Les morts ont-ils leur mot à dire ? Le défi du consentement dans la recherche sur l’ADN ancien

Source: The Conversation – in French – By Victoria Gibbon, Professor in Biological Anthropology, Division of Clinical Anatomy and Biological Anthropology, University of Cape Town

Choisiriez-vous qu’une partie de votre corps continue d’exister après votre mort ? Et comment ce choix pourrait-il affecter vos proches, voire toute votre communauté ?

La première question se pose souvent à ceux qui donnent leurs organes.
La seconde question se pose lorsqu’ils participent à des recherches génétiques. En effet, l’ADN d’un seul individu peut révéler un vaste réseau de relations, et même aider la police à résoudre des crimes commis par des parents éloignés qu’ils n’ont jamais rencontrés. Et plus on remonte dans le temps, plus ce réseau devient complexe.

L’ADN constitue le matériel génétique propre à chaque être vivant sur la planète. Il peut être « immortalisé » pendant une durée imprévisible dans des bibliothèques génétiques numériques qui contiennent non seulement les informations génomiques de cette personne, mais aussi celles de ses ancêtres et de ses descendants.

L’ADN ancien (appelé aDNA) implique l’étude du matériel génétique d’organismes qui ont vécu il y a longtemps, y compris les humains. Les généticiens, les archéologues, les anthropologues et les historiens s’en servent dans la recherche sur l’aDNA. Ces recherches ont permis des découvertes inédites, mais leurs bénéfices ne profitent pas à tous de la même façon. Elles peuvent aussi être destructrices, car l’aDNA est souvent extrait de fragments d’os ou de dents. Et une question demeure : qui peut donner l’autorisation au nom de personnes mortes depuis des générations ?

L’Afrique est le berceau de l’humanité. C’est là qu’on trouve la plus grande diversité génétique au monde. En d’autres termes, tous les êtres humains sont porteurs d’ADN provenant d’une ascendance africaine commune profondément enracinée. Cela fait de l’ADN africain (ancien et moderne) une riche ressource à exploiter pour comprendre ce qui fait de nous des êtres humains. Cependant, la compréhension de la variation humaine et de nos origines implique des recherches intégrées au sein des communautés vivantes, et les communautés sont la solution pour la conservation et l’avenir du travail dans nos disciplines.

Une fois décodée, l’information génétique peut durer éternellement, de sorte qu’elle pourrait être utilisée par n’importe qui, à n’importe quelle fin, pour les générations à venir. Les entreprises de l’industrie pharmaceutique, par exemple, pourraient l’utiliser. Alors que cette science progresse à un rythme étonnant, les cadres éthiques et juridiques qui la régissent ont du mal à suivre. Aucun pays ne dispose de normes s’appliquant spécifiquement au domaine de l’ADN ancien. Par conséquent, des directives éthiques appropriées à ce travail doivent protéger les générations passées, présentes et futures.

Le consentement n’est ni obligatoire ni systématiquement demandé dans ces recherches, même si sa nécessité est de plus en plus reconnue depuis vingt ans. De plus, la notion de consentement éclairé, issue de la médecine occidentale, repose sur l’idée d’une autonomie individuelle. Elle suppose que les décisions médicales sont prises par des individus, et non par des communautés. Et elle s’applique difficilement à des personnes décédées.

C’est pourquoi, dans notre récente publication, nous plaidons en faveur de l’utilisation de la notion de « consentement par procuration éclairé » ou « consentement fondé sur l’autonomie relationnelle ». Il s’agit du cas où des personnes vivantes, par le biais d’une relation avec une ou plusieurs personnes décédées, peuvent prendre des décisions et donner leur consentement en leur nom, en tant que mandataires ou représentants. La relation peut être fondée sur le sexe, la race, la religion, l’identité sociopolitique ou socioculturelle, ou encore biologique. L’ADN étant vulnérable à l’exploration de données et à l’apprentissage automatique, les vivants peuvent ainsi représenter les morts lorsqu’ils sont concernés par les retombées de la recherche.

Les contextes sociaux, politiques, culturels et économiques étant très différents d’un lieu à l’autre, il est impossible d’établir un code universel. Mais quatre principes doivent guider la recherche : honnêteté, responsabilité, professionnalisme et préservation.

Notre étude propose une série de réflexions pour mettre en place ce consentement par procuration pour les personnes mortes depuis longtemps. Un tel système pourrait renforcer la recherche, en la rendant plus inclusive, plus éthique et plus équitable. Il permettrait aussi de mieux protéger les chercheurs et de bâtir des partenariats durables fondés sur la confiance.

Dans notre article, nous présentons une série de considérations pour obtenir le consentement éclairé par procuration pour les personnes décédées depuis longtemps. Un système de consentement pourrait enrichir la recherche en l’utilisant de manière innovante. Il s’agit de donner du pouvoir aux personnes concernées par la recherche, en protégeant les chercheurs contre les violations éthiques et en établissant des partenariats équitables à long terme.

La solution

Nous proposons que le consentement pour l’utilisation de l’ADN humain ancien dans la recherche soit un processus porté par les communautés. Au lieu que des individus donnent leur accord au nom des défunts, ce sont les personnes vivantes liées à eux – par la parenté, le lieu d’origine, la culture ou la responsabilité de leur mémoire – qui agissent comme représentantes. Cette approche reconnaît que les individus font partie de communautés, et que le droit de donner un consentement doit tenir compte du contexte social et culturel, pas seulement du choix individuel.

Ce type d’approche a été appliqué en Afrique du Sud dans le cadre de la restitution des “neuf de Sutherland”, lorsque neuf ancêtres San et Khoekhoe ont été exhumés de leurs tombes dans les années 1920 et envoyés à l’université du Cap à des fins d’enseignement médical et de recherche. Près de 100 ans plus tard, ils ont finalement été ramenés dans leur communauté.

Un autre exemple vient du projet Malawi Ancient Lifeways and Peoples. Les chercheurs y ont organisé des visites de sites archéologiques avec des chefs traditionnels, des représentants des autorités locales et nationales, des universitaires et des étudiants. Ce dialogue régulier a tellement fait partie du processus que certains chefs ont eux-mêmes demandé comment l’ADN ancien pouvait contribuer à leurs propres objectifs de restitution ou de reconstruction historique.

Comment cela fonctionnerait

L’étude du passé montre que les sociétés changent profondément au fil du temps. Il n’existe pas toujours une continuité culturelle ou biologique claire entre les époques. Identifier les communautés descendantes légitimes et déterminer qui a le droit de donner un consentement peut donc être complexe. Pourtant, les communautés locales s’intéressent souvent aux résultats de la recherche, et elles ont le droit d’être informées clairement de ses conséquences. Le consentement doit être envisagé comme un processus continu, et non comme un acte ponctuel.

Ce processus commence dès la phase de planification du projet. Les chercheurs partagent une première version de leur proposition et la révisent selon les retours des communautés. Ils doivent être transparents sur le financement, les méthodes utilisées, les risques et les bénéfices possibles. Cette transparence vaut non seulement pour la science, mais aussi pour les personnes liées aux défunts.

Une communication claire est essentielle, et les informations doivent être présentées dans les langues locales et dans des formats faciles à comprendre. Leurs communautés doivent disposer de temps pour réfléchir sans la présence des chercheurs. Leurs remarques doivent être prises au sérieux et les projets adaptés en conséquence. Enfin, les communautés doivent garder la maîtrise du stockage, de l’utilisation et du partage des données.

La collaboration doit se poursuivre pendant toute la durée du projet. Les chercheurs doivent présenter leurs résultats avant publication et redemander un nouveau consentement s’ils souhaitent utiliser les données à d’autres fins.

Ce processus demande du temps et des ressources. Les consultations préalables et le suivi exigent un financement adapté et peuvent ralentir le rythme académique habituel. Mais les bailleurs et les institutions doivent comprendre que construire des relations durables avec les communautés descendantes est une base indispensable et enrichissante pour une recherche éthique.

The Conversation

Victoria Gibbon bénéficie d’un financement de la Fondation nationale sud-africaine pour la recherche.

Jessica Thompson a reçu des fonds de la Fondation nationale américaine pour la science, de la Fondation Leakey, de la Fondation Wenner-Gren et de la National Geographic Society.

Sianne Alves does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.

ref. Les morts ont-ils leur mot à dire ? Le défi du consentement dans la recherche sur l’ADN ancien – https://theconversation.com/les-morts-ont-ils-leur-mot-a-dire-le-defi-du-consentement-dans-la-recherche-sur-ladn-ancien-269722

Pourquoi il n’est pas toujours facile d’évaluer sa douleur sur une échelle de 0 à 10

Source: The Conversation – France in French (3) – By Joshua Pate, Senior Lecturer in Physiotherapy, University of Technology Sydney

Que l’on soit enfant ou adulte, communiquer sa douleur n’est pas toujours évident. altanaka/Shutterstock

Il vous est peut-être déjà arrivé de vous trouver désemparé face à un soignant qui vous demande d’évaluer, sur une échelle de cotation, l’intensité de votre douleur. Rien d’étonnant à cela : la douleur est une expérience complexe qu’il n’est pas évident de résumer par un simple chiffre.


En serrant son bras contre elle, dans la salle des urgences, ma fille m’a dit : « Ça fait vraiment mal. » — « Sur une échelle de zéro à dix, à combien évalues-tu ta douleur ? », lui a demandé l’infirmière. Le visage couvert de larmes de ma fille a alors exprimé une intense confusion. — « Qu’est-ce que ça veut dire, dix ? », a-t-elle demandé. — « Dix, c’est la pire douleur que tu puisses imaginer. » Elle a eu l’air encore plus déconcertée.

Je suis son père et en tant que tel mais aussi spécialiste de la douleur, j’ai pu constater à cette occasion à quel point les systèmes d’évaluation de la douleur dont nous disposons, pourtant conçus à partir d’une bonne intention et en apparence simples d’utilisation, s’avèrent parfois très insuffisants.

Les échelles de la douleur

L’échelle la plus couramment utilisée par les soignants pour évaluer la douleur existe depuis une cinquantaine d’années. Son utilisation requiert de demander aux patients d’évaluer leur douleur en lui attribuant un chiffre allant de 0 (« aucune douleur ») à 10 (généralement « la pire douleur imaginable »).

Cette méthode d’évaluation se concentre sur un seul aspect de la douleur – son intensité – pour tenter de comprendre au plus vite ce que ressent le patient : à quel point cela fait-il mal ? Est-ce que la douleur empire ? Le traitement l’atténue-t-il ?

De telles échelles de cotation peuvent s’avérer utiles pour suivre l’évolution de l’intensité de la douleur. Si la douleur passe de 8 à 4 au fil du temps, cela signifie que le patient se sent probablement mieux – quand bien même l’intensité 4 ressentie par un individu peut ne pas être exactement la même que celle ressentie par une autre personne.

Les travaux de recherche suggèrent qu’une diminution de deux points (30 %) de la sévérité d’une douleur chronique correspond généralement à un changement qui se traduit par une différence significative dans la vie quotidienne des malades.

Mais c’est la borne supérieure de ces échelles – « la pire douleur imaginable » – qui pose problème.

