#SkinnyTok, la tendance TikTok qui fait l’apologie de la maigreur et menace la santé des adolescentes

Source: The Conversation – France (in French) – By Pascale Ezan, professeur des universités – comportements de consommation – alimentation – réseaux sociaux, Université Le Havre Normandie

Associant phrases chocs, musiques entraînantes et récits de transformation physique, de jeunes femmes font sur TikTok la promotion d’une maigreur extrême. Loin de provoquer du rejet, ces messages sont discutés et très partagés sur le réseau social, interpellant éducateurs et professionnels de santé.


Dans les années 1990, les couvertures des magazines féminins annonçaient l’été avec des injonctions à changer son corps : il fallait « perdre 5 kilos avant la plage » ou « retrouver un ventre plat en 10 jours » afin de ressembler aux mannequins filiformes des podiums.

Aujourd’hui, ces supports papier perdent du terrain chez les jeunes filles, au profit de réseaux sociaux comme TikTok, une plateforme au cœur de leur culture numérique. L’imaginaire du corps parfait s’y diffuse plus vite, plus fort, et de manière plus insidieuse.

Parmi les tendances incitant à la minceur sur ce réseau social, #SkinnyTok apparaît comme l’un des hashtags les plus troublants avec 58,2 K de publications en avril 2025.

La pression sociale de discours chocs

À l’aide de vidéos courtes mêlant musiques entraînantes, filtres séduisants et récits de transformation physique (les fameux avant/après), de jeunes femmes s’adressent à leurs paires pour les inciter à moins manger, voire à s’affamer.

Centrées sur des heuristiques de représentativité, ces jeunes femmes mettent en scène leurs corps comme une preuve de la pertinence des conseils qu’elles avancent. Elles soulignent ainsi que leur vécu est un exemple à suivre : « Je ne mange presque plus. »

En surface, leurs recommandations nutritionnelles se fondent sur les messages sanitaires auxquelles elles sont exposées depuis leur enfance : manger sainement, faire du sport… Mais en réalité, leurs discours prônent des régimes dangereusement restrictifs, des routines visant à façonner des corps ultraminces. Basés sur la croyance, qu’il faut éviter de manger pour perdre rapidement du poids, des conseils de jeûne intermittent, des astuces pour ignorer la faim sont véhiculés : « Je ne mangeais qu’à partir de 16 heures + pilates à côté. »

Ici, pas de mises en scène de recettes ou de bons plans pour mieux manger comme dans la plupart des contenus « healthy » sur Instagram, mais des phrases chocs facilement mémorisables pour véhiculer une pression sociale : « Si elle est plus maigre que toi, c’est qu’elle est plus forte que toi » ; « Ne te récompense pas avec de la nourriture, tu n’es pas un chien ! » ; « Tu n’as pas faim, c’est juste que tu t’ennuies » ; « Si ton ventre gargouille, c’est qu’il t’applaudit. »

On ne trouve pas non plus dans les messages estampillés #SkinnyTok de propos bienveillants et empathiques, confortant une estime de soi.




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Au contraire, les prises de parole sont agressives et pensées comme un levier efficace de changement comportemental. Le principe est de susciter des émotions négatives basées sur la culpabilité avec, comme source de motivation, la promesse de vivre un bel été : « Tu ne veux pas faire de sport, OK, alors prépare-toi à être mal dans ta peau cet été. »

Loin de provoquer du rejet sur le réseau social, ces messages sont discutés, partagés, voire complétés par des témoignages issus des abonnées. Certains messages deviennent des références évocatrices de la tendance. Cette viralité amplifiée par l’algorithme de TikTok enferme alors ces jeunes filles dans des bulles cognitives biaisées, qui valident des pratiques délétères pour leur santé.

Des représentations simplificatrices

Si cette tendance « skinny » est rarement remise en question par les followers, c’est sans doute parce que les contenus diffusés apparaissent comme simples à comprendre et qu’ils bénéficient d’une validation visuelle des corps exposés.

Ils s’ancrent dans des connaissances naïves qui viennent se heurter à des savoirs scientifiques, perçus comme plus complexes et moins faciles à mettre en œuvre dans le vécu quotidien des adolescentes pour obtenir rapidement le résultat corporel escompté pour l’été.

En psychologie cognitive, les connaissances naïves sont définies comme des représentations spontanées et implicites que les individus se construisent sur le monde, souvent dès l’enfance, sans recours à des enseignements formalisés. Influencées par des expériences personnelles et sociales, elles peuvent être utiles pour naviguer dans le quotidien, car elles apparaissent comme fonctionnelles et cohérentes chez l’individu. En revanche, elles sont souvent partielles, simplificatrices voire fausses.

Or, ces connaissances naïves constituent le creuset des messages diffusés par les créateurs de contenus sur les réseaux sociaux. En particulier, sur TikTok, les vidéos diffusées cherchent à capter l’attention des internautes, en privilégiant une forte connotation émotionnelle pour provoquer une viralité exponentielle. L’information qui y est transmise repose sur un principe bien connu en marketing : une exposition répétée des messages, quelle qu’en soit la valeur cognitive, influence les comportements.


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Apprendre à détecter les fausses informations

Ces croyances simplificatrices sont d’autant plus difficiles à déconstruire qu’elles bénéficient d’une approbation collective, visible sous forme de « likes » par toutes les abonnées. Il apparaît donc nécessaire de mettre au jour le rôle joué par les connaissances naïves dans l’éducation corporelle des adolescentes afin de mieux saisir pourquoi certaines d’entre elles sont plus vulnérables que d’autres à ce type d’injonctions et mettre en place des interventions ciblées.

En outre, les connaissances naïves sont souvent résistantes au changement et aux discours scientifiques. Il s’agit alors de revisiter ces raccourcis cognitifs, fondés sur des liens de causalité erronés (du type : « Je ne mange pas et je serai heureuse cet été »), en proposant des messages de prévention plus adaptés à cette génération numérique.

Pour aller dans ce sens, certains professionnels de santé prennent la parole sur les réseaux sociaux, mais la portée de leur discours semble encore limitée au regard de la viralité suscitée par cette tendance. Face à ce constat, il semble opportun de les inviter à s’approprier davantage les codes de communication numérique pour s’afficher comme des figures d’autorité en matière de santé sur TikTok.

Plus globalement, il ne s’agit ni de diaboliser TikTok ni de prôner le retour à une époque sans réseaux sociaux. Ces plateformes sont aussi des espaces de création, d’expression et de socialisation pour les jeunes. Mais pour que les connaissances qu’elles diffusent deviennent de véritables outils d’émancipation plutôt que des sources de pression sociale, plusieurs leviers doivent être activés :

  • réguler, inciter davantage les plateformes à la modération de contenus risqués pour la santé mentale et physique des jeunes ;

  • apprendre aux adolescents à détecter de fausses évidences sur les réseaux sociaux. Dans cette perspective, notre projet Meals-Manger avec les réseaux sociaux vise à co-construire avec les jeunes une démarche leur permettant d’acquérir et d’exercer un esprit critique face aux contenus risqués pour leur santé, auxquels ils sont exposés sur les plateformes sociales ;

  • éduquer les éducateurs (parents et enseignants) qui sont souvent peu informés sur les comptes suivis par les adolescents et ont des difficultés à établir un lien entre des connaissances naïves diffusées sur les réseaux sociaux et les comportements adoptés dans la vie réelle.

The Conversation

Pascale Ezan a reçu des financements de l’Agence Nationale de la Recherche (projet ALIMNUM (Alimentation et Numérique et projet MEALS (Manger avec les réseaux sociaux)

Emilie Hoëllard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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Restaurants : des bouillons Duval au Bouillon Pigalle, histoire d’un modèle populaire

Source: The Conversation – France (in French) – By Nathalie Louisgrand, Enseignante-chercheuse, Grenoble École de Management (GEM)

Peut-être avez-vous vu un « bouillon » s’ouvrir récemment dans votre ville. Nés au XIXe siècle pour nourrir la classe ouvrière parisienne, ces restaurants bon marché étaient quasiment tombés en désuétude. Ils reviennent désormais en force. Pourquoi cet engouement ? Qu’est-ce qui fait la spécificité d’un bouillon et quelle est l’histoire de ces établissements ?


Offrir des repas nutritifs à faible coût aux nombreux travailleurs de Paris : telle est, au XIXe siècle, l’idée avant-gardiste de la Compagnie hollandaise. En 1828, elle ouvre un ensemble de petits restaurants proposant des bouillons de bœuf bouilli, dans différents points de la capitale à une population ouvrière, alors grandissante. Le concept du bouillon vient de naître et, avec lui, une forme précoce de standardisation de repas à bas coûts. Mais, en 1854, l’entreprise disparaît. C’est à ce moment-là qu’émerge celui que les annales retiendront comme le père des bouillons : Baptiste-Adolphe Duval.

Dans les années 1850, Baptiste-Adolphe Duval possède une boucherie située rue Coquillère à Paris (1er). Comme sa clientèle n’achète que les « beaux morceaux », Duval cherche un moyen d’utiliser la « basse viande » non vendue. Il pense alors à préparer un bouillon réalisé avec les bas morceaux de bœuf ainsi que du bœuf bouilli, de grande qualité. C’est ainsi qu’il ouvre, en 1854, un établissement, rue de la Monnaie, dans le 1er arrondissement de Paris. Il y propose des plats chauds, réconfortants et bon marché aux bourses les plus modestes, notamment les nombreux travailleurs des Halles, le « ventre de Paris ». Avec les travaux d’embellissement et de modernisation de la ville par le baron Haussmann, des milliers d’ouvriers sont venus de toute la France œuvrer à la capitale : ce sont autant de bouches à nourrir. Le succès est immédiat.

