques Diouf était le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) de 1994 à 2011, et l’ancien président de la république Abdou Diouf (1981-2000) a présidé l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) entre 2003 et 2015. Cet investissement dans le multilatéralisme n’a pas été perturbé par l’alternance politique survenue au Sénégal.

Présent à Séville lors de la quatrième Conférence internationale sur le financement du développement organisée par l’ONU, du 29 juin au 3 juillet 2025, le président Diomaye Faye a notamment réclamé, dans son discours, une meilleure intégration des États africains dans les institutions financières internationales.

Sur ce point, il poursuit la politique de son prédécesseur Macky Sall, qui avait tenu des propos similaires durant sa présidence de l’Union africaine (UA) de février 2022 à février 2023. Par ailleurs, Macky Sall avait contribué à faire progresser la question de l’adhésion de l’UA au G20.

Discours de Bassirou Diomaye Faye à la quatrième Conférence sur le développement.

Dans la pratique, la politique étrangère sénégalaise est reconnue depuis longtemps pour son attachement au dialogue. Le Sénégal est ainsi l’un des rares États à accueillir sur son sol une représentation de la Corée du Sud et de la République démocratique de Corée (Corée du Nord). Bien que membre fondateur et régulièrement président du Comité de la Palestine à l’ONU, le Sénégal ménage aussi ses liens avec Israël.

De la même manière, les autorités sénégalaises évoluent sur une ligne de crête entre le Maroc, la Mauritanie et l’Algérie sur la question du Sahara occidental, en maintenant des relations avec tous les acteurs concernés. Un échec de cette politique du dialogue est la relation avec la Chine continentale et avec Taïwan : en 2005, le Sénégal finit par reconnaître la Chine continentale et rétablit des liens rompus depuis 1996 (l’ambassade du Sénégal en Chine avait été fermée en 1995). À cette date, le Sénégal avait décidé de reconnaître Taïwan, en échange d’une importante aide économique.


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Cet héritage est complètement assumé par l’actuel président du Sénégal, qui met en scène un « partage des tâches » avec son premier ministre. Ainsi, quelques semaines après son élection en mars 2024, Bassirou Diomaye Faye s’est rendu en Gambie, en Guinée-Bissau et en Côte d’Ivoire, trois pays plutôt hostiles aux membres de l’AES. Au même moment, Ousmane Sonko opérait une tournée dans les États de l’AES et en Guinée, tous touchés par au moins un coup d’État et le renversement des régimes civils depuis le mois d’août 2020.

La tentative de médiation entre la Cédéao et l’AES n’a cependant pas fonctionné, et le Niger, le Mali et le Burkina Faso sont finalement sortis de la Cédéao en janvier 2025.

Une dynamique pérenne de diversification des partenariats

Le Sénégal a souvent été présenté comme le « bon élève » de la Françafrique, à l’instar de la Côte d’Ivoire. En réalité, si les autorités sénégalaises sont longtemps restées dans le sillage des intérêts français sur le continent, la recherche d’alternatives est apparue dès l’indépendance, en 1960.

De 1960 à 1962, le président du Conseil, Mamadou Dia, représentait le Sénégal à l’étranger selon la Constitution du pays. Il rappelle dans ses Mémoires avoir alors constamment cherché à diversifier les partenariats du Sénégal. Par ailleurs, à l’occasion de l’organisation du Festival mondial des arts nègres en 1966, le président de la république Léopold Sédar Senghor (1960-1980) a également entretenu une correspondance avec le président américain John Fitzgerald Kennedy, dans l’optique de s’émanciper de la tutelle de l’ancienne métropole coloniale.

Lors de son arrivée au pouvoir en 2000, le premier président issu d’une alternance politique, Abdoulaye Wade (2000-2012), avait déjà accéléré l’intégration continentale avec l’élaboration du plan Omega, ancêtre de l’actuel Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD). Le président Wade aspirait également à un départ des troupes françaises du Sénégal : le camp militaire français de Bel Air, à Dakar, avait été rétrocédé au Sénégal sous sa présidence en 2010.

Parmi les diplomates sénégalais, l’idée de conserver ses amis et d’élargir le cercle de ses amitiés a fait son chemin. Sur le plan commercial, la Chine est devenue le premier partenaire du pays en 2024 et a pris la place de la France. Parmi les premiers exportateurs au Sénégal se trouvent également des acteurs comme l’Inde et la Turquie.

Graphique généré par l’auteur, source des données : Agence nationale de la statistique et de la démographie, « Statistiques du commerce extérieur : bulletin mensuel », juin 2025.
Fourni par l’auteur

Ce n’est donc pas un hasard si les autorités sénégalaises ont annoncé leur souhait de rejoindre le groupe des BRICS+. Cette participation associerait les deux principes de la diversification des partenaires stratégiques et de l’attachement au multilatéralisme.

Jamais concerné par un coup d’État ou par une rupture de l’ordre constitutionnel, le Sénégal fait donc preuve d’une remarquable continuité dans les grandes orientations de sa politique étrangère depuis l’indépendance.

La rupture mise en avant par le nouveau régime, si elle est réelle dans plusieurs domaines de politique intérieure, prend plutôt la forme d’une inflexion en ce qui concerne la politique étrangère. Les relations avec la France, notamment, ne devraient pas être rompues, seulement banalisées parmi d’autres relations, après des décennies de domination impériale et post-impériale de Paris.

The Conversation

Ayrton Aubry ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Sénégal : la politique étrangère du tandem Faye-Sonko, rupture ou continuité ? – https://theconversation.com/senegal-la-politique-etrangere-du-tandem-faye-sonko-rupture-ou-continuite-260718

Comment le cirque réimagine la coopération ?

Source: The Conversation – France (in French) – By Sandrine Stervinou, Professeur Associé, Audencia

Galapiat, une compagnie de cirque contemporain basée en Bretagne, a délaissé le statut d’association pour celui de Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC). Comment réussir ce changement de gouvernance ? En créant de nouvelles pratiques managériales.


Le cirque contemporain, narratif, engagé et inspiré de diverses disciplines artistiques, tient une place non négligeable dans notre pays. Les compagnies se sont multipliées, leur nombre passant de 15 à 600 en 40 ans. Elles complètent l’offre du cirque traditionnel, généralement familial et sous chapiteau – Bouglione, Arlette Gruss ou Pinder. Ces troupes proposent des spectacles dans lesquels les artistes s’emparent de questions de société et font appel tout autant à la raison… qu’aux émotions des spectateurs.

