Paracétamol et autisme : notre étude portant sur 2,5 millions d’enfants n’a révélé aucun lien

Source: The Conversation – France in French (3) – By Renee Gardner, Principal Researcher, Department of Public Health Sciences, Karolinska Institutet

Selon Donald Trump, président des États-Unis, la prise de paracétamol pendant la grossesse serait liée à un risque accru d’autisme. La plus grande analyse statistique jamais menée sur le sujet, qui a porté sur les données de plus de 2,5 millions d’enfants, n’a pourtant trouvé aucune preuve d’un tel lien.


Le président des États-Unis, Donald Trump, a récemment affirmé que l’usage, pendant la grossesse, de paracétamol (un analgésique également appelé acétaminophène et commercialisé sous le nom de Tylenol aux États-Unis) expliquerait la hausse du nombre de diagnostics d’autisme. Il a suggéré que les femmes enceintes devraient « supporter sans traitement » la fièvre ou la douleur plutôt que d’utiliser ce médicament aux effets antalgique (contre la douleur) et antipyrétique (contre la fièvre).

Cette déclaration a suscité inquiétude et confusion dans le monde entier, mais il n’existe à l’heure actuelle aucune preuve scientifique solide pour étayer l’affirmation de Donald Trump. C’est notamment ce que révélaient nos propres travaux. Publiés en 2024, ils ont porté sur près de 2,5 millions de naissances en Suède. Pourtant, ils n’ont pas permis de mettre en évidence que l’emploi de paracétamol pendant la grossesse augmente le risque d’autisme chez l’enfant. Il s’agit de la plus vaste étude menée à ce jour sur le sujet.

Plus de 25 ans de données

Pour déterminer si cette molécule représente réellement un risque pendant la grossesse, nous avons utilisé les données contenues dans les registres nationaux de santé suédois, qui comptent parmi les plus complets au monde. Notre étude a suivi près de 2,5 millions d’enfants nés entre 1995 et 2019, sur une durée allant pour certains d’entre eux jusqu’a 26 ans.

En combinant les données de délivrance de prescriptions et les entretiens menés par les sages-femmes lors des visites prénatales, nous avons pu identifier les mères ayant déclaré utiliser du paracétamol (environ 7,5 % des femmes enceintes) et celles qui ont affirmé ne pas y avoir eu recours pendant leur grossesse.

Nous avons également veillé à prendre en compte les variables susceptibles d’influer sur les résultats de notre analyse statistique. Nous avons notamment considéré des facteurs tels que la fièvre ou la douleur, qui auraient pu inciter une mère à avoir eu recours au paracétamol lorsqu’elle était enceinte. L’objectif était de nous assurer que la comparaison entre les deux groupes s’avère réellement équitable.

Nous nous sommes ensuite intéressés aux problèmes neurodéveloppementaux des enfants – en particulier aux diagnostics d’autisme, de trouble de l’attention avec hyperactivité (TDAH) ou de déficience intellectuelle.

La force de notre étude vient de la possibilité, grâce à ces données, de comparer des fratries. Nous avons ainsi pu confronter les trajectoires d’enfants nés de la même mère, dans des cas où le paracétamol avait été utilisé pendant l’une des grossesses, mais pas au cours de l’autre. Nous avons ainsi étudié plus de 45 000 paires de frères et sœurs dont au moins l’un avait reçu un diagnostic d’autisme.

Ce dispositif fondé sur une comparaison intrafamiliale est puissant, car les frères et sœurs partagent une grande partie de leur patrimoine génétique et de leur environnement familial. En cas de troubles neurodéveloppementaux, il permet de distinguer si c’est bien le médicament lui-même qui est responsable des problèmes, ou s’il est plus probable que les anomalies soient plutôt dues à des caractéristiques familiales sous-jacentes ou à des affections dont souffrirait la mère.

Usage du paracétamol et autisme

Dans un premier temps, en nous plaçant à l’échelle de l’ensemble de la population, nous avons fait le même constat que celui posé par des études antérieures : les enfants dont les mères avaient déclaré utiliser du paracétamol pendant leur grossesse étaient légèrement plus susceptibles de se voir poser un diagnostic d’autisme, de TDAH ou de déficience intellectuelle.

Cependant, une fois effectuées les comparaisons entre frères et sœurs, cette association disparaissait totalement. Autrement dit, lorsque nous comparions des fratries où l’un des enfants avait été exposé in utero au paracétamol et l’autre non, la différence de probabilité d’obtenir ultérieurement un diagnostic d’autisme, de TDAH ou de déficience intellectuelle disparaissait.

A pregnant woman holds a glass of water in one hands and a pill in the other hand.
Notre étude n’a mis en évidence aucune association entre l’utilisation de paracétamol pendant la grossesse et le risque, pour l’enfant, de se voir poser un diagnostic d’autisme.
Dragana Gordic/Shutterstock

Notre étude n’est pas la seule à avoir cherché à répondre à cette question. Des chercheurs au Japon ont récemment publié les conclusions de travaux basés sur un dispositif de comparaison intrafamiliale similaire, et leurs résultats concordent étroitement avec les nôtres.

Fait important à souligner, les scientifiques japonais ont reproduit ces conclusions dans une population au bagage génétique différent et où les usages de paracétamol pendant la grossesse divergent sensiblement. En effet, au Japon, près de 40 % des mères ont déclaré avoir utilisé ce médicament pendant leur grossesse. À titre de comparaison, moins de 10 % des mères suédoises l’avaient employé.

En dépit de ces différences, la conclusion est identique. Lorsqu’on compare des frères et sœurs, rien n’indique que l’utilisation de paracétamol pendant la grossesse accroisse le risque d’autisme ou de TDAH.

Ces résultats marquent une évolution importante par rapport aux travaux antérieurs, qui reposaient sur des données plus limitées, des cohortes plus restreintes et ne tenaient pas compte des différences génétiques. Ils ne documentaient pas non plus les raisons pour lesquelles certaines mères recouraient aux antalgiques pendant leur grossesse, alors que d’autres s’en abstenaient.

Pourtant, ce point peut avoir son importance. En effet, les mères qui prennent du paracétamol sont plus susceptibles de souffrir de migraines, de douleurs chroniques, de fièvre ou d’infections sévères. Or, on sait que ces affections sont elles-mêmes liées génétiquement à l’autisme ou au TDAH, ainsi qu’à la probabilité, pour leurs enfants, de se voir ultérieurement diagnostiquer l’une de ces affections.

En science statistique, ce type de « facteurs confondants » (ou « facteur de confusion ») peut engendrer des associations convaincantes en apparence, sans pour autant refléter une véritable relation de cause à effet.

Reste la question que beaucoup se posent : comment interpréter ces informations, si l’on est enceinte et que l’on souffre de douleur ou de fièvre ?

Il est important de savoir que laisser se développer une maladie sans la traiter durant la grossesse peut s’avérer dangereux. Chez une femme enceinte, la survenue d’une forte fièvre peut par exemple accroître le risque de complications pour la mère comme pour le bébé. « Serrer les dents », comme l’a suggéré le président Trump, n’est donc pas une option dépourvue de risque.

C’est la raison pour laquelle des organisations professionnelles telles que l’American College of Obstetricians and Gynecologists et l’Agence britannique de réglementation des médicaments et des produits de santé continuent de recommander le paracétamol comme antipyrétique et antalgique de référence pendant la grossesse, à la dose efficace la plus faible et uniquement en cas de nécessité.

(en France, c’est également la position de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, qui précise sur son site Internet qu’« il n’existe actuellement aucune nouvelle donnée justifiant une modification des recommandations d’utilisation du paracétamol pendant la grossesse. Le paracétamol (Doliprane, Dafalgan, Efferalgan, etc.) reste le médicament le plus sûr pour soulager les douleurs d’intensité légère à modérée et faire chuter la fièvre pendant la grossesse », ndlr)

Il s’agit ni plus ni moins de la recommandation en vigueur depuis des décennies. Bien entendu, si pour une raison ou une autre une femme enceinte se trouve dans l’obligation de prendre du paracétamol régulièrement, durant une période prolongée, elle doit en référer à son médecin ou sa sage-femme. Mais quoi qu’il en soit, l’idée selon laquelle l’usage de paracétamol pendant la grossesse serait une cause d’autisme n’est tout simplement pas étayée par données scientifiques les plus solides actuellement disponibles.

Le réel danger est qu’un tel discours alarmiste dissuade les femmes enceintes de traiter leurs douleurs ou leur fièvre, et qu’elles mettent ainsi en péril leur santé et celle de leur enfant.

The Conversation

Renee Gardner bénéficie d’un financement du Conseil suédois de la recherche, du Conseil suédois de la recherche pour la santé, la vie professionnelle et le bien-être, et des NIH américains.

Brian Lee a reçu des financements des NIH, du département des Services sociaux de Pennsylvanie, du département de la Défense et du département de la Santé de Pennsylvanie CURE SAP, ainsi que des honoraires personnels du cabinet d’avocats Beasley Allen, Patterson Belknap Webb & Tyler LLP et AlphaSights.

Viktor H. Ahlqvist reçoit un financement de la Société suédoise pour la recherche médicale.

ref. Paracétamol et autisme : notre étude portant sur 2,5 millions d’enfants n’a révélé aucun lien – https://theconversation.com/paracetamol-et-autisme-notre-etude-portant-sur-2-5-millions-denfants-na-revele-aucun-lien-266156

FMI : pourquoi, quand et comment le Fonds monétaire international intervient dans un pays

Source: The Conversation – France in French (3) – By Wissem Ajili Ben Youssef, Professeur associé en Finance, EM Normandie

En 2018, le FMI intervient en Argentine avec un prêt record de 57 milliards de dollars. Il s’accompagne de mesures d’austérité, contestées par les Argentins. Maxx-Studio/Shutterstock

La Grèce au bord de la faillite (2008-2010), la Tunisie post-Ben Ali (2013) ou l’Argentine contrainte de dévaluer sa monnaie (2023)… dans chaque crise économique majeure, une institution revient sur le devant de la scène : le Fonds monétaire international (FMI). Mais quel est le rôle exact de cette institution fondée en 1944 ?


Institution créée en vertu des accords de Bretton Woods, à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le Fonds monétaire international (FMI) a pour mission de préserver la stabilité du système monétaire international. Comment ? À travers son triple mandat : la surveillance économique de ses 191 pays membres, l’expertise en matière de politique économique et le déploiement de ses instruments financiers en cas de déséquilibres macro-économiques.

Le FMI n’impose jamais ses interventions. Les pays en butte à des crises économiques spécifiques sollicitent eux-mêmes son aide. Ces programmes soulèvent un dilemme entre efficacité macro-économique et coûts sociaux. Au fil des décennies, son rôle n’a cessé d’évoluer, tout en conservant les fondements de son mandat d’origine.

Dans quelles circonstances le FMI intervient-il dans un pays ?

Prêteur de dernier ressort

L’intervention du FMI constitue une mesure d’exception, lorsque plusieurs indicateurs macro-économiques se détériorent simultanément.

