Rater mieux, rater encore plus mal : l’art du kitsch

Source: The Conversation – France (in French) – By Franz Johansson, Docteur en Littérature française, Sorbonne Université

Aussi indéfinissable qu’insaisissable, le kitsch prolifère partout, des musées les plus prestigieux aux vide-greniers. Une consécration paradoxale pour un phénomène dont l’essence même est son caractère commun.


Vieille d’un siècle et demi – si on la fait commencer avec l’apparition du mot lui-même, dans la deuxième moitié du XIXᵉ siècle, l’histoire du kitsch est celle d’une irrésistible extension dont, en 1939, le critique américain Clement Greenberg annonçait le caractère impérieux (et impérialiste) :

« Il a effectué un tour du monde triomphal, envahissant et défigurant les cultures particulières de chacun des pays qu’il a successivement colonisés ; il est en train de s’imposer comme une culture universelle, la première culture universelle qui ait jamais existé. »

Elle est aussi, depuis un quart de siècle notamment, celle d’une ascension non moins spectaculaire, lui ayant permis d’accéder aux lieux les plus prestigieux. Dans les expositions Pierre et Gilles au Jeu de Paume (2007) ou Takashi Murakami au château de Versailles (2010) se montre un kitsch débarrassé de tout relent de marginalité, géographique, sociale ou artistique. Le succès de Jeff Koons – détenant le titre d’artiste vivant le plus cher de l’histoire – est peut-être l’indice le plus certain d’un triomphe envahissant, insolent parfois, du kitsch.

Mais la possibilité même d’une apothéose est paradoxale pour un phénomène impliquant dans sa définition, dans son essence même, un caractère commun, bas ou indigne. Il est impossible de définir en quelques lignes un terme dont presque tous les penseurs qui l’ont abordé soulignent le caractère éminemment fuyant. « Le kitsch échappe comme un lutin à toute définition » écrit le philosophe Theodor Adorno. Cependant, on peut se rappeler utilement son étymologie probable. Celle-ci le rattache aux verbes exprimant en dialecte allemand mecklembourgeois l’action de bâcler (« kitschen ») ou de tromper sur la marchandise (« verkitschen »).

Se pourrait-il qu’il y ait dans ce mensonge le germe d’une sagesse ? Qu’à l’arrogance de la victoire se mêle parfois la lucidité d’un échec ?

Dialectique du kitsch

Il est arrivé plusieurs fois dans l’histoire de l’art qu’un mouvement reprenne à son compte le mot par lequel on a d’abord voulu le dénigrer, et en efface ou en renverse toute nuance péjorative : les mots « impressionnisme » ou « cubisme » étaient à leur début empreints d’un accent de raillerie qui s’est très vite dissipé.

Il en va tout autrement pour le « kitsch ». Celui-ci continue d’impliquer, quel que soit l’éclat de son triomphe, la présence d’une sous-valeur, une fausse valeur ou une contre-valeur. Dans la variété de nuances auxquelles elle peut donner lieu – humour ou cynisme, provocation ou ironie, et jusqu’au plus sincère enthousiasme –, l’adhésion au kitsch est toujours scindée : non l’oubli pur et simple d’un stigmate originel, mais une manière de faire avec lui, de l’intégrer dans une forme de dialectique.

N’est-ce pas là une sophistication inutile ? Est-il réellement besoin d’introduire une dialectique dans l’attrait que peuvent inspirer les couleurs criardes d’un nain de jardin ou les coûteuses surcharges de l’hôtel Luxor de Las Vegas ? Oui, en définitive. L’appréhension d’une œuvre kitsch suppose la présence active (même lorsqu’elle est enfouie) d’une inversion de sa valeur, d’un renversement possible : l’expérience esthétique (et, le cas échéant, critique) s’inscrit dans une tension ou dans la virtualité d’un basculement possible entre l’authentique et l’artificiel, l’unique et le sériel, le dérisoire et le grandiose.