Dans ce monde du cirque contemporain, Galapiat Cirque a piqué notre intérêt, car la compagnie est considérée comme atypique grâce à sa taille, son succès et sa longévité. Le modèle de la Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC) lui a permis de développer une activité commerciale tout en préservant l’esprit collaboratif. Galapiat Cirque est une référence en Bretagne, la région qui l’a accueilli il y a près de 20 ans. La compagnie offre de 100 à 160 représentations par an, avec un budget avoisinant les 800 000 € et un collectif de 37 membres-associés.

A la suite d’une première rencontre avec son administrateur en 2015, peu de temps après que Galapiat Cirque soit devenu une SCIC, nous avons voulu comprendre le choix du modèle coopératif et son impact sur le succès de la compagnie. À partir de quinze entretiens et de la participation à différentes réunions, nous avons publié une étude de cas. Elle permet d’identifier les leçons à tirer pour les organisations culturelles qui choisiraient ce modèle de gouvernance.

Société coopérative d’intérêt collectif

« Les coopératives sont des acteurs clés dans la préservation et le développement du patrimoine culturel mondial. Elles offrent de bonnes conditions de travail, la possibilité […] de transmettre notre patrimoine aux générations futures de manière durable et inclusive », rappelle Iñigo Albuzuri, président de l’Organisation internationale des coopératives de production industrielle, d’artisanat et de services (CICOPA).

La Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC) est un modèle hybride alliant mission sociale, non lucrativité et activité commerciale. Divers acteurs – salariés, usagers, associations, collectivités locales, partenaires privés – peuvent détenir des parts sociales de l’entreprise pour en devenir membres-associés. Ce statut leur permet de participer aux grandes décisions de l’organisation selon le principe « une personne (morale ou physique), une voix ».

Présentation du modèle de la SCIC.

Les bénéfices doivent majoritairement être mis en réserves impartageables pour soutenir la structure – à hauteur d’au minimum 57,4 %. Souvent, ils le sont à 100 % sur décision des membres-associés. Certains commentateurs y voient le croisement entre la coopérative, la société commerciale et l’association. Créé en 2001, ce statut attire régulièrement de nouveaux candidats. En 2024, on compte 417 SCIC en France, employant plus de 15 000 personnes pour un chiffre d’affaires de 1,6 milliard d’euros.

Les SCIC culturelles, elles, restent rares. Selon le site des SCIC, elles représentent, en 2024, seulement 8,5 % des coopératives, en comptant les SCIC dans le domaine sportif. Pourtant dès 2015, l’État a encouragé leur création, notamment dans le cadre d’évènements tels que les forums « entreprendre dans la culture ».

Pourquoi l’association Galapiat Cirque a-t-elle fait le choix de la SCIC et avec quel impact ?

Pas de chef

Galapiat Cirque a été créé sous forme associative en 2006 par six artistes fraîchement sortis du Centre National des Arts du Cirque (CNAC) à Châlons-en-Champagne, l’une des trois grandes écoles de cirque françaises. Ces cinq hommes et une femme, venus de pays et d’horizons différents, rêvent d’un spectacle collectif itinérant. Allant à l’encontre de l’avis de leurs professeurs, ils se lancent dans la création de leur premier spectacle sans metteur en scène. Ce sont les prémisses du principe du « pas de chef ».




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Si le succès artistique et financier est rapidement au rendez-vous pour le spectacle Risque Zéro, le statut associatif montre, lui, ses limites. Chacun des six artistes veut pouvoir affirmer sa propre voix et créer les spectacles qui lui ressemblent. Chaque projet se gère indépendamment, avec son propre budget. En cas de déficit, c’est le bureau de l’association – président, secrétaire et trésorier – qui en assume la responsabilité. Or, comme souvent dans les associations, les personnes du bureau sont assez éloignées du cœur de l’activité. Avec la croissance, la situation se tend pour l’équipe administrative qui prend des décisions sans en avoir la légitimité, créant un sentiment d’inconfort voire de mal-être.

« C’est un des paradoxes du milieu culturel : on est tous sous forme associative, alors que la plupart du temps, les associations sont totalement fantoches […]. J’ai l’impression que la forme SCIC a changé des choses, en tout cas a accéléré ce processus de légitimation des salariés. […] Une tentative de faire coller la forme à la réalité le plus possible » souligne un associé de Galapiat.

Après une longue période de gestation ponctuée de nombreuses rencontres et discussions, le statut de SCIC est finalement adopté en 2015.

Décider collectivement

Choisir le statut SCIC structure la vision du projet de cirque collectif. Il permet de donner une voix identique à tous les membres – sont membres ceux qui ont pris au minimum une part sociale, d’un montant symbolique de 25 euros. Selon l’administrateur de la compagnie, le projet est avant tout motivé par la volonté d’entériner un fonctionnement le plus démocratique possible, en prenant en compte l’ensemble des avis, les positions de toutes les personnes investies – soit trente-sept membres.


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Les artistes approchant ou dépassant la quarantaine, l’envie de transmettre, d’accompagner de jeunes compagnies, de partager et de se sédentariser se fait sentir. Un groupe de travail, composé de volontaires (artistes et administratifs) se met à la recherche d’un lieu. Au bout de trois ans, un lieu atypique a été proposé, discuté et validé en assemblée générale.

« On aura pris une décision collective. Et oui, ça prend du temps. Alors c’est imparfait, hein ? Cette recherche permanente de trouver un chemin commun à 37 est unique. C’est vraiment pour ça que je suis chez Galapiat en fait. Aujourd’hui, plus que pour le cirque en fait » estime un des salariés-associés

« Statut n’est pas vertu »

Se structurer en coopérative ne garantit pas une participation réelle de tous à la prise de décision et à l’absence de chef. « Statut n’est pas vertu. » Pour éviter la concentration de pouvoir et favoriser le partage des responsabilités, la SCIC étudiée a établi une co-gérance tournante à trois personnes, chaque membre devenant co-gérant à un moment donné pour une durée de trois ans.