L’ancêtre de la restauration rapide

Duval ouvre alors d’autres points de vente dans la capitale, parmi lesquels, en 1855, un fastueux établissement à l’architecture de fer et de fonte aménagé dans un immense hall de 800 m2 au 6, rue de Montesquieu (1er), non loin du Louvre. Cet édifice, qui peut accueillir jusqu’à 500 personnes, assure un service en continu effectué par des serveuses reconnaissables à leur robe noire, leur tablier blanc et leur bonnet de tulle. Ces dernières appelées aussi les « petites bonnes » symboliseront les bouillons Duval, et seront aussi bien dessinées par des artistes comme Auguste Renoir qu’évoquées par des écrivains comme Joris-Karl Huysmans. Une nouvelle clientèle, attirée par le bon rapport qualité-prix, la flexibilité des horaires et les prix fixes, apparaît. Elle est constituée des classes moyennes et de la petite bourgeoisie. Le choix des mets se développe au fil du temps : on peut ainsi commander du pot-au-feu, du bœuf bourguignon, du veau rôti, mais aussi des huîtres, de la volaille ou du poisson.

Ces endroits – qui prennent le nom de « bouillons » – sont des lieux très propres, des symboles de la modernité. Ils vont rapidement devenir un concept de restaurant à part entière avec une cuisine simple, faite de produits de qualité. Ils sont considérés comme faisant partie des précurseurs de la restauration rapide.

Un nouveau modèle économique

La réussite économique des bouillons Duval est principalement due à son modèle de gestion des stocks. Ils fonctionnent comme une chaîne de restauration et appliquent des économies d’échelle grâce à leurs propres méthodes d’approvisionnement, leur production de pain, leurs boucheries, etc. En 1867, Duval crée la « Compagnie anonyme des établissements Duval » avec 9 succursales. En 1878, il y en aura 16, puis des dizaines dans la capitale à la fin du XIXe siècle.

Le succès des bouillons Duval fait des émules. Mais si la capitale en dénombre environ 400 en 1900, ils englobent en réalité une variété d’établissements hétéroclites aux fonctionnements différents, allant de la simple marchande ambulante aux bouillons s’inscrivant dans la lignée de Duval – comme les établissements Boulant ou Chartier.

Ce dernier, encore en activité aujourd’hui, a ouvert ses portes en 1896 sur les Grands Boulevards. Son immense salle aux boiseries sculptées et ses magnifiques lustres, de style art nouveau, sont classés monuments historiques. Il n’a jamais fermé ses portes ni changé de nom et, contrairement à tous les autres, a traversé le temps et les modes sans aucune interruption, même si son taux de fréquentation a pu connaître des fluctuations.

Concept de restaurant populaire, le bouillon s’est ainsi transformé en une institution incontournable du paysage parisien. Son succès a ensuite perduré jusqu’à l’entre-deux-guerres avant de tomber en désuétude. En effet, dans la France des Trente Glorieuses (1945-1975), le bouillon semble dépassé, ringard, et les clients lui préfèrent par exemple les brasseries qu’ils trouvent plus « haut de gamme » et modernes. On assiste aussi au développement des fast-foods (à partir des années 1960, ndlr).


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Depuis 2017, un grand retour des bouillons

Cependant, la flamme du bouillon et de l’imaginaire qui l’accompagne ne s’est jamais complètement éteinte et c’est ainsi qu’en novembre 2017, les frères Moussié, des restaurateurs, ouvrent à Paris le Bouillon Pigalle (Paris 18e).

Leur souhait est de reprendre les codes initiaux des bouillons, c’est-à-dire des plats réconfortants (par exemple, le bœuf bourguignon, le petit salé aux lentilles ou la purée saucisse) et les desserts gourmands (comme les profiteroles arrosées de chocolat chaud), servis à prix modiques, dans un décor rétro, sur de grandes tablées à l’allure de cantine, le tout dans un esprit « bonne franquette » avec un service en continu et sans réservation.

Qu’est-ce qu’un bouillon ? « Les bouillons, la table du tout-Paris », Arte, 2025.

Le succès est au rendez-vous et, petit à petit, d’autres établissements (ré)ouvrent comme le Bouillon Julien en 2018 dans un décor restauré, ou le Bouillon République en 2021 dans le cadre préexistant de la brasserie alsacienne Chez Jenny. Ces restaurants bon marché attirent beaucoup de clients, français ou étrangers, ravis de manger bon pour pas (trop) cher en période d’inflation. En effet, nombre d’entre eux permettent de se sustenter pour moins de 20 euros avec une entrée, un plat et un dessert. Leur renaissance repose aussi sur des valeurs de simplicité et d’authenticité.

D’autre part, de nombreux bouillons insistent sur le « fait maison », et travaillent fréquemment avec des producteurs locaux et en circuit court.

Des bouillons en région

Ces lieux incarnant la convivialité et l’esprit traditionnel français se sont également multipliés hors de la capitale. Et si leurs chefs continuent de proposer des classiques réconfortants de la gastronomie française, certains le font à la sauce régionale, par exemple, le « maroilles rôti » au Petit Bouillon Alcide à Lille ou le « diot, polenta crémeuse » à La Cantine Bouillon de Seynod, en Haute-Savoie.

À Lille, un bouillon sauce locale.

Depuis deux ou trois ans, des chefs étoilés ouvrent aussi leur bouillon. C’est le cas du chef grenoblois doublement étoilé Christophe Aribert avec le Bouillon A, ouvert en mai 2022. Il y met en avant des produits bio, locaux et de saison. Thierry Marx, deux étoiles, a pour sa part ouvert en 2024 à Saint-Ouen le Bouillon du Coq, dans lequel il propose des harengs-pomme à l’huile ou son célèbre coq au vin. Pour lui, c’est aussi une façon de remettre au goût du jour des plats étiquetés « ringards » à des prix très abordables.

Depuis début 2023, on estime qu’un bouillon se crée chaque mois en France. Ce sont principalement les prix bas qui attirent la clientèle.

Le maintien d’un tarif accessible est, lui, le premier combat de nombre de propriétaires de bouillons. Leur secret ? Une forte préparation en amont (en particulier les plats froids comme les œufs mayonnaise ou les poireaux vinaigrette), un nombre de gestes réduits par assiette (pas trop de techniques, pas de dressage compliqué), des recettes simples, une carte qui change peu, mais aussi des économies sur le volume d’achat et des tables qui tournent très rapidement.

L’autre assurance du bouillon est de trouver des plats classiques servis en un temps record dans un cadre agréable et convivial.

The Conversation

Nathalie Louisgrand ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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De l’atelier au marché de l’art : les ressorts du succès de POUSH, un jeune lieu créatif

Source: The Conversation – France (in French) – By Thomas Blonski, Professeur assistant en stratégie et entrepreneuriat, ICN Business School

En quelques années, le centre d’art et d’ateliers d’artistes POUSH, à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), est devenu un repère incontournable de la scène artistique parisienne. Une étude permet de comprendre les dynamiques qui font émerger un tel lieu créatif.


Dans une ancienne usine d’Aubervilliers, en banlieue parisienne, 270 artistes partagent aujourd’hui leurs journées entre création, discussions informelles et visites de collectionneurs. Ce lieu, baptisé POUSH, s’est imposé en quelques années comme un point de passage obligé pour les professionnels du monde de l’art. On y croise autant de jeunes talents prometteurs que de figures déjà reconnues, dans un décor brut et foisonnant.

Comment expliquer qu’un lieu, inconnu il y a à peine trois ans, soit devenu un incontournable de la scène artistique parisienne ? Pourquoi certaines adresses deviennent-elles des nœuds de créativité et d’attention, là où d’autres projets similaires peinent à exister ? Plus largement, que faut-il pour qu’un lieu devienne un « lieu créatif » ?

Du Bateau-Lavoir à Hollywood : des lieux mythiques de la création

Dans tous les domaines de la création, certains lieux se dotent d’une image de créativité importante, comme s’il s’y passait quelque chose de particulier : des territoires comme Hollywood ou la Silicon Valley aux États-Unis, des villes comme Vienne (Autriche) au début du siècle dernier ou Berlin (Allemagne) au début de ce siècle, des quartiers parisiens comme Montparnasse ou Saint-Germain-des-Prés, voire des espaces plus localisés, comme le Bateau-Lavoir (Paris 18e) ou le Chelsea Hotel (New York). Une question revient dès que l’on s’intéresse à ces derniers, les lieux créatifs : comment adviennent-ils ? Sont-ils créatifs parce qu’ils attirent (des artistes) ? Ou attirent-ils parce qu’ils sont créatifs ? Comment se construit cette réputation selon laquelle, « c’est là que ça se passe » ?