Un médecin tient les mains d’une femme âgée alitée à l’hôpital.
Lorsqu’ils évaluent leur douleur, les gens se réfèrent généralement à leurs expériences passées.
Sasirin Pamai/Shutterstock

Un outil trop limité pour rendre compte de la complexité de la douleur

Revenons au dilemme de ma fille. Comment quelqu’un parvient-il à imaginer la pire douleur possible ? Tout le monde imagine-t-il la même chose ? Les travaux de recherches suggèrent que non. Même les enfants ont une interprétation toute personnelle du mot « douleur ».

Les individus ont tendance – et c’est compréhensible – à ancrer leur évaluation de la douleur dans les expériences qu’ils ont vécues par le passé. Cela crée des écarts considérables d’une personne à l’autre. Ainsi, un patient qui n’a jamais subi de blessure grave sera peut-être plus enclin à donner des notes élevées qu’une personne ayant déjà souffert de brûlures sévères.

La mention « aucune douleur » peut également poser problème. Un patient dont la douleur a diminué mais qui reste inconfortable peut se sentir paralysé face à ce type d’échelle, car elle ne comporte pas de chiffre de 0 à 10 qui traduise fidèlement son ressenti physique.

Les spécialistes de la douleur sont de plus en plus nombreux à reconnaître qu’un simple chiffre ne peut rendre compte d’une expérience aussi complexe, multidimensionnelle et éminemment personnelle que la douleur.

Notre identité influence notre douleur

Divers facteurs influent sur notre façon d’évaluer la douleur : la mesure dans laquelle celle-ci perturbe nos activités, le degré d’angoisse qu’elle engendre, notre humeur, notre fatigue, ou encore la façon dont ladite douleur se compare à celle que nous avons l’habitude de ressentir.

D’autres paramètres entrent également en ligne de compte, notamment l’âge, le sexe, le niveau de littératie et de numératie du patient, ou encore le contexte culturel et linguistique. Si le soignant et le patient ne parlent pas la même langue, la communication autour de la douleur et de sa prise en charge s’avérera encore plus difficile

Autre difficulté : certaines personnes neurodivergentes peuvent interpréter le langage de manière plus littérale que la moyenne, ou traiter l’information sensorielle différemment des autres. Comprendre ce que les gens expriment de leur douleur exige alors une approche plus individualisée.

Les cotations « impossibles »

Pour autant, nous devons faire avec les outils dont nous disposons. Des travaux ont démontré que lorsque les patients utilisent l’échelle de 0 à 10, ils tentent de communiquer bien davantage que la seule « intensité » de leur douleur.

Ainsi, lorsqu’un individu affirme « ma douleur est à 11 sur 10 », cette cotation « impossible » va probablement au-delà de la simple évaluation de la sévérité de sa souffrance. Cette personne se demande peut-être : « Est-ce que ce soignant me croit ? Quel chiffre me permettra d’obtenir de l’aide ? » Dans ce seul nombre se trouve condensée une grande quantité d’informations. Il est très probable que le chiffre énoncé signifie en réalité : « La situation est grave. Aidez-moi, s’il vous plaît. »

Dans la vie courante, nous mobilisons une multitude de stratégies de communication différentes. Pour exprimer nos ressentis, nous pouvons gémir, changer notre façon de nous mouvoir, utiliser un vocabulaire riche en nuances, recourir à des métaphores… Lorsqu’il s’agit d’évaluer un niveau de douleur, recueillir et évaluer de telles informations complexes et subjectives n’est pas toujours possible, car il est difficile de les standardiser.

En conséquence, de nombreux chercheurs qui travaillent sur la douleur continuent de s’appuyer largement sur les échelles de cotation. En effet, elles ont pour elles d’être simples, rapides à présenter, et de s’être révélées valides et fiables dans des contextes relativement contrôlés.

Les cliniciens, en revanche, peuvent exploiter ces autres informations, plus subjectives, afin de se représenter une image plus complète de la douleur de la personne.

Comment mieux communiquer sur la douleur ?

Pour atténuer les effets que peuvent avoir les différences de langue ou de culture sur la manière d’exprimer la douleur, différentes stratégies existent.

L’emploi d’échelles visuelles en est une. L’« échelle des visages » (Faces Pain Scale–Revised, FPS-R) invite les patients à choisir sur un document une expression faciale parmi plusieurs, pour communiquer leur douleur. Elle peut se révéler particulièrement utile lorsqu’il s’agit d’évaluer la douleur des enfants, ou celle de personnes peu à l’aise avec les chiffres et la lecture (soit d’une façon générale, ou parce qu’elles ne maîtrisent pas la langue utilisée dans le système de soins qui les prend en charge).

L’« échelle visuelle analogique » verticale requiert quant à elle d’indiquer sa douleur sur une ligne verticale, un peu comme si l’on imaginait que celle-ci était progressivement « remplie » par la douleur).

(En France, les échelles considérées comme valides pour mesurer la douleur ont été listées par la Haute Autorité de santé (HAS), NdT)

Graphique constitué d’une barre horizontale allant du vert au rouge, accompagnée de différents smileys.
Des échelles visuelles sont parfois utilisées pour tenter de surmonter les difficultés de communication.
Nenadmil/Shutterstock

Qui peut améliorer les choses, et comment ?

Professionnels de santé

Prenez le temps d’expliquer correctement aux patients le principe de l’échelle de cotation de la douleur choisie, en gardant à l’esprit que la formulation des bornes (de 0 à 10) a son importance.

Soyez attentif à l’histoire que raconte le chiffre donné par la personne, car un simple numéro peut signifier des choses très différentes d’une personne à l’autre.

Servez-vous de la cotation comme point de départ pour un échange plus personnalisé. Prenez en compte les différences culturelles et individuelles. Demandez aux patients d’employer un vocabulaire descriptif, et vérifiez auprès d’eux que votre interprétation est la bonne, afin d’être sûrs que vous parlez bien de la même chose.

Patients

Pour mieux décrire votre douleur, utilisez l’échelle numérique qui vous est proposée, mais ajoutez-y du contexte. Essayez de qualifier votre douleur (s’agit-il d’une brûlure ? D’un élancement ? La ressentez-vous comme un coup de poignard ?), et comparez-la à des expériences passées.

Expliquez l’impact que la douleur a sur vous – non seulement émotionnellement, mais aussi sur vos activités quotidiennes.

Parents

Demandez aux soignants d’utiliser une échelle de la douleur adaptée aux enfants. Il existe des outils spécifiques, pour différents âges, tels que l’« échelle des visages ».

Dans les services de pédiatrie, les soignants sont formés pour employer un vocabulaire adapté à chaque stade du développement de l’enfant, car la compréhension des nombres et de la douleur n’évolue pas de la même façon chez chacun.

Les échelles, un simple point de départ

Les échelles de cotation de la douleur ne permettront jamais de mesurer parfaitement la douleur. Il faut les voir comme des amorces de conversation, destinées à aider les personnes à communiquer à l’autre une expérience profondément intime.

C’est ce qu’a fait ma fille. Elle a trouvé ses propres mots pour décrire sa douleur : « C’est comme quand je suis tombée des barres de singe, mais dans mon bras au lieu de mon genou, et ça ne diminue pas quand je reste immobile. »

À partir de ce point de départ, nous avons pu commencer à nous orienter vers un traitement permettant une prise en charge efficace de sa douleur. Parfois, les mots fonctionnent mieux que les chiffres.

The Conversation

Joshua Pate a reçu des honoraires pour des conférences sur la douleur et la physiothérapie. Il perçoit des droits d’auteur pour des livres pour enfants.

Dale Langford a reçu des honoraires et un soutien à la recherche de la part du réseau ACTTION (Analgesic, Anesthetic, and Addiction Clinical Trials, Translations, Innovations, and Opportunities Network), un partenariat public-privé avec la Food & Drug Administration des États-Unis. Elle a également bénéficié du soutien des National Institutes of Health américains.

Tory Madden travaille pour l’université du Cap, où elle dirige l’African Pain Research Initiative (Initiative africaine de recherche sur la douleur). Elle bénéficie d’un financement des National Institutes of Health (Instituts nationaux de la santé) américains. Elle est affiliée à l’université d’Australie du Sud, à la KU Leuven et à l’organisation à but non lucratif Train Pain Academy.

ref. Pourquoi il n’est pas toujours facile d’évaluer sa douleur sur une échelle de 0 à 10 – https://theconversation.com/pourquoi-il-nest-pas-toujours-facile-devaluer-sa-douleur-sur-une-echelle-de-0-a-10-270087

Douleurs chroniques : en France, elles concerneraient plus de 23 millions de personnes

Source: The Conversation – France in French (3) – By Nicolas Authier, Professeur des universités, médecin hospitalier, Inserm 1107, CHU Clermont-Ferrand, Président de la Fondation Institut Analgesia, Université Clermont Auvergne (UCA)

En France, selon une enquête de la fondation Analgesia, 23,1 millions de personnes vivent avec des douleurs chroniques. Seul un tiers d’entre elles voit sa situation s’améliorer grâce à une prise en charge, faute de traitement adapté notamment. Un lourd fardeau qui pèse non seulement sur les individus, mais aussi sur l’ensemble de la société. Pour l’alléger, il faut faire de la lutte contre les douleurs chroniques une grande cause nationale.


Imaginez vivre avec une douleur constante, jour après jour, sans espoir de soulagement. Pour des millions de personnes en France, c’est la réalité de la douleur chronique, une expression désignant une douleur récurrente, qui persiste au-delà de trois mois consécutifs, et qui a des conséquences physiques, morales et sociales importantes.

Cette maladie invisible a un impact très important sur la qualité de vie, et représente un défi non seulement pour notre système de santé, mais aussi pour l’ensemble de la société, car ce fardeau majeur n’est pas sans conséquence sur le plan économique.

Agréée par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, la fondation Analgesia, à travers son Observatoire français de la douleur et des antalgiques, a réalisé en début d’année 2025, avec la société OpinionWay, une enquête nationale auprès de 11 940 personnes représentatives de la population générale française adulte.

L’objectif était d’évaluer la prévalence des douleurs chroniques en France, leur caractérisation et leurs répercussions sur leur qualité de vie. Voici ce qu’il faut en retenir.

Quatre personnes sur dix en France concernées par la douleur chronique

Contrairement à la douleur aiguë, qui a une fonction de signal d’alarme permettant de prendre les mesures nécessaires face à un événement qui représente un danger pour le corps humain (fracture, brûlure, coupure, piqûre, etc.), la douleur chronique n’a pas d’utilité. Elle présente uniquement des répercussions délétères chez le patient.

Très schématiquement, les douleurs chroniques sont fréquemment dues à un foyer douloureux dit « périphérique », car affectant le système nerveux périphérique – c’est-à-dire les parties du système nerveux situées à l’extérieur du système nerveux central, constitué par le cerveau et la moelle épinière.

Les nombreux signaux douloureux qui inondent le cerveau modifient son comportement : il y devient plus sensible (on parle de sensibilisation centrale), et leur traitement ne se fait plus correctement. Dans cette situation, la modulation de la douleur, qui passe en temps normal par des voies neurologiques dites « descendantes » (du cerveau vers la périphérie), dysfonctionne également. L’activité de l’ensemble du système nerveux se modifie, de manière persistante : tout se passe comme si au lieu d’atténuer la réponse aux signaux douloureux, cette dernière devenait plus intense.