L’histoire des crises financières révèle des dynamiques similaires : déséquilibre aigu de la balance des paiements, chute des réserves de change, accélération de l’inflation, dette publique dépassant des seuils soutenables (60-90 % du PIB), ou encore fuite de capitaux étrangers.

Dans ces situations critiques, le pays concerné ne parvient plus à se financer sur les marchés internationaux à des taux acceptables. Le FMI assure alors le rôle d’un prêteur de dernier ressort. L’institution intervient pour garantir le financement de l’économie et pour éviter un effondrement brutal. Son action vise à restaurer la confiance des marchés et à limiter les risques de contagion à d’autres pays.

Les interventions du FMI sont soumises à une conditionnalité, souvent critiquée, visant à garantir le remboursement du prêt et la stabilisation macro-économique.

Boîte à outils du FMI

Le FMI propose une gamme d’instruments financiers, adaptés aux besoins spécifiques des pays.

Les accords de confirmation sont les plus connus. Le FMI met à disposition d’un pays membre une ligne de crédit sur une période déterminée, généralement un à deux ans. En contrepartie, le pays s’engage à mettre en œuvre un programme de réformes économiques défini, comme la réduction des déficits publics, des réformes fiscales ou la libéralisation de certains secteurs. Les décaissements sont effectués par tranches, à mesure que le pays respecte les conditions convenues.

À l’autre extrémité du spectre, les lignes de crédit modulables s’adressent aux pays dont les fondamentaux économiques sont solides. Elles agissent comme une assurance contre les chocs externes imprévus, sans imposer de programme d’ajustement structurel au pays bénéficiaire. Ces instruments offrent un accès immédiat et sans conditionnalité ex post à des ressources importantes.

Les facilités concessionnelles, telles que la facilité élargie de crédit, ciblent les pays à faible revenu. Ces instruments intègrent désormais les Objectifs de développement durable (ODD). Ce mécanisme de prêt offre des conditions particulièrement avantageuses : des taux d’intérêt très bas, voire nuls, et des périodes de remboursement longues généralement avec un différé de remboursement de cinq ans et demi, et une échéance à dix ans. L’accès à ces ressources est conditionné à des réformes adaptées aux besoins spécifiques du pays bénéficiaire : transparence budgétaire, amélioration de la gouvernance, ou encore développement de filets de sécurité sociale.

Illustrations en Argentine, en Grèce et en Tunisie

L’Argentine face au FMI

L’Argentine incarne les difficultés persistantes que rencontrent certains pays dans leur relation avec le FMI. Après l’effondrement économique de 2001, causé par un régime de change rigide et une dette externe insoutenable, le pays reçoit plus de 20 milliards de dollars d’aide. Les mesures d’austérité imposées exacerbent la crise sociale, nourrissant une méfiance durable envers le FMI.




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En 2018, l’institution aux 191 membres intervient de nouveau avec un prêt record de 57 milliards de dollars, soit le prêt le plus important de son histoire. Les résultats restent mitigés. Le FMI assumant :

« Le programme n’a pas atteint les objectifs de rétablissement de la confiance dans la viabilité budgétaire et extérieure, tout en favorisant la croissance économique. L’accord a été annulé le 24 juillet 2020. »

En 2018, de nombreuses manifestations sont organisées en Argentine contre la politique du FMI.
Matias Lynch/Shutterstock

La Grèce : quand l’austérité devient la seule voie de sortie

La crise grecque entre 2010 et 2015 reste l’un des épisodes les plus scrutés de l’histoire récente de la zone euro. Tout commence lorsque le gouvernement hellène révèle un déficit budgétaire bien supérieur aux chiffres officiels. En réponse, le FMI et l’Union européenne mettent en place un plan de sauvetage de 110 milliards d’euros.

Les réformes exigées – baisse des retraites, privatisations massives, hausses d’impôts – plongent le pays dans une récession profonde. Le chômage explose, la pauvreté s’installe, et la colère sociale augmente. Si la stabilité budgétaire est progressivement restaurée, le coût humain et politique reste lourd. La Grèce devient le symbole d’une austérité imposée, alimentant un euroscepticisme durable.

La Tunisie : une transition démocratique qui freine les réformes économiques

Depuis 2013, la Tunisie, engagée dans une transition démocratique post-révolution, bénéficie de plusieurs programmes du FMI totalisant plus de 3 milliards de dollars. Ces interventions visent à réformer le système de subventions, à moderniser la fiscalité et à renforcer la gouvernance publique.

Si certaines avancées techniques sont réalisées, les résultats macroéconomiques déçoivent : une croissance stagnante à 1 %, un chômage des diplômés dépassant 35 %, une augmentation de la dette publique et des inégalités croissantes.

Ce cas illustre les limites de l’action du FMI dans des contextes de transition, où les équilibres économiques sont étroitement liés à des dynamiques sociales et institutionnelles encore fragiles.

Approche plus souple

Depuis la crise financière mondiale de 2008, le FMI a engagé une réflexion profonde sur ses méthodes d’intervention.

L’évolution institutionnelle du fonds est marquée par plusieurs inflexions majeures, en développant de nouveaux mécanismes, comme les lignes de crédit modulable. Elle offre un accès rapide à des financements importants, sans conditionnalité ex post : seuls des critères stricts d’admissibilité sont exigés en amont. Son accès reste limité à un petit nombre de pays jugés exemplaires par le FMI.

L’institution internationale met l’accent sur la protection sociale, en imposant par exemple des planchers de dépenses sociales dans certains programmes. Elle adapte également ses recommandations aux contextes nationaux, avec des calendriers de réformes plus souples.

Lors de la pandémie du Covid-19, le FMI ajuste ses exigences pour permettre aux pays de soutenir leurs économies avant d’engager des réformes structurelles. Le dialogue avec les autorités et la société civile est renforcé par des consultations régulières, comme les forums avec les ONG lors de ses Assemblées annuelles, permettant de mieux intégrer les attentes locales et d’accroître l’appropriation des politiques recommandées.

Deux dilemmes persistent : comment concilier discipline budgétaire et justice sociale ? Comment éviter que les interventions du FMI ne deviennent elles-mêmes des facteurs de déstabilisation dans des sociétés déjà fragilisées ?

The Conversation

Wissem Ajili Ben Youssef ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. FMI : pourquoi, quand et comment le Fonds monétaire international intervient dans un pays – https://theconversation.com/fmi-pourquoi-quand-et-comment-le-fonds-monetaire-international-intervient-dans-un-pays-265034

Les prémices de l’État de droit au Moyen Âge : quand la loi s’impose au roi

Source: The Conversation – in French – By Yves Sassier, professeur émérite, Sorbonne Université

L’histoire intellectuelle et politique du XIIᵉ au XIVᵉ siècle est essentielle pour comprendre la transformation des royautés féodales européennes en États modernes et les prémices des idéaux démocratiques. À cette époque, la redécouverte du droit romain et de la philosophie d’Aristote produisent de passionnants débats sur les rapports du pouvoir et de la loi.


Après l’effacement de l’unité impériale romaine au profit de royautés plurielles (Ve siècle), les penseurs (presque tous membres du clergé) intègrent certaines réflexions des antiques sur les finalités de la loi. Il s’agit d’œuvrer en vue de l’utilité commune et d’éviter tout abus de pouvoir du prince. Ils héritent également de la pensée juridique du Bas Empire chrétien, selon laquelle la loi doit s’efforcer d’orienter l’action des princes vers une réalisation spirituelle. Le bon prince doit légiférer pour Dieu et se soumettre lui-même aux lois qu’il impose à ses sujets. Pourtant, la persistance des vieilles pratiques germaniques – vengeance privée et autorégulation sociale des conflits – débouche, vers la fin du IXe siècle carolingien, sur un profond affaiblissement des royautés comme de leur capacité à « faire loi ».

Mettre en œuvre ce qui est utile à tous

Le XIIe siècle marque un renversement de tendance. La conjoncture économique, démographique et sociale est très favorable aux détenteurs des plus florissantes cités, aux premiers rangs desquels figurent les rois. L’essor de la production et du commerce à distance profite aux princes. Il profite aussi à ceux qui, appartenant au monde clérical des cités, traversent l’Europe pour s’instruire, puis entrent au service des souverains comme conseillers. La démarche intellectuelle de cette élite pensante témoigne d’une lente prise de conscience de la complexité croissante du corps social. Et de la naissance, en son sein d’une forte exigence de sûreté juridique, de liberté et d’identité communautaire.

La réflexion sur le pouvoir, s’inspirant notamment des œuvres de Cicéron, s’oriente ainsi progressivement vers l’idée d’une nature sociale de l’être humain. On réfléchit aussi sur la justice et sur la règle de droit et l’on insiste sur le but ultime de cette justice : mettre en œuvre ce qui est utile à tous et, par-delà, assurer le bien-être matériel et spirituel de la communauté en son entier.

Absolutisme princier versus « certaine science » de la communauté politique

Cette époque est également marquée par la redécouverte de l’immense œuvre juridique de l’empereur romain d’Orient Justinien (VIe siècle). Cet événement considérable suscite la naissance d’une étude textuelle, très tôt mise à profit par les entourages princiers à travers toute la chrétienté occidentale. Dans ce cercle étroit, le débat est lancé entre tenants d’un « absolutisme » princier et partisans d’une capacité propre de toute communauté à émettre ses propres règles.

Les premiers s’appuient sur certains passages de l’œuvre justinienne qui mettent l’accent sur la relation du prince à la loi, notamment deux aphorismes en provenance d’un jurisconsulte romain du IIIe siècle, Ulpien. « Ce qui a plu au prince à la vigueur de la loi ». Ce passage est suivi d’une explication affirmant que par la « lex regia » (loi d’investiture de l’empereur), le peuple romain transmet au prince tout son imperium (pouvoir de commandement) et toute sa potestas (puissance). Et puis :« Le prince est délié des lois », une sentence contraire au modèle du gouvernant soumis à la loi diffusé par la pensée chrétienne du haut Moyen Âge. Tout prince peut alors se prévaloir de ces textes pour affirmer sa pleine capacité à émettre la règle de droit ou à s’affranchir de celle-ci. De telles thèses circulent dès le XIIe siècle dans les entourages royaux.

Cependant, les savants qui glosent le droit romain ont aussi trouvé chez Justinien tel texte par lequel le prince déclare soumettre son autorité à celle du droit et sa propre personne aux lois. Ou tel autre plaidant en faveur d’une fonction législative revenant au peuple, voire d’un droit du peuple d’abroger la loi ou d’y déroger.


CC BY

La théorie de la supériorité de la coutume générale d’un peuple sur la loi du prince, comme celle de la « certaine science » d’une communauté locale la rendant apte à déroger, en pleine conscience, à la règle générale, est un autre apport de ce XIIe siècle. Tout comme la réflexion, plus mesurée, de certains romanistes sur la nécessité, pour une communauté locale s’affranchissant d’une règle, d’agir avec sagesse et de se donner de nouvelles règles conformes à la raison. Ces exigences correctrices de la théorie première ouvrent la voie à la confirmation d’une capacité de suppression de la « mauvaise » coutume par le prince agissant lui aussi en vertu de sa propre « certaine science »

Aristote redécouvert

Jusqu’aux années 1250, c’est principalement dans le sillage de ces acquis que se situe la pensée juridico-politique. La réflexion très neuve sur le pouvoir normatif du prince est désormais un élément essentiel. Le XIIIe siècle est bien celui d’une montée en puissance des législations royales dans nombre de pays européens où semblent dans un premier temps prévaloir les aphorismes d’Ulpien.