C’est cette question que nous avons souhaité explorer à travers une recherche menée sur le cas POUSH, un des plus grands rassemblements d’ateliers d’artistes en Europe. Pour comprendre comment ce lieu a émergé si rapidement comme un repère de la scène artistique, nous avons mené une trentaine d’entretiens avec des artistes et l’équipe dirigeante, complétés par des visites de terrain et un questionnaire auprès des résidents.




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Une clé de lecture : le « middleground »

Une théorie utile pour appréhender ce problème a été proposée par Patrick Cohendet, David Grandadam et Laurent Simon : la notion de « middleground ». Pour qu’un territoire créatif puisse prendre de l’ampleur, qu’il attire des talents et qu’il gagne en réputation, il doit mobiliser des passerelles entre l’underground des artistes et l’upperground constitué des entreprises et institutions établies. Cette strate, le middleground, permettrait de faciliter les échanges entre les différents acteurs d’un écosystème, et d’établir la réputation d’un lieu qui devient l’endroit où il faut être, car c’est là que ça se passe. Les auteurs de ce courant ont étudié, par exemple, le cas de Montréal (Québec, Canada) pour le jeu vidéo ou encore les dynamiques spatio-temporelles du monde du design à Berlin.

Comment naissent ces lieux du middleground, ces espaces qui deviennent des passerelles entre artistes émergents isolés et institutions ? Par exemple, comment faire pour créer un tel espace où des artistes pionniers pourront être en contact avec des galeristes et des collectionneurs ?

Le cas de POUSH, plus grand rassemblement d’ateliers d’artistes en Europe, est très instructif.

Fondée en 2020 en initiative privée liée à la société Manifesto, l’association POUSH qui occupe des locaux de grande taille désaffectés sur des durées limitées (environ deux ans), pour les réorganiser en des ateliers loués ensuite à des artistes. Après un premier essai à Saint-Denis, POUSH s’est établi dans un immeuble de grande taille au-dessus du périphérique parisien à la porte Pouchet (qui lui a donné son nom), avant de déménager deux ans plus tard dans une ancienne usine à Aubervilliers, où l’association est toujours domiciliée aujourd’hui avant de devoir déménager à nouveau à l’été 2025.


Poush – crédits Axel Dahl, Fourni par l’auteur

En moins de trois ans, ce lieu nouveau s’est fait une place dans l’écosystème artistique parisien. Moins de deux ans après sa fondation, POUSH rassemblait environ 270 artistes, qui travaillaient dans les différents ateliers proposés, et organisait des visites de collectionneurs nationaux et internationaux, en particulier à l’occasion des grands événements du monde de l’art, en particulier les foires : la Fiac puis Art Basel Paris, en octobre, et Art Paris, en avril.

Cette évolution n’est pas commune : d’autres structures similaires existent, y compris dans le même département, mais ni un aussi grand nombre de résidents ni la haute fréquence des visites professionnelles n’y sont observables.


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Une alchimie fragile mais puissante

Notre recherche a cherché à saisir les manifestations et les causes de ce succès, par une étude compréhensive fondée sur des entretiens avec une trentaine d’artistes résidents et avec l’équipe de direction du lieu, mais également par la visite des ateliers et des expositions au cours de plusieurs journées. Un questionnaire a également été administré aux résidents.

Premier constat, la grande diversité des profils des artistes. Ils ne forment pas une « école » et proviennent d’horizons différents, même si une tendance se dégage autour d’un groupe de jeunes artistes français comptant entre deux et sept ans d’expérience, c’est-à-dire ni novices, ni installés. Ils cherchent en POUSH d’abord et avant tout un lieu pour travailler dans de bonnes conditions. D’autres raisons suivent, mais ne viennent que s’ajouter à ce premier besoin : la proximité avec d’autres artistes qui deviennent des collègues de travail, comme dans une entreprise, mais aussi la possibilité de renforcer sa carrière grâce à l’orientation professionnelle du lieu et des visites de professionnels du monde de l’art.

Visite de POUSH, Nano Ville, 2023.

Pour autant, POUSH ne propose contractuellement que de la location d’espaces : les autres éléments (visites professionnelles, expositions, etc.) ne viennent que de façon informelle au fur et à mesure que des occasions se présentent. Cette méthode d’adaptation permanente aux opportunités qui apparaissent avec le temps est revendiquée par le management du lieu qui préfère éviter la lourdeur des procédures ; cela peut créer cependant un sentiment de frustration, car il est difficile de satisfaire l’intégralité des 270 résidents.

Masse critique et effet collatéral

De manière concrète, les collaborations restent assez limitées, loin de l’idée spontanée de l’effervescence créative. C’est, au contraire, la combinaison de la masse critique du nombre d’artistes et de la diversité (qui agit comme un accélérateur de carrières) qui multiplie les interactions entre les différents acteurs de l’écosystème, artistes présents et visiteurs représentant le monde professionnel (l’upperground) : curateurs, collectionneurs, galeristes…
La présence au sein de POUSH de quelques artistes reconnus irradie l’ensemble des artistes du lieu créatif par effet collatéral, ou effet d’éclairage, créant une sorte de label du lieu.

La conjonction de ces deux facteurs, masse critique et effet collatéral, permet d’augmenter la valeur conventionnelle du lieu créatif, créant le fameux cercle vertueux qui était notre point de départ. Plus le lieu est connu, plus les acteurs sont nombreux à y venir et, plus ils sont nombreux, plus le lieu est connu.

Si cette recherche traite de l’émergence de ces lieux créatifs, elle n’aborde pas en revanche la question de leur futur, et en particulier de leur maintien dans la position intermédiaire du middleground. Est-il possible de conserver ce fragile équilibre entre un underground anonyme et un upperground institutionnalisé, ou mainstream ? C’est cette question qu’il conviendra d’explorer dans de futures recherches.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. De l’atelier au marché de l’art : les ressorts du succès de POUSH, un jeune lieu créatif – https://theconversation.com/de-latelier-au-marche-de-lart-les-ressorts-du-succes-de-poush-un-jeune-lieu-creatif-254744

Comment les écrivains du XIXᵉ siècle se sont engagés dans les débats politiques de leur temps

Source: The Conversation – France (in French) – By Florent Montaclair, Enseignant Université, Université Marie et Louis Pasteur (UMLP)

Point de littérature sans politique pour les écrivains français du XIXe siècle WikiCommons, CC BY-ND

Dans le sillage de la Révolution de 1789, la France connaît, au cours du XIXe siècle, de nombreuses péripéties politiques. Loin de l’image de l’artiste enfermé dans ses appartements, penché uniquement sur ses textes littéraires, des écrivains et écrivaines de l’époque s’engagent dans les débats politiques de leur temps.


En 1836, avec la parution des premiers romans-feuilletons en France dans les journaux quotidiens, l’écrivain devient une figure non plus seulement des salons, mais aussi de la société : il est reconnu dans la rue, il est invité par les rois, il « influence » l’opinion des lecteurs. Avec des tirages, sous le Second Empire, qui passent, tous titres confondus, de 200 000 exemplaires par jour à 1,5 million, le feuilleton est lu, relu, prêté, discuté par les maîtres, leurs enfants, les domestiques et les concierges, pour reprendre les termes d’un feuilletoniste oublié, Louis Reybaud.

L’écrivain du XIXe siècle appartient majoritairement à la bourgeoisie : il est de formation initiale en médecine (Eugène Sue, Paul Féval), en droit ou comptabilité (Gustave Flaubert, Jules Verne, Guy de Maupassant, Edmond de Goncourt), il est officier ou fils de généraux (Alphonse de Lamartine, Alexandre Dumas, Victor Hugo)… À noter un cas particulier, George Sand qui descend à la fois du maréchal de Saxe par son père et et d’un tenancier de billard par sa mère.

On voit bien l’articulation entre ces professions et les réflexions sociales, politiques ou institutionnelles : par leur métier initial, les écrivains s’intéressent à la défense de la nation (militaires), à la santé de leurs concitoyens (médecins), à l’organisation administrative de l’état (notaires, juristes). Devenus célèbres, certains auteurs briguent même les suffrages de leurs concitoyens : la députation (Dumas, Lamartine, Hugo), les ministères (Tocqueville, Gobineau, Stahl), le Sénat (Hugo), les conseils généraux ou municipaux (Gobineau, Verne, Lamartine).

La grande question politique qui préoccupe alors ces écrivains, tant dans les instances où ils sont élus que dans leurs œuvres, est celle de la réunification du corps social : comment sortir d’un cycle révolutionnaire, né en 1789, qui provoque durant tout le siècle émeutes et chutes de régimes ? Comment en somme bonifier l’héritage révolutionnaire en créant une nation apaisée ?

« Guérir » les maux de la société

Prise de la Bastille en 1789, chute de Charles X en 1830, émeutes de 1832, chute de Louis-Philippe en février 1848, émeutes de juin 1848, Commune en 1871, la violence politique contre les hommes, les biens, les institutions et les symboles est récurrente tout au long du XIXe siècle.

Comment sortir de la violence ? Les écrivains exploreront plusieurs solutions qui leur paraissent pouvoir « guérir » les maux de la société.

À partir de la Commission du Luxembourg (28 février -16 mai 1848) réunie au Sénat par Lamartine, alors chef du gouvernement provisoire de la Deuxième République, pour déterminer quelle sera la politique économique de la République, trois voies se dessinent pour sortir le peuple de la misère et le faire entrer dans une communauté d’intérêts avec la classe moyenne et supérieure.