Une douleur aiguë intense non contrôlée, une lésion nerveuse résultant d’une opération chirurgicale ou d’un traumatisme, une anxiété de fond ou une altération du sommeil consolident aussi cette sensibilisation centrale. Plusieurs mécanismes physiopathologiques peuvent expliquer l’installation de ces douleurs « maladie ».

Une lésion postopératoire peut induire une douleur neuropathique (due à un dysfonctionnement du système nerveux plutôt qu’à une stimulation des récepteurs de la douleur), une hyperexcitabilité centrale sans inflammation ou lésion évidente peut induire une fibromyalgie ou un syndrome de l’intestin irritable. Une inflammation persistante, comme dans les lésions articulaires (arthropathies) d’origine inflammatoires ou les tendinopathies (maladies douloureuses des tendons), abaisse également les seuils d’activation des récepteurs du message douloureux.

Les douleurs chroniques ont de lourdes répercussions sur les patients, puisqu’elles affectent non seulement leurs capacités physiques et mentales, mais aussi leurs vies professionnelles et familiales. Au point que certains d’entre eux, dont les douleurs sont réfractaires, c’est-à-dire rebelles à tous les traitements, en arrivent parfois à demander une assistance à mourir.

L’analyse des données recueillies par l’Observatoire français de la douleur et des antalgiques indique qu’en France, plus de 23 millions de Français, majoritairement des femmes (57 %), vivraient avec des douleurs, la plupart du temps depuis au moins trois mois.

Sur le podium des douleurs les plus fréquentes figurent les douleurs musculo-squelettiques, dont l’arthrose ou les lombalgies ; les différentes céphalées, dont les migraines ; et les douleurs abdominales, dont l’intestin irritable ou l’endométriose.

Avec un âge moyen de 46 ans, la tranche d’âge des 35-64 ans représente 51 % de la population souffrant de douleurs chroniques. Près de 36 % sont inactifs sur le plan professionnel.

Cette maladie chronique est un fardeau d’autant plus lourd qu’il est très mal pris en charge : seul un tiers des patients se dit satisfait de ses traitements.

Un défaut de prise en charge

Près d’un patient sur deux évalue l’intensité de sa douleur à 7 ou plus sur une échelle de 1 à 10, c’est-à-dire une douleur chronique sévère, et 44 % en souffrent depuis plus de trois années.

Au cours des six mois précédant la réalisation de l’enquête, moins d’un patient sur trois avait vu ses symptômes s’améliorer. Par ailleurs, plus d’un tiers des patients interrogés présentent un handicap fonctionnel modéré à sévère et la moitié déclare des qualités physiques et mentales altérées.

Lorsqu’on les interroge sur leur prise en charge, seuls 37 % des patients s’en disent satisfaits. L’un des problèmes est que les traitements disponibles sont rarement spécifiques de la douleur concernée. Ils réduisent le plus souvent partiellement l’intensité des symptômes, mais n’ont pas toujours un impact significatif sur le fardeau que représente cette maladie dans la vie des malades.

Le paracétamol, les anti-inflammatoires et les opioïdes (morphine et dérivés) sont les trois sortes de médicaments prescrits pour traiter les douleurs chroniques. Signe d’un soulagement insuffisant, 87 % des patients rapportent pratiquer l’automédication pour tenter d’atténuer leurs souffrances.

Un coût sociétal important

En raison de leur prévalence élevée dans la société, les douleurs chroniques ont un coût estimé à plusieurs milliards d’euros par an, si l’on ajoute aux dépenses de santé nécessaires à leur prise en charge les conséquences économiques de la perte de productivité qu’elles entraînent.

Une étude datant de 2004 évaluait le coût total moyen annuel par patient à plus de 30 000 d’euros. Ce chiffre souligne l’impact économique considérable de cette condition, qui dépasse son coût direct pour le système de santé.

Ainsi, les arrêts de travail des personnes souffrant de douleurs chroniques sont cinq fois plus fréquents que ceux de la population générale. En outre, la durée moyenne cumulée des arrêts de travail de 45 % des patients douloureux chroniques dépasse quatre mois par an.

Une autre étude épidémiologique, menée en 2010, auprès de plus de 15 000 personnes adultes en France, a permis d’évaluer l’impact de la douleur sur les situations professionnelles et sur l’utilisation des systèmes de soins. Elle montre que les patients souffrant de douleurs chroniques consultent deux fois plus souvent que les autres.

En extrapolant cette année-là à la population générale, ce sont 72 millions de consultations supplémentaires par an qui sont dues aux douleurs chroniques, ce qui représente un surcoût annuel évalué à 1,16 milliard d’euros. Ces travaux révélaient aussi que l’absentéisme dû à ces douleurs représentait alors 48 millions de journées de travail perdues par an, à l’échelon national.

À la recherche du « mieux vivre avec » plutôt que du « zéro douleur »

L’évaluation et le traitement d’un patient souffrant de douleur chronique nécessitent de considérer simultanément les facteurs biologiques, psychologiques et sociaux, sans faire montre d’aucun a priori quant à l’importance relative de chacun, selon le modèle médical dit « biopsychosocial ».

« Il est temps que chaque patient ait accès à un parcours de soins digne, sans errance ni abandon », souligne Audrey Aronica, présidente de l’Association francophone pour vaincre la douleur (AFVD).

Seuls quatre patients sur dix bénéficient d’une prise en charge pluriprofessionnelle pour leur douleur chronique. Si, on l’a vu, seuls 37 % des patients se disent satisfaits de leur prise en charge, ce chiffre s’élève significativement lorsque les personnes sont suivies par une structure spécialisée dans la douleur chronique : on atteint alors 47 % de satisfaits.

La satisfaction est plus faible pour certaines douleurs comme la fibromyalgie, l’endométriose, les douleurs liées au cancer ainsi que les douleurs inflammatoires ou neuropathiques.

L’objectif thérapeutique pour une personne souffrant de douleur chronique est rarement la rémission totale ou la guérison de cette maladie. En douleur chronique, se donner comme objectif la résolution totale de la douleur est souvent irréaliste et parfois même contre-productif, menant souvent à des escalades thérapeutiques potentiellement délétères. Cela aboutit fréquemment à la prescription, sur une longue durée, de médicaments opioïdes (morphine ou équivalents), alors que ceux-ci ne sont pas recommandés pour toutes les douleurs. Avec le risque de développer une dépendance à ces traitements.

Face aux douleurs chroniques, le but de la prise en charge est essentiellement réadaptatif (mieux vivre avec sa douleur). L’objectif est de faire diminuer la douleur à un niveau acceptable pour le patient, et d’améliorer des capacités fonctionnelles et de la qualité de vie du patient. La réadaptation est éminemment centrée sur la personne, ce qui signifie que les interventions et l’approche choisies pour chaque individu dépendent de ses objectifs et préférences.

Il peut également être intéressant de favoriser la promotion de thérapeutiques non médicamenteuses scientifiquement validées comme la neuromodulation – technique qui consiste à envoyer, au moyen d’électrodes implantées par exemple sur la moelle épinière du patient, des signaux électriques visant à moduler les signaux de douleur envoyés au cerveau.

Les « thérapies digitales » qui accompagnent le développement de la « santé numérique » peuvent aussi s’avérer intéressantes. Elles rendent en effet accessibles, à l’aide d’applications consultables sur smartphone, un contenu scientifiquement validé ainsi que des approches complémentaires, psychocorporelles, qui permettent de mieux gérer la douleur et de réduire ses répercussions négatives au quotidien sur la qualité de vie des patients : fatigue, émotions négatives, insomnie, baisse de moral, inactivité physique.

Une grande cause nationale pour combattre le fardeau des douleurs chroniques

Pour améliorer la situation, il est essentiel que les autorités s’emparent du sujet de la lutte contre les douleurs chroniques en le déclarant « grande cause nationale ». L’attribution de ce label permettrait de mieux communiquer sur ce grave problème, et de soutenir et coordonner les efforts de recherche.

« Les résultats du baromètre Douleur 2025 obligent notre collectivité nationale à une réponse sanitaire de grande ampleur », selon le Dr Éric Serra, président de la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD).

Parmi les autres objectifs à atteindre, citons la sanctuarisation d’un enseignement de médecine de la douleur plus conséquent dans les études médicales, le financement ciblé de programmes de recherche nationaux, la mise en application concrète d’initiatives permettant de réduire les délais d’accès aux soins spécialisés et de lutter contre les inégalités territoriales ou économiques d’accès à certaines thérapeutiques.

The Conversation

Président de la Fondation Analgesia (fondation de recherche sur la douleur chronique). Président du comité de suivi de l’expérimentation d’accès au cannabis médical de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé. (ANSM). Membre du conseil d’administration de la Fondation IUD.

ref. Douleurs chroniques : en France, elles concerneraient plus de 23 millions de personnes – https://theconversation.com/douleurs-chroniques-en-france-elles-concerneraient-plus-de-23-millions-de-personnes-264599

Comprendre le cerveau des entrepreneurs grâce à une étude scientifique unique

Source: The Conversation – France in French (3) – By Frédéric Ooms, Chargé de cours, Université de Liège

Si le cerveau est capable de renforcer certains réseaux neuronaux grâce à l’entraînement, comme on muscle son corps par le sport, alors l’expérience entrepreneuriale répétée pourrait elle-même être un facteur de développement de ces connexions particulières. BillionPhotos/Shutterstock

L’entrepreneuriat façonne-t-il le cerveau ? Certaines personnes naissent-elles avec des caractéristiques cérébrales qui les prédisposent à entreprendre ? Pour tenter de répondre à ces questions, une étude récente explore le fonctionnement du cerveau d’entrepreneurs grâce à l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, une technique qui permet de visualiser l’activité cérébrale.


Si l’on reconnaît l’importance des processus cognitifs chez les entrepreneurs
– comment pensent-ils et agissent-il face à l’incertitude ? –, on s’est peu intéressé à l’étude de leur cerveau lorsqu’ils prennent leurs décisions.

Pourquoi certains individus semblent exceller dans la création d’entreprises et naviguent habilement à travers l’incertitude, tandis que d’autres peinent à s’adapter ?

Pour tenter de faire la lumière sur la réponse à cette question, nous avons mené des travaux faisant converger neurosciences et recherche en entrepreneuriat. Nous avons en effet exploré l’activité cérébrale chez des entrepreneurs grâce à une technique d’imagerie médicale, l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf).

Fruit d’une collaboration entre le centre de recherche interdisciplinaire en sciences biomédicales GIGA Consciousness Research Unit de l’Université de Liège (Belgique) et le Centre hospitalier universitaire (CHU) de Liège, notre étude ouvre de nouvelles perspectives sur la manière dont les entrepreneurs abordent la prise de décision, gèrent l’incertitude et exploitent de nouvelles opportunités.

Imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf)

L’IRMf permet de visualiser l’activité cérébrale en mesurant les variations du flux sanguin dans le cerveau. Cette méthode repose sur un principe simple : lorsqu’une région du cerveau est activée, elle consomme plus d’oxygène, ce qui entraîne une augmentation du flux sanguin vers cette zone. Ce surplus d’oxygène modifie légèrement les propriétés magnétiques du sang. C’est cette différence que l’IRMf mesure pour créer des cartes d’activité cérébrale en temps réel, offrant ainsi une vue détaillée de la fonction cérébrale.