« L’idée est de ne pas tout mettre sur les épaules d’une personne. C’est mon interprétation de la raison pour laquelle on a décidé de passer sur une co-gérance tournante » rappelle un artiste-associé

Au quotidien, les co-gérants sont aidés par le Groupement d’Accompagnement à la Gérance (GAG), groupe de six volontaires nommés pour un an renouvelable. Il se réunit chaque mois et gère la vie coopérative : organisation des Assemblées générales (AG), lien avec les structures partenaires, questions juridiques, relations avec les associés, etc. Il assume également la responsabilité d’employeur et mène, par exemple, les entretiens annuels des salariés.

Trois bonnes pratiques managériales

Dans les fondamentaux de la coopérative circassienne, on trouve la volonté de faire vivre le collectif, d’assurer une juste rémunération des salariés, d’incarner au maximum les valeurs coopératives et de s’engager dans l’environnement local et la défense du milieu culturel.

La SCIC reprend les trois bonnes pratiques managériales qui ont fait leurs preuves en coopérative : la clarification de l’organisation, la co-gérance, la co-contruction du projet. Mais, elle va plus loin, cherchant l’équilibre entre partage du pouvoir et des responsabilités, incitant chaque membre à en prendre une part équitable, au nom du collectif.

Cet art de la coopération permet d’éviter la dégénérescence des coopératives, souvent présentée comme inéluctable. Galapiat Cirque garde une vision optimiste et continue d’imaginer des futurs organisationnels désirables tout en ayant une vision lucide des risques que le collectif doit affronter. Comme ils le disaient il y a 20 ans, dans le cirque, le risque zéro n’existe pas.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Comment le cirque réimagine la coopération ? – https://theconversation.com/comment-le-cirque-reimagine-la-cooperation-258421

Les amours de vacances : entre liberté, exploration et normes sociales

Source: The Conversation – France (in French) – By Marine Lambolez, Doctorante, ENS de Lyon

Le temps des vacances permet aux jeunes d’explorer sans pression, loin de leur cercle quotidien, des relations avec des jeunes issus d’autres milieux qu’ils n’auraient pas croisés autrement. Un temps de liberté précieux pour le développement de leur personnalité ?


Les grandes vacances s’accompagnent de tout un imaginaire : la chaleur (de plus en plus), la baignade, le vélo entre copains, l’ennui des longues journées, les cartes postales, le camping, la maison des grands-parents ou le quartier qui se vide pour deux mois… et les amours de vacances, qui se nouent plus souvent en bord de plage qu’aux vacances de la Toussaint, d’où leur nom anglais de « summer fling ».

En dehors de l’espace scolaire et, bien souvent, sous un contrôle parental plus diffus qu’à l’accoutumée, la liberté estivale des jeunes s’étend à la sphère amoureuse.

Loin du regard du cercle quotidien, les idylles se lient sans pression. L’été, les jeunes peuvent se réinventer et sortir de leur place attitrée au sein de leurs familles ou de leurs groupes d’amis : l’intello, le rigolo, la bonne copine, l’ex d’untelle…). C’est l’occasion d’explorer des relations amicales et amoureuses avec des jeunes de milieux sociaux ou d’appartenance géographique éloignées, que l’on ne croiserait pas dans son quotidien, et de faire fi de son capital de popularité scolaire.




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Il est fréquent que les élèves débutent l’année scolaire avec un nouveau style vestimentaire, une nouvelle coiffure, une nouvelle facette de leur identité expérimentés et perfectionnés à l’abri des regards pendant l’été.

Il en va de même pour les relations amoureuses. Les vacances permettent au jeune couple de passer beaucoup de temps ensemble, dehors ou à des évènements estivaux organisés par la ville, le camping, le club de vacances… tout cela en ayant généralement moins besoin de demander l’autorisation aux parents de voir un ou une partenaire en particulier ni de s’organiser autour des activités extrascolaires et sociales qui rythment l’année scolaire.

Ces espaces de liberté et d’expérimentation permettent aux jeunes de construire une base de relation solide avant de présenter leur partenaire à leurs familles et leurs amis et amies au retour des vacances… ou d’arrêter la relation avant qu’elle soit soumise à l’approbation des proches ou à la logistique du quotidien, notamment pour les relations à distance.

Échapper au jugement des autres

Les amours de vacances fonctionnent comme des espaces de liberté pour les jeunes, hors du regard des pairs et de la famille. À l’école, au contraire, les histoires d’amour sont un sujet de conversation quotidien.

Du côté des groupes de garçons, il convient de se moquer de l’ami amoureux. D’abord, il faut mettre à distance l’intérêt pour l’amour car celui-ci serait fondamentalement féminin. Par conséquent, les garçons amoureux, surtout à un jeune âge, vont être moqués et leur masculinité remise en cause.

Chez les adolescents, quand le fait d’avoir une petite amie n’est plus sanctionné socialement, il convient de bien rappeler aux garçons en couple que la loyauté masculine surpasse la relation amoureuse, selon l’adage sexiste « les potes avant les putes ».

Chez les filles, le jugement des amies porte plus sur le partenaire que sur leur amie. Il s’agit pour elles de protéger leur amie de garçons malintentionnés, ou qui ne les « mériteraient » pas. Cependant, les critères selon lesquels un partenaire masculin va être considéré comme à la hauteur ou non varient et souffrent parfois des ancrages sociaux des jeunes. Ainsi, un garçon issu d’un milieu social plus défavorisé, ou d’une culture tout à fait différente, pourra faire l’objet des critiques des proches de sa petite amie, sans raison valable.

C’est par exemple autour de ces dynamiques conflictuelles que s’ouvrait la série Newport Beach (The OC). Les réactions amicales genrées sont représentées, de façon caricaturales, dans la chanson Summer nights de Grease, dans laquelle Sandy et Danny décrivent leur histoire de vacances de façons bien différentes :

Summer Nights (Clip du film Grease).

Evidemment, échapper au jugement des autres peut être particulièrement libérateur pour les jeunes soumis à des normes familiales strictes. C’est notamment le moment idéal pour les adolescent·es LGBTQIA+ de découvrir leurs attirances sans craindre de conséquences sociales au sein de leur famille ou de leur établissement scolaire.