Le philosophe et député Pierre-Joseph Proudhon défend le développement d’une France de la coopérative, regroupant les travailleurs dans des microentreprises dont ils seraient les ouvriers et les patrons. Notamment défendue par Victor Hugo dans « Les Misérables », cette idée s’effondre à l’Assemblée lorsqu’il s’agit de proposer un financement de ces coopératives par l’État pour acheter en fond de départ le matériel et les machines, par exemple. L’impôt sur le revenu voulu par le député Proudhon est vu par les députés comme contraire aux droits de l’homme et du citoyen : la propriété est considérée sacrée.




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Louis Reybaud et l’Académie des sciences morales et politiques défendent la suppression des frontières, la diminution des taxes, la limitation du nombre des fonctionnaires et la constitution de grandes fortunes, ce qui mécaniquement augmente les salaires. Ces idées sont rejetées, à un moment où l’idée centrale de l’État est de construire une nation et non pas de l’ouvrir sur le monde.

Lamartine met finalement en place, sur les conseils du ministre Louis Blanc, un contrôle de l’économie par l’État avec un droit du travail et la création d’ateliers nationaux qui fournissent des emplois aux ouvriers sans activités. Opposé à cette idée, Hugo déclare à la Chambre : « La monarchie avait les oisifs, la République aura les fainéants » : penser que l’État peut payer des cent mille travailleurs est perçu comme la création d’un assistanat généralisé.

La fermeture de ces ateliers qui n’arrivaient pas à trouver du travail à tous les chômeurs en juin 1848 provoque des émeutes : le peuple parisien pensait que l’idée était bonne et refuse de se disperser. Les combats avec l’armée font 15 000 tués ou blessés dans les rues de Paris.


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Le mépris du peuple

La violence populaire trouve-t-elle son origine dans l’organisation du régime ? Tous les écrivains le pensent, et adhèrent, par une sorte de pensée magique, à une république idéale. Ils soutiennent donc à l’unanimité la révolution de février 1848 qui fait tomber la Monarchie parlementaire de Louis-Philippe, et se réjouissent de l’abdication de Napoléon III en 1870 qui crée la IIIe République.

Mais comment expliquer alors que quelques mois plus tard, en juillet 1848 puis en avril 1871, le peuple en arme se soulève contre la république ? Désemparés, les écrivains, à l’exception de Jules Vallès, passeront de la vision d’un peuple héroïque à un peuple dénaturé : les écrivains rejettent la possibilité de se révolter contre une république. « Nous ne dirons rien de leurs femelles par respect pour les femmes, à qui elles ressemblent quand elles sont mortes », lâche Alexandre Dumas-fils, « une stupide et cruelle brute ! » ajoute Joris-Karl Huysmans pour qualifier le peuple. Leconte de Lisle écrit à la poète José-Maria de Heredia : « La Commune ? Ce fut la ligue de tous les déclassés, de tous les incapables, de tous les envieux, de tous les assassins, de tous les voleurs, mauvais poètes, mauvais peintres, journalistes manqués, tenanciers de bas étage ». Et Alphonse Daudet conclut : « Des têtes de pions, collets crasseux, cheveux luisants, les toqués, les éleveurs d’escargots, les sauveurs du peuple, les déclassés, les tristes, les traînards, les incapables ; pourquoi les ouvriers se sont-ils mêlés de politique ? »

Barricade de la Chaussée Ménilmontant, le 18 mars 1871, pendant la Commune de Paris. Collection Musée Carnavalet
Barricade de la Chaussée Ménilmontant, le 18 mars 1871, pendant la Commune de Paris. Collection Musée Carnavalet.
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L’idée que le peuple, pauvre et inculte, puisse être le grand décideur de l’avenir de l’État heurte les consciences bourgeoises. Alexandre Dumas écrit d’ailleurs : « Ce qui fait l’avenir de la République, c’est justement ceci, qu’il lui reste beaucoup à faire dans l’avenir. Laissez-la donc d’abord être République bourgeoise ; puis, avec l’aide des années, elle deviendra République démocratique ; puis, avec l’aide des siècles, elle deviendra République sociale. »

Les écrivains qui soutinrent ouvertement les révoltes du peuple sont peu nombreux : le philosophe Pierre-Joseph Proudhon et le romancier Jules Vallès. Reste cependant une forme de bienveillance chez certains comme les Frères Goncourt qui se diront soulagés lorsque les exécutions de communards cessèrent ou Victor Hugo qui sera le premier à demander la grâce des émeutiers.

Le peuple devra encore attendre

Selon Jules Michelet, historien et professeur au Collège de France, le peuple est « barbare » parce qu’il est muet (sans droit de vote) et « enfant » car sans instruction, donc sans pensée claire. Mais la plupart des écrivains rejettent l’obligation à l’État de donner un suffrage universel et une instruction gratuite. « Quant au bon peuple, l’instruction « gratuite et obligatoire » l’achèvera » écrit Flaubert et « L’instruction gratuite et obligatoire n’y fera rien qu’augmenter le nombre des imbéciles. Le plus pressé est d’instruire les riches qui, en somme, sont les plus forts. »

En espérant donc que le peuple s’élève dans la richesse pour participer aux votes censitaires et dans l’éducation pour participer au monde des idées, il faut attendre pour lui donner la possibilité de la parole et des droits.

« Peuple, encore une fois, nous te demandons la patience !… » déclare Proudhon dans son « Manifeste du peuple » ; « La patience est faite d’espérance » écrit Hugo dans « Claude Gueux ») ; « s’enrégimenter tranquillement, se connaître, se réunir en syndicats, lorsque les lois le permettraient ; puis, le matin où l’on se sentirait les coudes, où l’on se trouverait des millions de travailleurs en face de quelques milliers de fainéants, prendre le pouvoir, être les maîtres. Ah ! quel réveil de vérité et de justice ! » programme Zola dans « Germinal » et « Le Comte de Monte-Cristo », comme un clin d’œil à l’époque, se termine par ces mots : « Attendre et espérer ».

The Conversation

Florent Montaclair ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Comment les écrivains du XIXᵉ siècle se sont engagés dans les débats politiques de leur temps – https://theconversation.com/comment-les-ecrivains-du-xix-siecle-se-sont-engages-dans-les-debats-politiques-de-leur-temps-254649

Sur la scène électro, publier un remix illégal peut booster une carrière…

Source: The Conversation – France (in French) – By Amandine Ody-Brasier, Associate Professor of Organizational Behavior, McGill University

Moins de 10% des DJs d’Electronic Dance Music sortent des remixes ne respectant pas le droit d’auteur Shutterstock

Dans la scène EDM – pour electronic dance music, un sous-genre de la musique électronique orienté clubs et festivals – publier un remix sans autorisation ni payer de droits d’auteur peut paradoxalement servir une carrière, même si la pratique est illégale. Une étude montre que ces remixes pirates (bootlegs) ne nuisent pas toujours à la réputation d’un DJ : tout dépend des intentions perçues.


Dans la plupart des secteurs, enfreindre la loi peut mettre fin à une carrière. Mais dans le monde de la musique électronique, et notamment dans la scène EDM, certaines formes d’illégalité peuvent avoir l’effet inverse.

Notre récente étude montre que les DJs qui publient des remixes illégaux – appelés bootlegs – augmentent leurs chances d’être engagés pour des concerts, mais à une condition : lorsque leur démarche est perçue comme bénéficiant à la communauté dans son ensemble, et pas comme une stratégie opportuniste.

La majorité des artistes EDM soutiennent et respectent le droit d’auteur. Ils savent que diffuser un remix en ligne sans l’autorisation du titulaire des droits est illégal. Ils reconnaissent aussi l’importance du respect du travail d’autrui, comme en témoignent les excuses publiques du DJ néerlandais Hardwell dans un conflit avec le groupe Swedish House Mafia au sujet de trois bootlegs.

Pourtant, dans la pratique, les bootlegs ne sont pas systématiquement condamnés, et peuvent même parfois être encouragés par la communauté.

Tous les « bootlegs » ne se valent pas

Nous avons analysé les parcours de près de 39 000 DJs répartis dans 97 pays entre 2007 et 2016, en suivant leur activité de production musicale et leurs performances en concert. Compte tenu des risques juridiques et de réputation, les remixes illégaux restent relativement rares : selon nos données, moins de 10 % des DJs EDM publient des bootlegs en ligne.

Mais ceux qui le font obtiennent en moyenne plus de dates de concerts que ceux qui se concentrent sur des remixes officiels ou des morceaux originaux.

Pour comprendre ce paradoxe, nous avons complété notre analyse par une enquête auprès d’experts, une expérience en ligne menée avec près de 900 fans d’EDM, et des entretiens avec 34 professionnels du secteur (DJs, organisateurs, producteurs…).

Mains de DJ
Le bootlegging désigne le remix, le montage ou la diffusion non autorisés d’un morceau, sans l’accord de l’artiste original ou du détenteur des droits.
(Shutterstock)

Fait intéressant, les bootlegs ne sont pas perçus comme plus créatifs, de meilleure qualité ou plus accrocheurs que les autres types de morceaux. Alors pourquoi certains DJs en tirent-ils des bénéfices ?

La réponse réside dans la manière dont la communauté EDM perçoit les intentions du bootlegger.