Plus précisément, notre étude s’est concentrée sur 23 entrepreneurs habituels
– c’est-à-dire ceux qui ont lancé plusieurs entreprises, en les comparant à 17 managers travaillant dans de grandes organisations.

L’analyse de connectivité en état de repos basée sur une région cérébrale d’intérêt (seed-based resting state fMRI) a révélé que ces entrepreneurs expérimentés présentent une connectivité neuronale accrue entre certaines régions de l’hémisphère droit du cerveau : l’insula et le cortex préfrontal. Ces zones jouent un rôle dans la flexibilité cognitive et la prise de décisions exploratoires, c’est-à-dire la capacité à ajuster sa stratégie et à penser autrement face à des situations nouvelles ou incertaines.

Mieux gérer l’incertitude

Ce réseau cérébral plus connecté pourrait contribuer à expliquer pourquoi ces entrepreneurs semblent mieux armés pour gérer l’incertitude et faire preuve de flexibilité cognitive, des capacités souvent associées à l’identification d’opportunités entrepreneuriales.

Que ce soit de manière séquentielle – les serial entrepreneurs, qui créent une entreprise après l’autre – ou de façon concurrente – les portfolio entrepreneurs qui gèrent plusieurs entreprises en même temps –, ces profils paraissent exceller dans l’art de s’adapter rapidement. Une compétence précieuse dans le monde des start-ups, où les repères sont rarement stables.

Une autre étude, portant sur le même groupe d’entrepreneurs et de managers met en lumière un autre phénomène intrigant : ces entrepreneurs habituels présentent un volume de matière grise plus important dans l’insula gauche. Bien que l’étude n’ait pas directement mesuré la pensée divergente, d’autres travaux ont montré que l’augmentation du volume de matière grise dans l’insula gauche est associée à cette capacité – c’est-à-dire la faculté de générer de nombreuses idées différentes pour résoudre un même problème.

Ce qui suggère que les différences observées chez ces entrepreneurs pourraient refléter une plus grande propension à la pensée divergente.

Une question essentielle reste ouverte : l’entrepreneuriat façonne-t-il le cerveau… ou bien certaines personnes naissent-elles avec ces caractéristiques cérébrales qui les prédisposent à entreprendre ?

Autrement dit, sommes-nous entrepreneurs par nature ou par culture ?

Nature ou culture ?

Cette interrogation est aujourd’hui au cœur des nouveaux projets de recherche menés par l’équipe d’HEC Liège et du Centre de recherche du cyclotron (CRC) de l’Université de Liège. Cette orientation de recherche s’appuie sur le concept de « plasticité cérébrale », c’est-à-dire la capacité du cerveau à se modifier sous l’effet des expériences et des apprentissages.

Si le cerveau est capable de renforcer certains réseaux neuronaux grâce à l’entraînement, comme on muscle son corps par le sport, alors l’expérience entrepreneuriale répétée pourrait elle-même être un facteur de développement de ces connexions particulières. À l’inverse, si ces différences cérébrales sont présentes dès le départ, cela poserait la question de traits cognitifs ou neurobiologiques favorisant l’esprit d’entreprise.

Pour répondre à ces questions, de nouveaux travaux sont en cours au sein du laboratoire et du GIGA-CRC, avec notamment des études longitudinales visant à suivre l’évolution des cerveaux d’entrepreneurs au fil de leur parcours, mais aussi des comparaisons avec de jeunes porteurs de projets ou des aspirants entrepreneurs.

L’enjeu est de mieux comprendre si, et comment, l’expérience de l’entrepreneuriat peut façonner notre cerveau. Cette nouvelle phase de la recherche est en cours et entre dans une phase clé : le recrutement des participants pour une étude en imagerie par résonance magnétique (IRM). Nous recherchons des volontaires, entrepreneurs ou non, prêts à contribuer à cette exploration scientifique inédite sur les effets de la pratique entrepreneuriale sur le cerveau.

Former les futurs entrepreneurs

L’intégration des neurosciences dans l’étude de l’entrepreneuriat offre une perspective novatrice sur les facteurs qui pourraient contribuer à l’esprit entrepreneurial. En comprenant si – et comment – l’expérience entrepreneuriale influence la structure et la fonction cérébrales, il deviendrait possible de concevoir des approches de formation spécifiques pour favoriser l’esprit d’entreprendre. On pourrait, par exemple, imaginer de mettre au point des exercices pratiques et des approches d’apprentissage immersif afin de développer chez les étudiants les compétences observées chez des entrepreneurs habituels.


Cet article a été rédigé avec l’aide du Dr Arnaud Stiepen, expert en communication et vulgarisation scientifiques.

The Conversation

Frédéric Ooms a été financé par une subvention ARC (Actions de Recherche Concertée) de la Fédération Wallonie‑Bruxelles.

ref. Comprendre le cerveau des entrepreneurs grâce à une étude scientifique unique – https://theconversation.com/comprendre-le-cerveau-des-entrepreneurs-grace-a-une-etude-scientifique-unique-259324

La Constitution québécoise prétend vouloir protéger les femmes. La réalité est toute autre

Source: The Conversation – in French – By Naïma Hamrouni, Professeure agrégée de philosophie et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en éthique féministe, Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR)

Écoutez cet article en version audio générée par l’IA.

Le Québec pourrait bientôt inscrire le droit à l’avortement dans sa Constitution. Présenté au public comme un symbole fort pour l’égalité des sexes, ce geste risque paradoxalement de fragiliser l’accès réel des femmes à ce service, en plus de véhiculer une vision réductrice de la lutte féministe pour la justice reproductive.

Le 9 octobre dernier, le ministre de la Justice du gouvernement caquiste Simon Jolin-Barrette déposait le projet de Loi 1, visant à doter le Québec de sa propre Constitution. Présenté comme un geste d’affirmation nationale progressiste, visant à « définir la nation québécoise » et ses « valeurs sociales distinctes, dont l’égalité entre femmes et hommes », ce projet inclut deux dispositions touchant spécifiquement l’égalité des sexes.

Ce texte se concentre sur la disposition prévoyant l’inscription constitutionnelle du droit à l’avortement. À travers ce débat ouvert par le gouvernement, je propose, à titre de titulaire de la Chaire de recherche du Canada en éthique féministe à l’Université du Québec à Trois-Rivières, d’y voir une occasion rare de réfléchir collectivement – en incluant les Premiers peuples, grands oubliés de ce projet – à la perspective féministe que nous souhaitons voir structurer et inspirer notre projet de société.




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Contre la constitutionnalisation de l’avortement

En 2023, la Coalition avenir Québec a tenté d’inscrire le droit à l’avortement dans la Charte des droits et libertés de la personne. De nombreux groupes de femmes, le Barreau du Québec ainsi que plus de 400 médecins, s’y sont alors opposés, craignant d’abord qu’en ciblant l’avortement comme un service de santé distinct des autres, on risquait de raviver la stigmatisation des femmes qui y ont recours.

Ils rappelaient surtout que l’enchâssement du droit à l’interruption volontaire de grossesse dans une loi constitutionnelle ouvrirait de facto la porte à sa contestation devant les tribunaux. Cela fragiliserait des acquis menacés par les vents conservateurs qui soufflent sur la province depuis le renversement, en 2022, de l’arrêt Roe v. Wade, qui, depuis 1973, accordait aux États-Uniennes le droit d’avorter dans tout le pays.

Comme pour la vasectomie ou la chirurgie de la hanche, il n’est pas nécessaire de constitutionnaliser l’accès à l’avortement, mieux protégé comme soin que comme droit. Rappelons qu’au Québec, comme ailleurs au Canada, l’avortement n’est pas un droit constitutionnel : il est entièrement décriminalisé depuis 1988, à la suite d’une décision de la Cour suprême ayant invalidé les restrictions du Code criminel – qui, depuis 1969, n’autorisait l’avortement que dans certaines circonstances exceptionnelles et sous des conditions très restrictives. Depuis, l’interruption volontaire de grossesse relève du réseau de la santé, et non de la Constitution.

En décembre 2023, la ministre responsable de la Condition féminine Martine Biron avait su écouter les groupes de femmes et faire marche arrière sur son projet de loi. Aujourd’hui, le gouvernement caquiste choisit de faire fi de leurs voix – tout en s’autoproclamant champion de l’égalité des sexes. Il voudrait délibérément mettre en péril la protection du droit à l’avortement qu’il ne s’y prendrait pas autrement.

Ce qui menace le droit à l’avortement

Les groupes de femmes et les chercheuses féministes n’ont jamais demandé la constitutionnalisation du droit à l’avortement, qu’elles ont même critiquée. Elles rappellent toutefois que l’accès réel à ce service reste entravé par des obstacles concrets : manque de services hors des grands centres, manque d’accès à la pilule abortive, délais d’attente longs, absence de congés payés, et manque d’investissement dans l’accompagnement de celles qui subissent violence ou contrôle de la part de leur partenaire.

Mais constitutionnaliser un droit à l’avortement est plus spectaculaire et politiquement payant. Ce geste qui frappe l’imaginaire citoyen dispense surtout de s’engager là où cela ferait une véritable différence pour les femmes. L’exercice réel de notre liberté reproductive dépend d’autres facteurs sur lesquels nos gouvernements ont un pouvoir d’agir : l’existence d’une clinique à distance raisonnable et l’accès rapide à une consultation dans une société féministe qui soutient et valorise les femmes et leur autonomie.

S’ajoutent aussi des facteurs socio-économiques et relationnels sur lesquels le gouvernement peut agir par l’éducation et les programmes sociaux : vivre une relation égalitaire et respectueuse, et avoir des moyens financiers permettant de réaliser ses projets reproductifs ou de quitter une relation toxique. La pauvreté, la crise du logement et la réduction des ressources pour femmes et enfants victimes de violence conjugale restent des enjeux féministes cruciaux, liés à la justice reproductive.

Au-delà de ces obstacles pratiques à la liberté reproductive, les féministes s’entendent pour dire que la principale menace à nos droits à l’heure actuelle est représentée par la montée des droites conservatrices. En ligne, ces mouvements tissent de nouvelles communautés réactionnaires, nourries par des discours natalistes, nostalgiques des rôles de genre traditionnels et d’une époque pure-laine fantasmée.

Vers une pleine justice reproductive

L’histoire classique du féminisme présente le droit à l’avortement comme un combat emblématique des années 1960. Mais ce récit est partiel. Il occulte les expériences des femmes autochtones, noires et racisées, des femmes vivant avec une déficience intellectuelle et de celles en situation de handicap, qui ont fait les frais des politiques génocidaires et eugénistes : stérilisations imposées, coercition reproductive, et retraits d’enfants, justifiés par des préjugés sur leur capacité à être mères.