La redécouverte, autour des années 1240-1260, de l’_Éthique à Nicomaque et de la Politique_ d’Aristote accélère l’évolution de la réflexion sur l’instrument du pouvoir que redevient la loi. La doctrine naturaliste d’Aristote (l’homme, voué à s’intégrer à une communauté, est par nature un « animal politique ») n’a pas pour conséquence immédiate une complète autonomie du politique vis-à-vis du théologique. Aux yeux des plus aristotéliciens des penseurs du temps, l’homme demeure un être voué à l’obéissance aux commandements divins. La vertu de charité qui lui est assignée implique cet amour du bien commun, vertu première du citoyen.

Il reste cependant que découvrir Aristote permet un remarquable enrichissement de la réflexion sur la communauté. Ici aussi le débat est vif entre juristes et théologiens-philosophes et débouche sur des visions contradictoires des droits de la multitude. Certains considèrent cette dernière comme ayant pleine capacité juridique à consentir aux actes du prince. D’autres persistent à la présenter comme l’équivalent juridique d’un mineur sous protection, son tuteur qu’est le prince disposant d’une plénitude de puissance.

Partager la confection de la loi avec le peuple ?

Si l’exigence du bien commun devient plus que jamais l’objet d’un discours rationnel, sa mise en œuvre, néanmoins, peut adopter deux voies bien différentes. La première s’appuie sur la lecture absolutiste de Justinien : elle insiste sur l’idéal du prince vertueux œuvrant au service de son peuple, apte à légiférer seul, mais en s’appuyant sur de sages conseillers ; apte aussi à ne jamais abuser d’une puissance qui ne connaît cependant d’autre frein que sa propre conscience.

La seconde est assurément nouvelle dans le contexte médiéval de cette fin du XIIIe siècle : mettre en œuvre les possibles alternatives qu’offrent deux éléments essentiels de la réflexion d’Aristote. L’un concerne les variantes qui peuvent modifier en profondeur chacun des trois régimes purs) que sont la monarchie, l’aristocratie et la démocratie ; l’autre porte sur sa préférence pour un régime privilégiant un droit de participation active aux affaires publiques accordé à une partie de la population, représentative d’un « juste milieu » social et garante d’un « juste milieu » éthique. Il s’agit ici d’empêcher toute dérive tyrannique provenant tant d’un monarque ou d’une oligarchie que d’un peuple sans vertu.

Le XIVe siècle verra ainsi croître les théories prônant le recours, par le monarque, au dialogue voire au partage de la confection de la loi avec son peuple. Certaines de ces théories iront même jusqu’à afficher l’idée d’une sorte de souveraineté de principe du peuple en matière législative (Marsile de Padoue, Nicole Oresme).

En cette fin de Moyen Âge, la pensée politique, progressivement mise à portée d’une élite plus large, s’est ainsi orientée vers certaines thèses qui préfigurent le « constitutionnalisme » moderne et aussi, à certains égards, vers ce que la doctrine politique occidentale appelle de nos jours « l’État de droit ». Il est cependant vrai que certaines conditions de cet État de droit (séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, pleine souveraineté de tout un peuple liée à une pleine égalité de droit de ses membres) ne seront guère acquises à la fin du XVe siècle.

La réflexion sur le politique, on le sait, s’orientera aussi vers l’autre thèse développée dès le XIIe siècle, celle de la toute-puissance d’un prince « absous des lois ». Elle débouchera au tournant des XVIe et XVIIe siècles sur des parenthèses absolutistes parfois courtes et vouées à l’échec comme dans l’Angleterre des Stuarts, parfois plus longues comme dans la France des Bourbons.


Yves Sassier est l’auteur du Prince et la loi en Occident. VIe siècle av. J.-C.-début XVe siècle, Presses universitaires de France, juin 2025.

The Conversation

Yves Sassier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Les prémices de l’État de droit au Moyen Âge : quand la loi s’impose au roi – https://theconversation.com/les-premices-de-letat-de-droit-au-moyen-age-quand-la-loi-simpose-au-roi-261976

La Finlande, nouveau poste avancé de l’Otan face à la Russie

Source: The Conversation – in French – By Victoria Bruné, PhD Student in Politics and International Relations, University of Aberdeen

Après des décennies de neutralité, d’abord contrainte puis fièrement affichée, la Finlande s’est résolue à rejoindre l’Otan il y a deux ans et demi. Elle est désormais le sixième pays de l’Otan – après la Norvège, la Pologne et les trois États baltes – à disposer d’une frontière avec la Russie, mais celle-ci est de loin la plus longue des six. Le scénario d’une attaque venant de Moscou – qui ne cesse de répéter qu’elle considère l’Otan comme son ennemi existentiel – est considéré comme crédible à Helsinki, qui développe son industrie de défense et cherche à s’assurer d’un soutien total de ses alliés européens, étant donné que celui de Washington semble faillible au vu de certaines des déclarations de Donald Trump et de ses ministres.


Tandis que la guerre en Ukraine s’enlise et que les atermoiements de l’administration Trump n’ont de cesse d’amplifier un climat d’incertitude en Europe, le ministre finlandais de la défense, Antti Häkkänen, a annoncé le 1er septembre dernier le lancement des activités du Commandement de la composante terrestre Nord de l’Otan (Multi Corps Land Component Command Concept, MCLCC) au sein de la ville de Mikkeli, siège du commandement de l’armée finlandaise, située à environ 100 km de la frontière russe à vol d’oiseau.

Le MCLCC supervisera la planification, la préparation, le commandement et le contrôle des exercices conjoints des armées otaniennes en Europe du Nord. La valeur tactique de l’Europe du Nord, bien comprise aussi bien par l’Occident que par la Russie, fait de Mikkeli une zone soumise à une exposition stratégique.

L’installation du MCLCC intervient deux ans et demi après l’entrée de la Finlande dans l’Otan, le 23 avril 2023, actant la fin d’un non-alignement qui avait pris naissance dans le Traité d’Amitié, d’Assistance et de Coopération mutuelle signé en 1948 avec l’URSS.

Une tradition de neutralité (forcée) remontant à la guerre froide

Du fait de son alliance avec l’Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale pour combattre les Soviétiques afin de récupérer les territoires perdus lors de la guerre d’hiver (1939-1940), la Finlande a dû, après la fin du conflit, conclure avec l’URSS ce traité qui engendra la neutralité forcée d’Helsinki, connue sous le nom de « finlandisation ».

La finlandisation prend mécaniquement fin avec la chute du bloc soviétique en 1991. Dès 1995, quand elle adhère à l’Union européenne, la Finlande cesse de se définir comme neutre, adoptant en lieu et place la terminologie de non-alignement vis-à-vis de toute alliance militaire.

Cette posture ne résistera pas à l’intensification de la menace russe, particulièrement sensible à partir de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine.

La guerre en Ukraine ou l’onde de choc qui a mis fin au non-alignement

L’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022 propage en Finlande une onde de choc qui ébranle les fondements du non-alignement, ravivant les traumas mémoriels liés à l’impérialisme de l’URSS.

Dans ce contexte, l’opinion publique finlandaise, qui s’était jusqu’alors montrée rétive à l’idée d’une entrée dans l’Otan, se met à soutenir massivement l’adhésion à l’Alliance. Dès le début de l’invasion russe, une enquête d’opinion indique que 53 % de la population souhaite une intégration dans l’Otan, contre 30 % un mois plus tôt et 26 % à l’automne 2021.

Au printemps 2022, une nouvelle enquête montre que 60 % des Finlandais souhaitent cette intégration.

Le 18 mai 2022, la Finlande dépose avec la Suède, sa candidature à l’Alliance. Leur adhésion devient effective, respectivement le 4 avril 2023 pour la Finlande et le 7 mars 2024 pour la Suède, après avoir été confrontées aux vetos turc et hongrois. La Turquie accusait en effet les « pays scandinaves » d’être des « refuges pour les organisations terroristes ». La Hongrie, quant à elle, s’y opposait notamment en raison des critiques de Stockholm et d’Helsinki à son égard s’agissant du respect de l’État de droit.

Une opinion publique toujours favorable à l’Otan

Depuis l’adhésion, la population finlandaise n’a pas changé d’avis sur le caractère indispensable de cette décision historique. Les sondages d’opinion effectués au cours de ces deux dernières années traduisent la persistance d’un fort soutien à l’appartenance à l’Otan. Une étude conduite en décembre 2023 par cinq institutions académiques souligne que 82 % des Finlandais auraient voté en faveur d’une adhésion à l’Otan en cas de référendum, le taux de soutien étant plus élevé chez les électeurs conservateurs et sociaux-démocrates (le pays est gouverné depuis juin 2023 par une coalition entre conservateurs et droite radicale, qui a pris la suite d’un gouvernement social-démocrate), et plus faible chez ceux de la gauche radicale – dont le principal parti, l’Alliance de gauche, qui a obtenu 7 % des suffrages aux dernières législatives, tenues en avril 2023, appuie également l’appartenance du pays à l’Otan après des années marquées par une opposition traditionnelle, le parti ayant été le plus hostile à l’adhésion à l’Otan sur le spectre politique national.

L’aspect nucléaire de l’Alliance constitue néanmoins un sujet de discorde dans un pays traditionnellement favorable au désarmement nucléaire. L’étude des cinq institutions souligne en effet qu’un cinquième de la population seulement soutient un déploiement des armes nucléaires sur le territoire finlandais. Une autre étude du think tank EVA, effectuée en avril 2025, met en évidence une baisse du soutien à l’adhésion à l’Otan par rapport à l’automne 2022 (de 78 % à 66 %) ; en outre, 53 % des sondés estiment que l’appartenance à l’Otan est loin d’être une garantie d’assistance de la part des autres pays de l’Alliance en cas de crise.

Ce relatif déclin de la confiance dans l’Otan s’inscrit dans un contexte marqué par les gestes de conciliation envoyés par l’administration Trump à Vladimir Poutine, qui inquiètent la Finlande à un tel point qu’elle songerait à se tourner vers ses alliés scandinaves, britanniques et français en cas d’échec de recours à l’Article 5 de l’Otan.

Il n’en demeure pas moins que l’adhésion à l’Alliance aura constitué un processus historique qui a conduit à une reformulation de l’identité politique finlandaise, tout en maintenant une certaine continuité.

La continuité de la tradition de médiation internationale

Durant la guerre froide et dans les décennies suivantes, l’image de neutralité, puis de non-alignement, attachée à Helsinki a offert un terreau fertile au développement d’une tradition de médiation et de maintien de la paix, incarnée par des figures majeures telles que le président Martti Ahtisaari (1994-2000), récipiendaire du prix Nobel de la paix en 2008 pour sa contribution à la résolution de plusieurs conflits (Kosovo, Aceh, Namibie).