Ce qui relève de la médiocrité aspire à s’élever, et la cuillère ou la salière se chargent alors d’ornements, le mug s’affuble des symboles de la haute culture (de la Joconde aux autoportraits de Frida Kahlo). À l’inverse, ce qui vise le sublime (celui des grands idéaux ou des beaux sentiments) fait naufrage (ou, plus prosaïquement, trébuche et se casse la figure) dans le poncif ou la mièvrerie : les éclats pharaoniques de l’Aïda de Verdi ou les innocences lisses des toiles de William Bouguereau.

L’intelligence du toc

« Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or », écrit Baudelaire dans un projet d’épilogue aux Fleurs du mal. Aussi curieux que le rapprochement puisse paraître, l’orgueil d’une alchimie anime à son tour cette esthétique du confort, cet « art du bonheur » (comme l’appelle, dans les années 1970, le sociologue Abraham Moles) qu’est le kitsch. Excepté qu’ici, il suffit de gratter un peu pour reconnaître dans l’or la dorure. Il reste pourtant quelque chose de cette alchimie en toc une fois que l’écaille dorée est tombée : l’échec lui-même, dans la richesse de ses nuances. On peut échouer un peu, beaucoup, à la folie, passionnément ou lamentablement. Ce qu’on perd en grandeur prométhéenne, on le gagne en complexité.

On peut appeler intelligence, au plus près de l’étymologie, ce qui, dans le kitsch nous incite à lire et à lier ensemble des éléments n’ayant en eux-mêmes rien de précieux ni d’éclairant ; ce n’est que par le réseau qu’ils forment, par la manière dont ils articulent et souvent renversent des matériaux enchevêtrés, qu’ils jettent une certaine lumière sur le monde.

Contre ceux qui y voyaient un phénomène frivole et sans conséquences, Theodor Adorno prônait la nécessité de prendre le kitsch au sérieux, en précisant « critiquement au sérieux ». À l’intelligence du kitsch exigée par le penseur de l’École de Francfort, extérieure à l’objet examiné, on pourrait en ajouter une autre : non plus celle qui le surplombe pour en percer à jour les mécanismes insidieux et néfastes, mais celle qui se loge auprès de lui et en lui. Celle-ci n’entre pas en contradiction avec la première : il serait appauvrissant et absurde de ne pas prendre en considération l’incitation au conformisme politique autant qu’esthétique, la dimension aliénante dénoncée par les grands penseurs de ce kitsch devenant, dans la célèbre formule de l’écrivain Hermann Broch, « le mal dans le système des valeurs de l’art ».

Mais une intelligence du kitsch peut aussi prêter attention à l’idée formulée par le philosophe Walter Benjamin : celle qu’un art devenu accessible au corps, un art qui se laisse enfin toucher, ouvre la possibilité d’un nouveau rapport à l’intériorité humaine. Ou à celle d’Umberto Eco rétorquant aux « apocalyptiques », effrayés par l’irrévocable déchéance de la culture que trahissent le succès du jazz et des films d’Hollywood, que le monde des communications de masse est, qu’on le veuille ou non, notre monde. Ou encore à celle de l’autrice new-yorkaise Susan Sontag rendant compte de la sensibilité « camp », ce « dandysme de l’ère des masses » où le connaisseur le plus délicat et le plus blasé trouve sa délectation dans l’objet kitsch précisément parce qu’il est tel : « Affreux à en être beau ! »

Le kitsch partout ?

S’il n’est peut-être pas faux de dire que le kitsch est omniprésent dans notre monde contemporain, ce n’est pas que la possibilité ne nous soit plus offerte d’expériences entièrement étrangères au kitsch, c’est que celui-ci est toujours susceptible de surgir à l’improviste ou de projeter son ombre n’importe où. Quel que soit le champ où on se situe, artistique, social, économique, politique ou religieux, on court le risque de glisser ou de culbuter vers lui, avec innocence ou lucidité, tendresse ou ironie, par provocation ou par instinct, sentimentalisme ou démagogie.