Pour élargir la compréhension des droits reproductifs, la militante et cofondatrice du collectif SisterSong Loretta Ross – elle-même stérilisée sans consentement à l’âge de 23 ans –, a élaboré avec ses consœurs le concept de justice reproductive. Ancrée dans une compréhension intersectionnelle des oppressions (sexiste, mais aussi capacististe, raciste et coloniale), cette notion relie le droit de ne pas avoir d’enfants à celui d’en avoir, librement. Elle intègre également aux droits d’avorter et de mettre des enfants au monde, celui d’élever nos enfants dans la dignité, dans des conditions sociales qui soutiennent la valeur égale de leurs vies et des nôtres.


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Dans cette perspective élargie, la justice reproductive implique donc bien davantage que la seule lutte pour l’accès à l’avortement. Elle conçoit comme indissociable de la liberté reproductive l’accès universel aux soins de santé, aux services sociaux et à une éducation de qualité. La justice reproductive implique aussi la lutte pour l’accès des femmes et de leurs enfants à un logement abordable et sain, à une alimentation nourrissante et suffisante, et à une vie libérée de la pauvreté et de la violence, qu’elle soit exercée au sein du foyer ou par l’État.

Autrement dit, en plus de fragiliser l’accès à l’avortement en ouvrant la porte à sa contestation devant les tribunaux, l’inscription de ce droit dans la Constitution refléterait une vision bien partielle de la lutte féministe pour la justice reproductive.

Prendre les droits des femmes au sérieux exige un leadership politique capable de dénoncer d’un même souffle les menaces au droit à l’avortement et les injustices issues des systèmes d’oppression qui limitent l’exercice réel de notre liberté reproductive. Sans un tel programme d’action féministe ambitieux, l’engagement de notre gouvernement pour l’égalité des sexes n’est qu’un vernis superficiel appliqué à un projet constitutionnel qui, fondamentalement, n’a rien de féministe.

La Conversation Canada

Naïma Hamrouni a reçu des financements du CRSH et du FRQSC.

ref. La Constitution québécoise prétend vouloir protéger les femmes. La réalité est toute autre – https://theconversation.com/la-constitution-quebecoise-pretend-vouloir-proteger-les-femmes-la-realite-est-toute-autre-265843

Quatre méthodes pour combattre la déprime hivernale, selon la science

Source: The Conversation – in French – By Gio Dolcecore, Assistant Professor, Social Work, Mount Royal University

À l’approche de l’hiver et avec la fin de l’heure d’été, beaucoup de gens se préparent à affronter des journées de plus en plus courtes, un temps de plus en plus froid, ainsi que la fameuse « déprime hivernale ». Ces changements saisonniers sont toutefois plus qu’un simple désagrément passager, car ils peuvent perturber l’énergie, l’humeur et les habitudes quotidiennes.

Le trouble affectif saisonnier (TAS) se caractérise par une intensification des symptômes dépressifs pendant les mois d’automne et d’hiver, tandis que la « déprime hivernale » désigne une baisse de l’humeur temporaire et est moins grave.

Au Canada, environ 15 % de la population souffre de déprime hivernale, et de 2 à 6 % de TAS. Bien que la cause exacte du TAS soit incertaine, il semblerait qu’il soit lié à la diminution de l’exposition à la lumière naturelle en automne et en hiver, ce qui peut perturber le rythme circadien.

Une faible luminosité affecte la chimie du cerveau en réduisant le taux de sérotonine, un neurotransmetteur qui régule l’humeur, le sommeil et l’appétit, tout en maintenant un taux élevé de mélatonine pendant la journée, ce qui entraîne somnolence et fatigue.

La bonne nouvelle, c’est qu’avec de la volonté et des pratiques fondées sur des preuves, il est possible de transformer l’hiver en une saison porteuse de sens, de liens sociaux et même de joie. À titre de travailleuse sociale et de thérapeute en santé mentale, je vous propose quatre approches qui, selon la recherche et ma pratique clinique, peuvent rendre les mois d’hiver plus agréables.




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1. Faire du temps son ami

L’hiver peut engendrer de l’apathie et de la démotivation. Cependant, il est possible d’y remédier en instaurant des routines.

Des recherches en psychologie comportementale montrent que des activités structurées, même simples, peuvent stimuler la motivation. Essayez de prévoir des rituels hebdomadaires, comme prendre un café avec un ami, aller à la bibliothèque ou regarder votre émission préférée, afin de vous donner des points d’ancrage lorsque vous avez des baisses d’énergie.

Accordez à votre temps le même soin que vous accordez à celui des autres et planifiez des moments de qualité pour vous-même.

Un autre outil utile est le « body doubling » (ou travail en parallèle), qui consiste à accomplir des tâches en même temps que quelqu’un d’autre, que ce soit en personne ou virtuellement. Cela peut signifier regarder le même film même si on n’est pas au même endroit, discuter au téléphone tout en pliant son linge ou travailler ensemble dans un café. Ces routines partagées favorisent le sentiment de responsabilité et renforcent les liens.

Les routines sociales structurées sont un élément de la thérapie cognitivo-comportementale, qu’on utilise pour traiter le TAS et la déprime hivernale, et qu’on considère comme efficace pour prévenir les rechutes dépressives.

2. On sort !

Lorsque la température baisse, il est tentant de rester à l’intérieur. Pourtant, passer un bref moment à l’extérieur dans le froid présente de réels avantages.

L’exposition à la lumière naturelle, même par temps couvert, permet de réguler les rythmes circadiens, d’améliorer la qualité du sommeil et de stabiliser l’humeur. Essayez de sortir au moins 10 minutes par jour. Que vous fassiez une marche rapide, du patinage ou que vous restiez dehors sans bouger, cela vous aidera à vous sentir mieux.

Si vous présentez des symptômes dépressifs, parlez-en à votre médecin pour savoir si la luminothérapie pourrait vous convenir. Des études cliniques ont montré qu’il s’agit de l’un des traitements les plus efficaces contre le TAS.

Essayez de voir la neige comme quelque chose d’attirant plutôt que comme un obstacle. Vous pouvez prévoir toutes sortes d’activités, comme des pique-niques hivernaux, des chasses au trésor avec des pommes de pin ou de la peinture sur neige, ou encore des activités plus calmes comme l’observation d’oiseaux, la photo ou la raquette. Si vous êtes du style à aimer l’adrénaline, les sports comme la planche à neige peuvent vous apporter des sensations fortes.

3. Des moments de joie

La joie est souvent perçue comme un trait de caractère ou une capacité innée, mais on peut la cultiver intentionnellement. Des gestes simples peuvent reprogrammer le cerveau petit à petit pour qu’il se tourne vers des états plus positifs.

Une façon de cultiver la joie consiste à trouver des activités qui favorisent ce que les chercheurs appellent le « flow », un terme qui décrit le fait d’être complètement absorbé par ce qu’on fait au point où tout le reste disparaît.

Cet état se produit lorsque le défi et les compétences sont en parfait équilibre, quand une activité est captivante sans être trop difficile au point qu’on se sente dépassé. Cela stimule les circuits émotionnels positifs du cerveau, renforçant ainsi les voies liées à l’attention, à la motivation et à la créativité. Les activités engendrant le flow ne sont pas les mêmes pour tout le monde : on peut penser aux casse-têtes, aux jeux vidéo, à la cuisine, au crochet, à la peinture ou à la poésie.


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La joie peut être collective. Les rires partagés, le travail en parallèle ou les gestes d’hospitalité nous rappellent que la joie est plus grande lorsqu’elle est vécue en communauté. Un repas où chacun apporte un plat, une soirée au cinéma ou un simple coup de fil peuvent contrer l’isolement et faire de la joie une ressource renouvelable que l’on crée avec les autres.

4. Prendre le temps de s’arrêter

La pleine conscience et la méditation sont deux pratiques qui peuvent être intégrées à la vie quotidienne pour atténuer le stress et la dépression, améliorer l’attention et la régulation émotionnelle, et diminuer la rumination mentale.

La méditation est une technique qui permet de cultiver le calme, en utilisant entre autres la respiration profonde, tandis que la pleine conscience consiste à demeurer présent au quotidien, par exemple en savourant le goût de son café du matin. Il a été prouvé que ces deux pratiques accroissent la concentration, régulent les émotions et réduisent les pensées négatives répétitives.

Des études montrent qu’il suffit de dix minutes de pause par jour, en étant attentif à l’instant présent, pour diminuer considérablement le stress.

On recommande d’intégrer ces moments à la routine quotidienne, par exemple en prenant cinq respirations profondes dès le réveil, en faisant une pause après une séance de sport ou en restant assis en silence dans la voiture avant d’entrer chez soi. Les applications proposant de courtes méditations, des histoires pour dormir ou des rappels permettent de développer cette habitude.

Si on vit avec d’autres personnes, on peut prendre le temps de poser des questions comme : « Quel a été ton meilleur et ton pire moment de la journée ? », de manière à favoriser la réflexion et la gratitude. Ces petits rituels de respiration et d’introspection peuvent aider à prévenir la fatigue émotionnelle durant l’hiver.

L’hiver, une saison pour pratiquer

Au lieu de simplement survivre à l’hiver, on peut l’aborder comme une saison pour apprendre, s’adapter et renforcer sa résilience. Pour cela, on peut faire du temps son allié, rechercher l’émerveillement en plein air, cultiver la joie comme une compétence et trouver sa façon de pratiquer la méditation et la pleine conscience.

Ces stratégies ne feront pas disparaître les défis liés aux journées courtes et au temps froid, mais des études montrent qu’elles peuvent aider à atténuer leur impact sur l’humeur et le bien-être. En considérant délibérément l’hiver comme une période de croissance, on peut changer son état d’esprit et envisager cette saison comme une occasion de renouveau.

Le solstice d’hiver symbolise l’obscurité qui cède la place à la lumière. Célébrer le solstice en allumant des bougies, en se réunissant en communauté ou en prenant des résolutions pour les mois à venir peut transformer le jour le plus sombre de l’année en un moment de connexion, de renouveau et d’amour pour la saison hivernale.

La Conversation Canada

Gio Dolcecore ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Quatre méthodes pour combattre la déprime hivernale, selon la science – https://theconversation.com/quatre-methodes-pour-combattre-la-deprime-hivernale-selon-la-science-269767

Comment la consommation précoce de pornographie affecte la sexualité des garçons et des filles

Source: The Conversation – in French – By Jose Daniel Rueda Estrada, Director programa Master Universitario Trabajo Social Sanitario, UOC – Universitat Oberta de Catalunya

Les écrans deviennent les premiers vecteurs d’éducation sexuelle des adolescents, exposant filles et garçons à des modèles de désir souvent violents et inégalitaires. Shutterstock

L’exposition des enfants et adolescents à la pornographie commence de plus en plus tôt, souvent avant l’âge de 10 ans, et façonne leur compréhension du désir, du consentement et des relations affectives. Elle influe sur la manière dont les jeunes apprennent à désirer, mais aussi sur celle dont les adolescentes apprennent à être désirées.


Le contact avec la pornographie se produit de plus en plus tôt. En Espagne par exemple, 20 % des adolescents ont accédé à ce type de contenu avant l’âge de 10 ans et plus de 90 % avant l’âge de 14 ans.

(En France, un rapport d’information du Sénat corrobore, en septembre 2022, ces tendances en dénombrant 1,1 million d’adolescents de 15 ans à 18 ans et 1,2 million d’enfants de moins de 15 ans sur 19 millions de visiteurs mensuels uniques de sites pornographiques, ndlr.)