Quand le désintéressement paie

Nous avons constaté que les artistes considérés comme désintéressés – c’est-à-dire transgressant la loi pour contribuer à la communauté – étaient souvent récompensés, malgré l’illégalité de leur geste.

Lorsqu’un bootleg est vu comme un hommage à un pair, un « cadeau » aux fans ou un moyen de faire revivre un titre culte, cela suscite un soutien communautaire. Concrètement, d’autres membres de la scène EDM peuvent alors offrir à l’artiste davantage d’opportunités de jouer en concert ou d’assurer des premières parties.

Ainsi, partager un bootleg en ligne augmente le nombre de prestations mensuelles en première partie de 4,4 % – soit deux fois plus que la sortie d’un remix officiel ou d’un morceau original.

C’est ce qui explique certaines trajectoires inattendues, comme celle du jeune DJ Imanbek Zeikenov, qui a remixé « Roses » de Saint Jhn sans autorisation en 2019 et l’a publié en ligne.

La communauté EDM a accueilli ce remix avec enthousiasme, propulsant la carrière de Zeikenov. Il est aujourd’hui un artiste reconnu et a même assuré la première partie de Saint Jhn, l’artiste original.

Cela montre que la scène EDM valorise fortement les actes perçus comme désintéressés. À l’inverse, quand un bootleg semble opportuniste, l’enthousiasme s’éteint rapidement.

Un bootlegger perçu comme intéressé peut ainsi voir ses opportunités chuter de 10 %.


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Les normes informelles priment parfois sur la loi

Dans de nombreuses communautés professionnelles, des normes informelles coexistent avec la législation. En général, plus la loi s’aligne avec les valeurs du milieu, plus elle est appliquée avec rigueur.

Mais dans des cas plus ambigus, la conformité devient discrétionnaire : c’est alors à la communauté d’interpréter les actes illégaux et de décider si elle les sanctionne ou non.

Dans l’EDM, bien que le droit d’auteur existe, il n’est pas toujours appliqué à la lettre. Ce vide est comblé par des normes professionnelles implicites : des règles tacites sur le remix, la collaboration ou le crédit.

Comme le montre notre étude, cette zone grise a permis l’émergence d’un système dans lequel certains artistes peuvent enfreindre la loi… tout en recevant le soutien de leurs pairs – à condition que leurs intentions soient perçues comme altruistes et bénéfiques à la communauté.

Enfreindre les règles, mais pour de bonnes raisons

Il est essentiel de rappeler que les artistes EDM ne promeuvent pas l’illégalité en tant que telle. Les DJs interrogés décrivent le bootlegging comme une pratique de nécessité, née du manque de moyens pour négocier les droits.

Dans ce milieu, le soutien dépend moins du respect strict de la loi que de la perception de l’intention. Pour les DJs émergents, cela crée un équilibre délicat : enfreindre la loi reste risqué, mais dans certains cas, cela peut paradoxalement ouvrir la voie à une carrière reconnue.

Et ce phénomène ne se limite pas à la musique. D’autres professions créatives où le désintéressement est valorisé peuvent suivre la même logique. Le monde académique ou celui des technologies en offrent des exemples. Ainsi, une violation de brevet en biotechnologie peut être jugée différemment, au moins en partie, en fonction des intentions perçues du chercheur.

En fin de compte, ce sont les motivations attribuées à l’acte qui déterminent s’il est toléré, ignoré… ou même récompensé. Parfois, enfreindre la loi peut ainsi être une rampe de lancement – à condition de le faire pour les bonnes raisons.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Sur la scène électro, publier un remix illégal peut booster une carrière… – https://theconversation.com/sur-la-scene-electro-publier-un-remix-illegal-peut-booster-une-carriere-255059

« Tourists go home » : Barcelone, Naples, Lisbonne… le sud de l’Europe en révolte contre le surtourisme

Source: The Conversation – France (in French) – By Claudio Milano, Researcher, Lecturer and Consultant, Universitat de Barcelona

Les graffitis anti-touristes sont devenus courants dans de nombreuses villes d’Espagne. Jon LC/Shutterstock

Le 15 juin, plusieurs villes du sud de l’Europe seront le théâtre d’une journée de mobilisations coordonnées contre la « touristification » de leurs territoires. À Barcelone, Lisbonne, Naples ou aux Canaries, le tourisme de masse remodèle les espaces urbains, souvent au détriment des communautés locales. Ces manifestations reflètent des tensions croissantes entre les dynamiques de touristification et une opposition locale de plus en plus audible.


Si Barcelone est devenue un symbole de la résistance sociale aux effets négatifs d’un tourisme prédateur et extractif, elle est loin d’être seule. Ces douze derniers mois, des destinations comme les îles Canaries, Málaga ou encore les Baléares ont également connu des mobilisations massives contre les excès du tourisme.

La lassitude est palpable, et elle s’écrit même sur les murs : les appartements touristiques recouverts de graffitis « tourists go home » (les touristes dehors) sont désormais un paysage familier dans bien des villes espagnoles. Ce ne sont pourtant pas les touristes individuellement qui sont mis en cause, mais bien une dépendance excessive au tourisme, qui a progressivement chassé de nombreux habitants de leurs logements et de leurs quartiers.

Comment en est-on arrivé là ? Après la levée des restrictions liées au Covid-19, le tourisme international a rebondi avec force dans de nombreuses villes méditerranéennes. Ce retour massif nourrit une exaspération grandissante au sein de la population locale, confrontée à une transformation urbaine vécue à ses dépens.

a mural painted on a city street with people walking past
Fresque de l’artiste Elías Taño dans le quartier central d’El Carmen à Valence (Espagne), arborant un autre slogan courant : « +1 turista = -1 veïna » (un touriste de plus = une voisine de moins).
Nicolas Vigier

Les habitants sont notamment préoccupés par des pénuries de logements, la précarité de l’emploi liée au tourisme, ou l’impact environnemental. À Barcelone, la privatisation des espaces publics est aussi au cœur des critiques, exacerbée par des événements de prestige comme l’America’s Cup ou le Grand Prix de Formule 1, dont les retombées profitent peu aux habitants.

Cette fronde traduit un ras-le-bol généralisé, qu’on ne peut plus balayer d’un revers de main comme s’il s’agissait d’un simple caprice ou de « NIMBYisme » (Not In My Back Yard : « Pas de ça chez moi », attitude qui consiste à approuver un projet s’il se fait ailleurs, mais à le refuser s’il est à proximité de son lieu de résidence, ndlr). Cette contestation met en lumière des inégalités structurelles profondes, des conflits autour de l’espace urbain, de la justice sociale et des rapports de pouvoir qui nourrissent la croissance incontrôlée du secteur touristique.

Un militantisme en mutation

Le militantisme anti-tourisme à Barcelone remonte au milieu des années 2010, quand des quartiers comme la Barceloneta ont commencé à contester le rôle du tourisme dans la gentrification et les déplacements de population. Depuis, des collectifs comme l’Assemblée des quartiers pour la décroissance touristique (ABDT) dénoncent les politiques publiques qui renforcent la dépendance à l’économie touristique.

L’ABDT préfère d’ailleurs parler de touristification plutôt que de surtourisme. Selon eux, le terme surtourisme tend à dépolitiser le débat, en le réduisant à une question de volume de visiteurs. Le cœur du problème, affirment-ils, tient aux inégalités systémiques liées à l’accumulation capitaliste, à la nature extractive du tourisme, et à un modèle qui capte la richesse collective au profit d’intérêts privés.

Ce qui distingue cette nouvelle vague de militantisme, c’est le passage de l’opposition frontale à l’élaboration de propositions concrètes. Lors d’une grande manifestation en juillet 2024 à Barcelone, les militants ont ainsi présenté un manifeste appelant à réduire la dépendance économique au tourisme, et à engager une transition vers une économie éco-sociale.

Des propositions concrètes

Parmi leurs revendications : mettre fin aux subventions publiques destinées à la promotion touristique, encadrer la location de courte durée pour lutter contre la perte de logements, réduire le trafic de croisières, et améliorer les conditions de travail par des salaires décents et des horaires stables. Le manifeste plaide aussi pour diversifier l’économie, reconvertir les infrastructures touristiques à des usages sociaux, et développer des dispositifs de soutien aux travailleurs précaires.

Le manifeste en 13 points de l’ABDT.
Milano et al. 2024

Le week-end du 27 avril 2025, le réseau Europe du Sud contre la touristification s’est réuni à Barcelone pour établir une feuille de route politique commune. C’est là qu’a été prévue la manifestation coordonnée dans plusieurs villes d’Europe du Sud du 15 juin 2025.

Les plus précaires particulièrement touchés

Les militants anti-tourisme sont souvent accusés de tourismophobie ou de NIMBYisme.

Ces critiques ignorent pourtant que les économies centrées sur le tourisme touchent surtout les groupes marginalisés : locataires précaires, travailleurs saisonniers, migrants, jeunes en difficulté. Les mouvements sociaux des villes méditerranéennes ont intégré cette dimension, élargissant leur lutte au-delà du tourisme pour y inclure les enjeux du logement, du travail, du climat et de la défense de l’espace public.

Ils affrontent ainsi les effets croisés de la touristification : division sociale du travail, inégalités de genre, concentration du capital. Et démontrent, par leur action, qu’une grande partie des habitants souhaitent aujourd’hui privilégier le bien-être collectif plutôt que la croissance économique.