Des outrances effroyablement sirupeuses de la campagne électorale de Donald Trump, aux bigarrures de la dernière collection de Miuccia Prada, où la transgression des codes du luxe se veut aussi leur parodie, de l’orientalo-hellénisme ploutocratique de l’Atlantis de Dubaï au romano-byzantinisme mystique de la basilique du Sacré-Cœur à Montmartre, d’André Rieu à Richard Wagner (exemple d’un « kitsch génial », selon Hermann Broch), de la Barbie « western rose » en vente dans un mall de Miami ou de Manilla au Barbie (2023), de Greta Gerwig où l’univers de la poupée de Mattel investit l’écran d’une manière si littérale qu’il en éveille de manière étonnante une forme de réflexivité…

Les positions monolithiques, surplombantes et dogmatiques s’avèrent de moins en moins capables de rendre compte d’un kitsch qui, en proliférant, a aussi amplifié ses registres, multiplié ses dimensions ou ses strates. Et qui nous oblige alors à le considérer au cas par cas, en tenant compte, à chaque fois qu’il paraît, de tous les éléments en présence au sein d’équations tantôt très élémentaires, tantôt très subtiles. Et dont on n’est pas certain de pouvoir dire, dans les meilleurs des cas, dans quelques œuvres rares, si elles aboutissent au succès ou à l’échec.

« Rater mieux encore. Ou mieux plus mal. Rater plus mal encore. Encore plus mal encore. »

Laquelle de ces quêtes, énoncées par Samuel Beckett, est celle de celui qui accepte dans son art d’avoir partie liée avec le kitsch ?

The Conversation

Franz Johansson ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Rater mieux, rater encore plus mal : l’art du kitsch – https://theconversation.com/rater-mieux-rater-encore-plus-mal-lart-du-kitsch-258197

La mission spatiale CO3D, ou comment cartographier la Terre en 3D et au mètre près

Source: The Conversation – France in French (2) – By Laurent Lebegue, Responsable performances système du projet CO3D, Centre national d’études spatiales (CNES)

Quatre satellites de nouvelle génération vont quitter Kourou, en Guyane, le 25 juillet, à bord d’une fusée Vega-C.

La mission CO3D, consacrée à la cartographie en trois dimensions des terres émergées du globe, s’appuie sur de nombreuses innovations technologiques. Son défi principal ? Couvrir une surface considérable avec une précision de l’ordre du mètre, en imageant aussi les objets mobiles comme les véhicules ou panaches de fumée, tout en se fondant sur des traitements entièrement automatisés pour réduire les coûts de production.


La mission CO3D, développée conjointement par le Centre national d’études spatiales (Cnes) et Airbus, doit fournir une cartographie des reliefs, que l’on appelle dans le domaine « modèles numériques de surface », pour des besoins bien identifiés – qu’ils soient civils ou militaires –, mais aussi de développer de nouveaux usages de ces informations 3D, encore insoupçonnés, que ce soit par des organismes de recherches ou des start-ups.

Pourquoi cartographier la Terre en 3D ?

Les données acquises par la mission CO3D permettront de surveiller la Terre depuis l’espace. Ainsi, les scientifiques pourront par exemple suivre les variations du volume des glaciers ou des manteaux neigeux en montagne.

Ils pourront aussi étudier l’évolution du trait de côte ou encore l’effondrement des falaises, et ainsi simuler l’impact de la montée du niveau des mers sur les terres littorales.

La cartographie 3D de la biomasse permet aussi de suivre à grande échelle la déforestation ou, plus localement, l’évolution de la végétalisation des villes et la gestion des îlots de chaleur.

L’ensemble de ces données, qui forment l’une des briques de base des jumeaux numériques, sont essentielles pour mieux comprendre l’impact du dérèglement climatique sur les écosystèmes et les territoires.


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Au-delà des sciences, la modélisation 3D précise est un outil indispensable pour les acteurs du secteur public comme les collectivités ou la sécurité civile. Ces dernières exploitent les données 3D dans le cadre de l’aménagement du territoire, la gestion des espaces tels que les zones inondables ou encore pour la connaissance précise des terrains en cas de gestion de crise à la suite d’une catastrophe naturelle.