Tout au long de la guerre froide, la Finlande s’est ainsi imposée comme un « pont » entre l’Est et l’Ouest, comme en atteste l’organisation de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe entre les deux blocs à Helsinki en 1973.

Malgré le virage atlantiste que constituent l’adhésion à l’Otan, mais aussi la signature en 2023 d’un accord de coopération de défense (DCA) qui garantit aux États-Unis l’accès à quinze zones et infrastructures militaires sur son territoire, la Finlande continue de s’affirmer comme un médiateur clé sur l’échiquier géopolitique. La présence du président finlandais, Alexander Stubb au sein de la délégation européenne à la Maison Blanche dont le dessein consistait à obtenir des garanties sécuritaires pour l’Ukraine en date du 18 août dernier l’atteste particulièrement.

Alexander Stubb, troisième en partant de la gauche, en compagnie d’Ursula von der Leyen, Keir Starmer, Volodymyr Zelensky, Donald Trump, Emmanuel Macron, Giorgia Meloni, Friedrich Merz et Mark Rutte (secrétaire général de l’Otan), à la Maison Blanche, le 18 août 2025.
Riikka Hietajärvi/Embassy of Finland in Washington

L’émergence d’un « réalisme fondé sur des valeurs »

Au vu des eaux troubles où navigue la Finlande, le gouvernement a défini dans son rapport de politique étrangère et de sécurité paru en 2024 un nouveau principe de politique étrangère, à savoir le « value-based realism ».

Ce « réalisme » implique des compromis avec des États dont le système de valeurs diffère de celui de la Finlande, comme mis en exergue par Alexander Stubb dans un discours prononcé devant le Parlement le 5 février 2025 :

« À long terme, il est dans l’intérêt de la Finlande que le système multilatéral reste aussi solide que possible. Mais nous ne pouvons pas nous exclure des prises de décision qui se déroulent en partie en dehors de ce système. Nous ne pouvons pas non plus nous isoler des pays qui ne soutiennent pas pleinement le multilatéralisme. Nous défendrons nos intérêts dans toutes les situations, en nous appuyant sur nos propres valeurs. »

Un tel « réalisme » peut faire écho aux tractations menées avec la Hongrie et la Turquie pour mettre fin au véto que celles-ci opposaient à l’entrée de la Finlande dans l’Alliance. Il en est de même pour le retrait du traité d’Ottawa (1997) sur l’interdiction des mines antipersonnel, voté par le Parlement le 19 juin 2025, afin d’assurer la défense de la Finlande face au géant russe.

Un rôle crucial au sein de l’appareil otanien, dans l’ombre de la Russie

La position stratégique de la Finlande en fait un avant-poste pour l’Otan, comme en atteste la mise en place du MLCCC. Le pays, peuplé de quelque 5,6 millions de personnes, partage une frontière de 1340 km avec la Russie et dispose d’effectifs qui, la conscription masculine étant obligatoire, peuvent s’élever en temps de guerre à 280 000 soldats et environ 900 000 personnes disposant d’une expérience militaire (l’un des plus élevés de l’Otan).

Ses atouts de défense technologiques, tels que le navire Turva, paré contre toute menace hybride en mer Baltique, notamment en provenance de la « flotte fantôme » de la Russie, accusée d’être à l’origine de sabotages de câbles sous-marins, font de la Finlande une pièce maîtresse.

Dans un contexte d’escalade de la guerre hybride orchestrée par la Russie, la Finlande constitue une cible de choix pour Moscou. Helsinki accuse notamment la Russie d’acheminer des migrants près de sa frontière.

Le texte publié le 8 septembre dernier par l’ancien président (2008-2012) Dmitri Medvedev, aujourd’hui numéro deux du Conseil de Sécurité de la Russie, accusant la Finlande d’ourdir une attaque contre la Russie, pourrait être le signe avant-coureur d’une opération russe de grande ampleur, qui irait bien au-delà de la récente incursion de drones dans les espaces aériens polonais et roumain respectivement dans la nuit du 9 au 10 septembre et le 13 septembre et de trois avions militaires russes dans l’espace aérien estonien le 19 septembre. Le soupçon plane là également sur la Russie quant aux survols de drones au-dessus des aéroports de Copenhague et d’Oslo dans la nuit du 22 septembre.

Au lendemain de l’intrusion des drones en Pologne et du discours d’Ursula von der Leyen sur l’état de l’Union où elle prône la construction d’un « mur de drones », le premier ministre finlandais Petteri Orpo a défendu un investissement européen dans la défense aérienne de la Finlande – mais aussi dans celle des États baltes et de la Pologne. Seuls des investissements massifs dans la défense européenne (notamment aérienne) pourront augmenter le seuil de dissuasion face à une menace russe dont le spectre devient de plus en plus manifeste, en Finlande et ailleurs sur le continent.

The Conversation

Victoria Bruné ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. La Finlande, nouveau poste avancé de l’Otan face à la Russie – https://theconversation.com/la-finlande-nouveau-poste-avance-de-lotan-face-a-la-russie-265300

Voici pourquoi la poutine est devenue le nouveau plat national québécois

Source: The Conversation – in French – By Geneviève Sicotte, Professeure, Études françaises, Concordia University

En quelques décennies, la poutine a acquis le statut de nouveau plat identitaire québécois.

On connaît sa composition : frites, fromage en grains et sauce, le tout parfois surmonté de diverses garnitures. C’est un mets qu’on peut trouver simpliste, un fast-food qui assemble sans grande imagination des aliments ultra-transformés et pas très sains.

Pourquoi s’impose-t-il aujourd’hui avec tant de force ?

Dans La poutine. Culture et identité d’un pays incertain publié cette semaine aux PUM, j’explore cette question. J’essaie de comprendre ce qui fait qu’un aliment devient un repère et même un emblème pour une collectivité. Mon hypothèse est que la poutine doit sa popularité au fait qu’elle mobilise de manière dynamique des enjeux sensibles de l’identité québécoise actuelle.

Pour analyser l’imaginaire qui s’élabore autour du plat, j’approfondis ici quelques pistes : ses liens avec la tradition culinaire québécoise et la convivialité particulière qui la caractérise.




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Un plat pour repenser le passé

La poutine est relativement récente : elle apparaît dans les années cinquante et ne devient populaire que dans les dernières décennies du XXe siècle. Mais en fait, malgré cette modernité, elle touche à des enjeux liés au passé et permet de les repenser. C’est un premier facteur qui explique son nouveau statut de plat emblématique.

La cuisine traditionnelle du Québec était d’abord associée à la subsistance. Fondée surtout sur les ressources agricoles, modeste, simple et parfois rudimentaire, elle devait emplir l’estomac. Pour cette raison, elle a longtemps été dénigrée, comme en témoignent les connotations négatives attachées à la soupe aux pois ou aux fèves au lard.

Des valorisations sont bien survenues au fil du XXe siècle. Mais même si on trouve aujourd’hui des mets traditionnels dans certains restaurants ou qu’on les consomme ponctuellement lors de fêtes, on ne saurait parler de revitalisation. Peu cuisinés, ces mets sont surtout les témoins d’une histoire, d’une identité et de formes sociales dans lesquelles une bonne partie de la population ne se reconnaît pas.

Or dans l’imaginaire social, la poutine semble apte à repositiver cette tradition. D’emblée, elle permet que des traits culinaires longtemps critiqués — simplicité, économie, rusticité et abondance — soient transformés en qualités. Elle procède ainsi à un retournement du stigmate : le caractère populaire de la cuisine, qui a pu susciter une forme de honte, est revendiqué et célébré.

Par ailleurs, la poutine se compose d’ingrédients qui agissent comme les marqueurs discrets des influences britanniques, américaines ou plus récemment du monde entier qui constituent la cuisine québécoise. Mais l’identité qu’évoquent ces ingrédients semble peu caractérisée et fortement modulée par le statut de fast-food déterritorialisé du plat. Le plébiscite de la poutine s’arrime ainsi à une situation politique contemporaine où le patriotisme québécois n’est plus un objet de ralliement dans l’espace public. Le plat devient un repère identitaire faible et, dès lors, consensuel.

Un plat convivial

Les manières de manger révèlent toujours des préférences culturelles, mais c’est d’autant plus le cas quand la nourriture consommée est ressentie comme emblématique. C’est pourquoi il faut également traiter de l’expérience concrète de la consommation de poutine et de la convivialité qu’elle suppose, qui portent elles aussi des dimensions expliquant son essor.

Le casseau abondant de frites bien saucées révèle une prédilection pour un certain type de climat et de liens sociaux. Il est posé sans façon au centre de la table et souvent partagé entre les convives qui y puisent directement. Les relations entre les corps et avec l’espace qui se dévoilent par ces usages, ce qu’on appelle la proxémie, prennent ici une dimension personnelle et même intime.

La convivialité associée à la poutine rejette ainsi les codes sociaux contraignants et valorise un registre libre et familier, où la communauté emprunte ses formes au modèle familial restreint plutôt qu’au social élargi.

Une nourriture de réconfort

Une fois consommé, le mets emplit l’estomac et rend somnolent. Ce ressenti physiologique fait peut-être écho à l’ancienne cuisine domestique qui visait la satiété. Toutefois, il trouve aussi des résonances contemporaines.

La poutine appartient en effet à la catégorie très prisée des nourritures de réconfort, ce phénomène typique d’une époque hédoniste. Mais la poutine n’est pas seulement un petit plaisir du samedi soir. Elle devient le signe de préférences culturelles collectives : les corps se rassemblent dans une sociabilité de proximité qui vise le plaisir et qui permet de mettre à distance des enjeux sociaux et politiques potentiellement conflictuels.


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En outre, le plat fait l’objet de consommations festives qui accentuent sa portée identitaire. Dans ces occasions, la convivialité devient codifiée et parfois ritualisée. La poutine des vacances marque la fin des obligations, le moment où s’ouvre un été de liberté ; la première poutine des immigrants signe leur intégration à la société québécoise ; la poutine nocturne permet d’éponger les excès avant de réintégrer le monde des obligations ; les festivals de la poutine constituent des moments de rassemblement joyeux de la collectivité.

Ces fêtes sont de véritables performances de l’identité, des moments où s’inventent des modalités renouvelées du vivre-ensemble qui valorisent le plaisir, l’humour, la modestie et les liens de proximité. Elles offrent une image qui, malgré qu’elle puisse être idéalisée, joue un rôle actif dans la représentation que la collectivité se fait d’elle-même. Et cela se manifeste même dans le domaine politique, notamment lors des campagnes électorales !

La poutine, passage obligé des campagnes électorales


Un plat emblématique pour célébrer une identité complexe

Loin d’être un signe fixe, un plat identitaire est dynamique et polyphonique. Quand nous le mangeons, nous mobilisons tout un imaginaire pour penser ce que nous sommes, ce que nous avons été et ce que nous voulons être.

La poutine illustre clairement cela. Elle réfère au passé, mais le reformule et l’inscrit dans le présent. Elle valorise une certaine forme de collectivité, mais il s’agit d’une collectivité plutôt dépolitisée et non conflictuelle, rassemblée autour de valeurs familiales et familières.