Remettre en cause les normes de socialisation

En dehors de l’institution scolaire et à distance, figurativement ou géographiquement, de l’institution familiale, les normes de socialisation auxquelles est soumis chaque individu, a fortiori parmi les plus jeunes, se font moins sentir. L’été devient le moment parfait pour remettre en cause les normes respectées le reste de l’année.

Toutefois, ce n’est pas toujours une mauvaise chose quand les autres se mêlent des histoires de cœur des adolescentes et adolescents. Le contrôle parental permet bien sûr d’éviter des situations inappropriées (écarts d’âge, manque de prévention) et les filles (et de plus en plus les garçons) savent mettre en garde leurs amies contre des comportements toxiques dans leurs relations amoureuses. L’autre face du jugement est celle des conseils, parfois bons, qui permettent aux jeunes (et moins jeunes) de naviguer dans ces premières relations de couple.


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En dehors des vacances, les jeunes sont friands de moments dérobés au regard de leurs proches pour se découvrir « de leur côté ». Nous observons notamment cela avec l’investissement sentimental des espaces numériques anonymes. Les rencontres amoureuses se font aussi maintenant sur Discord ou dans les tchats de jeux en réseau (League of Legends, Fortnite…).

Parfois, l’entièreté de la relation amoureuse se vit sans rencontrer le cercle de son partenaire et, cela en étonnera plus d’un, sans même que les amoureux ne se rencontrent « en vrai ».

Internet offre ces « vacances infinies », enfermées dans le temps du loisir, au sein duquel les jeunes couples virtuels peuvent ne se soucier que de leur relation et de leurs activités ludiques. On peut se questionner sur le rôle que joueront ces relations dans la formation amoureuse des nouvelles générations, qui semblent convaincues de la fable « pour vivre heureux, vivons cachés ».

The Conversation

Marine Lambolez ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Les amours de vacances : entre liberté, exploration et normes sociales – https://theconversation.com/les-amours-de-vacances-entre-liberte-exploration-et-normes-sociales-258093

Paolo Borsellino: the murder of an anti-mafia prosecutor and the enduring mystery of his missing red notebook

Source: The Conversation – UK – By Felia Allum, Professor of Comparative Organised Crime and Corruption, University of Bath

It has been 33 years since anti-mafia prosecutor Paolo Borsellino was blown up by Cosa Nostra in front of his mother’s home in Palermo, Sicily. His death on July 19 1992 came 57 days after the murder of his colleague, Giovanni Falcone. This was the peak of Cosa Nostra’s attack on state representatives.

A vital document was lost that day – a red notebook believed to have been in Borsellino’s work bag. This loss has hampered attempts to understand how deep into the Italian state Cosa Nostra’s activities run.

The early 1990s were a turbulent time in Italy. The fall of the Berlin wall in 1989 broke the Italian party system and wiped out the traditional political parties, which had been based around the opposing forces of the Christian Democrats (supported by the US and the Vatican) and the Communist party.

The Christian Democrats, in power during the post-war period, had often protected Cosa Nostra. But losing power meant an inability to honour its “pact” with mafiosi. This led to the mafia attacking anyone who got in its way.

Falcone and Borsellino, as anti-mafia prosecutors, had got under the skin of Cosa Nostra. Their work zoned in on its mentality and activities. They were the driving force behind the 1986 “maxi trial” that saw hundreds of mafiosi prosecuted. This was the first time important mafia bosses were imprisoned. Falcone and Borsellino had brought a new understanding to the internal workings of the mafia, including its links with politics and money laundering operations.

The mafia was deploying terrorist tactics against state representatives and institutions in the early 1990s in what appears to have been an attempt to get the state to negotiate with it. Borsellino, it is believed, was investigating this when he was murdered.

The red notebook

Crucially, on the day Borsellino was murdered, his work bag, which contained his red notebook (“l’agenda rossa”) disappeared from the wreckage of his car.

He carried his red notebook around with him everywhere, making copious notes of his investigations and ideas. Had it been recovered, l’agenda rossa could have revealed the possible links between state representatives (including with the police and judiciary), businessmen and Cosa Nostra.

It could, in effect, have mapped out how and to what extent Cosa Nostra had infiltrated the Italian state and the nature of its relationships with the new political class, the business elite, freemasons and other covert actors.

A photograph of a police officer walking off with what looks very much like the bag that presumably contained the notebook has circulated ever since. But this is where the trail ends. The bag – minus the notebook – was later found in the office of the head of the flying squad, with no explanation as to how and why it got there.

The disappearance of the red notebook remains a persistent enigma – and one which continues to haunt contemporary Italy because of what it might suggest about the nation’s underworld and political class.

This photo could even suggest that the goal of killing Borsellino was not just to eliminate a zealous public prosecutor but to remove a pantheon of knowledge about organised crime and its infiltration into the public realm as part of a more orchestrated plan.

Then, in 1993, Cosa Nostra suddenly and inexplicably ceased its terrorist tactics against the state. It was as though a truce had been reached. Could this be the case?

Many have speculated that there was a secret dialogue and a trattativa – a state-mafia negotiation entered and a deal struck between state representatives and Cosa Nostra leaders to stop the violence. In exchange for an end to the violence, it was suggested that state representatives promised softer anti-mafia laws. It’s possible that the disappearance of Borsellino’s red notebook could have been part of the deal.

Interpreting history

The history of these dynamics between state and the mafia has since been written and re-written, dividing Italians and mafia scholars.

At the heart of all these disagreements lie two questions: was the notebook taken intentionally and why did Cosa Nostra stop its attacks on the state at the specific moment that it did?. The answer to these would essentially establish whether or not there was a negotiated peace between the mafia and the state.

In 2014, high-profile politicians, police officers and mafiosi were put on trial, accused of playing a role and enabling these negotiations. This was, in effect, the Italian state putting itself on trial.

Some legal experts and historians have argued that the theory of coordinated action by state representatives and mafiosi was always an absurd hypothesis. While there might have been some random informal contacts, they contest that there was never a formal pact. The end of Cosa Nostra‘s violence, they argue, was due to a combination of other factors, including greater enforcement of the law.

Others argue that there is evidence of a pact. These include first-hand accounts from former criminals. But of course it is hard to make these stories stick because all evidence of a relationship of this kind would, by definition, be covert and off the books. As with many trials and in particular, mafia trials, there are no facts, just interpretations of facts.