Par exemple, en cas de tremblement de Terre, les satellites d’observation sont activés pour évaluer les dégâts à grande échelle afin d’aider les secours à prioriser leurs interventions, mais aussi pour évaluer les reconstructions à prévoir. Ces opérations sont réalisables avec de l’imagerie 2D classique, mais estimer l’effondrement d’un étage de bâtiment avec une simple vue verticale n’est pas forcément adapté, contrairement à l’imagerie 3D qui permet de mesurer directement les hauteurs.

En matière de défense, les données CO3D aideront, par exemple, à préparer les missions aériennes d’avion ou de drones à basse altitude ainsi que les déploiements de véhicules et de troupes sur divers terrains accidentés.

Comment fonctionne cette nouvelle imagerie 3D ?

La constellation s’articule autour de quatre satellites construits par Airbus, d’une masse de 285 kilogrammes chacun et d’une durée de vie de huit ans, permettant d’acquérir des images en couleurs d’une résolution de 50 centimètres – soit la résolution nécessaire pour produire des modèles numériques de surface avec une précision altimétrique d’environ un mètre.

vue d’artiste d’une paire de satellites
Acquisition stéréoscopique d’une paire de satellites CO3D.
CNES, Fourni par l’auteur

Les quatre satellites seront regroupés en deux paires positionnées sur une même orbite (à 502 kilomètres d’altitude), mais en opposition afin de réduire le temps nécessaire aux satellites pour revenir photographier un même site.

Le principe de génération des modèles numériques de surface à partir des images est celui qui nous permet de voir en trois dimensions : la vision stéréoscopique. Les images d’un site sur Terre sont acquises par deux satellites avec un angle différent comme le font nos yeux. La parallaxe mesurée entre les deux images permet, grâce à de puissants logiciels, de calculer la troisième dimension comme le fait notre cerveau.

schéma de principe
Principe de génération de modèle numérique de surface par stéréoscopie spatiale.
Cnes, Fourni par l’auteur

De plus, les images étant acquises avec deux satellites différents que l’on peut synchroniser temporellement, il est possible de restituer en 3D des objets mobiles, tels que des véhicules, des panaches de fumée, des vagues, etc. Cette capacité, encore jamais réalisée par des missions précédentes, devrait améliorer la qualité des modèles numériques de surface et ouvrir le champ à de nouvelles applications.

Les couleurs disponibles sont le rouge, le vert, le bleu mais aussi le proche infrarouge, ce qui permet d’avoir des images en couleur naturelle comme les voient nos yeux, mais aussi d’augmenter la capacité à différencier les matériaux, au-delà de ce que peut faire la vision humaine. Par exemple, un terrain de sport apparaissant en vert en couleur naturelle pourra être discriminé en herbe ou en synthétique grâce au proche infrarouge. Notons que la résolution native de 50 centimètres dans le proche infrarouge est inégalée à ce jour par d’autres missions spatiales. Elle permettra par exemple de générer automatiquement des cartes précises de plans d’eau et de végétation qui sont des aides à la production automatique de nos modèles numériques de surface de précision métrique.

Les satellites ont chacun la capacité d’acquérir environ 6 500 images par jour mais malgré cela, il faudra environ quatre ans pour couvrir l’ensemble des terres émergées attendues et produire les données associées ; une image élémentaire ayant une emprise au sol de 35 kilomètres carrés, il faudra environ 3,5 millions de couples d’images stéréoscopiques pour couvrir les 120 millions de kilomètres carrés.

Un gros travail au sol pour tirer le meilleur des données

De nombreuses innovations concernent également la planification de la mission et les traitements réalisés au sol.

Les satellites optiques ne voyant pas à travers les nuages, la prise en compte de prévisions météorologiques les plus fraîches possible est un élément clé des performances de collecte des données. En effet, les satellites sont très agiles et on peut les piloter pour observer entre les nuages. Avec CO3D, la prévision météo est rafraîchie à chaque orbite, à savoir quinze fois par jour.