Privilégiant l’humour et la fête, elle évite le patriotisme sérieux et affirme son existence avec modestie. La poutine devient ainsi un support permettant de manifester l’identité québécoise actuelle dans toute sa complexité. C’est ce qui explique qu’elle s’impose comme nouveau plat emblématique.

La Conversation Canada

Geneviève Sicotte a reçu des financements de l’Université Concordia, du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) et du Fonds de recherche du Québec, Société et culture (FRQSC).

ref. Voici pourquoi la poutine est devenue le nouveau plat national québécois – https://theconversation.com/voici-pourquoi-la-poutine-est-devenue-le-nouveau-plat-national-quebecois-263977

Développement personnel : pourquoi faudrait-il « se ressourcer » ?

Source: The Conversation – in French – By Yael Dansac, Anthropologue et collaboratrice scientifique, Université Libre de Bruxelles (ULB)

« Se ressourcer », un leitmotiv des pratiques spirituelles contemporaines. Pexels, CC BY

Séjour de yoga restauratif à Saint-Malo, bain de forêt rééquilibrant à Rambouillet, retraite de méditation harmonisante à Chamonix… le marché des spiritualités contemporaines regorge d’options pour retrouver sa maîtrise de soi, amplifier sa productivité ou cultiver son bien-être. Ces vingt dernières années, le terme « se ressourcer » est devenu un verbe fourre-tout très présent sur le marché du développement personnel, dans la sphère des thérapies alternatives et dans le monde du travail. Mais qu’est-ce que cette expression désigne précisément, et à quels besoins répond-elle ?


La forme pronominale « se ressourcer » a une résonance francophone qui ne correspond pas tout à fait au sens des expressions, comme replenishing, (réapprovisionnement) ou recharging (rechargement), elles aussi très répandues sur le marché des spiritualités contemporaines des sociétés anglophones.

Dans le dictionnaire, « se ressourcer » signale l’action de « revenir à ses sources ». Cette expression porte l’idée d’un retour à un espace-temps où, selon l’anthropologue Stéphanie Chanvallon, l’être humain serait capable de rencontrer une partie perdue de son essence ou de son énergie.

« Se ressourcer » semble correspondre à une tâche perpétuelle ou sisyphéenne : celle de réacquérir de manière répétitive des potentialités perdues au cours d’une trajectoire personnelle, mais qui demeurent à l’intérieur de chacun. De même, il s’agirait d’un moyen privilégié pour surmonter l’épuisement physique et mental que nous subissons depuis notre passage à une société d’accélération, telle que théorisée par le philosophe allemand Hartmut Rosa.




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La source en question

Les adeptes des spiritualités contemporaines s’approprient ce terme pour évoquer l’existence d’une « source », comme l’illustre le témoignage d’une psychothérapeute, recueilli au cours de l’une de nos enquêtes sur les pratiques holistiques dans le Morbihan (Bretagne), en 2018 :

« La source, pour moi, est une borne d’énergie, sur laquelle je dois me connecter de temps en temps afin de recharger mes batteries. Il n’y en a pas qu’une. Votre source peut également se trouver dans la méditation, le yoga ou la marche dans la forêt. Votre bien-être intérieur est le premier indice qui vous indique que vous avez trouvé le bon moyen pour vous ressourcer. »

Localiser la « source » est une tâche dirigée par les émotions et par les subjectivités. Cela lui permet d’adopter les formes les plus variées, dans le temps et dans l’espace. Elle peut se matérialiser dans des milieux naturels tels que la forêt ou les bords de mer, dans des contextes urbains comme les cabinets de médecine alternative ou les parcs, à des dates précises telles que les solstices ou les équinoxes, ou encore à travers des activités diverses comme les retraites méditatives, les pratiques psychocorporelles ou les stages de découverte du néo-chamanisme.

Le choix de « retourner à la source » passe avant tout par une décision personnelle d’accorder une importance non négociable au maintien de son propre bien-être, comme l’exprime cet autre témoignage recueilli, en 2023, auprès d’un spécialiste en pratiques holistiques :

« Le jour où vous décide[re]z que le retour à la source fait partie essentielle de votre vie, vous réaliserez à quel point le fait de vous arrêter par moments et de vous retrouver ici avec vous-même vous rend beaucoup plus efficace dans tous les aspects de votre vie. »

D’après les témoignages recueillis, « se ressourcer » n’est pas envisagé comme une activité isolée ou une pratique précise, mais plutôt comme la quête d’un état émotionnel souvent exprimé par les formules « centré », « ancré » ou « équilibré ».

Cette quête, étroitement liée à la consommation de produits pour travailler sur soi-même, s’inscrit dans une modernité tardive marquée par l’individualisme et la culture de consommation. Dans un monde où la quête de sens est devenue le leitmotiv, le fait de « se ressourcer » a évolué en outil formateur de notre identité.

Entre quête de soi et dynamique d’auto-engendrement

L’essor de pratiques spirituelles séculières est emblématique de cette fascination pour des expériences valorisées pour leurs vertus « ressourçantes ». Ces activités permettent aux participants de se livrer à une quête de soi susceptible d’être éprouvée comme une expérience intense et inattendue. Cette quête peut être désirée comme une rencontre avec ses racines, un retour sans limites à une essence « pure », ou un processus continu de réactualisation des connaissances sur soi-même et sur autrui.

La dimension cyclique est au centre des activités qui supposent un retour aux sources. Ce caractère répétitif est constitutif des pratiques rituelles occidentales où l’injonction de « renaître à soi-même » façonne les expériences des participants. Plutôt que d’être vécue comme la quête d’un « soi véritable » une fois pour toutes, cette prescription est éprouvée comme une dynamique d’auto-engendrement, qui n’a pas une durée déterminée et qui inclut la consommation régulière des produits et des formations ressourçantes.

Entre quête d’un état affectif et expérience métaphysique

Si l’acte de « se ressourcer » est tellement estimé au sein de nos sociétés, c’est notamment à cause de son potentiel eudémonique  : c’est-à-dire qu’il est associé aux expériences d’épanouissement personnel, d’acceptation de soi, d’établissement de relations positives avec les autres, et d’identification du sens de la vie.

Les pratiques ressourçantes sont également vues comme propices au développement des émotions positives, telles que la compassion, la gratitude et la reconnexion à une nature envisagée comme « vivante ». Le passage d’un état affectif négatif (marqué par l’angoisse, le stress ou la colère) à un état affectif positif est un des principaux bénéfices recherchés par les participants, comme l’exprime ce témoignage d’un enseignant recueilli, en 2024, lors d’une enquête sur les pratiques spirituelles fondées sur la nature, en Wallonie (Belgique) :

« Ce stage m’a permis de réaliser un véritable tournant dans ma vie et de cultiver l’humilité et la compassion. Je me sens infiniment chanceux d’avoir fait cette expérience qui favorise l’ancrage et la gratitude. »

Le ressourcement peut également être apprécié comme un processus qui s’exprime mieux dans un langage « énergétique », caractéristique des religions métaphysiques étudiées par la spécialiste en sciences des religions Catherine L. Albanese. Il s’agit de systèmes de croyances qui empruntent au langage du monde scientifique. C’est pourquoi l’acte de se ressourcer se traduit parfois par des expressions comme « faire le plein d’énergie » ou « réaligner nos énergies », qui désignent un processus de synchronisation et reconditionnement des couches d’énergies subtiles, censées entourer toute matière. Ceci est exposé de la manière suivante par un ingénieur qui a fait l’expérience d’un stage de guérison énergétique en Bretagne :

« La visite de ces hauts lieux permet notamment de ressentir diverses énergies au niveau physique, psychique ou spirituel, sur des sites particuliers. Ainsi, j’ai pu décharger une grande partie des énergies qui me dérangent habituellement, et me ressourcer de bonnes énergies qui m’ont apporté de l’équilibre. »

En somme, l’expression « se ressourcer » et les pratiques qu’elle recouvre sont devenues des outils formateurs des dynamiques relationnelles entre nous, nous-mêmes et autrui. Elles ouvrent la voie à l’engendrement d’un « soi-même » susceptible d’être renouvelé sans limite.

Dans une ère marquée par des crises multiformes, « se ressourcer » est également valorisé par un discours dominant qui exhorte les individus à devenir « la meilleure version d’eux-mêmes ».

The Conversation

Yael Dansac ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Développement personnel : pourquoi faudrait-il « se ressourcer » ? – https://theconversation.com/developpement-personnel-pourquoi-faudrait-il-se-ressourcer-263739

La très longue feuille de route pour être un « bon patron »

Source: The Conversation – in French – By Michel Offerlé, Sociologie du politique, École normale supérieure (ENS) – PSL

« Patron », un terme qui a le plus souvent une charge péjorative. Que peut être alors un « bon patron » ? Les demandes adressées à celui qui préfère aujourd’hui être appelé « chef d’entreprise » ou « entrepreneur » sont multiples. Revue des principales qualités qui leur sont demandées.


Être patron, cela a-t-il à voir avec le ou la politique ? Jusqu’où la revendication de l’entreprise au « service du bien commun » (entre entreprise providence et « Laissez-nous faire nous-mêmes ») peut-elle impacter le métier ?

En France, le terme « patron » est plus souvent associé à des désinences fortement péjoratives : pas seulement mauvais (du point de vue gestionnaire) mais plutôt « salaud de », « pourri », « con », « voyou » ; quant aux adjectifs : « autoritaire » et « tyrannique » se le disputent à « hautain », « caractériel » ou « inabordable ».

Dans tous les cas, être patron suppose de se placer dans une relation de domination à l’égard de ses salariés qui sont, eux, dans un état de subordination économique et juridique à l’égard de leur employeur. L’employeur est le chef de l’entreprise et, comme tel, c’est lui qui peut se réserver les tâches les plus gratifiantes, et déléguer le travail, et notamment « le sale boulot » à ses « collaborateurs ».

Indispensables patrons

Cette présentation négative a été contrée depuis longtemps par un ensemble de dénégations argumentatives et de pratiques qui entendent montrer que le patron est indispensable dans une économie de marché, soit le système économique le plus efficace dans lequel se crée de la richesse et des emplois.

Et le mot « patron » tend à être refoulé dans des siècles antérieurs (le patron « à la Zola »). Le terme est entré en déshérence au profit de ceux de « chef d’entreprise », d’« entrepreneur » ou, dans un langage international, de « manager » voire de CEO (pour chief executive officer, dans la langue de Steve Jobs). En 1995, le changement du nom de l’organisation interprofessionnelle du Conseil national du patronat français (CNPF) en Mouvement des entreprises de France (Medef) marque aussi cet objectif de modifier et de moderniser les représentations patronales.




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Par ailleurs, des techniques très différentes de mise au travail et d’acceptation ou d’assentiment de la subordination s’inventent tous les jours, de manière parfois cosmétique, pour établir ou rétablir un management qui peut être alors :

Paternalisme de proximité ?