In 2018, some state representatives and mafiosi were found guilty. But in 2023, the Italian supreme court overturned the 2018 ruling and concluded that there was no pact and no state-mafia negotiation.

All involved were cleared for different reasons as the court attempted to draw a line under the intrigue by articulating a clear position. But with the mafia, answers are rarely that simple. And history is not only written in the courtroom.

Borsellino’s legacy is celebrated in Italy to this day – but the unresolved matter of his missing notebook haunts the country more profoundly. His bag – minus the notebook – has recently been put on show at the Italian senate to celebrate his life. The display is also a reminder of how much remains unresolved from that period.

The Conversation

Felia Allum does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.

ref. Paolo Borsellino: the murder of an anti-mafia prosecutor and the enduring mystery of his missing red notebook – https://theconversation.com/paolo-borsellino-the-murder-of-an-anti-mafia-prosecutor-and-the-enduring-mystery-of-his-missing-red-notebook-259101

Anatomie d’une crue éclair : pourquoi les inondations au Texas ont-elles été si meurtrières ?

Source: The Conversation – in French – By Hossein Bonakdari, Associate Professor, Civil Engineering, L’Université d’Ottawa/University of Ottawa

Entre le 3 et le 6 juillet, la région Texas Hill Country a été touchée par des inondations soudaines et catastrophiques le long du réseau hydrographique de la rivière Guadalupe.

Les inondations ont fait au moins 134 morts, dont plus de 107 dans le seul comté de Kerr. Plus de 101 personnes étaient toujours portées disparues le 15 juillet, parmi lesquelles plusieurs enfants qui participaient à des camps le long de la rivière.

Les pertes économiques préliminaires sont estimées entre 18 et 22 milliards de dollars américains (25 à 30 G$ CAD). Ce coût est dû notamment aux dommages causés aux habitations et aux infrastructures.

Comprendre l’anatomie de cette crue éclair et démêler l’interaction complexe des forces météorologiques, géomorphologiques et hydrologiques constitue la première étape en vue d’une évaluation complète de ce qui s’est passé. Ces informations sont essentielles pour aider à prévenir de telles tragédies à l’avenir.


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Conditions atmosphériques

Les inondations qui ont frappé le centre du Texas en juillet 2025 ont été déclenchées par une configuration météorologique rare et puissante.

Les anomalies atmosphériques sont des conditions météorologiques qui diffèrent de ce qui est prévu. L’analyse des anomalies atmosphériques de juillet 2025 révèle des conditions thermodynamiques hors norme qui ont directement contribué à la gravité des inondations.




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Les précipitations totales sur la zone centrale touchée dans la région Texas Hill Country entre le 3 et le 6 juillet sont estimées à plus de 15 milliards de mètres cubes d’eau, un volume exceptionnel.

Ces pluies torrentielles ont été favorisées par des anomalies de température persistantes, comprises entre 5,4 et 6,9 degrés Celsius au-dessus de la moyenne. Ces températures élevées ont augmenté la capacité de l’atmosphère à retenir l’humidité.

À ces niveaux d’anomalie, la masse d’air pouvait stocker 35 à 50 % de vapeur d’eau en plus par rapport à la normale.

Dans le même temps, les anomalies d’humidité spécifique ont reflété une augmentation de 60 à 70 % par rapport aux valeurs de référence de juillet pour le centre du Texas. L’humidité spécifique, qui quantifie la masse réelle de vapeur d’eau par kilogramme d’air, fournit une mesure plus directe de l’humidité latente disponible pour les précipitations.

L’addition de ces variables thermodynamiques extrêmes a créé un environnement idéal pour une convection profonde et chargée d’humidité, favorisant des précipitations intenses et prolongées.

Carte du Texas montrant les précipitations cumulées
Cette carte du Texas met en évidence la zone d’impact principale dans la région de Texas Hill Country, où les précipitations totales ont dépassé 430 millimètres, soit plus de quatre fois la moyenne régionale pour le mois de juillet.
(H. Bonakdari/GSMaP), CC BY

Impacts du relief

Si les conditions météorologiques extrêmes ont été à l’origine des inondations de juillet 2025, la morphologie de la rivière Guadalupe (sa forme, son comportement et son débit) a joué un rôle déterminant dans la transformation de ces fortes précipitations en une crue éclair catastrophique.

La géographie physique du bassin supérieur, la configuration du réseau hydrographique et la structure de la vallée ont contribué à la concentration et à la propagation rapides des eaux de crue.

Surnommé « Flash Flood Alley », le relief du bassin supérieur de la rivière Guadalupe a amplifié les inondations de juillet 2025 en raison de la combinaison de pentes abruptes, de sols peu profonds et d’une géologie karstique.

Ces pentes abruptes ont limité l’infiltration et entraîné une saturation rapide des sols sous l’effet des fortes précipitations. La prédominance du calcaire karstique – un calcaire façonné par l’eau qui a créé des plaines et des dolines – a encore réduit la capacité de stockage sous la surface, ce qui a réduit au minimum le délai entre les précipitations et le débit.

De plus, les sections étroites de la vallée ont créé des goulets d’étranglement hydrauliques, accélérant le débit et augmentant la profondeur des inondations, ce qui a particulièrement affecté les zones résidentielles et les campings.

Carte du Texas montrant la topographie du fleuve
Carte montrant les relations entre les sources escarpées, les confluents des affluents et les communautés vulnérables en aval.
(H. Bonakdari/NASA), CC BY

En revanche, les vallées plus larges ont permis à l’eau de s’étaler latéralement, mais la force destructrice due à la pression en amont était toujours présente. Ces caractéristiques géomorphologiques, aggravées par l’humidité atmosphérique extrême, ont créé un environnement propice à une accumulation rapide des eaux de crue, qui ont frappé avec une force dévastatrice, en particulier le long des zones de confluence et des berges densément peuplées.

Ruissellement excessif

Avant les événements de juillet 2025, le centre du Texas avait déjà connu des conditions d’humidité élevée du sol en raison de précipitations supérieures à la moyenne au cours du mois de juin et début juillet. Les indices d’humidité antérieurs, qui mesurent le degré d’humidité du sol avant les précipitations, approchaient les 90 à 100 % de saturation, ce qui signifie que le sol était effectivement prêt pour un ruissellement rapide.