Universitaires et responsables politiques à la traîne

Tant les chercheurs que les décideurs publics peinent à répondre aux revendications des manifestants. De nombreuses études s’intéressent à la gestion des flux touristiques, au tourisme durable, ou à ses potentiels émancipateurs. Mais rares sont celles qui prennent au sérieux les vécus des résidents, ou analysent comment ce secteur génère de la précarité, de l’exclusion et des inégalités environnementales.

Les politiques publiques se limitent le plus souvent à gérer les flux ou les transports, sans remettre en cause la croissance touristique ni les déséquilibres de pouvoir. Ce traitement superficiel ne fait qu’entretenir les causes profondes des tensions actuelles.

Au-delà de l’impact sur les villes, la précarité du travail dans le tourisme reste centrale. Nombre d’emplois sont mal rémunérés, instables et saisonniers. Tandis que les institutions internationales vantent les bienfaits du tourisme sur l’emploi, la question « Quels types d’emplois ? » reste trop souvent éludée.

Pour l’avenir, une recherche plus ancrée dans le réel est nécessaire : intersectionnelle, ethnographique, et sur le temps long. C’est à cette condition qu’on pourra éclairer l’action publique et rompre avec la logique prédatrice et productiviste qui attise les inégalités sociales.

Il ne faut plus voir ces mobilisations comme de simples nuisances localisées, mais comme les symptômes d’une lutte plus vaste pour la justice sociale. Elles démontrent qu’il est possible d’élaborer, collectivement, des alternatives centrées sur les besoins des habitants plutôt que sur la croissance à tout prix.

Repenser le tourisme urbain, c’est repenser la ville comme un espace de vie digne pour ses habitants – pas uniquement comme un décor pour visiteurs. Pour cela, il faut s’attaquer aux inégalités qui sont au cœur des processus de touristification.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. « Tourists go home » : Barcelone, Naples, Lisbonne… le sud de l’Europe en révolte contre le surtourisme – https://theconversation.com/tourists-go-home-barcelone-naples-lisbonne-le-sud-de-leurope-en-revolte-contre-le-surtourisme-258489

La pilule, première méthode de contraception en France, mais pas dans le monde

Source: The Conversation – France in French (2) – By Gilles Pison, Anthropologue et démographe, professeur au Muséum national d’histoire naturelle et chercheur associé à l’INED, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)

Pilule contraceptive Wikipedia, CC BY

Après le vote il y a 50 ans de la loi Neuwirth autorisant la contraception, la pilule est devenue très vite la première méthode contraceptive en France. Malgré la controverse sur les pilules de nouvelles générations en 2012 qui a entraîné son léger recul, cette méthode reste la plus courante : près d’une Française sur deux ne souhaitant pas être enceinte l’utilise. Est-ce aussi le cas dans les autres pays du monde ? Quelles méthodes sont utilisées ailleurs ?

De nos jours, la plupart des couples ont le nombre d’enfants qu’ils veulent et quand ils le veulent. En 2015, près de deux sur trois dans le monde utilisent une méthode de contraception, comme le montre la figure ci-dessous. Le tiers restant soit s’apprête à avoir un enfant – la femme est enceinte – soit souhaite en avoir un prochainement, soit ne le souhaite pas mais ne se protège pas. La contraception est répandue presque partout dans le monde à l’exception de l’Afrique où elle n’est encore utilisée que par un tiers des femmes âgées de 15 à 49 ans mariées ou en union. Elle est beaucoup utilisée en Afrique du Nord et en Afrique australe, mais c’est en Afrique intertropicale qu’elle l’est peu, seulement une femme sur quatre y ayant recours.

La contraception dans le monde et les différents continents en 2015.
Gilles Pison à partir de données ONU, CC BY

Stérilisation : majoritaire dans le monde, mais en baisse

Les méthodes de contraception les plus utilisées dans le monde sont, par ordre d’importance, la stérilisation (dans 34 % des cas), le stérilet (22 %), la pilule contraceptive (14 %), le préservatif (12 %), et l’injection ou l’implant hormonal (8 %). Parmi les autres méthodes moins utilisées, on trouve le retrait et l’abstinence périodique.

La stérilisation a cependant un peu reculé au cours des vingt dernières années, à la fois du côté féminin et masculin – 33 % des femmes ne souhaitant pas être enceintes et se protégeant pour cela avaient recours à la stérilisation féminine en 1994, contre 30 % en 2015. La stérilisation masculine, beaucoup moins fréquente déjà il y a 20 ans, a encore diminué – 8 % de couples en 1994, contre 4 % en 2015. Le recul de la stérilisation s’est fait au profit principalement du préservatif, dont l’usage a été promu pour lutter contre l’épidémie de sida, et des méthodes hormonales, notamment l’injection, utilisée par 2 % des femmes en 1994 et 7 % en 2015. Ces évolutions reflètent pour partie l’évolution de la population d’utilisatrices à l’échelle mondiale, qui compte une part croissante de femmes d’Afrique subsaharienne, la population de cette région étant celle qui a augmenté le plus, et le recours à la contraception y étant à la hausse. Or l’injection hormonale et le préservatif sont des méthodes répandues en Afrique subsaharienne, contrairement à la stérilisation qui est peu pratiquée.

Des modes variables d’un pays à l’autre

D’un pays à l’autre les méthodes de contraception varient beaucoup, comme on peut le voir sur la figure ci-dessous.

Les méthodes de contraception dans le monde et dans une sélection de pays en 2015 (les pays sont classés par importance décroissante de la stérilisation).
Gilles Pison à partir de données ONU, CC BY

En France, la pilule domine, près de la moitié des femmes l’utilisant comme déjà mentionné. Viennent ensuite le stérilet, utilisé par un quart des femmes, puis le préservatif (10 %). La stérilisation ne concerne que 6 % des couples ne souhaitant pas avoir d’enfant – dans un cas sur cinq c’est l’homme qui est stérilisé, dans quatre cas sur cinq, c’est la femme. Les méthodes utilisées en France n’ont guère changé au cours des 20 dernières années mis à part l’importance accrue du préservatif en lien avec l’épidémie de sida, et un léger recul de la pilule au profit des autres méthodes depuis 2012.

En Inde, la stérilisation est la principale méthode de limitation des naissances. Elle est utilisée par les deux tiers des couples qui ne veulent pas d’enfants. La plupart du temps, c’est la femme qui est stérilisée, alors qu’il y a plusieurs dizaines d’années, seule la moitié des couples stérilisés était dans ce cas, l’homme étant stérilisé dans l’autre moitié des cas. La pilule et le stérilet sont très peu utilisés.

En Chine, la stérilisation est très utilisée, comme en Inde. Six fois sur sept, c’est la femme qui est stérilisée, et une fois sur sept, c’est l’homme. Mais les Chinoises utilisent encore plus le stérilet : un sur deux portés dans le monde l’est par une Chinoise. Par contre, elles utilisent très peu la pilule.

Au Brésil, la stérilisation est la première méthode, comme en Inde, et ce sont également les femmes qui sont stérilisées, beaucoup de maris refusant de l’être, comme dans presque tous les pays latins. La deuxième méthode est la pilule contraceptive. Le stérilet est pratiquement inconnu.

Et d’autres méthodes

En Égypte, contrairement à la situation en Inde, en Chine ou au Brésil, la stérilisation est peu fréquente et la principale méthode de contraception est le stérilet. La pilule est également utilisée, ainsi que l’injection. Comprenant des hormones proches de la progestérone, et répétée tous les trois mois, elle a une action analogue à la pilule contraceptive.

En Indonésie, comme en Égypte, la stérilisation est peu fréquente et la pilule relativement diffusée. Mais la méthode la plus fréquente est l’injection, utilisée par la moitié des femmes ne souhaitant pas être enceintes.

En Haïti la situation est similaire à celle de l’Indonésie avec une domination encore plus forte de l’injection : elle est utilisée par deux Haïtiennes ne souhaitant pas être enceintes sur trois.

Au Kenya, les méthodes hormonales autres que la pilule sont également utilisées par les deux tiers des femmes se protégeant, mais elles recourent à l’injection dans seulement deux cas sur trois, choisissant l’implant dans un cas sur trois. Petit bâtonnet implanté sous la peau et remplacé tous les trois ans, il contient des hormones proches de la progestérone qui diffusent de façon lente et continue dans le corps et ont une action analogue à celle de la pilule contraceptive.

En Algérie, presque toute la contraception repose sur la pilule, huit femmes ne souhaitant pas être enceintes sur dix l’utilisant, la plus forte proportion au monde. La proportion est très élevée aussi au Maroc où trois femmes sur quatre l’utilisent.

Au Japon, la méthode de contraception préférée est le préservatif : les Japonais en sont les plus gros consommateurs au monde. En revanche, la pilule n’est pratiquement pas utilisée, et le stérilet non plus. Ils sont considérés comme dangereux.

Cette revue de la situation dans quelques pays illustre combien les usages varient dans le monde en matière de contraception.

Les datavisualisations de cet article ont été réalisées par Marie Simon.