Cela peut aller du réinvestissement du paternalisme de proximité (il vient dire bonjour tous les matins, il connaît les problèmes de ses salariés) à des expérimentations, comme l’entreprise libérée, en passant par des pratiques vertueuses que peuvent mettre en œuvre des patrons de l’économie sociale et solidaire ou certains innovateurs patronaux.

La question du ratio d’équité, soit le rapport entre le salaire médian ou moyen des salariés et celui des plus hauts dirigeants, reste un sujet relativement confidentiel. Certains rares patrons pratiquent le 1 à 4 quand d’autres acceptent un salaire mensuel à 7 chiffres, ce qui peut amener le ratio à plus de 200.

HEC Paris, 2016.

Un bon patron serait celui qui paye bien, qui embauche des CDI, comme, par exemple Axyntis qui assure des conditions de travail optimales à ses salariés, hommes et femmes, qui a de la considération pour eux et pour leur travail, qui les traite comme des co-équipiers, qui les associe à la réflexion voire à la décision, et, au-delà de toutes ces contraintes, qui sait assurer la rentabilité financière de l’entreprise, sa viabilité et sa pérennité.

Des marges de manœuvre vertueuses

En poussant au maximum les rapports sociaux dans un cadre de capitalisme de marché, les marges de manœuvre vertueuses sont possibles et encore à inventer. Quelques entreprises, mais beaucoup moins qu’aux États-Unis avant la nouvelle présidence de Trump, ont pris l’initiative de politiques de diversité (égalité entre femmes et hommes, diversité d’origine des salariés).

La taille de l’entreprise est parfois discriminante, mais pas toujours. Un grand patron pourrait arriver à une forme d’harmonie conjuguée aux pièces du puzzle d’une multinationale et un petit patron peut aussi se révéler tout à fait tyrannique, qu’il s’agisse d’une entreprise conventionnelle ou d’une start-up, une catégorie d’une fluidité exemplaire où le up or out ainsi que l’agilité et la flexibilité maximales peuvent mener à l’arbitraire et à la précarité.

Jugé par ses pairs… et par la société

Être un bon patron, c’est l’être aussi à l’égard de ses pairs, qui se jaugent et se reconnaissent entre eux, et qui peuvent à tous les gradins des patronats entrer en concurrence pour obtenir des prix et des trophées sur certaines scènes et défendre des causes communes sur d’autres. Mais être « un bon patron » ne s’arrête pas à la porte de l’entreprise ou des clubs de sociabilité patronale.

Depuis plusieurs années, la thématique de l’entreprise a resurgi dans les débats socioéconomiques et politiques. Pour autant, on ne va plus jusqu’à prôner, comme cela a précédemment été fait, une « réforme de l’entreprise » ou encore la nécessité d’avoir un permis de diriger une entreprise (comme il existe un permis de conduire), ni même une nationalisation des moyens de production et d’échange qui serait couronnée par une autogestion.

Les propositions les plus audacieuses, en matière de transformation des directions d’entreprises, vont à l’instauration de conseils des parties prenantes et à l’introduction (partielle) de la Mitbesttimung (ou, cogestion paritaire) allemande, soit la présence des salariés dans les organes de direction des entreprises à quasi parité avec les porteurs de capitaux.

Loi Pacte

À la suite du rapport Notat-Senard (2018), la loi Pacte a entériné certaines modifications et a amendé l’article 1833 du Code civil en y définissant de manière dynamique le but d’une société commerciale étant gérée « dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Ainsi, le but n’est pas, comme l’écrivait Milton Friedman, de faire uniquement du profit.

Désormais il ne s’agit pas de satisfaire seulement les actionnaires (sans qui rien n’existerait, estiment les libéraux) en matière de rentabilité économique, mais aussi de tenir compte des parties prenantes que sont les salariés et, plus largement, la collectivité. Les entreprises sont désormais responsables des conséquences que leur activité produit sur la société et sur son environnement.

Exercices domestiques

Cette loi a donné lieu à des débats nombreux, dans le pas assez ou le beaucoup trop, et l’on a vu fleurir des raisons d’être entrepreneuriales qui sont allées des exercices purement cosmétiques jusqu’à une réflexion orchestrée sur les finalités de telle entreprise. De ce fait, les entreprises à mission, pour lesquelles des contraintes diverses de résultats selon l’exigence de certification ne sont pas très nombreuses, et encore moins parmi les très grandes entreprises.

Pourtant, certaines organisations, le Crédit mutuel Alliance fédérale et la Maif ont, par exemple, mis en place, en 2023, le dividende écologique et le dividende sociétal, qui ne sont pas suivis par d’autres grandes entreprises. Ces dividendes consistent à reverser une partie de leurs résultats à des projets écologiques ou sociaux.

Fondation nationale pour l’enseignement de la gestion des entreprises (Fnege) médias, 2022.

S’arrêter là serait négliger une large partie du problème, car la responsabilité sociale et environnementale (RSE) des entreprises est loin de ne renvoyer qu’à des initiatives isolées. Elle est désormais mesurée par un ensemble d’indicateurs (obligatoires ou facultatifs) parfois très sophistiqués et en concurrence, et doit aussi se conjuguer avec d’autres types d’implication.

Un « bon patron » est celui qui, idéalement, ne s’intéresse pas seulement à ses éventuels actionnaires, à ses salariés, à ses consommateurs (qualité/prix/utilité sociale et environnementale), mais aussi à ses fournisseurs et à ses sous-traitants pour lesquels il doit appliquer les mêmes règles et, pour les grandes entreprises, qu’il ne doit pas pressurer en matière de coûts (qui se répercutent obligatoirement sur la qualité du produit et sur les conditions de travail des salariés) ni jouer sur la trésorerie et les délais de paiement.

Un « bon patron » est aussi celui qui « tient » au travail dans des dimensions pratiques. Autrement formulé, il participe directement aux activités de l’entreprise qu’il s’agisse de la gérer quotidiennement, de créer des emplois, d’étendre son activité ou même de contribuer parfois directement à des activités de production.

Reste à ajouter la dernière responsabilité, à l’égard de l’État qui apparaît chez beaucoup d’entre eux comme un prédateur inefficace. Un « bon patron » devrait aussi avoir une politique fiscale transparente et éthique, mais elle est bien souvent en concurrence avec une saine gestion des utilités qui impliquent optimisations, voire exils fiscaux. Quant aux patrons catégorisés comme « exilés fiscaux » ou encore « surexploiteurs » des ressources de la planète, on retrouve là notre oxymore initial faisant d’eux des « mauvais » patrons plutôt que des « bons ».

On n’oubliera pas dans cette énumération à 360 degrés du métier patronal, le rôle que peut jouer « la femme du patron » dans la maisonnée économique que constitue l’aventure entrepreneuriale (héritée, achetée, créée ou assumée temporairement pour les patrons de grandes entreprises). On pourrait parler aussi du mari de la patronne car, si le métier de patron, bon ou mauvais, est encore masculin principalement, la féminisation très différentielle selon les secteurs est en marche.

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Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. La très longue feuille de route pour être un « bon patron » – https://theconversation.com/la-tres-longue-feuille-de-route-pour-etre-un-bon-patron-263560

Les sanctions économiques doivent être repensées : elles frappent les plus démunis

Source: The Conversation – in French – By Sylvanus Kwaku Afesorgbor, Associate Professor of Agri-Food Trade and Policy, University of Guelph

Les sanctions économiques sont largement considérées par les universitaires et les décideurs politiques comme une alternative préférable aux interventions militaires pour faire pression sur les gouvernements afin qu’ils modifient leurs politiques contestables. L’idée est simple : au lieu d’utiliser les armes, il faut exercer une pression économique sur l’élite au pouvoir jusqu’à ce qu’elle change de comportement.

Le recours aux sanctions économiques n’a cessé d’augmenter. Selon les données récentes de la Global Sanctions Database, le nombre de sanctions actives a augmenté de 31 % en 2021 par rapport à 2020, et cette tendance à la hausse s’est poursuivie en 2022 et 2023.

En Afrique, plusieurs pays font actuellement l’objet de sanctions imposées par les États-Unis, les Nations unies ou l’Union européenne. Parmi ces États africains figurent la République centrafricaine, la République démocratique du Congo, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Mali, la Libye, la Somalie, le Soudan du Sud et le Zimbabwe. Ce n’est pas une simple coïncidence si la plupart de ces pays figurent parmi les foyers de faim identifiés par le Programme alimentaire mondial.

Les sanctions peuvent avoir des conséquences imprévues pour les citoyens et ce sont généralement eux qui en paient le prix. Lorsque les sanctions touchent les systèmes alimentaires, l’impact peut être dévastateur.

J’étudie les sanctions économiques et leurs effets négatifs imprévus sur les pays en développement.

Dans une étude récente menée avec mes collègues, nous avons analysé l’impact des sanctions économiques sur la sécurité alimentaire dans 90 pays en développement entre 2000 et 2022. Nous voulions explorer les liens potentiels entre les sanctions et la famine dans un contexte de préoccupation mondiale croissante concernant l’insécurité alimentaire.

Nous nous sommes concentrés sur deux indicateurs clés : les prix des denrées alimentaires et la sous-alimentation (c’est-à-dire la proportion de personnes qui ne consomment pas suffisamment de calories pour mener une vie saine).

Nous avons mesuré les prix des denrées alimentaires à l’aide de l’indice des prix à la consommation des denrées alimentaires de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. Cet indice reflète l’évolution du coût global des denrées alimentaires et des boissons non alcoolisées généralement achetées par les ménages.

Nous avons également utilisé le calcul de la prévalence de la sous-alimentation établi par la même organisation. Il s’agit d’un indicateur clé de l’objectif de développement durable 2.1, qui suit les progrès accomplis dans le monde pour éliminer la faim d’ici 2030.

Nos résultats donnent à réfléchir. Lorsque des sanctions sont en place, les prix des denrées alimentaires augmentent d’environ 1,2 point de pourcentage par rapport aux périodes sans sanctions. Cela peut sembler peu, mais dans les pays à faible revenu où les familles consacrent la moitié de leurs revenus à l’alimentation, même de légères augmentations rendent la vie plus difficile. Cela ne tient pas compte d’autres facteurs externes pouvant entraîner des hausses de prix, tels que les modèles de demande et d’offre.

Nous avons également constaté que la sous-alimentation augmente de 2 points de pourcentage pendant les périodes de sanctions. Pour les pays où des millions de personnes vivent déjà au bord de la famine, cela représente un fardeau supplémentaire considérable.

Pourquoi les sanctions aggravent l’insécurité alimentaire

Les sanctions ont des répercussions sur les économies de plusieurs façons, et l’alimentation est souvent prise entre deux feux.

Tout d’abord, les sanctions perturbent les importations alimentaires. Il s’agit d’un problème crucial pour de nombreux pays en développement qui dépendent fortement des marchés internationaux pour nourrir leur population. Entre 2021 et 2023, les importations alimentaires de l’Afrique ont totalisé environ 97 milliards de dollars américains.

