Népal : La génération Z prend la rue et réinvente la contestation

Source: The Conversation – in French – By Elodie Gentina, Professeur à IESEG School of Management, Univ. Lille, CNRS, UMR 9221 – LEM – Lille, IÉSEG School of Management

À l’automne 2025, face à la censure numérique imposée par un régime népotique, des milliers de jeunes manifestants ont investi les rues de Katmandou, capitale du Népal. La répression a été brutale : au moins 72 morts, des dizaines de blessés. Porté par les réseaux sociaux, ce soulèvement s’inscrit dans une vague mondiale où les jeunesses connectées – du Maroc à Madagascar – réinventent la démocratie hors des cadres traditionnels et exigent d’être entendues.


Au Népal, l’histoire politique pourrait bien prendre un nouveau tournant. Dans ce pays de quelque 30 millions d’habitants accroché aux flancs de l’Himalaya, encore marqué par les cicatrices d’une guerre civile (1996-2006) qui a abouti à la mise en place d’une démocratie imparfaite et instable, une génération née après les combats s’affirme aujourd’hui.

Elle ne se range sous aucune bannière partisane, n’attend l’aval d’aucun chef et refuse les mots d’ordre venus d’en haut. Elle trace sa propre voie, connectée, autonome, soudée autour de ses codes et de ses écrans. Et cet automne 2025, cette jeunesse – la fameuse génération Z (personnes nées entre la fin des années 1990 et le début des années 2010) – a investi les rues, prenant tout le monde de court, à commencer par les dirigeants.

D’un royaume meurtri à une démocratie fragile

Pour mesurer ce qui se joue aujourd’hui, il faut d’abord se tourner vers le passé. Entre 1996 et 2006, le Népal a traversé une décennie de guerre civile d’une rare intensité, opposant les insurgés maoïstes au pouvoir monarchique. Ce conflit, qui a coûté la vie à plus de 13 000 personnes, s’est soldé par l’effondrement de la royauté et la naissance d’une République en 2008. Beaucoup y ont vu l’aube d’un nouvel avenir, fondé sur la justice, la stabilité et le développement.

Mais la réalité fut bien plus chaotique. En quinze ans, le pays a connu une succession de gouvernements sans lendemain, des institutions toujours fragiles et un pouvoir resté entre les mains des mêmes familles. La corruption, le favoritisme et l’absence d’horizons économiques ont peu à peu creusé un profond sentiment de désillusion. Jusque-là, la contestation prenait des formes attendues : syndicats, mouvements étudiants affiliés aux partis, mobilisations rurales ou actions maoïstes. Rien ne laissait imaginer l’irruption d’un soulèvement d’un tout autre visage.

Gen Z contre les « nepo kids » : la révolte d’une génération contre l’héritage du pouvoir

Environ 500 000 jeunes rejoignent chaque année la population active, bien plus que le nombre d’emplois disponibles. Le chômage des jeunes âgés de 15 à 24 ans au Népal est évalué à 20,8 %. Dans ces conditions, les opportunités sont rares, et des centaines de milliers de Népalais sont contraints de s’expatrier pour trouver du travail en Inde ou dans les pays du Moyen-Orient. L’idée d’un avenir meilleur dans leur propre pays leur semble de plus en plus inaccessible.




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Quelques jours avant que les rues ne s’embrasent, un flot d’images a envahi les réseaux sociaux népalais : on y voyait les enfants de responsables politiques exhiber voitures de luxe, séjours à l’étranger et train de vie fastueux. Ces publications, largement partagées sous les hashtags #NepoKid ou #NepoBaby, ont fait l’effet d’une étincelle dans un pays déjà traversé par une profonde frustration. Elles mettaient crûment en lumière le fossé qui sépare les élites de la population, révélant un système où privilèges et passe-droits semblent se transmettre de génération en génération.

Dans un contexte de chômage massif et d’exil forcé pour une grande partie de la jeunesse, ces images sont vite devenues le symbole d’un pouvoir déconnecté et d’une injustice profondément enracinée. Le mouvement né sur les écrans s’est alors transformé en colère dans les rues, accélérant l’éclatement d’un soulèvement populaire. Le mouvement au Népal a souvent été présenté comme une révolte de la Gen Z contre les « nepo-babies » qui s’est intensifiée à la suite de l’interdiction des réseaux sociaux et d’une répression sanglante.

La vague de vidéos dénonçant les « nepo-kids » a exprimé une colère populaire face à des décennies de népotisme enraciné au Népal. Héritage de la dynastie autoritaire des Rana (1846-1951), ce système s’est perpétué malgré la démocratisation amorcée en 1990 : les partis n’ont pas su instaurer des institutions équitables ni représentatives. Le pouvoir reste ainsi concentré entre quelques familles influentes et alliances claniques (la famille Koirala, la dynastie Rala et les dynasties « claniques »), qui continuent de contrôler partis, ressources et postes clés.

Les jeunes citoyens exigent la fin de la corruption, une gouvernance plus juste et une véritable équité économique. Fait inédit dans l’histoire politique du pays : le 9 septembre 2025, le premier ministre Khadga Prasad Sharma Oli a présenté sa démission, avant d’être remplacé par Sushila Karki, ancienne présidente de la Cour suprême, à l’issue d’un vote… organisé sur la plateforme Discord. Elle est à la tête d’une équipe transitoire chargée de préparer les élections prévues pour mars 2026.

Le manga « One Piece », emblème de révolte de la génération Z

Cette révolte est horizontale, spontanée, mouvante, en l’absence de leaders reconnus ou autoproclamés. Les messages circulent en ligne, les décisions se construisent collectivement, presque en temps réel. La culture de cette génération imprègne aussi le mouvement. Sur les pancartes, on voit des mèmes, des clins d’œil à des séries ou à des mangas. Le drapeau des Straw Hat Pirates de One Piece, symbole de liberté et de résistance, flotte parmi les manifestants. La colère s’exprime avec humour, ironie et inventivité. Loin des discours idéologiques d’antan, cette jeunesse parle un langage qui lui ressemble.

Ce symbole One Piece n’a rien d’anodin : dans l’univers du célèbre manga, Luffy incarne la lutte contre l’oppression et le rêve d’un monde plus juste. Hors des pages de fiction, ce drapeau est devenu un véritable marqueur générationnel à travers toute l’Asie. Il suffit d’y inscrire quelques mots d’ordre pour qu’il se transforme en cri de ralliement. « La génération Z ne se taira pas » ou encore « Votre luxe, notre misère », pouvaient ainsi se lire sur les banderoles brandies par des milliers de jeunes Népalais début septembre 2025, après la suspension de plates-formes comme Facebook, X ou YouTube.

Mais les revendications de la génération Z au Népal vont bien au-delà de la seule question de la censure. Elles s’attaquent à un système politique verrouillé, gangrené par les privilèges héréditaires et incapable d’offrir un avenir. Elles réclament des emplois, de la transparence, une démocratie réelle et vivante. Elles exigent surtout une chose : que leur voix compte enfin.

Une rupture générationnelle qui dépasse le Népal

La jeunesse népalaise a provoqué un séisme politique. Et cela, sans chef, sans parti, sans programme détaillé.

Reste à savoir ce que ce soulèvement va devenir. Au Népal, le gouvernement en place a même été contraint de céder, remplacé par une équipe transitoire chargée de préparer les élections prévues pour mars 2026. L’histoire montre que les mouvements sans organisation claire peuvent vite s’essouffler ou être récupérés. Reste à savoir si la jeunesse mobilisée choisira d’entrer dans l’arène électorale en présentant ses propres candidats – une perspective qui pourrait marquer un tournant majeur dans la vie politique du pays.

La nouvelle génération a pris conscience de sa force collective. Elle sait désormais qu’elle peut se mobiliser rapidement, en dehors des cadres traditionnels, et obliger le pouvoir à réagir. Elle a aussi redéfini le vocabulaire de la contestation : culture numérique, humour, pop culture, créativité… autant d’armes nouvelles pour faire passer des messages politiques.

Ce qui se joue au Népal n’est d’ailleurs pas un cas isolé. De l’Indonésie au Chili, de l’Iran aux États-Unis, ces jeunes « digital natives », nés pendant l’ère d’Internet, contestent les structures établies avec les mêmes outils et les mêmes réflexes. Le Népal s’inscrit dans ce vaste mouvement mondial d’une génération qui ne veut plus attendre et qui contribue à réinventer la démocratie à l’ère du numérique. La politique telle que nous la connaissions – organisée autour de partis, de leaders et de structures hiérarchiques – est de moins en moins adaptée aux formes d’engagement des nouvelles générations. Pour elles, la politique est une pratique fluide, horizontale, souvent ludique, toujours connectée.

The Conversation

Elodie Gentina ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Népal : La génération Z prend la rue et réinvente la contestation – https://theconversation.com/nepal-la-generation-z-prend-la-rue-et-reinvente-la-contestation-266944

Le marketing viral du chocolat de Dubaï

Source: The Conversation – France (in French) – By Anne Parizot, Professeur des universités en sciences de l’information et de la communication émérite, Université Bourgogne Europe

Le chocolat de Dubaï illustre les dilemmes contemporains : entre innovation culinaire et marketing viral, entre authenticité et imitation, entre inspiration et contrefaçon. KatMoys/Shutterstock

Une tablette de chocolat artisanal, née à Dubaï et popularisée sur TikTok, est devenue en quelques mois un phénomène mondial. Entre marketing viral, copies industrielles, le « chocolat de Dubaï » illustre les tensions contemporaines entre authenticité, imitation et contrefaçon dans l’alimentation mondialisée. Plus encore qu’un produit, c’est un nom qui fait vendre.


Chocolat de Dubaï ? Si vous n’en n’avez jamais entendu parler, peut-être n’êtes-vous ni gourmand ni accro aux réseaux sociaux. Pourtant, il fait le buzz depuis 2024.

Le « Dubai chocolate », créé par l’entrepreneuse anglo-égyptienne Sarah Hamouda, associe chocolat au lait, crème pistache-tahini et cheveux d’ange (kadayif). Ce qui frappe : son goût, sa texture onctueuse et croustillante, mais surtout la rapidité avec laquelle il s’est imposé comme un symbole culinaire de Dubaï. Baptisé « Can’t get knafeh of It » signifiant « On ne peut plus s’en passer », il a explosé en popularité après une vidéo TikTok devenue virale, de Maria Vehera (2023).

Sur les réseaux sociaux, le chocolat de Dubaï est conçu comme un spectacle visuel relevant du « food porn ». Gros plans, ralentis et zooms exaltent textures, couleurs et gestes rituels : ouverture de l’emballage, cassure de la tablette, coulants et craquants. L’esthétisation extrême transforme la dégustation en scène sensuelle, associée à l’exotisme d’une expérience rare, presque interdite.

Du luxe artisanal à la copie industrielle

Face à l’engouement de ce produit à l’origine artisanal, les marques se sont emparées du concept : en France, Lindt, la célèbre marque de chocolat suisse, Lidl propose sa propre version à prix bas, relayée sur TikTok ou Jeff de Bruges développe des déclinaisons de la tablette classique.

Une trajectoire typique : un produit culinaire innovant, viral et artisanal bascule vers une industrialisation massive, avec ses imitations et risques de contrefaçon. Si certains s’attachent à ces saveurs, d’autres ont senti un autre goût. « Ça a le goût de l’argent », a plaisanté le présentateur Al Roker dans l’émission « Today » après l’avoir goûté en direct. Plaisantait-il vraiment ?

Buzz ou tromperie ?