Le relief karstique de la région, caractérisé par des sols rocheux peu profonds, offrait une porosité effective inférieure à 5 %, ce qui limitait considérablement l’absorption dans le sol. Parallèlement, le niveau des nappes phréatiques régionales avait augmenté, réduisant encore la capacité du sol à absorber l’eau.




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Les conditions étaient donc réunies pour que les pluies torrentielles génèrent une crue catastrophique. Lorsque les précipitations intenses ont commencé, le sol s’est rapidement et complètement saturé, entraînant un ruissellement de surface immédiat et rapide.

Le temps de concentration est le temps nécessaire à l’eau de pluie pour atteindre le point de sortie d’un bassin versant, comme une rivière ou un ruisseau, depuis son point le plus éloigné. Dans la région centrale du Texas Hill Country (connue pour ses pentes abruptes et ses sols rocheux et peu profonds), ce temps n’est que d’une à deux heures. Cela signifie que de fortes pluies peuvent entraîner une crue dangereuse des rivières en très peu de temps.

L’eau s’écoule rapidement le long des pentes et à travers des canaux souterrains. Elle dispose à cet égard de très peu de temps afin de s’infiltrer dans le sol. En conséquence, des rivières telles que la Guadalupe peuvent gonfler rapidement, montant de plusieurs mètres en peu de temps, ce qui provoque des inondations rapides dans les vallées étroites et les communautés situées à basse altitude.

Des forces multiples

Les inondations de juillet au Texas ont été dévastatrices et meurtrières. Elles sont dues à la conjonction de divers facteurs météorologiques et topographiques.

Une atmosphère surchauffée, saturée de vapeur d’eau, a provoqué des précipitations record. Le relief unique de la région des Texas Hill Country a rapidement canalisé ces précipitations vers le réseau fluvial, tandis que l’hydrologie de la région, déjà fragilisée par les tempêtes précédentes, a transformé la quasi-totalité de ces précipitations en ruissellement.

En comprenant comment ces éléments atmosphériques, géographiques et hydrologiques se sont combinés, nous pouvons mieux anticiper les risques futurs dans la « Flash Flood Alley » et améliorer les systèmes d’alerte précoce afin de sauver des vies.

La Conversation Canada

Hossein Bonakdari ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Anatomie d’une crue éclair : pourquoi les inondations au Texas ont-elles été si meurtrières ? – https://theconversation.com/anatomie-dune-crue-eclair-pourquoi-les-inondations-au-texas-ont-elles-ete-si-meurtrieres-261155

Dans les pays du Sud, une protection sociale écologique pour faire face aux conséquences du changement climatique

Source: The Conversation – in French – By Léo Delpy, Maitre de conférences, Université de Lille

Face aux évènements climatiques extrêmes, les pays du Sud et les organisations internationales déploient des fonds d’urgence et des projets One Health liant santé humaine, animale et environnementale. Mais ces initiatives restent souvent cloisonnées. Comment repenser la protection sociale pour qu’elle s’adapte aux défis climatiques ?


Selon le GIEC, le changement climatique provoque de nombreuses conséquences sur la santé humaine : augmentation de la mortalité liée aux vagues de chaleur, aggravation des crises alimentaires, difficultés accrues d’accès à l’eau, émergence de zoonoses… Le dernier rapport mondial sur la protection sociale de l’Organisation internationale du travail souligne quant à lui un paradoxe : dans les 20 pays les plus vulnérables face au changement climatique, seuls 8,7 % de la population en moyenne bénéficie d’un dispositif de protection sociale.

Pourtant, le lancement depuis les années 2010 de politiques d’extension de la protection sociale et de couverture santé universelle dans les pays à faible revenu promettait de réelles avancées. Le Rwanda, par exemple, est souvent considéré comme une réussite après la mise en place de l’adhésion obligatoire aux mutuelles pour les travailleurs de l’économie informelle (l’ensemble des emplois qui ne sont pas réglementés ou protégés par l’État) et un engagement fort de l’État. Ce type de politique a été initié dans la quasi-totalité des pays d’Afrique subsaharienne, mais le bilan demeure contrasté. Face à ce constat, comment construire une protection sociale non seulement plus étendue mais également adaptée aux conséquences du changement climatique ?

Des dispositifs existants mais insuffisants

Devant l’intensification généralisée des effets du changement climatique, l’économiste Eloi Laurent indique que le secteur privé ne pourra pas assurer la couverture de ce type de risques, et ce pour plusieurs raisons. D’une part, les sinistres liés au changement climatique ont des impacts variables dont il est difficile d’estimer les conséquences et les coûts associés. De plus, ces sinistres affectent différemment les territoires, si bien que certains ne sont pas rentables pour les compagnies d’assurance, comme les régions côtières.

Eloi Laurent propose dans ce contexte une protection sociale écologique qui adapterait la protection sociale aux risques écologiques. Il s’agit de mutualiser les coûts en lien avec la couverture de ces risques et de lutter contre les inégalités liées au changement climatique.

En Afrique subsaharienne, quelques initiatives vont dans ce sens. L’un des dispositifs emblématiques dans l’extension de la protection sociale face au changement climatique est le programme de protection sociale adaptative au Sahel. Mis en œuvre en 2014 par la Banque mondiale et des gouvernements nationaux, il est encore aujourd’hui déployé dans six pays (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Tchad).

Ce programme propose d’associer des transferts monétaires ciblés sur des populations fragiles en cas d’évènements climatiques à un dispositif d’alerte précoce. Ce mécanisme se fonde sur des indicateurs régulièrement mis à jour afin d’anticiper la survenue d’une crise, par exemple une sécheresse. Une partie de l’aide est alors débloquée lorsque les indicateurs du système d’alerte (pluviométrie en ce qui concerne les sécheresses) dépassent les seuils fixés.

Cependant, le programme ne permet de couvrir qu’une part relativement réduite des risques nationaux. Au total, selon le rapport annuel de 2024, ce sont près de 1,2 million d’individus qui bénéficient d’un dispositif de réponse aux crises. Cela représente une infime partie des populations et risques dans la région. Par ailleurs, on peut s’interroger sur la durabilité de tels programmes dont le financement est entièrement assuré par des organisations internationales. Au vu du coût actuel du programme (plusieurs dizaines de millions d’euros annuels), il parait difficile de proposer une couverture pérenne à l’ensemble des populations.