Au niveau national, par exemple, l’Éthiopie et la Libye ont importé pour 3 milliards de dollars de denrées alimentaires, le Soudan pour 2,3 milliards et la République démocratique du Congo pour 1,2 milliard. Les sanctions peuvent restreindre davantage le commerce ou augmenter les coûts de transport, rendant les denrées alimentaires à la fois plus rares et plus chères.

Deuxièmement, les sanctions limitent l’accès aux intrants agricoles essentiels, tels que les engrais, les pesticides et les machines. Elles entravent également les transferts de technologie. Par exemple, les agriculteurs d’Afrique subsaharienne n’utilisent en moyenne que 9 kg d’engrais par hectare de terres arables, contre 73 kg en Amérique latine et 100 kg en Asie du Sud. Ces contraintes réduisent les rendements, augmentent les coûts de production et rendent plus difficile le maintien de la production pour les agriculteurs.

Troisièmement, les sanctions ébranlent les systèmes financiers, réduisent les revenus des populations et encouragent la thésaurisation. Les ménages qui disposent déjà d’un budget serré sont contraints de réduire leurs dépenses ou de se tourner vers des aliments moins chers et moins nutritifs.

Enfin, les sanctions entraînent souvent une réduction de l’aide alimentaire, car les pays visés perdent leur accès à l’aide internationale. Par exemple, la récente suspension de l’aide humanitaire américaine au Soudan a contraint 80 % des cuisines d’urgence du pays à fermer. Cet impact est particulièrement grave étant donné que certains des plus grands donateurs alimentaires, tels que les États-Unis et l’Union européenne, sont également parmi les pays qui recourent le plus fréquemment aux sanctions.

Le résultat final est simple : des prix alimentaires plus élevés, moins de nourriture sur la table et plus de famine.

Toutes les sanctions ne se valent pas

Nous avons également constaté que le type de sanction a son importance :

  • Les sanctions commerciales qui bloquent les importations et les exportations sont celles qui font le plus augmenter les prix des denrées alimentaires. Les sanctions financières qui gèlent les avoirs ou coupent l’accès aux services bancaires sont également préjudiciables, car elles perturbent indirectement le commerce agricole.

  • Lorsque les pays sont confrontés à la fois à des sanctions commerciales, financières et de circulation, les dommages sont considérables : les prix des denrées alimentaires augmentent de plus de 3,5 points de pourcentage et la faim augmente fortement.

  • L’identité de l’auteur des sanctions a également son importance. Les sanctions de l’Union européenne ont entraîné la plus forte hausse des prix alimentaires, tandis que celles de l’ONU ont eu le plus grand impact sur la faim, augmentant la sous-alimentation de près de 6 points de pourcentage.

La nourriture comme arme de guerre

L’ONU met en garde depuis des années contre l’utilisation de la nourriture comme arme. En 2018, la résolution 2417 a explicitement condamné la famine comme outil de guerre ou de pression politique. Pourtant, dans la pratique, les sanctions restreignent souvent l’accès à la nourriture, aux médicaments et aux intrants agricoles, même lorsque des « exemptions humanitaires » existent sur le papier.

L’insécurité alimentaire en Afrique s’aggrave. Selon l’Organisation mondiale de la santé, une personne sur cinq sur le continent est confrontée à la faim, et le nombre de personnes sous-alimentées continue d’augmenter. Les sanctions aggravent cette crise.

Et le dilemme moral est évident. Les personnes les plus touchées – les familles pauvres, les petits agriculteurs et les enfants – sont celles qui sont les moins responsables du comportement qui déclenche les sanctions.

Si les sanctions visent à punir les régimes, elles punissent souvent les citoyens ordinaires à la place.

Ce qui doit changer

Les sanctions ne sont pas près de disparaître de la politique mondiale. Mais leur conception et leurs conséquences humanitaires doivent être repensées. Trois mesures pourraient réduire les dommages :

  • Premièrement, renforcer les exemptions humanitaires : veiller à ce que les denrées alimentaires, les engrais et l’aide puissent circuler librement, sans être bloqués.

  • Deuxièmement, suivre l’impact des sanctions : les agences internationales telles que l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et le Programme alimentaire mondial (Pam) devraient surveiller l’impact des sanctions sur les systèmes alimentaires et tirer rapidement la sonnette d’alarme.

  • Troisièmement, repenser la stratégie : si les sanctions finissent par alimenter la faim, l’instabilité et les migrations, elles peuvent faire plus de mal que de bien à long terme.

Si le monde souhaite réellement éradiquer la faim d’ici 2030, il ne peut ignorer les conséquences imprévues des sanctions. Celles-ci doivent donc être repensées afin de protéger les plus vulnérables, sans quoi elles risquent de devenir non seulement un outil diplomatique, mais aussi un facteur de crises alimentaires.

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Sylvanus Kwaku Afesorgbor reçoit un financement du ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation et de l’Agroalimentaire de l’Ontario (OMAFA). Kwaku est également consultant occasionnel pour la Banque africaine de développement et le Consortium africain de recherche économique. Il est le fondateur exécutif du groupe de réflexion international Centre for Trade Analysis and Development (CeTAD Africa), basé à Accra, au Ghana.

ref. Les sanctions économiques doivent être repensées : elles frappent les plus démunis – https://theconversation.com/les-sanctions-economiques-doivent-etre-repensees-elles-frappent-les-plus-demunis-265928

Travailler assis ou debout ? Pour la productivité et pour la santé, mieux vaut alterner

Source: The Conversation – in French – By Cédrick Bonnet, Chargé de recherche CNRS, spécialiste dans l’influence des positions du corps sur Comportement, Cognition et Cerveau, Université de Lille

Des travaux de recherche révèlent que la position debout améliore l’attention visuelle. Ce constat plaide en faveur de l’alternance des stations assise et debout au cours de la journée de travail. Prendre cette habitude permettrait aussi de lutter contre les effets délétères pour la santé résultant du maintien sur une trop longue période de l’une ou l’autre des deux positions.


Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la mécanisation, le confort accru, l’ordinateur, Internet et le télétravail entre autres ont considérablement augmenté le temps que nous passons assis.

Aujourd’hui, plus de la moitié de la population de la planète est quotidiennement assise plus de 50 % du temps, ce qui représente plus de 8 heures par jour. Plus grave encore, les personnes qui travaillent en bureau sont assises entre 65 et 85 % de leur journée, ce qui représente de 11,2 à 12,8 heures par jour, et le temps passé assis continuera à augmenter au moins jusqu’à 2030.

On sait que ces changements ne sont pas sans conséquence pour notre santé. Il a notamment été démontré que l’augmentation de la sédentarité est associée à un risque accru de maladie cardiovasculaire, de diabète de type 2, de cancer, d’obésité, d’anxiété ou de dépression. Mais ce n’est pas tout, il semblerait que notre position ait également un impact sur notre productivité.

Dans notre équipe de recherche, au SCALab, nous avons émis l’hypothèse qu’une personne en bonne santé (autrement dit, dans ce contexte, ne rencontrant pas de problème pour se tenir debout) devrait réaliser de meilleures performances debout qu’assise, ceci tant que la fatigue en position debout n’est pas excessive. Les résultats que nous avons obtenus jusqu’ici le confirment. Explications.

Notre posture influe-t-elle sur notre efficacité ?

Au cours d’une journée, les individus adoptent trois types de position du corps : allongée pour dormir, debout pour bouger et plus ou moins pliée, pour s’asseoir notamment.

Pour comprendre pourquoi nous pourrions être plus efficaces debout qu’assis, il faut savoir que, pour fonctionner au mieux, nos systèmes sensoriels et attentionnels ont besoin de stimulations, d’accélérations et de perturbations. Or, si, en position debout, notre corps oscille sans arrêt et doit continuellement contrôler son équilibre pour ne pas tomber, en position assise, il n’est pas perturbé de la sorte.

Ces dernières années, notre équipe de recherche a conduit plusieurs projets de recherche pour valider notre hypothèse. Dans un article récemment accepté pour publication, nous avons demandé à 24 jeunes adultes de réaliser six fois une tâche d’attention (« Attention Network Test ») en alternant les positions du corps (assis, debout), et six fois cette même tâche seulement en position assise.

Les résultats obtenus montrent que l’attention visuelle des participants est meilleure en alternant les positions du corps qu’en restant tout le temps assis. En outre, les participants réalisaient la tâche plus rapidement (avec des temps de réaction plus courts) quand ils étaient debout dans la condition d’alternance.

Dans un second article récent, nous avons demandé à 17 jeunes adultes sains de réaliser la même tâche d’attention (« Attention Network Task ») soit assis, soit debout. Nous avons testé si c’était le fait de devoir contrôler et ajuster l’équilibre debout, et pas uniquement le fait d’être debout, qui peut expliquer de meilleures performances debout qu’assis.

Les analyses ont effectivement montré que plus les oscillations des participants étaient complexes, plus leur temps de réaction était raccourci (corrélation de Pearson négative significative) et plus leur score d’alerte (tiré de la tâche d’attention) était élevé. Par définition, le score d’alerte reflète la capacité d’un individu à préparer et à maintenir un état d’alerte afin de répondre rapidement à un stimulus attendu.

Ces résultats indiquent que les individus complexifient leurs oscillations posturales debout de façon à améliorer leur performance à la tâche d’attention. On peut supposer qu’en position assise, tout individu serait moins (voire, ne serait pas) capable de complexifier ses oscillations justement parce qu’il n’a pas à contrôler son équilibre.

En 2024, nous avons demandé à 24 jeunes adultes sains de réaliser une tâche de Stroop modifiée dans quatre positions du corps différentes : debout contre un mur ; debout naturellement avec les pieds serrés ; avec les pieds normalement écartés ; avec les pieds légèrement plus écartés que d’habitude.

Les résultats obtenus révèlent l’existence d’une corrélation significative entre le nombre de cibles bien trouvées dans cette tâche de Stroop et des variables d’oscillations de la tête et du centre de pression (le point d’application de la résultante des forces de réaction au sol exercées par les pieds sur le sol). Autrement dit, plus les participants oscillaient (en rapidité et en amplitude) et meilleure était leur performance à bien trouver les cibles dans cette tâche de Stroop modifiée.

En résumé, ces trois études menées en laboratoire sont en accord avec notre hypothèse initiale. La position debout optimise la performance à des tâches d’attention visuelle de courtes durées.

Nos résultats sont également en ligne avec ceux d’autres scientifiques. En effet, plusieurs investigateurs ont déjà montré que les performances aux tâches d’attention et de Stroop modifiées étaient meilleures debout qu’assis. En outre, d’autres études ont révélé que l’alternance assis-debout amène des résultats significativement meilleurs que la position assise seule. Enfin, des travaux ont montré que la productivité à long terme était meilleure en alternant les positions assise et debout.

En effet, l’attention décline de plus en plus à mesure que l’on reste assis, alors qu’elle reste plus élevée en position debout – surtout dans les trente premières minutes d’une tâche. Ce résultat est important, car il suggère que l’individu ne devient pas meilleur en étant debout qu’en restant assis, mais plutôt qu’il évite un déclin de performance en se mettant debout.

Vaut-il mieux travailler debout ou assis ?