L’importance des mots du chocolat a été soulignée par les chercheurs Laurent Gautier, Angelica Leticia Cahuana Velasteguí et Olivier Méric, et ici c’est le nom de ce chocolat qui suscite le débat. « Chocolat de Dubaï » peut laisser croire que les tablettes sont produites aux Émirats. Or, beaucoup viennent en réalité de Turquie ou d’Europe et peuvent donc induire le consommateur en erreur.

La justice allemande a rendu deux jugements contradictoires. À Cologne, l’appellation « Dubai Chocolate » sur des tablettes turques a été jugée trompeuse. À Francfort, au contraire, les juges ont estimé qu’il renvoyait à une recette culinaire plus qu’à une origine géographique. En France, le Code de la consommation est clair : une pratique commerciale trompeuse est interdite si l’emballage suggère une origine fausse ou ambiguë. Pour éviter ce risque, certaines marques comme Lindt utilisent la formule prudente « Dubaï Style ».

Le buzz a engendré une économie parallèle avec des versions contrefaites ; les douanes autrichiennes saisissent plus de 2 500 tablettes lors de contrôles frontaliers. Ces copies exposent les consommateurs à des risques sanitaires que souligne la revue UFC-Que choisir. Le succès du produit repose plus sur le marketing viral des réseaux sociaux que sur ses qualités gustatives.

Quand le nom fait vendre

Au-delà des saveurs, c’est le nom qui alimente le succès – et parfois la confusion. « Dubaï » agit comme une marque imaginaire, synonyme de luxe, de prestige et d’exotisme. Le produit original mise sur un storytelling sophistiqué : mélange gourmand, raffiné, savoir-faire, texture fondante, masse de cacao… Chocolat Dubaï c’est partager un peu de la magie de Dubaï, une saveur nouvelle, expérience gustative.

Trois formulations circulent aujourd’hui, porteuses d’un sens implicite différent. Le jeu sur les prépositions et sur les adjectifs est au cœur du storytelling culinaire. Comme l’a montré le sémiologue Roland Barthes, la nourriture est aussi un discours.

« Dubaï » fonctionne comme une marque imaginaire :

  • « Chocolat de Dubaï » : la préposition « de » suggère une origine géographique et une authenticité. Comme pour « vin de Bordeaux », le consommateur attend un produit provenant effectivement des Émirats. Cette formulation pose des problèmes juridiques lorsque le chocolat est fabriqué ailleurs. Les marques doivent donc être déposées pour être protégées et l’indication géographique (IG) est essentielle.

  • « Chocolat Dubaï » (sans préposition) fonctionne comme un raccourci puissant associant un toponyme immédiatement reconnaissable à une catégorie universelle – chocolat. Le nom n’est pas une marque déposée, mais un surnom collectif, facile à retenir et à partager. On est dans l’onomastique – ou étude des noms propres – marketing, où la référence territoriale glisse vers l’imaginaire. La juxtaposition franco-anglaise – « Dubai chocolate » ↔ « Chocolat Dubaï » – crée un effet de résonance interlinguistique qui facilite la viralité.

  • « Chocolat Dubaï Style » insiste sur l’inspiration culinaire sans revendiquer l’origine. D’un point de vue linguistique, l’ajout de « style » signale l’inspiration culinaire et protège le fabricant du risque de tromperie, en signalant une imitation assumée. Mais le consommateur en est-il toujours conscient ?

Ces variations linguistiques révèlent un glissement métonymique : de la référence au lieu réel à un imaginaire global du luxe et de l’excès.

Le nom propre comme storytelling

L’onomastique alimentaire, ou étude des noms propres devient un instrument de storytelling, mais aussi un champ de bataille juridique et économique. Une entreprise joue clairement sur le nom sur un registre humoristique : la marque française Klaus et son « Doubs by Chocolate » détourne l’imaginaire du Golfe pour l’ancrer dans le terroir du Haut-Doubs.

L’entreprise franc-comtoise a bien compris le rôle essentiel de l’onomastique. Ce « Doubs by Chocolate » surfe sur la vague, mais le nom identifie clairement le chocolat comme un produit régional. L’origine signalée ne crée pas de risque juridique, tout en conservant une homophonie parfaite avec le fameux « Dubai chocolate ». En référence directe à Dubaï et à l’imaginaire idyllique de luxe et de volupté, avec toutes les précautions prises pour qu’il n’y ait pas mégarde, l’entreprise Klaus met en place un marketing déroutant évoquant le décalage.

Publicité pour la tablette Doubs By Chocolate de l’entreprise française Klaus.
Klaus, FAL

Du viral au patrimonial ?

Traditionnellement, les produits alimentaires deviennent patrimoine à travers le temps, consolidés par des générations d’usage, protégés par des labels (AOP, IGP). Le Dubai chocolate inverse la logique. Son patrimoine n’est pas hérité, mais produit par la viralité. Les millions de vues et de partages jouent le rôle de validation. Ce n’est pas l’État ni l’Unesco qui consacrent le produit, mais l’algorithme et les réseaux sociaux. Ce phénomène illustre une tendance nouvelle : la patrimonialisation accélérée.

Autre singularité : le Dubai chocolate n’est pas lié à un terroir rural, comme le vin de Bordeaux. Il est rattaché à une « ville-monde ». Il devient l’équivalent culinaire d’un gratte-ciel ou d’un centre commercial : un symbole urbain. Cette urbanisation du patrimoine alimentaire montre que les métropoles ne sont plus seulement consommatrices de traditions, mais aussi créatrices d’icônes gastronomiques.

Confrérie culinaire mondiale

Mais peut-on parler de patrimoine pour un produit si récent ?

Oui, si l’on considère le patrimoine comme un ensemble de signes partagés et valorisés par une communauté. Dans ce cas, TikTok joue le rôle de confrérie culinaire mondiale. Mais ce patrimoine est fragile. Ce qui est consacré par la viralité peut être supplanté demain par une nouvelle mode.

Le chocolat de Dubaï illustre parfaitement les dilemmes contemporains : entre innovation culinaire et marketing viral, entre authenticité et imitation, entre inspiration et contrefaçon.

The Conversation

Anne Parizot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Le marketing viral du chocolat de Dubaï – https://theconversation.com/le-marketing-viral-du-chocolat-de-duba-264641

Pénuries, marges en berne, diversification difficile… Pourquoi les pharmacies françaises vacillent

Source: The Conversation – France (in French) – By Frédéric Jallat, Professor of Marketing and Academic Director of MSc. in Biopharmaceutical Management, ESCP Business School

Les pharmacies françaises se trouvent aujourd’hui au cœur d’un paradoxe : dernier maillon de proximité d’un système de santé sous tension, elles subissent de plein fouet les choix budgétaires et politiques liés au prix des médicaments. Entre fermetures accélérées, marges érodées, pénuries répétées, leur fragilité dit beaucoup des difficultés que traverse la politique de santé au plan national.


Au cœur de l’hiver 2024, de nombreux patients ont eu la désagréable surprise de se voir refuser à l’officine un antibiotique pourtant banal, l’amoxicilline. « Rupture de stock », expliquaient alors les pharmaciens, contraints de trouver des alternatives ou de renvoyer les malades vers leur médecin. Ces incidents, fréquemment répétés au niveau national, illustrent une réalité mal connue : les pharmacies, maillon de proximité du système de santé, se trouvent aujourd’hui aux prises avec un mouvement combinant politiques de prix, stratégies industrielles et arbitrages budgétaires dont elles ne maîtrisent pas les évolutions.

Derrière le comptoir, c’est un acteur économique et social qui subit directement les choix de l’État, les complexités de l’Assurance-maladie et certaines des contraintes auxquelles les laboratoires pharmaceutiques sont désormais confrontés. La pharmacie n’est pas seulement un commerce : elle est devenue le miroir des tensions qui traversent la politique du médicament en France.

Un système très régulé : le prix du médicament, une décision politique

Contrairement à d’autres produits, le prix des médicaments en France ne relève pas du marché, mais d’un arbitrage centralisé. C’est en effet le Comité économique des produits de santé (Ceps) qui fixe les tarifs, à l’issue de négociations complexes avec les laboratoires pharmaceutiques.

Cette régulation poursuit, en réalité, plusieurs objectifs contradictoires :

  • garantir l’accès aux traitements des patients par un remboursement de l’Assurance-maladie ;

  • maîtriser les dépenses publiques de santé, dans un contexte de déficit chronique de la Sécurité sociale ;

  • soutenir l’innovation des laboratoires, grâce au développement de thérapies coûteuses issues de la biotechnologie notamment.

L’équilibre est difficile à tenir. Favoriser l’innovation implique d’accepter des prix élevés pour certains médicaments, tout en imposant des baisses régulières sur les molécules plus anciennes ou les génériques. Ce mécanisme place les officines dans une position de dépendance totale : leur rentabilité est directement conditionnée par ces décisions politiques qu’elles ne contrôlent aucunement.




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Un jeu d’acteurs sous tension

La politique du médicament ne se joue donc pas seulement dans les antichambres du ministère de la santé ou dans les couloirs du Parlement, mais au cœur d’un rapport de forces permanent et plus ample entre acteurs :

  • l’État cherche à contenir le coût du médicament, en incitant la substitution des produits princeps par les génériques, notamment ;

  • les laboratoires mènent un lobbying intense pour préserver leurs marges, tout en menaçant parfois de délocaliser ou de réduire la production sur le territoire – plus encore dans un climat international délétère où le président Trump utilise les droits de douane comme une arme de déstabilisation massive des politiques de développement régional des laboratoires au profit des États-Unis ;

  • l’Assurance-maladie pousse à rationaliser la consommation, à réduire les volumes et à encadrer les prescriptions ;

  • les syndicats de pharmaciens défendent la survie du réseau officinal, dénonçant l’érosion continue des marges de la profession ;

  • les patients-citoyens, enfin, se retrouvent au centre de ce jeu d’influence : leurs perceptions des prix, du reste à charge et des génériques est régulièrement mobilisée comme argument par les uns et par les autres.

Chaque décision de baisse de prix ou de modification des taux de remboursement devient ainsi l’objet de conflits où se croisent intérêts économiques, enjeux budgétaires et considérations politiques que les pharmaciens ne maîtrisent nullement.

Les officines, révélateurs des contradictions du système

Dans ce contexte complexe et perturbé, les pharmacies apparaissent donc comme des victimes collatérales de la politique du médicament, et ce, d’un triple point de vue.

1. Des marges sous pression

Leur modèle économique est extrêmement encadré. Les marges sur les médicaments remboursables sont fixées par décision politique, non par une libre concurrence. Les baisses décidées par le Ceps se répercutent immédiatement sur la trésorerie des pharmaciens.

2. Une difficile gestion des pénuries

À cette contrainte financière s’ajoute la multiplication des ruptures de stock. Les pénuries ont été multipliées par 30 en dix ans, au point de devenir un phénomène structurel, selon la feuille de route ministérielle 2024–2027.

En 2023, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) recensait près de 5 000 ruptures de stock ou risques de rupture, soit un tiers de plus qu’en 2022 et six fois plus qu’en 2018.

À chaque fois, les pharmaciens sont contraints d’expliquer aux patients pourquoi certains produits sont indisponibles, et doivent improviser dans l’urgence en ayant parfois à gérer des situations psychologiquement difficiles. Une mission chronophage, source de frustration voire d’agressivité de la part de leurs patients-clients.

3. Une diversification insuffisante

Pour compenser ce manque à gagner, les pharmacies ont développé de nouvelles activités : vaccination, tests, conseils en prévention, vente de parapharmacie. Mais ces relais de croissance ne suffisent pas à stabiliser un modèle économique fragilisé par la régulation.