The Conversation

Gilles Pison ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. La pilule, première méthode de contraception en France, mais pas dans le monde – https://theconversation.com/la-pilule-premiere-methode-de-contraception-en-france-mais-pas-dans-le-monde-89207

Climat des affaires : optimisme record en Europe

Source: The Conversation – France in French (2) – By Philippe Dupuy, Professeur Associé au département Gestion, Droit et Finance, Grenoble École de Management (GEM)

Les niveaux enregistrés aussi bien en Europe qu’aux États-Unis permettent d’anticiper un maintien de la croissance économique sur des niveaux relativement importants. Pixabay, CC BY

Grenoble École de Management et l’association des Directeurs financiers et des contrôleurs de gestion (DFCG) recueillent chaque trimestre l’avis des responsables financiers français. Les résultats sont agrégés au niveau mondial par un réseau d’universités coordonnées par Duke University aux États-Unis. Pour le quatrième trimestre 2017, l’enquête s’est déroulée du 21 novembre au 7 décembre 2017.


Notre indicateur de climat des affaires s’inscrit, à nouveau, en hausse en Europe ce trimestre pour atteindre 66,9 contre 63,4 au trimestre précédent sur une échelle de zéro à cent. C’est le plus haut niveau que nous avons observé depuis l’origine de notre série en 2002. Le précédent point haut datait de décembre 2006 (66,3). Sur un an glissant, l’indicateur enregistre un bond de plus de 10 points (56,6 en décembre 2017). Il est essentiellement tiré par l’Allemagne (78,6) et la France (64,5) mais il est frappant de constater que pour la première fois depuis la crise de 2008, l’ensemble des pays pour lesquels nous avons des données dépasse le niveau de 55 et affiche un niveau d’optimisme compatible avec une croissance économique soutenue.

Néanmoins, certains pays restent à la traîne. C’est le cas du Royaume-Uni, qui ferme la marche avec un niveau d’optimisme de 58, soit près de 9 points en deçà de la moyenne de ses voisins européens. Nous observons cet écart défavorable à l’économie britannique depuis le vote du Brexit en juin 2016. Il est important néanmoins de noter que nous n’avons pas de données pour la Grèce pour ce trimestre, pays qui affiche généralement les plus bas niveaux d’optimisme selon notre indicateur.

Aux États-Unis, le climat des affaires reste encore très favorable à la croissance : il s’établit à 68,6 contre 65,9 au trimestre précédent. Ces niveaux restent cependant en deçà du point le plus élevé que nous observons sur l’ensemble de la série : 73,6 en mars 2004. Il est important de noter que les niveaux enregistrés aussi bien en Europe qu’aux États-Unis permettent d’anticiper un maintien de la croissance économique sur des niveaux relativement importants. Mais l’Europe a désormais rattrapé le retard cyclique de quelques trimestres régulièrement observé par le passé. La fermeture de cet écart pourrait indiquer un ralentissement de la progression des climats des affaires dans les deux zones pour les trimestres à venir.

Dans le reste du monde, le climat des affaires continue aussi de s’améliorer. En Amérique latine, nous enregistrons un optimisme moyen de 73 avec notamment 71 au Pérou et au Mexique. Au Brésil, le climat des affaires semble désormais stabilisé sur des niveaux permettant une accélération de la croissance (61). Seul point noir de notre tableau : l’Équateur, qui affiche un optimisme extrêmement faible à seulement 28.

En Asie, le climat moyen des affaires fait un bond de 6 points environ pour atteindre 66,0 contre 60,2 au trimestre précédent. L’ensemble des pays pour lesquels nous recueillons des données se situe au-dessus de 50, c’est-à-dire sur des niveaux favorables à une croissance de l’activité. Enfin, en Afrique, les indicateurs de climat des affaires continuent de s’améliorer pour atteindre 53 contre 52 au trimestre précédent.

Accélération de l’innovation

Pour ce trimestre, nous avons demandé aux responsables financiers des entreprises d’évaluer l’impact des innovations sur leur activité. Les résultats montrent que 52,4 % des entreprises en Europe observent une accélération du rythme des innovations depuis trois ans. C’est particulièrement le cas pour les grandes entreprises du secteur de la finance (75 %) et de la technologie (79 %). En revanche, lorsqu’il s’agit du commerce aux détails, l’accélération des innovations n’est perçue que par 25 % des entreprises. C’est en Allemagne que les entreprises ont très majoritairement répondu « oui » à cette question (82,6 %) et c’est d’ailleurs en Allemagne que l’effort d’adaptation apparaît comme le plus important. Ainsi, 94,7 % des entreprises d’outre-Rhin déclarent augmenter leurs investissements et 78,9 % les budgets de R&D pour faire face à cette accélération.

En France, la perception est bien plus mesurée puisque seules 37 % des entreprises semblent devoir faire face à une accélération des innovations. En réaction, en France, seules 76,5 % des entreprises augmentent les dépenses d’investissement et 52,9 % font un effort en termes de R&D. En comparaison, aux États-Unis, 66 % des entreprises constatent une accélération des innovations et répondent par plus d’investissement (76 %) et plus de R&D (46 %).

Néanmoins, de manière rassurante, nous n’observons pas d’emballement des comportements face à l’accélération des innovations. Ainsi, en Europe, peu d’entreprises cherchent à s’engager dans des projets plus risqués. Elles sont également peu nombreuses à réduire leur horizon de gestion, voire à changer leurs méthodes de travail. Ce n’est pas tout à fait le cas aux États-Unis où 63 % des entreprises déclarent gérer leurs opérations à plus court terme et 31 % indiquent choisir des projets plus risqués.

Équilibre vie professionnelle/vie personnelle

Pour ce trimestre, nous avons également interrogé les responsables financiers quant à l’équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie personnelle. La majorité d’entre eux nous ont indiqué vouloir diminuer leur temps de travail, et ce d’ailleurs quel que soit le volume de celui-ci aujourd’hui. De manière surprenante, c’est en Europe continentale et dans certains pays d’Asie que le volume horaire quotidien semble le plus important, en particulier dans les grandes entreprises.

Par exemple en France, un responsable financier consacrerait selon nos observations 75 % de son temps « d’éveil » quotidien à l’activité professionnelle, soit environ 60 à 65 heures par semaines. Paradoxalement, dans la sphère anglo-américaine, ce temps professionnel n’occuperait que 66 % du temps d’éveil pour un total d’environ 55 heures par semaine à temps de sommeil égal. Pour combler cet écart, il faudrait qu’un responsable financier américain dorme 2h30 de moins que son équivalent français chaque jour ! C’est bien entendu la prise en compte du nombre de jours travaillés qui permet de rétablir la balance, les jours de congé étant plus nombreux en Europe continentale… Mais encore faut-il pouvoir les prendre !


L’enquête Duke University–Grenoble École de Management mesure chaque trimestre depuis plus de 20 ans le climat des affaires tel que perçu par les responsables financiers des entreprises à travers le monde. L’enquête est courte (environ 10 questions). Elle recueille plus de 1 200 réponses anonymes d’entreprises de tous secteurs et de toutes tailles. C’est désormais la plus grande enquête de ce type dans le monde. Une analyse détaillée par pays peut être envoyée à chaque participant.

Les datavisualisations de cet article ont été réalisées par Diane Frances.

The Conversation

Philippe Dupuy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Climat des affaires : optimisme record en Europe – https://theconversation.com/climat-des-affaires-optimisme-record-en-europe-89417

70, 80 et 90 : dites-moi comment vous les prononcez, je vous dirai qui vous êtes

Source: The Conversation – France in French (2) – By Mathieu Avanzi, Linguiste et spécialiste des français régionaux, Université catholique de Louvain (UCLouvain)

La façon de prononcer ce chiffre peut en dire plus sur vous que vous ne le pensez. Andy Maguire/Flickr, CC BY-SA

En français, l’expression des adjectifs cardinaux 70, 80 et 90 du français n’est pas régulière, contrairement à ce que l’on peut observer dans la plupart des autres langues d’origine indo-européenne (notamment le latin, dont le français est une des langues « filles »). Alors que certaines formes relèvent du système décimal (où septante = 7*10, huitante/octante = 8*10, nonante = 9*10), d’autres relèvent du système vigésimal (où quatre-vingt = 4*20, quatre-vingt-dix = 4*20+10) et d’autres encore de la combinaison des deux systèmes (voir soixante-dix = 6*10+10).

Le système vigésimal

Les origines du système vigésimal sont largement débattues par les spécialistes (certains affirment que ce sont les Gaulois qui comptaient sur une base de vingt ; d’aucuns ont pourtant rappelé que le système était connu dans des civilisations antérieures aux Gaulois ; pour d’autres il pourrait s’agir d’une innovation gallo-romaine, qui ne doit rien aux civilisations antérieures), et il n’est pas possible de trancher en faveur de l’une ou de l’autre hypothèse.

Quant à l’évolution de la concurrence entre formes vigésimales et formes décimales dans l’histoire du français, elle est fort complexe. Disons pour faire simple que dans l’état actuel de nos connaissances, tout porte à croire que le système vigésimal était naguère bien plus répandu qu’il ne l’est aujourd’hui (on trouve dans des textes plus ou moins anciens les formes « trois vingts » pour 60, « trois vingt dix pour 70 », « sept vingt » pour 140, « quatorze vingt » pour 280, pour ne citer que les combinaisons les plus fréquentes. Un exemple historique est celui de l’hôpital des Quinze-Vingts à Paris, nommé ainsi par Louis IX car il s’agissait d’un hospice qui contenait à l’origine 300 lits.