Ces chiffres révèlent une enfance exposée trop tôt à des contenus qui façonnent leur manière de comprendre le désir, le consentement et les relations affectives. Dans un contexte où l’éducation sexuelle approfondie est pratiquement inexistante tant dans les familles qu’à l’école, Internet est devenu le professeur et la pornographie son programme.




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Une enfance exposée trop tôt

Les recherches les plus récentes réalisées en Espagne situent le début de la consommation de pornographie entre les âges de 8 ans et 13 ans. Le téléphone portable est le principal dispositif d’accès : il permet une consommation privée, immédiate et difficile à surveiller par l’entourage adulte.

Cet accès continu est dépourvu des filtres familiaux et éducatifs qui pourraient servir d’éléments de protection.

Ce que voient les enfants

L’exposition précoce à des contenus sexuels explicites dans lesquels sont reproduites des attitudes de violence, de domination et de machisme, et la consommation comme pratique intégrée dans la socialisation numérique des adolescents ont pour conséquence que la violence physique, la coercition ou l’humiliation des femmes, loin d’être reconnues comme des agressions, sont interprétées comme des comportements sexuels normaux, voire souhaitables.

Ce sont des contenus et des attitudes qui renforcent les modèles de virilité fondés sur la domination et le rabaissement.

Certains chercheurs ont constaté que les vidéos les plus visionnées comprenaient des scènes de cheveux tirés, de gifles ou d’insultes, et même un viol collectif (avec plus de 225 millions de vues). D’autres recherches ont confirmé que la consommation régulière de pornographie violente est associée à des attitudes de domination et d’agression sexuelle : 100 % des études ont établi un lien entre la pornographie et la violence sexuelle, 80 % avec la violence psychologique et 66,7 % avec la violence physique.

En définitive, à l’adolescence, cette exposition façonne les premières expériences affectives et normalise l’idée selon laquelle le pouvoir, la soumission et la violence font partie du désir

Les filles face au miroir de la violence

Les adolescentes consultent également la pornographie, bien que dans une moindre mesure et dans un contexte marqué par la pression esthétique, les normes de genre et le besoin de validation externe, facteurs qui influencent la manière dont elles construisent leur désir et leur relation avec leur corps.

Cette consommation est souvent vécue avec un malaise ou une ambivalence émotionnelle, et est rarement partagée entre pairs.

La nouvelle pornographie numérique renforce la chosification des femmes, en les présentant comme des instruments du plaisir masculin. Des plateformes, telles qu’OnlyFans, poursuivent cette logique, en commercialisant le corps féminin sous le couvert d’une liberté apparente qui répond à la demande masculine.

Ainsi, les jeunes filles apprennent que la reconnaissance sociale dépend de leur capacité à s’exposer, ce qui génère une socialisation fondée sur l’autosexualisation et le capital érotique.

Cet apprentissage perpétue les injonctions à la soumission et consolide un modèle de désir fondé sur l’inégalité. En conséquence, la pornographie non seulement façonne la manière dont les hommes apprennent à désirer, mais aussi la manière dont les adolescentes apprennent à être désirées.

Une éducation qui arrive trop tard

L’absence d’une éducation sexuelle adéquate est l’un des facteurs qui contribuent le plus à la consommation précoce de pornographie.

Dans le domaine éducatif, il existe toujours un manque de programmes abordant les relations affectives et sexuelles avec sérieux, naturel et dans une approche fondée sur les droits et les valeurs, ce qui favorise l’intériorisation des contenus pornographiques.

De plus, les écoles en Espagne, mais aussi dans d’autres pays, manquent de ressources pour une éducation sexuelle complète et, dans les familles, le silence et le tabou prévalent souvent.

Face à ce manque de repères, la pornographie devient la principale source d’information, annulant des dimensions essentielles de la sexualité telles que l’affection, l’égalité et le respect.




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Éducation socio-affective et approche de genre

C’est pourquoi l’éducation socio-affective avec une approche de genre s’est avérée essentielle pour prévenir les effets de la consommation et promouvoir des relations égalitaires.

Intégrer une réflexion sur le consentement, le plaisir et la diversité permet de contrebalancer les messages de domination véhiculés par les écrans et de responsabiliser les adolescents à partir du respect mutuel.

Un défi pour la santé publique

La consommation de pornographie à l’adolescence constitue un problème émergent de santé publique. Ses effets transcendent l’individu et affectent le bien-être émotionnel, la socialisation et la construction des identités de genre, ce qui nécessite une approche préventive et globale de la part du système de santé.

De plus, il est prouvé que l’exposition précoce à des contenus sexuels explicites influence les comportements à risque, les addictions comportementales et la reproduction des inégalités de genre.

D’une question privée à un défi collectif

Les acteurs du travail social jouent un rôle clé en se positionnant entre le système de santé, la société et les familles. De cette position, les travailleurs sociaux peuvent détecter les conséquences psychosociales de la consommation (anxiété, isolement ou attitudes sexistes) et intervenir par des actions éducatives et d’accompagnement.

De même, le travailleur social en santé contribue à la conception de stratégies intersectorielles qui intègrent l’éducation affective et sexuelle dans les soins primaires et favorisent des relations saines dès le plus jeune âge. En fin de compte, accompagner les nouvelles générations vers une sexualité fondée sur l’empathie, le consentement et l’égalité est sa plus grande responsabilité.

La consommation de pornographie n’est plus une question privée, mais un défi collectif. Il ne s’agit pas d’un problème moral, mais d’un problème de santé et d’égalité. Si la pornographie enseigne à désirer avec violence, notre tâche est d’enseigner à désirer avec empathie. En ce sens, éduquer à l’égalité, à l’affection et au consentement n’est pas une option : c’est une urgence sociale.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Comment la consommation précoce de pornographie affecte la sexualité des garçons et des filles – https://theconversation.com/comment-la-consommation-precoce-de-pornographie-affecte-la-sexualite-des-garcons-et-des-filles-269638

Biodiversité alimentaire, microbiote et bien-être : la recherche explore les liens potentiels

Source: The Conversation – in French – By Émeline Roux, Maître de conférences en biochimie alimentaire

Une alimentation variée en termes de diversité d’espèces végétales consommées est essentielle à la santé pour son apport en fibres et en nutriments. La recherche s’intéresse à cette biodiversité alimentaire qui pourrait aussi se révéler précieuse pour le bien-être mental, notamment par l’entremise du microbiote intestinal.


L’industrialisation de l’agriculture et le développement de l’industrie agroalimentaire ont favorisé les monocultures induisant une baisse drastique de la biodiversité alimentaire, depuis le XXe siècle.

Actuellement, douze espèces végétales et cinq espèces animales fournissent 75 % des cultures alimentaires mondiales, selon l’organisation non gouvernementale World Wide Fund (WWF). Et trois espèces végétales sont produites majoritairement dans le monde : le maïs, le blé et le riz, malgré une estimation de plus de 7 000 (peut-être même 30 000) espèces végétales comestibles, rappelle l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

De l’intérêt de la biodiversité alimentaire pour le microbiote intestinal

Il est important de différencier la diversité alimentaire qui représente la consommation de grands groupes alimentaires comme les produits laitiers ou les fruits et les légumes… de la biodiversité alimentaire qui prend en compte chaque espèce biologique (animale et végétale) consommée par un individu.

Par exemple, si un individu mange des carottes, des poivrons et des artichauts, en termes de diversité alimentaire, un seul groupe – celui des légumes – sera comptabilisé, contre trois espèces en biodiversité alimentaire. Or, tous les légumes n’apportent pas les mêmes nutriments et molécules actives. La biodiversité alimentaire est donc importante pour couvrir tous nos besoins.

Une fois ingérés, les aliments impactent notre organisme, et ce, jusqu’au cerveau, notamment via le microbiote intestinal. Le microbiote intestinal représente l’ensemble des microorganismes (bactéries et autres) qui se trouvent dans le tube digestif, en particulier au niveau du côlon. Cela représente un écosystème complexe avec environ 10 000 milliards de microorganismes.

Un microbiote sain et équilibré est caractérisé par une grande diversité bactérienne et la présence de certaines espèces bactériennes. L’état de santé ou l’alimentation peuvent moduler la composition de notre microbiote en quelques jours. Par ailleurs, l’impact de l’alimentation pourrait, après plusieurs mois, se répercuter sur le bien-être mental.

Fibres, microbiote, neurotransmetteurs et bien-être mental

Parmi les molécules de notre alimentation, qui impactent de façon bénéfique notre microbiote, se trouvent les fibres végétales. Ces longues chaînes glucidiques ne sont pas hydrolysées par les enzymes humaines, mais constituent le substrat principal de bactéries importantes du microbiote. En dégradant les fibres, des métabolites sont produits par certaines bactéries (par exemple, Bifidobacterium, Lactobacillus, des espèces du phylum des Bacillota), dont les acides gras à chaîne courte (AGCC) : acétate, propionate et butyrate.

Le butyrate, en particulier, agit sur certains paramètres biologiques et pourrait exercer des effets bénéfiques sur la santé physique et mentale. En effet, le butyrate module la réponse immunitaire par stimulation des cellules immunitaires et exerce une action anti-inflammatoire en augmentant l’expression de certains gènes. Il permet également de diminuer la perméabilité de l’épithélium intestinal et donc de limiter le passage de molécules inflammatoires ou toxiques dans la circulation sanguine.

Par ailleurs, certains neurotransmetteurs comme la sérotonine, l’acide gamma-aminobutyrique (GABA) ou la dopamine sont synthétisés à partir de précurseurs apportés par l’alimentation.

L’augmentation de la concentration des précurseurs suivants aurait un impact positif sur le cerveau :

De l’intérêt de consommer davantage de fibres végétales

Il est recommandé de consommer de 25 grammes à 38 grammes de fibres quotidiennement, apportées via la consommation de végétaux (cf. tableau ci-après). Or la moyenne française en 2015 était inférieure à 18 grammes d’après une étude de Santé publique France.

On soulignera néanmoins que, lorsqu’on souhaite augmenter son apport en fibres, pour éviter les effets indésirables de leur fermentation dans le colon, il est conseillé de les réintroduire progressivement dans son alimentation au cours de plusieurs semaines.

Favoriser aussi un bon ratio oméga-3/oméga-6, vitamines, minéraux, etc.

Enfin, d’autres nutriments jouant un rôle important sur la santé mentale par une action directe sur le cerveau ont aussi une action indirecte en modulant le microbiote intestinal ou en étant précurseurs de métabolites bactériens ayant un effet au niveau du système nerveux central (qui inclut le cerveau).

Ainsi, un ratio équilibré oméga-3/oméga-6 (1 :4) exerce des effets bénéfiques sur le microbiote intestinal. Mais dans l’alimentation occidentale, le ratio est déséquilibré en faveur des oméga-6, ce qui engendre un état inflammatoire.

Les aliments les plus riches en oméga-3 sont issus de végétaux terrestres (l’huile de lin, de colza, etc.) et d’animaux marins (les poissons gras comme le saumon, le maquereau, le hareng, la sardine et l’anchois, etc.), explique l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses). En revanche, l’huile de tournesol et de pépin de raisin sont très riches en oméga-6, participant ainsi au déséquilibre des apports.