En France, en effet, le réseau officinal se délite d’année en année : au 1ᵉʳ janvier 2025, on comptait 20 242 pharmacies, soit 260 de moins qu’en 2024 et 1 349 de moins qu’en 2015. En une décennie, plus de 6 % des officines ont disparu…

Les territoires ruraux, déjà fragilisés par un ample phénomène de désertification médicale, sont les plus touchés. Faute de repreneur, de nombreuses officines ferment, accentuant les inégalités d’accès aux soins. Dans certains villages, la pharmacie peut souvent représenter le dernier service de santé disponible. Comme le bureau de poste ou l’épicerie locale, la fermeture d’une pharmacie est aussi un lieu de vie sociale qui disparaît.

Une dimension sociale, politique et symbolique

La pharmacie n’est pas un commerce comme les autres. Elle incarne un service de santé de proximité, accessible (car encore sans rendez-vous) présent dans de nombreux quartiers. Et c’est précisément cette valeur symbolique et sociale qui rend le débat explosif.

Chaque ajustement tarifaire est scruté par les syndicats, repris par les médias et discuté au Parlement. La récente décision du gouvernement de réduire le taux de remboursement des médicaments courants de 65 % à 60 % a suscité une vive inquiétude. Derrière ces chiffres, ce sont à la fois les patients (qui voient leur reste à charge augmenter) et les officines (qui anticipent une nouvelle pression sur leurs marges) qui sont concernés.

En 2024, la marge brute moyenne est passée sous les 30 % du chiffre d’affaires, un seuil historiquement bas, alors même qu’elle se situait encore à 32 % quelques années plus tôt. Si le chiffre d’affaires moyen des officines s’est élevé à plus de 2,5 millions d’euros, en hausse de 5 % par rapport à 2023, cette progression a surtout été portée par des médicaments coûteux à faible marge, représentant déjà 42 % des ventes remboursables. Dans le même temps, les charges ont bondi de près de 12 %.

Une enquête syndicale affirme que 75 % des pharmacies ont vu leurs disponibilités baisser en 2024, et qu’une sur cinq fonctionne désormais en déficit de trésorerie. Selon Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), « les officines ne peuvent pas survivre si les pouvoirs publics continuent de rogner [les] marges [de celles-ci] tout en [leur] confiant de nouvelles missions ».

La colère des pharmaciens : un signal politique

En mai 2024, les pharmaciens ont décidé de faire entendre leur voix. Près de 90 % des pharmacies (de France hexagonale et ultramarine, ndlr) ont baissé le rideau le temps d’une journée, dans une mobilisation massive et inédite destinée à alerter les pouvoirs publics sur la dégradation de leurs conditions économiques.

Leur message était clair : dénoncer des marges insuffisantes, une explosion des charges et une gestion des pénuries devenue insupportable. Au-delà, s’exprimait aussi la peur d’une dérégulation accrue – via la vente en ligne ou l’arrivée de nouveaux acteurs de la distribution.

Plusieurs collectifs de pharmaciens ont exprimé l’idée de ne pas être relégués au rang de simples intermédiaires, mais bien d’être reconnus comme des acteurs de santé publique indispensables et spécifiques. Plusieurs actions ont été menées l’été dernier qui ont fait suite à la première mobilisation professionnelle inédite de 2024. À l’initiative de l’appel de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) du 23 juin 2025, trois actions majeures ont été entreprises :

Grâce à cette mobilisation professionnelle sans précédent, les pharmaciens ont remporté une victoire symbolique importante. Le premier ministre d’alors, François Bayrou, a choisi de les écouter et a suspendu, pour un minimum de trois mois, l’arrêté sur le plafond des remises génériques, malgré l’opposition de Bercy.

Les officines françaises incarnent à elles seules le dilemme du système de santé national : concilier innovation pharmaceutique, maîtrise des dépenses publiques et équité d’accès aux soins. Elles sont à la fois le dernier commerce de proximité dans bien des territoires et le révélateur des contradictions d’une politique du médicament soumise à de multiples pressions, parfois contradictoires.

Leur fragilité croissante – marges érodées, fermetures multipliées en zone rurale, gestion quotidienne des pénuries – n’est pas une question marginale, mais un enjeu politique et social majeur. Comme l’a montré la mobilisation historique de mai 2024 et de l’été 2025, les pharmaciens refusent d’être réduits à de simples distributeurs. Leur avenir dépend désormais de la capacité des pouvoirs publics à inventer un compromis durable entre logiques économiques et exigences de santé publique.

On peut donc, à bon escient, se poser la question de savoir si la survie des officines n’est pas devenue le véritable baromètre de la santé démocratique de notre système de soins.

The Conversation

Frédéric Jallat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Pénuries, marges en berne, diversification difficile… Pourquoi les pharmacies françaises vacillent – https://theconversation.com/penuries-marges-en-berne-diversification-difficile-pourquoi-les-pharmacies-francaises-vacillent-266258

Acétaminophène et autisme : désinformation, confusion et biais épidémiologique

Source: The Conversation – in French – By Mathieu Nadeau-Vallée, Médecin résident en anesthésie, Université de Montréal

Le 22 septembre, Donald Trump a suscité la controverse en affirmant, parmi d’autres propos infondés, que les femmes enceintes devraient éviter de prendre de l’acétaminophène (ou paracétamol, vendu sous le nom de Tylenol) durant la grossesse, évoquant un lien supposé avec le trouble du spectre de l’autisme (TSA).

Ces déclarations sans nuances, anxiogènes pour les femmes enceintes et leurs familles, nuisent au traitement de la douleur et de la fièvre en grossesse, incitent à recourir à des solutions moins sûres et minent la confiance envers les institutions. Il convient donc d’explorer d’où provient cette théorie et de rétablir les faits.

Titulaire d’un doctorat de l’Université de Montréal en pharmacologie et médecin résident en anesthésiologie, j’ai animé une page TikTok durant la Covid-19, alors que beaucoup de désinformation circulait, en particulier sur la vaccination, pour communiquer des faits médicaux fiables au grand public.




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D’où vient l’idée d’une causalité acétaminophène-autisme ?

Il est vrai qu’un bon nombre d’études observationnelles publiées dans les dernières décennies ont mis en lumière un lien entre la prise d’acétaminophène durant la grossesse et l’augmentation, quoique petite, de nombre de diagnostics de TSA et d’autres troubles neurodéveloppementaux chez les enfants.

Ces résultats ne prouvent pas la causalité. En épidémiologie, une corrélation ne signifie pas qu’un facteur en cause un autre : par exemple, il existe une corrélation entre le nombre de parapluies et la pluie, mais les parapluies ne causent pas la pluie.

Un exemple qui s’ancre mieux en médecine et dans notre réalité est la corrélation entre le café et le cancer du poumon. Certaines études observationnelles anciennes montraient que les grands buveurs de café avaient un risque plus élevé de cancer du poumon. Cela a fait croire, à tort, à un effet cancérogène du café. Les gros buveurs de café, dans les cohortes étudiées, étaient aussi plus souvent de gros fumeurs. Comme le tabac est la principale cause du cancer du poumon, il était donc difficile de distinguer si c’était le café ou la cigarette qui expliquait l’augmentation du risque.

C’est un exemple classique de biais épidémiologique, plus précisément d’un facteur de confusion. Le café était ici associé à la fois à l’exposition (tabac) et à l’issue (cancer du poumon), créant une association trompeuse. On retrouve le même mécanisme derrière d’autres mythes médicaux, comme celui selon lequel un verre de vin par jour améliorerait la santé globale, une idée désormais démentie.

Dans la situation de la corrélation entre l’acétaminophène maternel et l’autisme, plusieurs biais peuvent être mis en cause :

1 — La confusion par indication : les femmes enceintes qui prennent de l’acétaminophène le font la plupart du temps pour traiter une fièvre, une infection ou maux de tête. Mais la fièvre maternelle en elle-même, qui parfois est le premier signe d’une infection, a déjà été associée à des risques pour le développement neurologique du fœtus. Il est donc difficile de savoir si c’est la fièvre, l’infection ou la pilule qui est à blâmer.

2 — Les biais de rappel : dans certaines études, les parents sont interrogés plusieurs années après la grossesse pour se souvenir des médicaments pris. Les mères d’enfants ayant un TSA peuvent, intentionnellement ou non, signaler plus souvent l’acétaminophène, ce qui crée une distorsion des données.

3 — La diversité des facteurs de complexité de l’autisme : nous savons maintenant que les TSA sont dus à un mélangé de facteurs génétiques et environnementaux. Isoler l’effet d’un seul médicament reste très compliqué.

Mais comment faire pour se sortir de ce type de biais ?

En méthodologie, il existe des méthodes pour tenir compte des facteurs qui peuvent fausser les résultats, comme comparer des groupes similaires ou analyser séparément certains sous-groupes.

D’ailleurs, une grande étude suédoise publiée dans le journal JAMA en 2024 a étudié une population de plus de 1,5 million de naissances, dont 185 000 ont été exposés à l’acétaminophène durant la grossesse. Chaque grossesse a été comparée à celles de frères et sœurs non exposés, ce qui permet de réduire l’influence de l’environnement familial. L’étude n’a trouvé aucun lien entre l’acétaminophène et l’autisme ou d’autres troubles neurodéveloppementaux.

Ainsi, les données actuelles ne permettent pas de conclure que l’acétaminophène provoque l’autisme.

Pourquoi la croyance perdure-t-elle ?

Même en l’absence de preuves concrètes, l’idée d’un lien entre l’acétaminophène et l’autisme reste bien ancrée dans l’imaginaire collectif, notamment sur les réseaux sociaux. Plusieurs mécanismes expliquent cette persistance. Par exemple, face à des troubles multifactoriels comme l’autisme, dont l’étiologie demeure incertaine, il est psychologiquement rassurant de pouvoir désigner une cause précise. De plus, des publications sur les réseaux sociaux qui jouent sur les émotions — qu’elles proviennent d’influenceurs ou de vidéos générées par l’intelligence artificielle — suscitent souvent plus d’engagements qu’une déclaration équilibrée sur les limites méthodologiques d’une recherche.

Ensuite, nous avons une tendance à mieux retenir en mémoire les informations qui concordent avec nos appréhensions ou nos intuitions, même si elles ne sont pas vérifiées ou valides. Finalement, comme la confiance envers les autorités médicales et pharmaceutiques est parfois fragilisée, certaines personnes accordent davantage d’importance aux témoignages personnels ou aux discours alternatifs.

Les conséquences pour les familles et pour la santé publique

Le danger, avec ce type de déclaration infondée, est d’éloigner les femmes enceintes d’un traitement sûr et efficace, surtout lorsque les alternatives peuvent être dangereuses. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) comme l’ibuprofène, par exemple, comportent des risques en grossesse.

Au premier trimestre, ils sont associés à un risque augmenté de fausses couches. Santé Canada recommande aussi d’éviter leur utilisation à partir de 20 semaines de grossesse, sauf avis médical, car cela pourrait occasionner une atteinte rénale fœtale entraînant une diminution du liquide amniotique et un retard de la maturation des poumons. Au 3e trimestre, ils sont carrément contre-indiqués à cause du risque fœtal. D’autres évitent de traiter une fièvre haute, ce qui pourrait être plus nocif pour le fœtus que le médicament lui-même.

Cette incertitude engendre également une charge émotionnelle importante. Plusieurs mères ont exprimé des sentiments de culpabilité, se demandant si la prise de quelques comprimés d’acétaminophène était une raison du diagnostic de leur enfant. À un niveau collectif, ces préoccupations peuvent faire du tort à la confiance dans les messages de santé publique. Lorsqu’une information est mal perçue ou mal relayée, il y a le risque que le public généralise son hostilité aux autres recommandations médicales, par exemple envers la vaccination.