Lier protection sociale adaptative et approche One Health (« Une seule santé »)

L’approche One Health est une conception intégrée considérant comme centrales les interdépendances entre santé humaine, santé animale et santé environnementale. Le groupe d’experts de haut niveau Une seule santé la définit ainsi : « “Une seule santé” (One Health) […] reconnaît que la santé des êtres humains, des animaux domestiques et sauvages, des plantes et de l’environnement au sens large (y compris les écosystèmes) sont étroitement liées et interdépendantes. »

En Afrique, plusieurs initiatives ont été lancées à partir de cette approche, principalement en vue de lutter contre les maladies infectieuses, en particulier les zoonoses. Quelques pays sont considérés comme relativement avancés (Kenya, Tanzanie), ayant mis en place une plate-forme One Health associant les différents acteurs concernés (ministères de la santé, de l’environnement, services vétérinaires…). D’autres pays sont également actifs mais moins avancés (Cameroun, Sénégal…).

Le projet Thiellal au Sénégal est une illustration intéressante de ces initiatives. Dans une région d’élevage et d’agriculture, l’absence de gestion organisée des ordures ménagères exerce un impact considérable sur les communautés d’éleveurs et d’agriculteurs (pollution plastique, chimique, résistance aux antimicrobiens provoquée par les déchets de médicaments…). Le projet Thiellal vise à mobiliser les communautés locales pour agir sur les déterminants de la santé en recourant à une approche One Health.

Plusieurs solutions fondées sur une logique One Health ont ainsi été mises en place. Elles ont consisté à former des acteurs communautaires et professionnels pour la mise en œuvre d’actions adaptées aux contextes locaux (tri des déchets, agroécologie), à sensibiliser les agriculteurs aux risques liés à l’utilisation des produits chimiques et à trouver des solutions alternatives, et enfin à soutenir des décisions à l’échelle communautaire, en plus des acteurs publics locaux et nationaux. Ce projet illustre cependant le fait que les projets One Health n’intègrent généralement pas de dispositifs de protection sociale, et réciproquement.

Des initiatives qui restent cloisonnées

On constate que les dispositifs de protection sociale adaptative décrits plus haut continuent d’être mis en œuvre de façon indépendante des initiatives One Health. Les premiers sont portés par certains acteurs de l’aide au développement (Banque mondiale, Unicef, Programme alimentaire mondial), les seconds le sont par d’autres institutions (Organisation mondiale de la santé, Organisation mondiale de la santé animale, Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, Programme des Nations unies pour l’environnement…). Le cloisonnement des deux types d’actions aboutit à une absence de synergie et une moindre efficacité des deux dispositifs.

En effet, la protection sociale comporte un volet de gestion et d’anticipation des risques qui en l’état n’intègre pas les enseignements de l’approche One Health. Ainsi, pour reprendre l’exemple du projet Thiellal, l’utilisation de pesticides, l’agriculture productiviste et la pollution de l’eau sont aussi des facteurs qui contribuent à accroître le risque de phénomènes climatiques extrêmes. Ces derniers à leur tour mettent gravement en danger les conditions de vie et à la santé humaine, car ils créent des désastres environnementaux et réduisent l’accès à l’alimentation (pertes de cheptel et de production agricole). Prendre en compte ces effets semble indispensable à la réussite des dispositifs de protection sociale.

La compréhension des interactions entre santé humaine, santé animale et santé environnementale devrait être systématiquement intégrée aux dispositifs de protection sociale en tant que facteurs de risque mesurable (pour rendre plus fiables les indicateurs d’alerte précoce) mais aussi en tant que leviers d’une amélioration des synergies entre santé et environnement.

Par exemple, l’agroécologie, en réduisant l’usage des pesticides et d’autres produits polluants, assurerait la protection de l’environnement, des animaux, et aurait des effets significatifs sur la santé humaine. Au Bénin, la ferme Songhaï est une illustration de réussite d’un centre de formation et de production agricole fondé sur l’agroécologie. La ferme génère des revenus locaux, produit des denrées alimentaires de qualité sans nuire à l’environnement. D’une certaine façon, cette expérience adopte une approche One Health sans le savoir.

Intégrer cette conception aux systèmes locaux de protection sociale permettrait ainsi d’agir sur deux dimensions. D’une part, recréer des écosystèmes viables sur le plan économique, social et environnemental. D’autre part, assurer les bénéfices de ces écosystèmes pour les populations qui en seraient directement contributrices, tout en étant couvertes par une protection sociale armée contre les risques climatiques.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Dans les pays du Sud, une protection sociale écologique pour faire face aux conséquences du changement climatique – https://theconversation.com/dans-les-pays-du-sud-une-protection-sociale-ecologique-pour-faire-face-aux-consequences-du-changement-climatique-258759

The golden oyster mushroom craze unleashed an invasive species – and a worrying new study shows it’s harming native fungi

Source: The Conversation – USA (2) – By Aishwarya Veerabahu, Ph.D. Candidate in Botany, University of Wisconsin-Madison

Golden oyster mushrooms can be cultivated, but they can also escape into the wild. DDukang/iStock/Getty Images Plus

Golden oyster mushrooms, with their sunny yellow caps and nutty flavor, have become wildly popular for being healthy, delicious and easy to grow at home from mushroom kits.

But this food craze has also unleashed an invasive species into the wild, and new research shows it’s pushing out native fungi.

In a study we believe is the first of its kind, fellow mycologists and I demonstrate that an invasive fungus can cause environmental harm, just as invasive plants and animals can when they take over ecosystems.

A woman with a phone camera takes pictures of large clumps of yellow mushrooms growing all over the base of a tree.
A scientist documents golden oyster mushrooms growing wild in a Wisconsin forest, where these invasive fungi don’t belong. DNA tests showed the species had pushed out other native fungi.
Aishwarya Veerabahu

Native mushrooms and other fungi are important for the health of many ecosystems. They break down dead wood and other plant material, helping it decay. They cycle nutrients such as carbon and nitrogen from the dead tissues of plants and animals, turning it into usable forms that enter the soil, atmosphere or their own bodies. Fungi also play a role in managing climate change by sequestering carbon in soil and mediating carbon emissions from soil and wood.