Une alimentation riche en polyphénols (certaines épices, cacao, baies de couleur foncée, artichauts…) confère également des effets bénéfiques anti-inflammatoires via la modification du profil du microbiote intestinal.

Enfin, les vitamines ou minéraux participent aux fonctions de base de l’organisme.

Quels aliments apportent quelles classes de nutriments ?

Une alimentation biodiversifiée permet un apport complet de tous ces nutriments (cf. les recommandations sur le site de l’Anses et du Programme national nutrition santé [PNNS]). Des données existent sur la teneur moyenne en nutriments de ces aliments et leur saisonnalité (site Ciqual). Cependant, les aliments n’apportent pas tous les mêmes classes de nutriments.

Pour donner un exemple concret, un artichaut cuit contient assez de fibres (11 g/100 g) pour satisfaire les besoins journaliers, mais sera pauvre en vitamine C (moins de 0,5 mg/100 g), contrairement au brocoli cuit plus riche en vitamine C (90 mg/100 g), mais assez pauvre en fibre (2,4 g/100 g). Ainsi, la prise en compte de la biodiversité alimentaire est essentielle pour évaluer les apports totaux en ces différents nutriments.

Afin d’avoir un bon état de santé physique et mentale, il est recommandé de diversifier les sources alimentaires pour couvrir l’ensemble des besoins. Cependant, la disponibilité en aliments varie selon les saisons. Le tableau ci-dessous présente quelques propositions d’associations d’aliments de saison pour couvrir nos besoins quotidiens en fibres.

Exemples d’aliments de saison à consommer pour avoir un apport journalier suffisant en fibres totales (Sources : Ciqual et ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire)

L’impact des PFAS, pesticides et perturbateurs endocriniens à ne pas négliger

A contrario, l’organisme est impacté négativement par d’autres facteurs, comme l’exposome qui représente l’ensemble des expositions environnementales au cours de la vie.

Ainsi, les xénobiotiques (par exemple, les pesticides), qui impactent la croissance et le métabolisme des bactéries du microbiote intestinal, qui, en retour, peut bioaccumuler ou modifier chimiquement ces composés. Les aliments issus de l’agriculture biologique contiennent beaucoup moins de xénobiotiques et sont donc recommandés.

Enfin, l’utilisation d’ustensiles de cuisine en plastique ou en téflon, entre autres, peut notamment engendrer la libération de perturbateurs endocriniens ou de polluants persistants (comme les substances per- et polyfluroalkylées PFAS) qui vont se bioaccumuler dans les bactéries du microbiote intestinal. De ce fait, il est recommandé de limiter leur utilisation au profit d’autres matériaux alimentaires (inox, verre).

Différentes molécules et facteurs impactant le microbiote intestinal et susceptibles d’agir sur le bien-être mental

Adopter une alimentation variée est donc essentiel pour couvrir les besoins nutritionnels à l’échelle moléculaire, et cela impacte de manière bénéfique la santé physique mais aussi mentale, notamment via le microbiote.

Toutefois, il est important de prendre soin de son alimentation sans tomber dans une anxiété excessive, qui pourrait engendrer des troubles alimentaires et nuire finalement au bien-être global, la notion de plaisir restant essentielle dans l’alimentation.


Déborah Maurer Nappée (étudiante en master 2 Nutrition et sciences des aliments de l’Université de Rennes) a contribué à la rédaction de cet article.

The Conversation

ROUX Emeline a reçu un financement de la Fondation de l’Université de Rennes, chaire Aliments et bien-manger.

Gaëlle Boudry ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Biodiversité alimentaire, microbiote et bien-être : la recherche explore les liens potentiels – https://theconversation.com/biodiversite-alimentaire-microbiote-et-bien-etre-la-recherche-explore-les-liens-potentiels-268965

Château de Chambord : pourquoi les Français financent-ils « leur » patrimoine ?

Source: The Conversation – France (in French) – By Aurore Boiron, Maîtresse de conférences en Sciences de Gestion et du Management, Université d’Orléans

La campagne de financement participatif des travaux du château de Chambord est un vrai succès. Que dit cette réussite de l’intérêt des Français pour le patrimoine ? Les résultats obtenus sont-ils transposables à d’autres monuments ? Ou faut-il craindre que ces campagnes pour des édifices d’intérêt national ne détournent le public d’opérations moins ambitieuses mais indispensables ?


Le domaine national de Chambord (Loir-et-Cher), deuxième château le plus visité de France après celui de Versailles (Yvelines), a fermé l’accès à l’aile François Ier. Fragilisée par le temps et le climat, cette partie du monument nécessite des travaux de restauration estimés à 37 millions d’euros.

Bien que disposant d’un modèle économique solide, le domaine ne peut absorber seul un tel coût. Aux côtés du mécénat, Chambord a choisi de mobiliser aussi le grand public en lançant, le 19 septembre 2025, une campagne de financement participatif à l’occasion des Journées européennes du patrimoine. Intitulée « Sauvez l’aile François Ier, devenez l’ange gardien de Chambord », elle visait à collecter 100 000 euros.

Deux mois plus tard, la collecte a déjà dépassé l’objectif initial, atteignant 218 139 euros grâce aux 2 191 dons, déclenchant un nouveau palier à 300 000 euros. Ce succès interroge : pourquoi des citoyens choisissent-ils de contribuer à la restauration d’un monument déjà emblématique soutenu par l’État et par des mécènes privés ?




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Un mode de financement à géométrie variable

Le cas de Chambord n’est pas isolé. Le financement participatif consacré au patrimoine est devenu une pratique courante en France, malgré de fortes fluctuations. Selon le baromètre du financement participatif en France, 1,4 million d’euros ont été collectés en 2022, 5,7 millions en 2023, puis seulement 0,8 million en 2024. Les raisons de ces écarts restent à documenter, mais ces chiffres révèlent un mode de financement ponctuel, voire incertain.

Ce mode de financement repose sur les dons principalement en ligne des citoyens. Il ne remplace ni l’argent public ni le mécénat d’entreprise, mais les complète, parfois même symboliquement. Dans certains cas, il joue un rôle de déclencheur. En effet, en apportant la preuve d’une mobilisation locale, la participation citoyenne peut débloquer des subventions publiques conditionnées à cet engagement. En partenariat avec certaines régions, la Fondation du patrimoine peut ainsi apporter une bonification à la souscription, comme ce fut le cas pour la restauration de l’église de Sury-en-Vaux (Cher) dans le Sancerrois.

Les projets financés sont divers : restauration d’églises rurales, sauvegarde de moulins, mise en valeur de jardins historiques, consolidation de lavoirs… Cette diversité reflète la richesse du patrimoine français, mais aussi sa fragilité et le besoin constant de mobilisation pour sa préservation.

Une question de proximité

Des recherches menées en région Centre-Val de Loire montrent que la décision de contribuer repose sur divers éléments, notamment sur le lien, appelé proximité, entre le contributeur et le bien patrimonial. Les donateurs entretiennent souvent un lien particulier avec le monument qu’ils soutiennent. Ce lien est d’abord géographique. Il peut être lié au lieu de résidence, mais aussi à des séjours passés, des vacances ou encore des visites. Il n’implique donc pas toujours d’habiter à proximité.

Il est aussi affectif. Certains contributeurs expriment un attachement direct au bien patrimonial, car ce monument peut évoquer des origines familiales, des souvenirs personnels ou susciter une émotion particulière. D’autres s’y intéressent de manière plus indirecte, parce qu’il incarne, au même titre que d’autres biens, une identité territoriale ou encore une passion pour le patrimoine en général.

Chambord cumule les atouts

La campagne de Chambord se distingue des projets plus modestes. Contrairement à une petite église de village ou à un lavoir communal, ce château touristique active simultanément plusieurs types de liens, ce qui explique en partie son potentiel de mobilisation exceptionnelle. Les premiers témoignages de participants à la campagne de Chambord illustrent ces logiques de proximité.

Chambord est un marqueur d’identité territoriale fort, dont le lien géographique et affectif fonctionne à plusieurs échelles. Chambord est avant tout un symbole du patrimoine culturel français. Pour de nombreux contributeurs, soutenir cette restauration vise à préserver un emblème de la France et de son rayonnement culturel.

« Tout comme Notre-Dame de Paris, c’est un symbole de notre patrimoine que nous devons préserver », souligne Julie.

« Ce patrimoine exceptionnel contribue au rayonnement de la France à travers le monde », précise Benjamin.

Ce sentiment d’appartenance ne s’arrête pas au niveau national. Chambord est aussi un marqueur d’identité territoriale locale. Pour les habitants du Loir-et-Cher et de la région Centre-Val de Loire, Chambord est « leur » château, le fleuron de leur territoire, comme le confie un autre donateur anonyme.

« J’habite à proximité du château de Chambord et le domaine est mon jardin ! »

Cette capacité à créer un sentiment élargi d’appartenance géographique multiplie considérablement le potentiel de contributeurs.

Passion pour l’histoire

Ce lien affectif indirect s’exprime également lorsqu’il est nourri par une passion pour l’histoire ou pour le patrimoine en général. Ces passionnés ne soutiennent pas Chambord parce qu’ils y ont des souvenirs personnels, mais parce qu’il incarne, à leurs yeux, l’excellence de l’architecture française, le génie de la Renaissance ou l’héritage culturel commun. Leur engagement s’inscrit dans une forme d’adhésion à l’idée même de sauvegarder le patrimoine.

C’est le cas de Carole,

« passionnée d’histoire, je souhaite participer à la conservation d’un patrimoine qui doit continuer à traverser les siècles pour que toutes les générations futures puissent en profiter et continuer cette préservation unique ».

Au-delà de l’identité territoriale nationale ou locale ou encore de la passion patrimoniale, les commentaires des contributeurs expriment un lien affectif direct avec le monument. L’état alarmant de Chambord réveille des émotions patrimoniales profondes, liées aux valeurs que le monument incarne, comme la beauté et la grandeur.

« Personne ne peut rester insensible à la beauté de ce château », estime Dorothée.

France 3 Centre Val-de-Loire, 2025.

Urgence et souvenirs

L’urgence de la restauration suscite également une forme de tristesse et d’inquiétude,

« C’est très triste de voir un tel chef-d’œuvre en péril », pour Mickaël.

Ce lien affectif direct s’exprime également à travers l’évocation de souvenirs personnels, témoignant d’une identité singulière attachée au lieu, comme la sortie scolaire inoubliable, la visite en famille ou entre amis, les vacances familiales ou encore la découverte émerveillée de l’escalier à double révolution.

Cette accumulation de liens entre le bien patrimonial et les contributeurs explique en partie pourquoi Chambord peut viser un objectif au-delà des 100 000 euros, là où la plupart des projets patrimoniaux se contentent de quelques dizaines de milliers d’euros. Tous les monuments ne disposent pas des mêmes atouts.

L’exemple de Chambord montre la force de l’attachement des Français au patrimoine. Il illustre aussi à quel point la réussite d’un financement participatif patrimonial repose en partie sur une bonne compréhension des liens géographiques et affectifs qui unissent les citoyens à un monument.