Malgré les inquiétudes soulevées, les organismes de santé tels que Santé Canada, la Food and Drug Administration des États-Unis et l’Organisation mondiale de la Santé recommandent toujours l’acétaminophène en cas de besoin, avec une attention particulière au respect de la posologie prescrite.

Comment faire les choses mieux ?

Afin d’anticiper la désinformation et d’apaiser l’anxiété inutile, il est essentiel de maintenir une communication scientifique vulgarisée :

  • Définir nettement la différence entre association et causalité.

  • Présenter les risques réels de ne pas traiter la fièvre ou la douleur, afin que les familles comprennent que l’absence de traitement peut parfois être plus dangereuse.

  • Soutenir les femmes enceintes sans les culpabiliser : leur rappeler que prendre soin de leur santé fait aussi partie de la santé de leur bébé.

  • Offrir des sources de qualité et accessibles permet aux parents de vérifier les faits plutôt que de dépendre entièrement des réseaux sociaux.

  • Informer sans alarmer, rassurer sans banaliser : voilà la meilleure stratégie pour protéger à la fois la santé des mères et celle de leurs enfants.

Entre désinformation et anxiété, la science a un rôle clair : éclairer, pas effrayer.

La Conversation Canada

Mathieu Nadeau-Vallée ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Acétaminophène et autisme : désinformation, confusion et biais épidémiologique – https://theconversation.com/acetaminophene-et-autisme-desinformation-confusion-et-biais-epidemiologique-266534

Écrire à la main et faire des pauses aide à mémoriser

Source: The Conversation – France (in French) – By María del Valle Varo García, Research assistant professor, Universidad de Deusto

Entre l’encre, le silence et le sommeil, le cerveau grave nos souvenirs. Farknot Architect/Shutterstock

Le cerveau a ses propres règles, tout comme notre façon d’apprendre et de mémoriser. Les réseaux neuronaux sont plus actifs quand on écrit à la main que quand on tape au clavier, et les pauses réelles aident à consolider les connaissances.


Arrêtons-nous un instant et observons le doux flux de ces mots sous nos yeux, ce va-et-vient silencieux et la voix qui les lit dans notre tête. Combien d’entre eux resteront gravés dans votre mémoire dans cinq minutes ? Et combien resteront, sans effort, dans notre mémoire demain ? La question n’est pas anodine. Nous vivons à une époque où la vitesse domine notre façon d’apprendre et, paradoxalement, aussi d’oublier.

Tous les mots ne sont pas traités au même rythme. Vous avez peut-être entendu dire qu’une personne peut lire entre 200 et 300 mots par minute, en écouter environ 150 ou en lire encore moins au toucher en braille. Mais cette vitesse n’est pas synonyme de compréhension : en fait, au-delà de 500 mots par minute, l’assimilation chute de manière drastique. Et ce qui est absorbé est-il vraiment conservé ? Pas nécessairement. Dévorer avidement des mots n’est pas la même chose que s’imprégner de leur essence.

Différents souvenirs en un seul

Pour que les mots prennent tout leur sens et se transforment en idées ou en concepts durables, ils doivent d’abord traverser l’espace fragile et éphémère de la mémoire opérationnelle, également appelée mémoire à court terme, chargée de maintenir l’information active pendant que le cerveau la traite. Mais cela ne suffit pas.

Pour que ce qui est retenu se stabilise, l’information doit être stockée dans un type de mémoire sémantique, affective, spatiale ou temporelle. Se souvenir de vacances implique une mémoire épisodique, teintée d’émotion et de lieu ; en revanche, savoir que la capitale de l’Italie est Rome renvoie à une mémoire sémantique, dépourvue de contexte personnel.

À la main ou au clavier ?

Il est difficile aujourd’hui de trouver un espace où le clavier n’a pas presque entièrement remplacé l’encre ou le graphite. Cependant, il convient de rappeler que l’écriture manuscrite reste un outil puissant pour le développement cognitif : écrire à la main active un réseau plus large de régions cérébrales (motrices, sensorielles, affectives et cognitives) que la dactylographie. Cette dernière, plus efficace en termes de vitesse, exige moins de ressources neuronales et favorise une participation passive de la mémoire de travail.

En revanche, l’utilisation active de la mémoire à court terme (à l’aide d’outils non numériques) s’avère plus bénéfique tant en classe que dans les contextes cliniques liés à la détérioration cognitive.

Les pauses sont sacrées

Le rythme et les pauses sont également déterminants dans ce passage de la mémoire de travail à la mémoire à long terme. Les pauses actives, ces brefs moments où nous interrompons notre étude pour nous étirer, marcher ou contempler quelque chose sans but immédiat, permettent au cerveau de réorganiser ce qui a été appris et de le consolider plus solidement.

Cependant, aujourd’hui, ces pauses sont souvent associées à des activités impliquant l’utilisation d’écrans : téléphones portables, télévision, tablettes. Si l’on pouvait faire une comparaison avec l’exercice physique, on pourrait s’imaginer dans une salle de sport où l’on court à 12 km/h pendant les pauses entre les séries. Il se passe quelque chose de très similaire lorsque nous utilisons nos pauses pour regarder des vidéos rapides, lire des titres ou naviguer sans but sur les réseaux sociaux : l’esprit ne se repose pas, ne se consolide pas, et l’attention se fragmente.

Le travail pendant le sommeil

Les neurosciences soulignent également le rôle crucial du sommeil dans la consolidation de la mémoire. Pendant le sommeil à ondes lentes, le cerveau entre dans un état de synchronisation neuronale caractérisé par la prédominance des ondes delta (0,5-4 Hz), qui favorisent la réactivation des traces mnésiques – traces qui restent dans l’esprit après une expérience et qui servent de base à la mémoire et à la possibilité de se souvenir.

Ces oscillations lentes créent un environnement à faible interférence sensorielle qui facilite le dialogue entre l’hippocampe et le néocortex. On a notamment observé que les ondes thêta (4-8 Hz), plus fréquentes pendant la phase REM (Rapid Eye Movement) et également présentes dans les phases NREM (Non-Rapid Eye Movement) légères, interviennent dans ce transfert. Plus précisément, elles permettent le passage des souvenirs de leur stockage temporaire dans l’hippocampe vers les régions corticales de stockage à long terme.

Sommeil à ondes lentes sur un électroencéphalogramme.
Wikimedia, CC BY

De même, les fuseaux du sommeil, brefs schémas d’activité cérébrale qui se produisent pendant le sommeil léger, générés principalement par le thalamus, sont associés au renforcement des connexions neuronales pertinentes.

Diverses études utilisant la polysomnographie et la neuro-imagerie ont montré des corrélations entre la densité de ces fuseaux de sommeil et les performances dans les tâches de mémoire épisodique.

Il a été suggéré que ces oscillations agissent comme une sorte de « marqueur de pertinence » qui sélectionne les informations méritant d’être consolidées.

Ainsi, pendant notre sommeil, le cerveau exécute automatiquement un processus de réorganisation et de renforcement de la mémoire. Il donne la priorité à ce qui est significatif et élimine ce qui est non pertinent. Ce n’est pas un hasard si, au réveil, une mélodie ou une phrase apparemment insignifiante nous revient sans effort à l’esprit : ce sont les échos de ce travail nocturne minutieux qui écrit la mémoire.

Reprendre de bonnes habitudes

Comprendre comment nous apprenons nous révèle également comment nous devrions vivre. Il ne s’agit pas seulement de réduire l’utilisation des écrans, mais aussi de retrouver un rythme plus humain. Écrire à la main aide à activer les réseaux neuronaux en profondeur ; pensons, par exemple, aux notes prises en classe et à la façon dont, en les relisant, les idées resurgissent plus clairement.

D’autre part, il est recommandé de reprendre l’habitude de faire de véritables pauses, loin des appareils : observer le vol d’un oiseau, sentir sa respiration, étirer son corps.

Il est également utile de renforcer ce que l’on a appris par de brefs exercices de récupération active.

De plus, il ne faut pas sous-estimer le rôle du sommeil profond : c’est là que la mémoire mûrit et fixe ce qui a été appris. Ce n’est que lorsque nous lui accordons le temps nécessaire pour se reposer et assimiler que la connaissance s’enracine véritablement. Ainsi, les mots qu’il lit aujourd’hui pourront devenir des souvenirs vivants, capables de l’accompagner au-delà des cinq prochaines minutes, peut-être même toute sa vie.

The Conversation

María del Valle Varo García ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Écrire à la main et faire des pauses aide à mémoriser – https://theconversation.com/ecrire-a-la-main-et-faire-des-pauses-aide-a-memoriser-266686

COP30 : Comment éviter que le plastique ne devienne le canot de sauvetage de l’industrie pétrolière ?

Source: The Conversation – in French – By Marie-France Dignac, Directrice de recherches sur la biologie des sols, INRAE, Inrae

Issus à 99 % du pétrole, les plastiques alimentent la crise écologique et climatique tout au long de leur cycle de vie. Derrière l’image trop familière des déchets qui polluent les rivières puis les océans, la production et le recyclage des plastiques sont aussi source d’émissions considérables de gaz à effet de serre, de quoi compromettre les efforts mondiaux de réduction des émissions. Surtout, les plastiques, un débouché du pétrole, entretiennent la dépendance de l’économie aux énergies fossiles. Le risque serait qu’ils deviennent la planche de salut des industriels de la pétrochimie à l’occasion de la COP30 sur le climat, qui se déroulera du 10 au 21 novembre 2025, à Belem, au Brésil.


À partir du 10 novembre 2025, la COP30 sur le climat réunira les États membres de l’Organisation des Nations unies (ONU) au cœur de la forêt amazonienne, au Brésil. Il s’agit d’un rendez-vous majeur du multilatéralisme, où l’on espère que les ambitions régulièrement formulées par les États vont enfin se concrétiser.

Le contexte international n’est pas forcément au beau fixe pour cela. Face à des pays qui nient la science, ou qui se soucient peu de l’environnement et de la santé humaine et refusent de comprendre que leurs propres économies en paieront le prix à long terme, les pays engagés dans la transition vers une économie moins polluante et moins dépendante des énergies fossiles peinent à se faire entendre. Les négociations en vue d’un traité contre la pollution plastique, qui n’ont toujours pas abouti à un texte, en fournissent un exemple éloquent.

Les preuves scientifiques sont pourtant très claires quant aux impacts de la production de plastiques sur la perte de biodiversité et la pollution à l’échelle planétaire. D’autant plus que ces impacts sont en réalité bien plus larges : les plastiques impactent la santé humaine et exacerbent le dépassement de toutes les autres limites planétaires. En cela, ils aggravent la crise écologique et climatique déjà en cours.




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Pas de plastique sans pétrole

L’impact climatique du secteur de la pétrochimie est moins souvent mis en avant que celui des secteurs de l’énergie et des transports, plus proches des consommateurs. Il fait pourtant figure d’éléphant dans la pièce : entre 4 et 8 % de la production de pétrole est aujourd’hui utilisée pour fabriquer des produits plastique. Près de 99 % de ces produits sont fabriqués à partir de pétrole.

Depuis l’extraction et le transport des combustibles fossiles, jusqu’à la fabrication, l’utilisation et l’élimination des plastiques, ces matériaux génèrent des émissions qui contribuent au réchauffement climatique. Les plastiques sont ainsi directement responsables de 3,5 % des émissions globales de gaz à effet de serre, dont la plupart sont générées lors de leur production.