La majorité des travaux publiés révèle que les performances en position assise sont identiques à celles en position debout quand les tâches durent moins de dix minutes. En revanche, les performances en position debout peuvent être meilleures qu’en position assise lorsque les tâches durent entre dix et trente minutes. Entre trente minutes et une heure et demie (soit quatre-vingt-dix minutes), les performances dans les deux positions redeviennent équivalentes. Au-delà d’une heure et demie, les performances devraient logiquement être moins bonnes debout qu’assis, mais aucune recherche ne l’a encore montré jusqu’à présent à notre connaissance.

Pour toutes ces raisons, selon nous, la meilleure dynamique posturale à adopter pour optimiser les performances et la productivité est d’alterner fréquemment les positions du corps, en les maintenant chacune de 15 à 30 ou 45 minutes.

Il faut souligner que la dynamique posturale a non seulement des conséquences sur la performance et la productivité, mais aussi sur la santé. On savait déjà que rester debout excessivement longtemps est très problématique pour la santé. Depuis une vingtaine d’années plus particulièrement, les travaux de recherche ont aussi révélé que la station assise excessive est également très problématique pour la santé.

Elle accroît en effet le risque de mort prématurée, ainsi que celui d’être affecté par diverses maladies chroniques graves : cancer, diabète, maladies inflammatoires, musculaires, vasculaires chroniques, attaque cardiaque).

La station assise excessive a aussi été associée à une augmentation du surpoids et de l’obésité, ainsi qu’au développement des troubles du sommeil et à des problèmes cognitifs. Par ailleurs, on sait qu’être sédentaire a également des effets sur le psychisme, accroissant non seulement le risque de dépression, mais aussi celui d’avoir une moins bonne vitalité au travail.

Notre synthèse de la littérature révèle que pour limiter le risque de survenue de ces problèmes de santé, les individus devraient tous les jours rester quasiment autant debout qu’assis – autrement dit, ils devraient passer 50 % du temps debout.

Alterner au fil de la journée les postures assises et debout toutes les 15 à 45 minutes permettrait non seulement d’améliorer la productivité, mais aussi de réduire les conséquences pour la santé. Cela permet en effet d’augmenter le temps passé debout tout au long de la journée en évitant au mieux la fatigue.

Pour y parvenir, il faudrait équiper les travailleurs de bureaux assis/debout. Ceux-ci sont déjà adoptés dans de nombreux pays dans le monde, notamment aux États-Unis, au Canada, en Australie, en Chine ou en Europe du Nord. Pour aider les utilisateurs à adopter une dynamique posturale bénéfique ou optimale, l’emploi de tels bureaux devrait être couplé à une application « assis-debout » destinée à guider les utilisateurs. Malheureusement, l’offre en matière d’applications – y compris celle proposée par des objets connectés tels que montres, smartphones ou bureaux connectés – est encore imparfaite à l’heure actuelle. Afin d’y remédier, notre équipe est en train de développer une telle application.

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Cédrick Bonnet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Travailler assis ou debout ? Pour la productivité et pour la santé, mieux vaut alterner – https://theconversation.com/travailler-assis-ou-debout-pour-la-productivite-et-pour-la-sante-mieux-vaut-alterner-265209

Nicolas Sarkozy condamné à 5 ans de prison : une normalisation démocratique ?

Source: The Conversation – France in French (3) – By Vincent Sizaire, Maître de conférence associé, membre du centre de droit pénal et de criminologie, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières

L’ancien président de la République Nicolas Sarkozy a été jugé coupable d’association de malfaiteurs dans l’affaire du financement libyen de sa campagne présidentielle victorieuse de 2007. Condamné notamment à cinq ans de prison, il sera convoqué le 13 octobre pour connaître la date de son incarcération. Cet événement inédit dans l’histoire de France s’inscrit dans une évolution des pratiques de la magistrature qui s’est progressivement émancipée du pouvoir politique. Elle couronne le principe républicain, proclamé en 1789, mais longtemps resté théorique, d’une pleine et entière égalité des citoyens devant la loi.


Le 25 septembre 2025, Nicolas Sarkozy a été reconnu coupable d’association de malfaiteurs par le tribunal correctionnel de Paris, qui a considéré qu’il avait tenu un rôle actif dans la mise en place d’un dispositif de financement de sa campagne électorale de 2007 par les dirigeants libyens. Comme on pouvait s’y attendre, cette décision a immédiatement suscité l’ire d’une large partie de la classe politique.

Que l’on conteste la décision en soutenant qu’elle est injuste et infondée, cela est parfaitement légitime dans une société démocratique, à commencer pour les principaux intéressés, dont c’est le droit le plus strict – comme, d’ailleurs, de faire appel du jugement. Mais, dans le sillage de la décision rendue dans l’affaire des assistants parlementaires du Front national, cette condamnation est aussi l’occasion, pour une large fraction des classes dirigeantes, de relancer le procès du supposé « gouvernement des juges ».

Certes, la condamnation peut paraître particulièrement sévère : 100 000 euros d’amende, cinq ans d’inéligibilité et surtout, cinq ans d’emprisonnement avec un mandat de dépôt différé qui, assorti de l’exécution provisoire, oblige le condamné à commencer d’exécuter sa peine de prison même s’il fait appel.

Toutefois, si on les met en regard des faits pour lesquels l’ancien chef de l’État a été condamné, ces peines n’apparaissent pas disproportionnées. Les faits sont d’une indéniable gravité : organiser le financement occulte d’une campagne électorale avec des fonds provenant d’un régime corrompu et autoritaire, la Libye, (dont la responsabilité dans un attentat contre un avion ayant tué plus de 50 ressortissants français a été reconnue par la justice), en contrepartie d’une intervention pour favoriser son retour sur la scène internationale…

Alors que la peine maximale encourue était de dix ans de prison, la sanction finalement prononcée ne peut guère être regardée comme manifestement excessive. Mais ce qui est contesté, c’est le principe même de la condamnation d’un responsable politique par la justice, vécue et présentée comme une atteinte intolérable à l’équilibre institutionnel.

Si l’on prend le temps de la mise en perspective historique, on constate pourtant que les jugements rendus ces dernières années à l’encontre des membres de la classe dirigeante s’inscrivent, en réalité, dans un mouvement d’émancipation relative du pouvoir juridictionnel à l’égard des autres puissances et, en particulier, du pouvoir exécutif. Une émancipation qui lui permet, enfin, d’appliquer pleinement les exigences de l’ordre juridique républicain.

L’égalité des citoyens devant la loi, un principe républicain

Faut-il le rappeler, le principe révolutionnaire proclamé dans la nuit du 4 au 5 août 1789 est celui d’une pleine et entière égalité devant la loi, entraînant la disparition corrélative de l’ensemble des lois particulières – les « privilèges » au sens juridique du terme – dont bénéficiaient la noblesse et le haut clergé. Le Code pénal de 1791 va plus loin encore : non seulement les gouvernants peuvent voir leur responsabilité mise en cause devant les mêmes juridictions que les autres citoyens, mais ils encourent en outre des peines aggravées pour certaines infractions, notamment en cas d’atteinte à la probité.

Les principes sur lesquels est bâti le système juridique républicain ne peuvent être plus clairs : dans une société démocratique, où chaque personne est en droit d’exiger non seulement la pleine jouissance de ses droits, mais d’une façon générale, l’application de la loi, nul ne peut prétendre bénéficier d’un régime d’exception – les élus moins encore que les autres. C’est parce que nous avons l’assurance que leurs illégalismes seront sanctionnés effectivement, de la même façon que les autres citoyens et sans attendre une bien hypothétique sanction électorale, qu’ils et elles peuvent véritablement se dire nos représentantes et représentants.

Longtemps, cette exigence d’égalité juridique est cependant restée largement théorique. Reprise en main et placée dans un rapport de subordination plus ou moins explicite au gouvernement, sous le Premier Empire (1804-1814), la magistrature est demeurée sous l’influence de l’exécutif au moins jusqu’au milieu du XXe siècle. C’est pourquoi, jusqu’à la fin du siècle dernier, le principe d’égalité devant la loi va se heurter à un singulier privilège de « notabilité » qui, sauf situations exceptionnelles ou faits particulièrement graves et médiatisés, garantit une relative impunité aux membres des classes dirigeantes dont la responsabilité pénale est mise en cause. Il faut ainsi garder à l’esprit que la figure « du juge rouge », popularisée dans les médias à la fin des années 1970, vient stigmatiser des magistrats uniquement parce qu’ils ont placé en détention, au même titre que des voleurs de grand chemin, des chefs d’entreprise ou des notaires.

La donne ne commence à changer qu’à partir du grand sursaut humaniste de la Libération qui aboutit, entre autres, à la constitution d’un corps de magistrats recrutés sur concours, bénéficiant à partir de 1958 d’un statut relativement protecteur et d’une école de formation professionnelle spécifique, l’École nationale de la magistrature. Ce corps se dote progressivement d’une déontologie exigeante, favorisée notamment par la reconnaissance du syndicalisme judiciaire en 1972. Ainsi advient une nouvelle génération de juges qui, désormais, prennent au sérieux la mission qui leur est confiée : veiller en toute indépendance à la bonne application de la loi, quels que soient le statut ou la situation sociale des personnes en cause.

C’est dans ce contexte que survient ce qui était encore impensable quelques décennies plus tôt : la poursuite et la condamnation des notables au même titre que le reste de la population. Amorcé, comme on l’a dit, au milieu des années 1970, le mouvement prend de l’ampleur dans les décennies suivantes avec la condamnation de grands dirigeants d’entreprises, comme Bernard Tapie, puis de figures politiques nationales, à l’image d’Alain Carignon ou de Michel Noir, députés-maires de Grenoble et de Lyon. La condamnation d’anciens présidents de la République à partir des années 2010 – Jacques Chirac en 2011, Nicolas Sarkozy une première fois en 2021 – achève de normaliser cette orientation ou, plutôt, de mettre fin à l’anomalie démocratique consistant à réserver un traitement de faveur aux élus et, plus largement, aux classes dirigeantes.

Procédant d’abord d’une évolution des pratiques judiciaires, ce mouvement a pu également s’appuyer sur certaines modifications du cadre juridique. Ainsi de la révision constitutionnelle de février 2007 qui consacre la jurisprudence du Conseil constitutionnel suivant laquelle le président de la République ne peut faire l’objet d’aucune poursuite pénale durant l’exercice de son mandat, mais qui permet la reprise de la procédure dès la cessation de ses fonctions. On peut également mentionner la création, en décembre 2013, du Parquet national financier qui, s’il ne bénéficie pas d’une indépendance statutaire à l’égard du pouvoir exécutif, a pu faire la preuve de son indépendance de fait ces dernières années.

C’est précisément contre cette évolution historique qu’est mobilisée aujourd’hui la rhétorique de « la tyrannie des juges ». Une rhétorique qui vise moins à défendre la souveraineté du peuple que celle, oligarchique, des gouvernants.

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Vincent Sizaire ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Nicolas Sarkozy condamné à 5 ans de prison : une normalisation démocratique ? – https://theconversation.com/nicolas-sarkozy-condamne-a-5-ans-de-prison-une-normalisation-democratique-266101