Ce succès interroge. Le recours au don pour les « monuments stars » comme Chambord ne risque-t-il pas de détourner l’attention des patrimoines plus fragiles et moins visibles, ou au contraire de renforcer la sensibilisation des Français à leur sauvegarde ? Dans ce contexte, le ministère de la culture, sous l’impulsion de Rachida Dati, explore l’idée d’un National Trust à la française, inspiré du modèle britannique, pour soutenir l’ensemble du patrimoine.

The Conversation

Aurore Boiron ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Château de Chambord : pourquoi les Français financent-ils « leur » patrimoine ? – https://theconversation.com/chateau-de-chambord-pourquoi-les-francais-financent-ils-leur-patrimoine-269414

Collaborations art-science : qui ose vraiment franchir les frontières ?

Source: The Conversation – France in French (2) – By Karine Revet, Professeur de stratégie, Burgundy School of Business

Au Getty Museum, à Los Angeles, l’exposition « PST ART: Art & Science Collide » met en avant la coopération entre scientifiques et artistes. Youtube/capture d’écran.

Les collaborations entre scientifiques et artistes font régulièrement parler d’elles à travers des expositions intrigantes ou des performances artistiques au sein de laboratoires scientifiques. Mais qu’est-ce qui motive vraiment les chercheuses et les chercheurs à s’associer à des artistes ?


Art et science se sont historiquement nourris mutuellement comme deux manières complémentaires de percevoir le monde.

Considérons ainsi les principaux instituts états-uniens de sciences marines : tous sont dotés d’ambitieux programmes de collaboration art/science, mis en place à partir du tournant des années 2000. Le prestigieux Scripps Institution of Oceanography a, par exemple, développé une collection d’art privée, ouverte au public, pour « refléter des connaissances scientifiques objectives dans des œuvres d’art à la fois réalistes et abstraites ». À l’Université de Washington, des résidences d’artiste sont organisées, au cours desquelles des peintres passent entre un et trois mois au milieu des scientifiques des Friday Harbor Laboratories (une station de recherche en biologie marine), sur l’île reculée de San Juan.

Ces démarches semblent indiquer que les institutions scientifiques sont déjà convaincues du potentiel de la collaboration entre art et science. L’initiative ne vient pas toujours des laboratoires : nombre d’artistes ou de collectifs sollicitent eux-mêmes les chercheurs, que ce soit pour accéder à des instruments, à des données ou à des terrains scientifiques. En France comme ailleurs, plusieurs résidences – au CNRS, à Paris-Saclay ou dans des centres d’art – sont ainsi nées d’une démarche portée d’abord par les artistes.

Mais qu’en est-il des chercheurs eux-mêmes ? ceux-là même qui conçoivent, développent et réalisent les projets de recherche et qui a priori ont une sensibilité artistique qui n’est ni inférieure ni supérieure à la moyenne de la population. Quels sont ceux qui choisissent d’intégrer l’art dans leurs projets scientifiques ? Et pour quoi faire ? Les études disponibles ne sont pas très éclairantes sur le sujet, car elles se sont focalisées sur des scientifiques atypiques, passionnés par l’art et artistes eux-mêmes. Peu de travaux avaient jusqu’ici procédé à un recensement « tout azimuts » des pratiques.

Dans une étude récente, nous avons recensé les pratiques, des plus originales aux plus banales, en analysant plus de 30 000 projets de recherche financés par la National Science Foundation (NSF) aux États-Unis entre 2003 et 2023, dans les domaines des géosciences et de la biologie.

Une analyse textuelle du descriptif des projets permet de sortir de l’anecdotique pour révéler des tendances structurelles inédites. Cette source comporte toutefois des biais possibles : les résumés de projets sont aussi des textes de communication, susceptibles d’amplifier ou d’édulcorer les collaborations art/science. Pour limiter ces écarts entre discours et réalité, nous combinons analyse contextuelle des termes artistiques, comparaison temporelle et vérification qualitative des projets. Ce croisement permet de distinguer les effets d’affichage des pratiques réellement intégrées.

En France aussi, les initiatives art/science existent mais restent dispersées, portées par quelques laboratoires, universités ou centres d’art, sans base de données centralisée permettant une analyse systématique. Nous avons donc choisi les États-Unis, car la NSF fournit depuis vingt ans un corpus homogène, public et massif de résumés de projets, rendant possible un recensement large et robuste des collaborations art/science.

Trois façons d’associer les artistes

Pour commencer, les collaborations entre art et science sont très rares : moins de 1 % des projets ! Ce chiffre reste toutefois une estimation basse, car il ne capture que les collaborations déclarées par les chercheurs dans des projets financés : nombre d’initiatives impulsées par des artistes ou des collectifs échappent à ces bases de données. En revanche, leur fréquence a augmenté sans discontinuer sur les vingt années d’observation.

En analysant plus finement les projets, on peut identifier que l’artiste peut y jouer trois grands rôles. D’abord, il peut être un disséminateur, c’est-à-dire qu’il aide à diffuser les résultats auprès du grand public. Il ne contribue pas vraiment à la recherche mais joue le rôle d’un traducteur sans qui l’impact des résultats du projet serait moindre. C’est, par exemple, la mise sur pied d’expositions ambulantes mettant en scène les résultats du projet.

Ensuite, l’artiste peut intervenir comme éducateur. Il intervient alors en marge du projet, pour faire connaître un domaine scientifique auprès des enfants, des étudiants, ou de communautés marginalisées. L’objectif est de profiter d’un projet de recherche pour faire connaître un domaine scientifique de manière plus générale et susciter des vocations. Par exemple, l’un des projets prévoyait la collaboration avec un dessinateur de bande dessinée pour mieux faire connaître aux enfants les sciences polaires.

Enfin, dans des cas beaucoup plus rares, les artistes jouent un rôle de cochercheurs. Le recours au travail artistique participe alors à la construction même des savoirs et/ou des méthodes. Par exemple, un des projets réunissait des artistes et des chercheurs en neurosciences pour concevoir de nouvelles façons de visualiser les circuits nerveux du cerveau, et in fine créer de nouvelles formes de données scientifiques.

Ces différentes formes reflètent une tension encore vive dans le monde académique : l’art est majoritairement mobilisé pour « faire passer » la science, plutôt que pour nourrir la recherche elle-même. Pourtant, les projets les plus ambitieux laissent entrevoir un potentiel plus grand : celui d’une science transformée par le dialogue avec d’autres formes de connaissance.

Cette réflexion fait également écho à des considérations plus générales sur la complémentarité entre l’art et la science, non pas comme des disciplines opposées, mais comme deux approches différentes pour questionner le monde. Comme le formulait joliment un article publié dans The Conversation, il s’agit moins d’opposer l’art à la science que de leur permettre de « faire l’amour, pas la guerre », c’est-à-dire de collaborer pour produire de nouvelles formes de compréhension et d’engagement citoyen.

Au-delà de ces différentes façons d’associer les artistes à un projet, notre étude montre également que ces collaborations ne sont pas réparties au hasard. Certains scientifiques les pratiquent bien plus que d’autres, en fonction de leurs caractéristiques personnelles, leur contexte institutionnel et enfin les objectifs scientifiques de leur projet.

Une science plus ouverte… mais pas partout

Première surprise : ce ne sont pas les universités les plus prestigieuses qui s’ouvrent le plus à l’art. Au contraire, ce sont les institutions les moins centrées sur la recherche dite « pure » qui s’y engagent plus largement. Ces établissements s’appuient probablement sur l’art pour conduire des projets plutôt éducatifs, visant essentiellement à faire connaître la science au plus grand nombre.

Deuxième enseignement : les femmes scientifiques sont bien plus nombreuses que leurs homologues masculins à s’engager dans ces démarches. Cette surreprésentation est à rapprocher d’autres résultats montrant que les femmes scientifiques sont en moyenne plus engagées dans les activités de vulgarisation que les hommes – qui, eux, ont tendance à investir plus exclusivement les domaines supposés plus prestigieux, notamment ceux liés à la publication purement académique.

Ce biais de genre, loin d’être anecdotique, soulève des questions sur la manière dont la reconnaissance académique valorise (ou ignore) certains types d’engagement. Incidemment, ce résultat suggère aussi que promouvoir et financer des collaborations entre art et science serait un moyen a priori efficace de rééquilibrer les différences régulièrement constatées entre hommes et femmes.

L’art, catalyseur d’impact sociétal, mais pas sur tous les sujets

Alors que l’on demande de plus en plus aux scientifiques de démontrer l’impact de leurs travaux sur la société, beaucoup se trouvent mal préparés à cette tâche. Peintres, sculpteurs, écrivains, photographes, etc., ont l’habitude de s’adresser à un public large, de captiver l’attention et déclencher les émotions qui garantissent une impression. Leur interprétation du travail et des résultats scientifiques peut ainsi accroître la visibilité des recherches et susciter le changement. On pourrait donc s’attendre à ce que les projets les plus orientés vers des objectifs sociétaux ambitieux aient plus souvent recours aux artistes.

C’est globalement le cas, mais avec toutefois de grosses différences selon les défis sociétaux concernés, que nous avons classés suivants les grands objectifs de développement durable (ODD) édictés par l’ONU. Notamment, la collaboration art/science est bien plus fréquente dans les projets portant sur la biodiversité marine (ODD 14 « Vie aquatique ») que dans ceux axés sur l’action climatique (ODD 13).

Cette différence s’explique probablement en partie par la grande difficulté à rendre visibles ou compréhensibles certains phénomènes plutôt lointains de la vie quotidienne du grand public : l’acidification des océans, la dégradation des écosystèmes marins, etc. Le travail artistique permet de mobiliser les sens, créer des émotions, des narrations, des imaginaires, qui vont faciliter les prises de conscience et mobiliser les citoyens ou les pouvoirs publics. Bref, il va augmenter l’impact sociétal de la recherche sur ces sujets.

Lever les freins : une affaire de politiques scientifiques

Comment expliquer que ces collaborations restent somme toute très marginales dans le monde de la recherche ? Des défis persistent, tels que le manque de financements qui y sont consacrés ou le cloisonnement disciplinaire des recherches. En outre, l’incitation à explorer ces frontières reste très faible pour les chercheurs, dans un monde académique où la production de publications dans des revues spécialisées reste le critère de performance essentiel.

Intégrer l’art à un projet scientifique nécessite du temps, de la confiance et un changement de posture, souvent perçu comme risqué dans un milieu académique très normé. Mais des solutions existent sans doute : il s’agirait de former mieux les scientifiques à la collaboration, de financer des projets transdisciplinaires et de changer les critères d’évaluation de la recherche, pour valoriser les prises de risque.

À l’heure où la science est appelée à jouer un rôle majeur dans la transition écologique et sociale, l’art ne doit plus être considéré comme un simple emballage esthétique : il pourrait devenir un allié stratégique ! Il ne s’agit pas uniquement de « vulgariser » la science, mais bien de la faire résonner autrement dans les imaginaires, les émotions et les débats publics.

En écoutant celles et ceux qui osent franchir les murs du laboratoire, nous comprendrons peut-être mieux comment faire de la science de manière plus sensible, plus accessible et surtout plus transformatrice.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Collaborations art-science : qui ose vraiment franchir les frontières ? – https://theconversation.com/collaborations-art-science-qui-ose-vraiment-franchir-les-frontieres-268686