Le recyclage des plastiques, souvent mis en avant par ces industriels, n’a rien d’une solution miracle. Toutes les technologies de traitement des déchets plastiques sont émettrices de gaz à effet de serre :

Dans un scénario de statu quo, si la production et l’utilisation de plastiques continuent d’augmenter au rythme actuel (soit un doublement de la quantité de plastiques produits tous les 20 ans), les émissions de gaz à effet de serre provenant des plastiques pourraient représenter de 10 à 13 % du budget carbone total (c’est-à-dire, la quantité de gaz à effet de serre que l’on peut encore se permettre d’émettre tout en restant sous la barre d’une hausse de +1,5 °C à l’horizon 2050).

Des impacts indirects à large échelle

Et encore, les chiffres qui précèdent ne tiennent pas compte du fait que les plastiques participent directement à la mondialisation de l’économie. Ils permettent de transporter les biens et denrées sur de très longues distances et de ce fait favorisent une économie basée sur une production loin des zones de consommation, fortement émettrice de gaz à effet de serre.

La pollution plastique se retrouve dans les rivières, les océans ou sur terre, sous différentes tailles (macro, micro ou nanoplastiques), et peut persister pendant des siècles. Selon l’OCDE, environ 22 % des déchets plastiques finissent dans l’environnement, dont une grande partie dans l’océan, nuisant à la vie marine.

Les aliments, l’eau et l’air sont ainsi contaminés et les microplastiques finissent, à travers la chaîne alimentaire, également dans notre corps. Les preuves scientifiques de l’impact des plastiques sur la santé humaine sont de plus en plus solides.

Mais ce n’est pas tout. Les plastiques agissent également indirectement sur le réchauffement climatique. En effet, les débris plastiques en mer modifient les cycles du carbone et des nutriments. En agissant sur les processus microbiens, ils diminuent la productivité en nutriments à la surface de l’océan. Résultat : les « pompes à carbone » de l’océan, qui ont permis de piéger environ 31 % des émissions anthropiques de CO2 entre 1994 et 2007, fonctionnent moins bien.

Par ailleurs, une méta-analyse récente a montré que la présence de microplastiques dans l’eau ou dans les sols pourrait diminuer la photosynthèse, et donc limiter la production de biomasse carbonée. Avec des impacts sur la sécurité alimentaire, mais aussi sur les puits de carbone naturels et le climat.




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Les leçons du traité contre la pollution plastique

Reconnaissant tous ces dangers des plastiques pour la santé humaine et la santé de l’environnement, un comité intergouvernemental de négociation (CIN) a été créé en mars 2022 afin d’élaborer un instrument international juridiquement contraignant pour mettre fin à la pollution plastique dans tous les environnements. Et ceci, en tenant compte de l’ensemble du cycle de vie des plastiques.

La deuxième partie de la cinquième réunion de ce comité (CIN-5.2) s’est tenue à Genève, du 5 au 14 août 2025. Les négociations étaient basées sur le projet de texte du président du CIN proposé à la fin de la première partie du CIN-5 à Busan, en 2024.

À l’occasion de la reprise des négociations en vue d’un traité contre la pollution plastique, à Genève, en août 2025, une installation artistique de Benjamin Von Wong (Le Fardeau du penseur) pour sensibiliser au problème du plastique a envahi la place des Nations où trône l’emblématique Broken Chair.
Florian Fussstetter/UNEP, CC BY-NC-ND

Plusieurs éléments de ce projet de texte peuvent avoir une réelle efficacité pour mettre fin à la pollution plastique. Il s’agit notamment :

  • de réduire la production de plastique (article 6),

  • d’interdire les produits plastique et les substances chimiques dangereuses pour les humains ou pour l’environnement (article 3),

  • de concevoir des produits en plastique moins polluants (article 5),

  • de limiter les fuites vers l’environnement (article 7)

  • et enfin de protéger la santé humaine (article 19).

Mais de nombreux pays font pression pour que ces mesures soient rejetées : les mêmes désaccords politiques qui avaient bloqué les négociations précédentes se sont reproduits à Genève.

Une coalition de pays qui ont tout intérêt à ne pas réduire la production de pétrole

Presque tous les plastiques sont fabriqués à partir de combustibles fossiles, c’est pourquoi les pays qui refusent de prendre des mesures ambitieuses – notamment l’Arabie saoudite, la Russie et l’Iran – sont essentiellement des pays producteurs de pétrole ou dotés d’industries pétrochimiques puissantes.

Les intérêts économiques en jeu sont donc importants. Ce groupe de pays partage les mêmes idées – nommé pour cela le « like-minded group » – et refuse d’inclure de tels objectifs. Ils privilégient un accord visant à gérer les déchets, sans réduire leur production.




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Mais ce faisant, ils dénigrent tous les modèles scientifiques sur l’évolution de la pollution plastique, qui montrent qu’il est nécessaire de réduire la quantité de plastique produite chaque année afin de réduire la pollution par les plastiques tout au long de leur cycle de vie. On a également pu noter la forte présence des lobbies des entreprises pétrolières et des fabricants de plastiques, qui ne cesse d’augmenter au fil des négociations.

Le manque de consensus à la fin des négociations du CIN-5.2 peut être vu comme un échec des négociations.

Toutefois, le rejet massif du texte faible proposé le 13 août a aussi montré qu’une grande majorité de pays ne sont pas prêts à accepter un traité vidé de sa substance.

De nombreux pays ont souligné que ce texte ne permettrait pas d’atteindre les objectifs pourtant fixés dans le mandat à l’origine de ces négociations, et ont appelé à des mesures ambitieuses en accord avec la science, notamment une réduction de la production de plastique et une régulation des produits et substances chimiques dangereux, pour protéger la santé humaine et de l’environnement. La majorité des pays s’est aussi déclarée favorable à la poursuite des discussions.

Le multilatéralisme a montré à Genève la capacité des pays à construire une coalition forte et ambitieuse, rassemblant près de 120 pays (les 75 pays de la Coalition de haute ambition (HAC) et leurs alliés) et basant ses positions sur les faits scientifiques.

Acter l’abandon des énergies fossiles décidé lors des dernières COP

Espérons que ces avancées se concrétisent avec la poursuite des discussions sur le traité contre la pollution plastique, et qu’elles soient prises en compte dans les négociations climatiques lors de la COP30. La production de plastique ne doit pas menacer les efforts réalisés par les États pour limiter le recours aux énergies fossiles dans les autres secteurs.

Comme il a été reconnu lors des dernières COP sur le climat, notamment la COP28 en 2023, le monde doit s’organiser pour sortir progressivement des énergies fossiles.

D’importants efforts de recherche ont été consacrés à cette transition dans les secteurs de l’énergie et des transports, qui utilisent la majeure partie des ressources fossiles pour produire de la chaleur, de l’électricité et des carburants. Les énergies renouvelables remplacent ainsi peu à peu les produits pétroliers dans le mix électrique, ainsi que dans le secteur des transports.

D’autres secteurs, par exemple l’industrie lourde, doivent se réinventer : en effet, ils sont davantage dépendants aux produits pétroliers dans leurs processus industriels mêmes.

À cet égard, la pétrochimie souffre d’un problème de fond : elle contribue à maintenir à un niveau élevé la demande en pétrole, qui constitue un intrant de ses procédés industriels. Les produits pétrochimiques devraient ainsi représenter plus d’un tiers de la croissance de la demande mondiale de pétrole d’ici 2030, et près de la moitié de celle-ci d’ici 2050.

Les plastiques ne doivent pas devenir le radeau de secours de l’industrie pétrolière. En plus de contribuer aux émissions globales de gaz à effet de serre, ils détruisent les sols, empoisonnent les eaux et nuisent aux organismes vivants, y compris les humains. Sur les sept milliards de tonnes de déchets plastiques générés dans le monde depuis l’invention de ce matériau, moins de 10 % ont été recyclés, et cinq milliards de tonnes se sont accumulés dans la nature.

Les industriels de la pétrochimie, de l’extraction des énergies fossiles et leurs alliés cherchent une fois de plus à déplacer le problème : la production de plastiques pose un problème sanitaire, écologique, et climatique majeur. Réduire la production de plastiques constitue un levier incontournable pour maîtriser leurs impacts sur la planète.

The Conversation

Marie-France Dignac a reçu des financements de l’Agence de la Transition Ecologique (ADEME) et de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR).

Jean-François Ghiglione a reçu des financements de l’Agence nationale de la recherche (ANR), de l’ADEME, de l’OFB et de l’Agence de l’eau

ref. COP30 : Comment éviter que le plastique ne devienne le canot de sauvetage de l’industrie pétrolière ? – https://theconversation.com/cop30-comment-eviter-que-le-plastique-ne-devienne-le-canot-de-sauvetage-de-lindustrie-petroliere-265912

Un félin au bord l’extinction : comment sauver les derniers guépards du Nord-Ouest africain

Source: The Conversation – in French – By Marine Drouilly, Researcher, conservation and wildlife ecology , University of Cape Town

Sous-espèce rare et gravement menacée, le guépard du Nord-Ouest africain (Acinonyx jubatus hecki) joue un rôle essentiel dans les écosystèmes sahéliens et désertiques. Prédateur au sommet de la chaîne alimentaire, il contribue à maintenir l’équilibre naturel entre végétation et proies. Sa présence est aussi un indicateur clé de la santé de son habitat : un écosystème capable de soutenir un grand prédateur est un écosystème vivant et résilient. Protéger le guépard du Nord-Ouest africain, c’est préserver toute une chaîne de vie fragile mais vitale.

Les guépards (Acinonyx jubatus), comme de nombreux grands carnivores africains, ont vu leur répartition se réduire drastiquement. Aujourd’hui, ils ne subsistent plus que dans 9 % de leur aire de distribution historique. Entre Sahara et Sahel, une sous-espèce extrêmement rare survit à faible densité : le guépard du Nord-Ouest africain, également connu sous le nom de guépard du Sahara.

En tant que chercheures spécialisées dans le suivi écologique des populations de carnivores, nous avons récemment publié la première étude à long terme avec des données récoltées entre 2017 et 2021, de cette espèce insaisissable. Nous avons ainsi pu estimer la densité de population des guépards du Nord-Ouest sur une zone de 4 839 km² dans la partie béninoise du Complexe W-Arly-Pendjari, également appelé « Complexe WAP ».

Un félin au bord de l’extinction

Inscrits en danger critique d’extinction sur la Liste rouge de l’UICN, les guépards d’Afrique de l’Ouest sont au bord de la disparition. On estime qu’environ 260 individus matures subsisteraient encore. Ils sont répartis entre le Complexe WAP (W-Arly-Pendjari — Bénin, Burkina Faso, Niger), le sud algérien et le Grand Écosystème Fonctionnel de Zakouma au Tchad.

Toutefois, ces chiffres restent approximatifs, car le suivi de ces populations demeure contraint par leur faible effectif. Celui-ci est principalement basé sur des estimations de densité, combinés aux informations fournies par des experts des aires de résidence des guépards. Par exemple, en Algérie, un suivi par pièges photographiques sur une zone de 2 400 km2 a estimé une densité de 0,25 guépard adulte pour 1 000 km2. Cette densité a été utilisée dans l’ensemble de l’aire de répartition de l’espèce au Sahara pour évaluer la taille totale de la population.

Les résultats de notre étude sont frappants : la densité des guépards y est extrêmement faible, avec seulement 2,6 individus pour 1000 km². Cependant, au sein du Parc national de la Pendjari, où la protection est plus rigoureuse, cette densité s’élève à 5,1 individus pour 1000 km², suggérant que ce parc constitue un réservoir vital pour l’ensemble des aires protégées du WAP.