Ouverture du container contenant les quatre satellites CO3D, en salle blanche à Kourou (Guyane).
2025 ESA-Cnes-Arianespace/Optique vidéo du CSG-P. Piron, Fourni par l’auteur

Le volume de données à générer pour couvrir le monde en 4 ans est considérable, environ 6 000 téraoctets (l’équivalent d’un million de DVD). La seule solution possible pour atteindre cet objectif dans une durée contrainte et à des coûts réduits a été pour le Cnes de développer des chaînes de traitement robustes, sans reprise manuelle et massivement parallélisées dans un cloud sécurisé.

Le Cnes développe aussi un centre de calibration image, consacré à la mission CO3D, qui sera chargé, pendant les six mois qui suivent le lancement, d’effectuer les réglages des satellites, des instruments et des logiciels de traitement qui permettront d’avoir la meilleure qualité possible des images. À l’issue de ces phases de qualification des satellites et des données, les cartographies 3D seront accessibles aux partenaires institutionnels du Cnes (scientifiques, collectivités locales ou équipes de recherche et développement) au fur et à mesure de leur production.

Par la suite, après une phase de démonstration de production à grande échelle de dix-huit mois, Airbus commercialisera également des données pour ses clients.

À quelques jours du lancement, la campagne de préparation des satellites bat son plein à Kourou et l’ensemble des équipes de développement et d’opérations finalise à Toulouse les derniers ajustements pour démarrer les activités de mise à poste et de recette en vol, les activités de positionnement des satellites sur leur orbite finale, de démarrage des équipements des satellites et de leurs instruments, puis de réglage des paramètres des traitements appliqués au sol.

The Conversation

Laurent Lebegue ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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Comment amener quelqu’un à faire librement ce que l’on désire ?

Source: The Conversation – France in French (3) – By Fabien Girandola, Professeur de Psychologie Sociale, Aix-Marseille Université (AMU)

Publié en 1987, vendu à plus de 500 000 exemplaires en France, le Petit Traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens, de Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois, est un véritable phénomène de librairie. Fondé sur les recherches en psychologie sociale, l’ouvrage propose de connaître les techniques de manipulation auxquelles nous sommes confrontés quotidiennement ou qui permettent de convaincre.


Comment amener quelqu’un à faire librement ce qu’on désire le voir faire ? C’est à cette question, qui nous concerne probablement toutes et tous, que répondent Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois dans leur ouvrage, Petit Traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens (1987, rééd. 2024). Ils le font à la lumière des connaissances élaborées au fil des décennies pas les psychologues sociaux, depuis les travaux précurseurs de Kurt Lewin jusqu’à nos jours, et donc durant soixante-quinze années de recherches.

L’un des mérites majeurs de l’ouvrage de Joule et Beauvois est d’avoir travaillé ce corpus expérimental au sein de l’espace francophone, notamment en rendant accessibles des recherches anglo-saxonnes jusque-là peu diffusées. Une conférence donnée par Robert-Vincent Joule à l’Université Grenoble Alpes illustre parfaitement cette logique de l’influence librement consentie.

Dans la dernière édition augmentée et actualisée, parue en octobre 2024, les auteurs explicitent une trentaine de techniques d’influence dont l’efficacité est expérimentalement démontrée dans des recherches de laboratoire et de terrain. Ces procédures, qu’ils qualifient de techniques de manipulation, permettent de multiplier (par deux, par trois, parfois par dix) nos chances d’arriver à nos fins, pour le meilleur et pour le pire.

La connaissance de ces techniques et des processus psychologiques en jeu donnent au lecteur des armes pour éviter de se faire manipuler et pour forger son esprit critique, le rendant moins poreux aux influences néfastes s’exerçant sur lui. Certains blogs de « vulgarisation » estiment même que l’ouvrage relève de l’utilité publique – une appréciation rare pour un traité de psychologie sociale.