On sait aussi que les formes en -ante ont connu leur période de gloire aux XVIe et XVIIe siècle (elles étaient moins fréquentes au cours des siècles précédents et suivants), mais que même à cette époque, elles n’ont jamais été plus fréquentes dans les textes que leurs concurrents relevant du système vigésimal.

Pour la période moderne, les données enregistrées par les auteurs de l’Atlas linguistique de la France, publié entre 1902 et 1910 et les données récoltées par les linguistes animant le blog Français de nos régions (récemment publiées dans l’Atlas du français de nos régions aux éditions Armand Colin) nous permettent de documenter avec un peu plus de précision l’évolution des formes à la fin du XIXe et au début du XXIe siècles.

Septante et nonante

Les dénominations des cardinaux 70 et 90 à la fin du XIXe siècle et au début du XXIe siècle.

Faites glisser les cartes pour passer entre la fin du XIXe siècle et le début du XXIe siècle.

La comparaison des deux cartes permet de montrer qu’au XXIe siècle, les formes septante et nonante ne sont quasiment plus employées en France (si ce n’est dans quelques villages localisés à la frontière avec la Suisse romande), mais qu’il n’en a pourtant pas toujours été ainsi. À la fin du XIXe siècle, le système décimal était (encore) le système de référence dans les dialectes parlés sur un large croissant à l’est du territoire, dont les pointes se situent en Belgique et dans l’extrême sud-ouest de l’Hexagone (l’existence d’attestations isolées dans les îles anglo-normandes et en Bretagne laisse même penser que le système décimal était jadis connu sur un territoire plus grand).

Huitante et octante

Les dénominations du cardinal 80 à la fin du e siècle et au début du XXIe siècle. Faites glisser les cartes pour passer entre les deux périodes.

Faites glisser les cartes pour passer entre la fin du e siècle et le début du XXIe siècle.

Quant aux dénominations du cardinal 80, les données révèlent que contrairement à un préjugé relativement bien ancré (qui trouve notamment ses origines dans de nombreux dictionnaires de référence, comme le Trésor de la Langue Française informatisé ou l’une des nombreuses éditions du Petit Larousse, la forme octante n’est employée par à peu près personne, que ce soit dans les dialectes de la fin du XIXe siècle ou dans les français régionaux du XXIe siècle. Les données montrent que ce sont plutôt les formes huitante et ses variantes qui sont le plus répandues après quatre-vingts, et ce peu importe l’époque. Cela étant dit, on constate comme c’était le cas pour 70 et 90 que les dénominations relevant du décimal de 80 ont aujourd’hui disparu en France et ne survivent qu’en Suisse (plus précisément dans les cantons de Vaud et de Fribourg, et en concurrence avec quatre-vingts dans le canton du Valais).

Le rôle de l’école

Suivant le programme des Instructions officielles de 1945 pour le calcul, l’arithmétique et la géométrie à l’école primaire, certains instituteurs ont préconisé l’apprentissage des formes septante, octante et nonante pour faciliter l’apprentissage du calcul aux petits Français (différents éléments nous laissent penser que cette pratique avait encore cours dans les années 1960.

De fait, tout porte à croire que si ces régionalismes ne sont aujourd’hui presque plus utilisés en France, mais qu’ils se maintiennent en Suisse et en Belgique, c’est en raison principalement de systèmes éducatifs autonomes et distincts (aujourd’hui, plus aucun petit Français n’apprend que 70 et 90 se disent septante et nonante, contrairement à ce qui se passe en Belgique ou en Suisse).

The Conversation

Mathieu Avanzi est actuellement employé par le Fonds National de la Recherche Scientifique.

ref. 70, 80 et 90 : dites-moi comment vous les prononcez, je vous dirai qui vous êtes – https://theconversation.com/70-80-et-90-dites-moi-comment-vous-les-prononcez-je-vous-dirai-qui-vous-etes-87387

Taille, longévité, PIB : l’humanité a stagné pendant la majeure partie de son histoire

Source: The Conversation – France in French (2) – By David de la Croix, Professeur d’économie, Université catholique de Louvain (UCLouvain)

Le constat selon lequel le niveau de vie a stagné jusqu’en 1820 est-il vraiment fiable ? Uroš Jovičić/Unsplash, CC BY

Mesurer la croissance économique n’est pas une tâche facile, en particulier concernant les périodes pour lesquelles nous disposons de peu d’informations. Après la Seconde Guerre mondiale, des comptes nationaux uniformisés ont été établis dans la plupart des pays. Ils fournissent différents moyens de mesurer la production globale – le produit intérieur brut (PIB) – soit en additionnant les valeurs ajoutées de tous les secteurs de production, soit en additionnant tous les revenus distribués par ces secteurs.

À partir d’un vaste ensemble d’études historiques, l’économiste britannique Angus Maddison a proposé en 2003 des données sur le PIB par habitant au cours des deux derniers siècles, et ajouté quelques estimations ponctuelles pour les périodes antérieures. De telles estimations sont souvent critiquées, car elles se basent sur des suppositions éclairées, fondées elles-mêmes sur des tendances historiques très souvent non quantifiables. Elles ont toutefois le grand mérite de fournir les meilleures données possible compte tenu de l’information disponible à un moment donné.

Dix ans plus tard, en 2013, les économistes Jutta Bolt et Jan Luiten van Zanden ont révisé et complété le travail de Maddison en poursuivant le « Maddison Project ». Le graphique ci-dessous présente leurs estimations de l’évolution du PIB par habitant pour quelques pays développés.

Au cours du dernier millénaire, le revenu par habitant dans les pays sélectionnés a été multiplié par 32, passant de 717 dollars par personne et par année autour de l’an 1000 à 23 086 dollars en 2010. Cela contraste fortement avec le millénaire précédent, qui n’a connu quasiment aucune progression.

Les courbes montrent que le PIB a commencé à grimper autour de l’année 1820 et que ce taux d’augmentation constante s’est maintenu au cours des deux derniers siècles. L’un des principaux défis de la théorie de la croissance économique consiste à comprendre cette transition entre stagnation et croissance, et plus spécifiquement d’identifier le(s) principal(aux) facteur(s) qui ont déclenché ce décollage.

Alors, le constat selon lequel le niveau de vie a stagné jusqu’en 1820 est-il vraiment fiable ? Cette question est particulièrement légitime, étant donné que l’humanité a connu d’importantes avancées technologiques – de la révolution néolithique (invention de l’agriculture) à l’invention de l’imprimerie à caractères mobiles – qui auraient pu accroître la productivité et le revenu par personne.

Deux faits corroborent l’idée qu’il y a bien eu une stagnation pendant la plus grande partie de l’histoire de l’humanité. Premièrement, les estimations de la longévité calculées sur des groupes spécifiques à travers le temps et l’espace ne montrent guère de variation avant 1700. En 2015, Omar Licandro et moi-même avons ainsi montré, en construisant une base de données répertoriant 300 000 personnes célèbres, qu’il n’y avait pas eu d’évolution de l’âge moyen au décès pendant la majeure partie de l’histoire humaine, confirmant l’existence d’une époque de stagnation malthusienne. En effet, si le niveau de vie avait augmenté régulièrement au cours de l’histoire, on aurait dû observer un accroissement de la longévité humaine, du moins jusqu’à un certain point.

Deuxièmement, la taille humaine calculée à partir des restes de squelettes existants ne montre pas non plus de progression. C’est ce qu’ont découvert la chercheuse en médecine évolutionniste Nikola Koepke et l’économiste Joerg Baten en 2005. La taille d’un adulte dépendant beaucoup de sa nutrition pendant sa jeunesse, cela indique qu’il n’y a pas eu d’amélioration systématique de la nutrition au fil du temps. Il faut attendre le XIXe siècle pour observer une évolution de la taille, comme en témoignent les données soigneusement récoltées par l’armée suédoise à propos de la taille de ses soldats.

Les trois mesures du niveau de vie proposées ici – PIB par habitant, taille et longévité – vont donc dans le même sens : celui d’une stagnation pendant la majeure partie de l’histoire de l’humanité. La croissance économique dont nous bénéficions, avec notamment ses effets positifs sur le niveau de vie mais aussi négatifs sur l’environnement, est donc un phénomène inédit et récent à l’échelle de l’histoire.


Ce billet fait partie d’une série de contributions issues du panel international sur le progrès social, une initiative universitaire internationale réunissant 300 chercheurs et universitaires – toutes sciences sociales et sciences humaines confondues – qui préparent un rapport sur les perspectives de progrès social pour le XXIe siècle. En partenariat avec The Conversation France, ces articles proposent un aperçu exclusif du contenu du rapport et des recherches de ses auteurs.

Les datavisualisations et la traduction de l’anglais ont été réalisées par Diane Frances.

The Conversation

David de la Croix receives funding from the French speaking community of Belgium (ARC project 15/19-063 on “family transformations, incentives and norms”).

ref. Taille, longévité, PIB : l’humanité a stagné pendant la majeure partie de son histoire – https://theconversation.com/taille-longevite-pib-lhumanite-a-stagne-pendant-la-majeure-partie-de-son-histoire-90433