Le suivi d’un félin aussi rare dans une région où la sécurité représente un défi majeur exigeait une approche adaptée. Nous avons mis en place un protocole de piégeage photographique innovant, ciblant spécifiquement les points d’observation privilégiés par les guépards pour surveiller leur environnement et repérer leurs proies comme des termitières, des troncs d’arbres couchés ou des tas de gravats. En complément, des caméras ont également été placées de manière plus classique le long des pistes et sentiers empruntés par la faune.

Cette méthode a permis de collecter des données précieuses et inédites tout en minimisant les risques pour les équipes de terrain. Les caméras automatiques fonctionnent en effet 24h/24, 7j/7 sans avoir besoin de la présence humaine, ce qui limite l’exposition des équipes aux risques, la zone étant sujette à des actes d’extrémisme violents.

Par ailleurs, l’utilisation de ces petits appareils automatiques relativement bon marché et non-invasifs par rapport à des suivis qui nécessiteraient des moyens plus importants, comme par exemple la capture, l’anesthésie et la pose de colliers GPS sur des guépards.

Malgré ce suivi spécifique, nos résultats suggèrent un nombre de guépards très faible. Cela appelle une réponse urgente et coordonnée pour sécuriser cette population en danger critique. Les guépards sont en effet impactés par la perte et la fragmentation de leur habitat car ils ont besoin d’immenses territoires pour survivre. Le commerce illégal de produits comme leurs peaux, utilisées dans diverses cérémonies à travers l’Afrique, la diminution de leurs proies due au braconnage et aux troupeaux domestiques qui entrent souvent dans les aires protégées et détruisent l’habitat par sur-pâturage sont d’autres menaces importantes.

Aujourd’hui, le guépard du Nord-Ouest est particulièrement menacé par l’insécurité dans son aire de distribution sahélo-saharienne. Le commerce illégal de sa peau est un réel risque pour sa survie.

Le guépard étant un grand carnivore se nourrissant d’ongulés de taille moyenne, il participe à la régulation de ces populations avec les autres carnivores partageant son écosystème. La perte de ce prédateur induirait celle d’un régulateur écologique clé, mais aussi d’un symbole culturel majeur pour l’Afrique sahélo-saharienne. Chaque grand prédateur apporte également des connaissances uniques sur l’évolution, l’adaptation et l’écologie des êtres vivants. La disparition de cette sous-espèce serait une perte irréversible pour la science.

Un autre impact, plutôt économique cette fois, concerne le tourisme. Même si le tourisme sahélien est limité aujourd’hui, la disparition du guépard supprime toute perspective future de valorisation durable de cette faune emblématique.

Enfin, l’extinction locale du guépard serait un signal fort du déclin de la biodiversité dans les zones arides, rappelant que les crises écologiques touchent aussi ces milieux qui attirent pourtant moins l’attention que les forêts tropicales.

Quels leviers pour sauver le guépard saharien ?

Face aux menaces alarmantes qui pèsent sur le guépard saharien, il devient urgent d’agir pour éviter sa disparition complète. Préserver cette sous-espèce nécessite une approche coordonnée durable et adaptée aux réalités du terrain. C’est dans cette perspective que plusieurs pistes d’actions peuvent être envisagées.

Tout d’abord, poursuivre le suivi régulier au Bénin tous les deux ans, en s’appuyant sur la méthode développée dans cette étude. Ce suivi doit être pérennisé et, si possible, élargi à d’autres zones, afin de mesurer l’impact des actions de conservation et de réagir rapidement à l’apparition de nouvelles menaces.

Dans un second temps, il s’agit d’appliquer cette méthode aux quatre dernières populations de guépards du Nord-Ouest africain, pour développer des programmes de suivi robustes à l’échelle régionale.

Il faut également initier de nouveaux suivis, afin d’améliorer les connaissances sur les guépards dans les régions où leur présence et leur statut restent incertains ou insuffisamment connus, comme en Algérie. Mettre en œuvre une réponse coordonnée à l’échelle internationale, incluant un engagement fort des bailleurs de fonds est également crucial. L’insécurité et l’instabilité politique jouent un rôle catalyseur dans la diminution des populations de guépards.

La sauvegarde du guépard doit être intégrée à des stratégies plus larges de restauration écologique et de consolidation de la paix, notamment dans les régions fragiles et touchées par les conflits.

Enfin, soutenir les communautés locales vivant dans l’aire de répartition du guépard, pour qu’elles soient actrices de sa conservation et bénéficient directement des efforts déployés est un enjeu fort.

Le sort du guépard du Nord-Ouest africain dépendra de notre capacité collective à allier science, technologie, financements locaux et internationaux, et inclusion des populations locales dans une stratégie commune et durable.

The Conversation

Marine Drouilly works for Panthera.

The study was funded by the Howard G. Buffett Foundation through the Africa Range Wide Society of London, supported by ZSL, Panthera, a Swiss foundation through the IUCN SSC Cat Specialist Group, and African Parks/Pendjari National Park.

ref. Un félin au bord l’extinction : comment sauver les derniers guépards du Nord-Ouest africain – https://theconversation.com/un-felin-au-bord-lextinction-comment-sauver-les-derniers-guepards-du-nord-ouest-africain-255944

Comment le plastique est devenu incontournable dans l’industrie agroalimentaire

Source: The Conversation – in French – By Mathieu Baudrin,, Sociologue sciences et des technologies, Direction Sciences sociales, économie et société, Anses, Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses)

Des serres agricoles aux bouteilles d’eau, en passant par la recette du pain de mie, le plastique a transformé en profondeur toute l’industrie agroalimentaire. Face au problème grandissant de la pollution plastique, on peut s’inspirer, à travers l’approche des « métabolismes urbains », de ce qui était fait au début du XXe siècle.


La production massive de plastiques est devenue un marqueur de la seconde moitié du XXe siècle, souvent dénommée « l’âge des plastiques ». Leur introduction dans les chaînes de valeur de l’agroalimentaire date des années 1930. Elle procédait de deux dynamiques.

  • La première est l’essor de l’industrie pétrolière et de l’automobile : les plastiques étant un co-produit du craquage du pétrole, les compagnies pétrochimiques recherchent activement à étendre le marché des plastiques, qui se prêtent à tous les usages comme leur nom l’indique.

  • La seconde est l’intensification de l’agriculture, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, pour faire face à une démographie galopante.

Le recours aux matières plastiques, progressif mais massif, a profondément modifié les pratiques alimentaires et agricoles, sans parler des aliments eux-mêmes.

Aujourd’hui, les impacts sanitaires et environnementaux des plastiques, en particulier sous leur forme micro et nanoparticulaires, sont avérés. La gestion (dont notamment le recyclage) des déchets plastiques n’est pas la seule en cause : c’est bien l’existence même des plastiques qui est en jeu.

Mais les mesures de réduction ou d’interdiction de l’usage de matières plastiques dans l’industrie agroalimentaire, du champ jusqu’au domicile des consommateurs, ne sauraient être appliquées sans une réflexion globale sur les pratiques actuelles de production, de distribution et de consommation des denrées alimentaires.

Un antifongique ajouté au pain de mie pour lui éviter de moisir dans son emballage

L’emballage des aliments fut le premier et reste le principal usage des plastiques dans l’agroalimentaire. Il correspond à un moment historique de changement dans la façon de stocker et de transporter les aliments, notamment grâce à la réfrigération.

C’est également un moment de reconfiguration des circuits de distribution avec le développement des supermarchés. Les plastiques deviennent alors incontournables et contribuent à structurer le marché alimentaire mondial tel que nous le connaissons aujourd’hui.

En effet, les emballages permettent d’allonger la durée de conservation des aliments et, surtout, facilitent la consommation nomade d’aliments et de boissons.

Si la bouteille en verre a permis la marchandisation de l’eau en lui attribuant une marque et des qualités, c’est bien l’invention de la bouteille d’eau en polyethylene terephthalate (PET) qui, à la fin des années 1970, a répandu son usage à l’échelle mondiale.

Les plastiques modifient jusqu’aux aliments eux-mêmes. C’est le cas du pain de mie commercialisé en sachets plastiques. Dès 1937, la firme Dupont lance un projet de recherche et développement (R&D) qui débouche sur l’ajout de « mycoban », un antifongique, à la farine utilisée pour réduire le risque de moisissure.

Les plastiques ont donc profondément changé nos manières de manger et même la nature de ce que l’on mange. Ils ont favorisé les aliments transformés par une foule d’intermédiaires et contribué à creuser le fossé entre les producteurs et les consommateurs de viande ou poisson conditionnés, surgelés, ou emballés.

Comment sortir de l’« agriplastique » ?

En amont des supermarchés, les pratiques agricoles ont, à leur tour, été transformées par les plastiques. D’abord introduits dans les années 1950 comme substituts au verre dans les serres horticoles, ils se sont généralisés depuis les années 1970 pour les cultures maraîchères sous tunnels et l’ensilage du foin.

En Europe, l’expansion des plastiques a été facilitée par la politique agricole commune (PAC). Lancée en 1962 par la Communauté économique européenne (CEE), celle-ci était au départ destinée à encourager l’agriculture intensive et productiviste.

Or, les tunnels de plastique permettent justement de cultiver et de produire des fruits ou légumes dans des terrains peu propices, d’étendre les saisons de production et de réduire les pesticides. Depuis, les surfaces recouvertes par des serres ou tunnels en plastique en Espagne et en France n’ont cessé d’augmenter.

Mais cette plastification de certaines cultures s’accompagne aussi de mutations socioprofessionnelles. Dans les vastes plaines recouvertes de tunnels plastifiés abritant des cultures de fraises (ou autres) à haute valeur ajoutée, on fait appel à une main-d’œuvre souvent étrangère, saisonnière et bon marché. Celle-ci travaille dans des conditions difficiles.

Les plastiques ont ainsi envahi les pratiques de production et les circuits de distribution des denrées alimentaires. Le mot « agriplastique » témoigne de l’enchevêtrement d’éléments humains, économiques et techniques, dont la dynamique tend à se renforcer avec le temps. Cela aboutit, après plusieurs décennies, à ce que nous pourrions qualifier de verrou sociotechnique.

Que faire pour se libérer de cette omniprésence des plastiques dans l’agroalimentaire ? Les plastiques étant constitutifs des chaînes de valeurs décrites, il serait naïf de penser qu’on pourrait conserver cette organisation marchande tout en éliminant les matières plastiques.

Ce constat ne doit pas pour autant pousser les décideurs à l’inaction. Il invite plutôt à une réflexion d’envergure sur une possible réorganisation des chaînes de valeur agroalimentaires. Afin d’initier cette réflexion, nous proposons de revenir sur quelques leçons de l’histoire.

Le plastique et l’invention du déchet

Au début du XXe siècle, l’économie des flux de denrées alimentaires entre populations rurales et urbaines fonctionnait en boucles quasi fermées. Les matières rejetées par les uns étaient utilisées, par exemple sous forme d’engrais, par les autres.

Dans ce contexte, la notion même de déchets n’existe pas encore, puisque rien n’est ni mis au rebut ni traité comme déchet ultime (c’est-à-dire, un déchet qui ne peut plus être traité davantage dans les conditions technicoéconomiques du moment).

Les fèces humaines sont alors vues comme des engrais agricoles, les chiffons peuvent devenir du papier, les carcasses d’animaux de travail sont réutilisées pour fabriquer des colles et autres produits du quotidien.




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La rupture de ces « métabolismes urbains », tels que décrits par Sabine Barles, correspond historiquement à l’avènement de la chimie de synthèse. Se met alors en place un complexe industriel qui produit à la fois des engrais, des produits phytopharmaceutiques et des plastiques, trois catégories de produits constitutifs des chaînes de valeurs agricoles actuelles.