Their symbiotic relationships with other organisms also help other organisms thrive. Mycorrhizal fungi on roots, for example, help plants absorb water and nutrients. And wood decay fungi help create wooded habitats for birds, mammals and plant seedlings.

However, we found that invasive golden oyster mushrooms, a wood decay fungus, can threaten forests’ fungal biodiversity and harm the health of ecosystems that are already vulnerable to climate change and habitat destruction.

The dark side of the mushroom trade

Golden oyster mushrooms, native to Asia, were brought to North America around the early 2000s. They’re part of an international mushroom culinary craze that has been feeding into one of the world’s leading drivers of biodiversity loss: invasive species.

As fungi are moved around the world in global trade, either intentionally as products, such as kits people buy for growing mushrooms at home, or unintentionally as microbial stowaways along with soil, plants, timber and even shipping pallets, they can establish themselves in new environments.

Where golden oyster mushrooms, an invasive species in North America, have been reported in the wild, including in forests, parks and neighborhoods. Red dots indicate new reports each year. States in yellow have had a report at some point. Aishwarya Veerabahu

Many mushroom species have been cultivated in North America for decades without becoming invasive species threats. However, golden oyster mushrooms have been different.

No one knows exactly how golden oyster mushrooms escaped into the wild, whether from a grow kit, a commercial mushroom farm or outdoor logs inoculated with golden oysters – a home-cultivation technique where mushroom mycelium is placed into logs to colonize the wood and produce mushrooms.

As grow kits increased in popularity, many people began buying golden oyster kits and watching them blossom into beautiful yellow mushrooms in their backyards. Their spores or composted kits could have spread into nearby forests.

Evidence from a pioneering study by Andrea Reisdorf (née Bruce) suggests golden oyster mushrooms were introduced into the wild in multiple U.S. states around the early 2010s.

Species the golden oysters pushed out

In our study, designed by Michelle Jusino and Mark Banik, research scientists with the U.S. Forest Service, our team went into forests around Madison, Wisconsin, and drilled into dead trees to collect wood shavings containing the natural fungal community within each tree. Some of the trees had golden oyster mushrooms on them, and some did not.

We then extracted DNA to identify and compare which fungi, and how many fungi, were in trees that had been invaded by golden oyster mushrooms compared with those that had not been.

We were startled to find that trees with golden oyster mushrooms housed only half as many fungal species as trees without golden oyster mushrooms, sometimes even less. We also found that the composition of fungi in trees with golden oyster mushrooms was different from trees without golden oyster mushrooms.

For example, the gentle green “mossy maze polypore” and the “elm oyster” mushroom were pushed out of trees invaded by golden oyster mushrooms.

Mossy green mushrooms grow like shelfs on the side of a tree trunk.
Mossy maze polypore growing on a stump. This is one of the native species that disappeared from trees when the golden oyster mushroom moved in.
mauriziobiso/iStock/Getty Images Plus

Another ousted fungus, Nemania serpens, is known for producing diverse arrays of chemicals that differ even between individuals of the same species. Fungi are sources of revolutionary medicines, including antibiotics like penicillin, cholesterol medication and organ transplant stabilizers. The value of undiscovered, potentially useful chemicals can be lost when invasive species push others out.

The invasive species problem includes fungi

Given what my colleagues and I discovered, we believe it is time to include invasive fungi in the global conversation about invasive species and examine their role as a cause of biodiversity loss.

That conversation includes the idea of fungal “endemism” – that each place has a native fungal community that can be thrown out of balance. Native fungal communities tend to be diverse, having evolved together over thousands of years to coexist. Our research shows how invasive species can change the makeup of fungal communities by outcompeting native species, thus changing the fungal processes that have shaped native ecosystems.

There are many other invasive fungi. For example, the deadly poisonous “death cap” Amanita phalloides and the “orange ping-pong bat” Favolaschia calocera are invasive in North America. The classic red and white “fly agaric” Amanita muscaria is native to North America but invasive elsewhere.

Bright orange mushrooms the texture of ping-pong paddles.
The orange ping-pong bat mushroom is invasive in North America. These were photographed in New Zealand.
Bernard Spragg. NZ/Flickr Creative Commons

The golden oyster mushrooms’ invasion of North America should serve as a bright yellow warning that nonnative fungi are capable of rapid invasion and should be cultivated with caution, if at all.

Golden oyster mushrooms are now recognized as invasive in Switzerland and can be found in forests in Italy, Hungary, Serbia and Germany. I have been hearing about people attempting to cultivate them around the world, including in Turkey, India, Ecuador, Kenya, Italy and Portugal. It’s possible that golden oyster mushrooms may not be able to establish invasive populations in some regions. Continued research will help us understand the full scope of impacts invasive fungi can have.

What you can do to help

Mushroom growers, businesses and foragers around the world may be asking themselves, “What can we do about it?”

For the time being, I recommend that people consider refraining from using golden oyster mushroom grow kits to prevent any new introductions. For people who make a living selling these mushrooms, consider adding a note that this species is invasive and should be cultivated indoors and not composted.

If you enjoy growing mushrooms at home, try cultivating safe, native species that you have collected in your region.

Most mushrooms you see in the grocery store are grown indoors.

There is no single right answer. In some places, golden oyster mushrooms are being cultivated as a food source for impoverished communities, for income, or to process agricultural waste and produce food at the same time. Positives like these will have to be considered alongside the mushrooms’ negative impacts when developing management plans or legislation.

In the future, some ideas for solutions could involve sporeless strains of golden oysters for home kits that can’t spread, or a targeted mycovirus that could control the population. Increased awareness about responsible cultivation practices is important, because when invasive species move in and disrupt the native biodiversity, we all stand to lose the beautiful, colorful, weird fungi we see on walks in the forest.

The Conversation

Aishwarya Veerabahu receives funding from UW-Madison Dept. of Botany, the UW Arboretum, the Society of Ecological Restoration, and the Garden Club of America. Aishwarya Veerabahu was an employee of the USDA Forest Service.

ref. The golden oyster mushroom craze unleashed an invasive species – and a worrying new study shows it’s harming native fungi – https://theconversation.com/the-golden-oyster-mushroom-craze-unleashed-an-invasive-species-and-a-worrying-new-study-shows-its-harming-native-fungi-259006