Il n’est certes ni envisageable – ni même souhaitable – de reproduire à l’identique les métabolismes urbains du début du XXe siècle. Ils reposaient largement sur la mobilisation d’une main-d’œuvre nombreuse sous-payée vivant dans la misère, par exemple les chiffonniers.

En revanche, on peut retenir l’idée d’une approche systémique, globale et métabolique au lieu de se contenter de chercher un matériau de substitution aux plastiques qui soulèvera, à son tour, des difficultés similaires. Il s’agit donc de repenser, avec les acteurs concernés, l’ensemble des filières agroalimentaires pour viser la sobriété plastique.


Cet article s’appuie sur le rapport d’expertise « Plastiques utilisés en agriculture et pour l’alimentation » Inrae/CNRS, publié en mai 2025.

The Conversation

Baptiste Monsaingeon a reçu des financements de l’ANR pour divers projets de recherche publique liés aux déchets et aux plastiques.

Bernadette Bensaude-Vincent et Mathieu Baudrin, ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

ref. Comment le plastique est devenu incontournable dans l’industrie agroalimentaire – https://theconversation.com/comment-le-plastique-est-devenu-incontournable-dans-lindustrie-agroalimentaire-265125

COP30 : Comment éviter que le plastique ne devienne le radeau de secours de l’industrie pétrolière ?

Source: The Conversation – in French – By Marie-France Dignac, Directrice de recherches sur la biologie des sols, INRAE, Inrae

Issus à 99 % du pétrole, les plastiques alimentent la crise écologique et climatique tout au long de leur cycle de vie. Derrière l’image trop familière des déchets qui polluent les rivières puis les océans, la production et le recyclage des plastiques sont aussi source d’émissions considérables de gaz à effet de serre, de quoi compromettre les efforts mondiaux de réduction des émissions. Surtout, les plastiques, un débouché du pétrole, entretiennent la dépendance de l’économie aux énergies fossiles. Le risque serait qu’ils deviennent la planche de salut des industriels de la pétrochimie à l’occasion de la COP30 sur le climat, qui se déroulera du 10 au 21 novembre 2025, à Belem, au Brésil.


À partir du 10 novembre 2025, la COP30 sur le climat réunira les États membres de l’Organisation des Nations unies (ONU) au cœur de la forêt amazonienne, au Brésil. Il s’agit d’un rendez-vous majeur du multilatéralisme, où l’on espère que les ambitions régulièrement formulées par les États vont enfin se concrétiser.

Le contexte international n’est pas forcément au beau fixe pour cela. Face à des pays qui nient la science, ou qui se soucient peu de l’environnement et de la santé humaine et refusent de comprendre que leurs propres économies en paieront le prix à long terme, les pays engagés dans la transition vers une économie moins polluante et moins dépendante des énergies fossiles peinent à se faire entendre. Les négociations en vue d’un traité contre la pollution plastique, qui n’ont toujours pas abouti à un texte, en fournissent un exemple éloquent.

Les preuves scientifiques sont pourtant très claires quant aux impacts de la production de plastiques sur la perte de biodiversité et la pollution à l’échelle planétaire. D’autant plus que ces impacts sont en réalité bien plus larges : les plastiques impactent la santé humaine et exacerbent le dépassement de toutes les autres limites planétaires. En cela, ils aggravent la crise écologique et climatique déjà en cours.




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Pas de plastique sans pétrole

L’impact climatique du secteur de la pétrochimie est moins souvent mis en avant que celui des secteurs de l’énergie et des transports, plus proches des consommateurs. Il fait pourtant figure d’éléphant dans la pièce : entre 4 et 8 % de la production de pétrole est aujourd’hui utilisée pour fabriquer des produits plastique. Près de 99 % de ces produits sont fabriqués à partir de pétrole.

Depuis l’extraction et le transport des combustibles fossiles, jusqu’à la fabrication, l’utilisation et l’élimination des plastiques, ces matériaux génèrent des émissions qui contribuent au réchauffement climatique. Les plastiques sont ainsi directement responsables de 3,5 % des émissions globales de gaz à effet de serre, dont la plupart sont générées lors de leur production.

Le recyclage des plastiques, souvent mis en avant par ces industriels, n’a rien d’une solution miracle. Toutes les technologies de traitement des déchets plastiques sont émettrices de gaz à effet de serre :

Dans un scénario de statu quo, si la production et l’utilisation de plastiques continuent d’augmenter au rythme actuel (soit un doublement de la quantité de plastiques produits tous les 20 ans), les émissions de gaz à effet de serre provenant des plastiques pourraient représenter de 10 à 13 % du budget carbone total (c’est-à-dire, la quantité de gaz à effet de serre que l’on peut encore se permettre d’émettre tout en restant sous la barre d’une hausse de +1,5 °C à l’horizon 2050).

Des impacts indirects à large échelle

Et encore, les chiffres qui précèdent ne tiennent pas compte du fait que les plastiques participent directement à la mondialisation de l’économie. Ils permettent de transporter les biens et denrées sur de très longues distances et de ce fait favorisent une économie basée sur une production loin des zones de consommation, fortement émettrice de gaz à effet de serre.

La pollution plastique se retrouve dans les rivières, les océans ou sur terre, sous différentes tailles (macro, micro ou nanoplastiques), et peut persister pendant des siècles. Selon l’OCDE, environ 22 % des déchets plastiques finissent dans l’environnement, dont une grande partie dans l’océan, nuisant à la vie marine.

Les aliments, l’eau et l’air sont ainsi contaminés et les microplastiques finissent, à travers la chaîne alimentaire, également dans notre corps. Les preuves scientifiques de l’impact des plastiques sur la santé humaine sont de plus en plus solides.

Mais ce n’est pas tout. Les plastiques agissent également indirectement sur le réchauffement climatique. En effet, les débris plastiques en mer modifient les cycles du carbone et des nutriments. En agissant sur les processus microbiens, ils diminuent la productivité en nutriments à la surface de l’océan. Résultat : les « pompes à carbone » de l’océan, qui ont permis de piéger environ 31 % des émissions anthropiques de CO2 entre 1994 et 2007, fonctionnent moins bien.

Par ailleurs, une méta-analyse récente a montré que la présence de microplastiques dans l’eau ou dans les sols pourrait diminuer la photosynthèse, et donc limiter la production de biomasse carbonée. Avec des impacts sur la sécurité alimentaire, mais aussi sur les puits de carbone naturels et le climat.




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Les leçons du traité contre la pollution plastique

Reconnaissant tous ces dangers des plastiques pour la santé humaine et la santé de l’environnement, un comité intergouvernemental de négociation (CIN) a été créé en mars 2022 afin d’élaborer un instrument international juridiquement contraignant pour mettre fin à la pollution plastique dans tous les environnements. Et ceci, en tenant compte de l’ensemble du cycle de vie des plastiques.

La deuxième partie de la cinquième réunion de ce comité (CIN-5.2) s’est tenue à Genève, du 5 au 14 août 2025. Les négociations étaient basées sur le projet de texte du président du CIN proposé à la fin de la première partie du CIN-5 à Busan, en 2024.

À l’occasion de la reprise des négociations en vue d’un traité contre la pollution plastique, à Genève, en août 2025, une installation artistique de Benjamin Von Wong (Le Fardeau du penseur) pour sensibiliser au problème du plastique a envahi la place des Nations où trône l’emblématique Broken Chair.
Florian Fussstetter/UNEP, CC BY-NC-ND

Plusieurs éléments de ce projet de texte peuvent avoir une réelle efficacité pour mettre fin à la pollution plastique. Il s’agit notamment :

  • de réduire la production de plastique (article 6),

  • d’interdire les produits plastique et les substances chimiques dangereuses pour les humains ou pour l’environnement (article 3),

  • de concevoir des produits en plastique moins polluants (article 5),

  • de limiter les fuites vers l’environnement (article 7)

  • et enfin de protéger la santé humaine (article 19).

Mais de nombreux pays font pression pour que ces mesures soient rejetées : les mêmes désaccords politiques qui avaient bloqué les négociations précédentes se sont reproduits à Genève.

Une coalition de pays qui ont tout intérêt à ne pas réduire la production de pétrole

Presque tous les plastiques sont fabriqués à partir de combustibles fossiles, c’est pourquoi les pays qui refusent de prendre des mesures ambitieuses – notamment l’Arabie saoudite, la Russie et l’Iran – sont essentiellement des pays producteurs de pétrole ou dotés d’industries pétrochimiques puissantes.

Les intérêts économiques en jeu sont donc importants. Ce groupe de pays partage les mêmes idées – nommé pour cela le « like-minded group » – et refuse d’inclure de tels objectifs. Ils privilégient un accord visant à gérer les déchets, sans réduire leur production.




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Mais ce faisant, ils dénigrent tous les modèles scientifiques sur l’évolution de la pollution plastique, qui montrent qu’il est nécessaire de réduire la quantité de plastique produite chaque année afin de réduire la pollution par les plastiques tout au long de leur cycle de vie. On a également pu noter la forte présence des lobbies des entreprises pétrolières et des fabricants de plastiques, qui ne cesse d’augmenter au fil des négociations.

Le manque de consensus à la fin des négociations du CIN-5.2 peut être vu comme un échec des négociations.

Toutefois, le rejet massif du texte faible proposé le 13 août a aussi montré qu’une grande majorité de pays ne sont pas prêts à accepter un traité vidé de sa substance.

De nombreux pays ont souligné que ce texte ne permettrait pas d’atteindre les objectifs pourtant fixés dans le mandat à l’origine de ces négociations, et ont appelé à des mesures ambitieuses en accord avec la science, notamment une réduction de la production de plastique et une régulation des produits et substances chimiques dangereux, pour protéger la santé humaine et de l’environnement. La majorité des pays s’est aussi déclarée favorable à la poursuite des discussions.

Le multilatéralisme a montré à Genève la capacité des pays à construire une coalition forte et ambitieuse, rassemblant près de 120 pays (les 75 pays de la Coalition de haute ambition (HAC) et leurs alliés) et basant ses positions sur les faits scientifiques.

Acter l’abandon des énergies fossiles décidé lors des dernières COP

Espérons que ces avancées se concrétisent avec la poursuite des discussions sur le traité contre la pollution plastique, et qu’elles soient prises en compte dans les négociations climatiques lors de la COP30. La production de plastique ne doit pas menacer les efforts réalisés par les États pour limiter le recours aux énergies fossiles dans les autres secteurs.

Comme il a été reconnu lors des dernières COP sur le climat, notamment la COP28 en 2023, le monde doit s’organiser pour sortir progressivement des énergies fossiles.

D’importants efforts de recherche ont été consacrés à cette transition dans les secteurs de l’énergie et des transports, qui utilisent la majeure partie des ressources fossiles pour produire de la chaleur, de l’électricité et des carburants. Les énergies renouvelables remplacent ainsi peu à peu les produits pétroliers dans le mix électrique, ainsi que dans le secteur des transports.

D’autres secteurs, par exemple l’industrie lourde, doivent se réinventer : en effet, ils sont davantage dépendants aux produits pétroliers dans leurs processus industriels mêmes.

À cet égard, la pétrochimie souffre d’un problème de fond : elle contribue à maintenir à un niveau élevé la demande en pétrole, qui constitue un intrant de ses procédés industriels. Les produits pétrochimiques devraient ainsi représenter plus d’un tiers de la croissance de la demande mondiale de pétrole d’ici 2030, et près de la moitié de celle-ci d’ici 2050.

Les plastiques ne doivent pas devenir le radeau de secours de l’industrie pétrolière. En plus de contribuer aux émissions globales de gaz à effet de serre, ils détruisent les sols, empoisonnent les eaux et nuisent aux organismes vivants, y compris les humains. Sur les sept milliards de tonnes de déchets plastiques générés dans le monde depuis l’invention de ce matériau, moins de 10 % ont été recyclés, et cinq milliards de tonnes se sont accumulés dans la nature.

Les industriels de la pétrochimie, de l’extraction des énergies fossiles et leurs alliés cherchent une fois de plus à déplacer le problème : la production de plastiques pose un problème sanitaire, écologique, et climatique majeur. Réduire la production de plastiques constitue un levier incontournable pour maîtriser leurs impacts sur la planète.

The Conversation

Marie-France Dignac a reçu des financements de l’Agence de la Transition Ecologique (ADEME) et de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR).

Jean-François Ghiglione a reçu des financements de l’Agence nationale de la recherche (ANR), de l’ADEME, de l’OFB et de l’Agence de l’eau

ref. COP30 : Comment éviter que le plastique ne devienne le radeau de secours de l’industrie pétrolière ? – https://theconversation.com/cop30-comment-eviter-que-le-plastique-ne-devienne-le-radeau-de-secours-de-lindustrie-petroliere-265912

Les Français face à la peine de mort, une histoire passionnelle

Source: The Conversation – in French – By Nicolas Picard, Chercheur associé au centre d’histoire du XIXème siècle, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Robert Badinter entre au Panthéon ce 9 octobre. Il fut la grande figure du combat contre la peine de mort au moment de son abolition en 1981. À l’époque, 62 % des Français y étaient pourtant favorables. Quel rôle l’opinion publique a-t-elle joué dans les débats relatifs à la peine capitale au cours du XXe siècle ? Quels ont été les déterminants – notamment médiatiques – de son évolution en faveur ou contre l’abolition ?


Ce jeudi 9 octobre, Robert Badinter entre au Panthéon, en hommage à son rôle dans l’abolition de la peine de mort, et, en juin 2026, Paris accueillera le 9e Congrès mondial contre la peine de mort. Cette abolition est inscrite dans la Constitution depuis 2007, après un vote quasi unanime des parlementaires (828 pour, 26 contre). Tout concourt à en faire aujourd’hui l’une des « valeurs de la République » les plus consensuelles, enseignée dans les manuels scolaires et défendue par la diplomatie française. L’abolition n’apparaît guère menacée, y compris à l’extrême droite : les partis politiques ne font plus figurer le rétablissement de la peine capitale dans leur programme, malgré les déclarations de certaines personnalités.

Pourtant, la peine de mort a suscité des débats particulièrement vifs dans notre pays. Indépendamment des arguments philosophiques et scientifiques sur sa légitimité et sur son efficacité dissuasive, ses partisans ont longtemps pu s’appuyer sur le « sentiment public » de la population, auquel la répression pénale devait nécessairement s’accorder. Les opposants ont, à l’inverse, souligné à quel point ce sentiment était versatile, superficiel, et difficilement évaluable. La question de l’adhésion populaire à la peine capitale s’est ainsi reconfigurée à plusieurs reprises au cours du siècle dernier.

L’échec de l’abolition en 1908 : une opinion publique manipulée ?

L’idée qu’une écrasante majorité de citoyens serait en faveur de la peine de mort est largement répandue au début du XXe siècle, ce qui pourtant n’allait pas de soi au XIXe. Victor Hugo, lors de son discours à l’Assemblée nationale en 1848, affirme que, lors de la révolution de février, « le peuple […] voulut brûler l’échafaud » et regrette que l’on n’ait pas été « à la hauteur de son grand cœur ».

En 1871, la guillotine est d’ailleurs effectivement incendiée par un groupe de gardes nationaux pendant la Commune. Ce sont des partis progressistes, se présentant comme des défenseurs des intérêts populaires, qui poussent le thème de l’abolition dans leurs programmes, des socialistes aux radicaux. Ces derniers mettent l’abolition à l’ordre du jour parlementaire en 1906. Le président Fallières commence alors à gracier systématiquement les condamnés à mort en attendant l’examen du projet.

L’échec des [abolitionnistes] en 1908, témoigne d’un revirement spectaculaire, dans lequel l’évocation, ou la fabrication, de l’opinion publique joue le rôle principal. En pleine crise sécuritaire, alors que la presse déborde de faits divers sanglants et s’inquiète de la menace croissante des « apaches », ces jeunes voyous des faubourgs prêts à tous les crimes, l’abolition et les grâces présidentielles sont prises pour cible. De grands titres de la presse populaire n’hésitent pas à susciter l’engagement de leurs lecteurs, selon une logique réclamiste (visant à créer un évènement destiné à attirer l’attention du plus grand nombre).

À l’occasion d’une sordide affaire de meurtre d’enfant, l’affaire Soleilland, le Petit Parisien organise un « référendum »-concours rassemblant 1 412 347 réponses, avec un résultat sans appel : 77 % sont contre l’abolition. La mobilisation « populaire » s’observe également dans les pétitions des jurys s’élevant contre l’abolition, et dans la recrudescence des condamnations capitales. Dans l’Hémicycle, les députés opposés au projet évoquent cet état d’esprit d’une population inquiète. Cette popularité de la peine de mort semble vérifiée par les « retrouvailles » enthousiastes du public avec le bourreau, lors de la quadruple exécution de Béthune (Pas-de-Calais), en 1909, qui met un terme au « moratoire » décidé par Fallières.

Ces campagnes de presse et de pétitions des jurys reflètent-elles bien l’état de l’opinion publique ? Les principaux quotidiens sont ici juges et parties, prenant fait et cause pour la peine de mort et appelant leurs lecteurs à appuyer leur démarche. Le choix de faire campagne sur ce thème est un moyen pour les patrons conservateurs de ces titres, comme Jean Dupuy, de mettre en difficulté le gouvernement Clemenceau. De même, les pétitions des jurys sont en grande partie inspirées par une magistrature traditionnellement conservatrice. Il est certain que l’« opinion publique » a été influencée, mais l’écho rencontré par ces entreprises dans la population suppose une certaine réceptivité de celle-ci. En tous les cas, cette crainte de l’opinion a suffi à modifier les positions de nombreux députés radicaux, ralliés aux « morticoles ».

Retournement de l’opinion à partir des années 1950

La période s’étendant de l’échec abolitionniste de 1908 à l’après-Seconde Guerre mondiale, marquée par les violences de masse, n’est guère propice à une reprise du débat. La Libération et l’épuration représentent sans doute le point d’acmé dans l’adhésion de la population au principe de la mise à mort. La haine contre les collaborateurs conduit, dans les premiers mois, à des lynchages et à une sévérité extrême des tribunaux chargés de l’épuration, mais aussi des cours d’assises ordinaires.

Néanmoins, passée cette vague vindicative, la peine de mort perd rapidement du terrain (du moins en France hexagonale). Au début des années 1950, le nombre de condamnations capitales s’effondre, passant de plusieurs dizaines à quelques unités par an, des propositions de loi en faveur de l’abolition sont régulièrement déposées, à gauche comme à droite, des comités militants se forment. Surtout, les Français ne semblent plus aussi réceptifs aux campagnes de presse prônant la sévérité. Alors que le journal Combat s’engage en avril 1950 pour élargir la peine capitale aux parents dont les maltraitances ont entraîné la mort de leurs enfants, les courriers des lecteurs poussent le quotidien à réorienter son propos pour dénoncer les « causes profondes du mal » : taudis, misère et alcoolisme.

C’est à cette époque que les sondages, nouvel outil venu des États-Unis, permettent d’objectiver l’opinion publique et posent régulièrement la question de la peine de mort. La courbe du soutien à l’abolition s’élève à partir du milieu des années 1950 : de 19 % en 1956, elle passe à 58 % en 1969, à la faveur de la prospérité économique retrouvée et de la contestation croissante des valeurs autoritaires. Nombre d’intellectuels s’engagent et influencent l’opinion par leurs œuvres, qu’il s’agisse des écrivains Albert Camus ou Marcel Aymé, du cinéaste André Cayatte ou de l’avocat Albert Naud. Avec le concile Vatican II (1962-1965), la diffusion d’un christianisme plus social et réformateur permet de rallier une partie des catholiques.

C’est à partir du début des années 1970, notamment après l’affaire de Clairvaux, pour laquelle Claude Buffet et Roger Bontems sont guillotinés, après trois ans sans exécution capitale, que la peine de mort regagne des partisans : 53 % sont en sa faveur en 1972, 62 % en septembre 1981, à la veille du vote de la loi d’abolition. Cette poussée s’observe alors même que de plus en plus d’autorités religieuses, d’associations et de personnalités publiques s’engagent contre la peine de mort.

1981 : de quelle opinion parle-t-on ?

Paradoxalement, l’abolition est ainsi votée dans un contexte de remontée des préoccupations sécuritaires. Mais que valent vraiment ces sondages ? Outre les traditionnelles critiques adressées à cet outil, les abolitionnistes soulignent l’écart existant entre ces chiffres et les réticences certaines des jurés à condamner à mort. Les condamnations capitales restent en effet exceptionnelles. Comme l’affirme Robert Badinter, la véritable abolition serait déjà en large partie à l’œuvre dans les prétoires : 16 condamnations pour l’ensemble des années 1970, et « seulement » 6 exécutions, alors que le thème de l’insécurité prospère dans les médias.

L’abolition est aussi tacitement acceptée par les électeurs, qui portent au pouvoir en 1981 un homme, François Mitterrand, et une majorité politique, qui n’ont pas fait mystère de leurs intentions en la matière. Certes, la peine de mort n’a sans doute pas été le déterminant majeur du vote, mais lors de l’émission télévisée « Cartes sur table », le candidat socialiste ne s’est pas dérobé, en affirmant clairement sa position. Durant la campagne des législatives de 1981 consécutive à la dissolution, le ministre de la justice Maurice Faure présente l’abolition comme un chantier prioritaire, ce qui ne nuit en rien à l’écrasante victoire socialiste. Fort de cette onction démocratique, son successeur, Robert Badinter, a cependant conscience qu’il faut saisir le moment. L’Assemblée nationale, et de manière plus étonnante le Sénat pourtant acquis à la droite, votent l’abolition à la fin du mois de septembre 1981.

Il faudra attendre 1998 pour voir, dans les sondages, la courbe du soutien à la peine de mort croiser celle du soutien à l’abolition. Dans le même temps, cependant, le thème du rétablissement de la peine capitale ne fait plus recette chez les parlementaires, malgré le dépôt de quelques propositions de loi. Sur le long terme, les bénéfices politiques d’une prise de position abolitionniste semblent largement l’emporter sur un engagement inverse. Les associations abolitionnistes mobilisent bien davantage et sont plus structurées que les partisans de la peine de mort. Ce paradoxe est-il la preuve de la superficialité de l’adhésion à la peine capitale, voire de la dissonance cognitive de citoyens qui affirment la soutenir mais qui admirent les responsables qui s’y opposent ?

Dans les dernières enquêtes, le soutien à la peine capitale progresse, passant d’un minimum de 32 % en 2009 à 49 % lors de la dernière mesure de ce type, en février 2025. Comparer les sondages de 1981, alors que des exécutions étaient encore possibles, et ceux de 2025, alors que la peine de mort s’enfonce dans un passé de plus en plus lointain et que la probabilité d’un rétablissement apparaît illusoire, n’a cependant guère de sens. On peut y voir surtout un corollaire du succès actuel des thèses sécuritaires, qui trouvent à s’épanouir dans d’autres dispositifs.

The Conversation

Nicolas Picard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Les Français face à la peine de mort, une histoire passionnelle – https://theconversation.com/les-francais-face-a-la-peine-de-mort-une-histoire-passionnelle-266795