L’ouvrage concerne essentiellement les influences interpersonnelles, celles qui opèrent entre deux personnes (en famille, au travail, dans la rue, sur Internet, ou encore ici ou là entre un vendeur et un client), sans négliger pour autant les influences de masse. Les chercheurs en sciences de l’information et de la communication (SIC) s’intéressent aussi particulièrement à ces dynamiques, dès lors qu’elles s’inscrivent dans des dispositifs médiatisés (affichages, interfaces, plateformes numériques) ou ritualisés (conférences, campagnes, échanges transactionnels). Enfin, le conditionnement évaluatif, sur lequel s’appuient volontiers les spécialistes du marketing.




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Le conditionnement évaluatif

Vous écoutez la Marseillaise avant un match de football de l’équipe de France. La caméra passe lentement d’un joueur à l’autre. En plan serré, on voit le visage concentré de chaque joueur mais aussi le haut de chaque maillot avec le logo d’une certaine marque. Bien sûr, on ne prête pas attention à ce logo et pourtant, sans qu’on en ait conscience, la positivité de la Marseillaise, l’hymne national, va se transférer sur la marque, rendant ainsi plus probables les comportements d’achat attendus de la part des spectateurs. Les recherches qui illustrent ce phénomène sont légion.

Une étude célèbre a ainsi montré l’effet du conditionnement évaluatif sur le choix d’un stylo en fonction d’une musique plaisante ou déplaisante. Les participants étaient amenés à regarder une publicité pour un stylo. Le stylo était de couleur bleue pour une moitié des participants et beige pour l’autre moitié. Une musique était diffusée, agréable pour certains, désagréable pour d’autres.

À la fin de l’expérience chaque participant se voyait offrir un stylo dont il pouvait choisir la couleur (bleu ou beige). Comme attendu, les participants choisirent massivement la couleur associée aux musiques plaisantes (qu’il s’agisse du bleu ou du beige) et délaissèrent la couleur associée aux musiques déplaisantes (qu’il s’agisse du bleu ou du beige). Mais il y a plus, lorsqu’on leur demande d’expliquer leur choix, ils en appellent à leur goût personnel pour la couleur choisie, sans faire la moindre allusion à la musique !

Les techniques décrites dans le Petit traité de manipulation peuvent évidemment être utilisées à nos dépens par des individus malintentionnés ; par exemple, pour obtenir de nous des informations confidentielles, comme nos coordonnées bancaires, ou de façon plus générale, pour obtenir de nous des décisions que nous regretterons. Mais elles peuvent aussi, entre les mains d’honnêtes gens, se montrer très utiles – et bien plus efficaces que la persuasion – pour promouvoir des comportements « socialement utiles » recherchés. Un exemple : la technique de l’étiquetage.

L’étiquetage

Dans une des recherches rapportées dans l’ouvrage de Joule et Beauvois, des chercheurs américains comparent l’efficacité de deux stratégies pour inciter des élèves de 9-10 ans à ne pas jeter les papiers de bonbons par terre : une stratégie persuasive et une stratégie reposant sur des étiquetages.

Pendant huit leçons sur le respect de l’environnement, l’enseignante s’efforçait, en mettant en avant des arguments appropriés, de convaincre certains élèves d’être propres et ordonnés (condition persuasive). Elle n’essayait pas de convaincre d’autres élèves, se contentant de leur dire « Vous êtes des enfants propres et ordonnés » (condition d’étiquetage).

Au terme de ces leçons, on distribuait aux enfants des sucreries soigneusement emballées et on comptait le nombre de papiers de bonbons laissés sur le sol. Les chercheurs ont constaté que les enfants placés dans la condition d’étiquetage se conformaient davantage aux attentes éducatives que ceux placés dans la condition persuasive : moins d’emballages de bonbon sur le sol et davantage dans les poubelles. Mais il y a plus : cet effet persistait après la fin de l’expérience, alors que plus rien n’était demandé aux enfants, prouvant ainsi l’impact durable de l’étiquetage sur les comportements ultérieurs de propreté des élèves.

La supériorité de l’étiquetage sur la persuasion est également démontrée dans d’autres recherches qui portent cette fois sur la performance scolaire (résultats obtenus à des exercices de mathématiques, par exemple).


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Il ne faudrait pas croire que seuls les enfants sont sensibles à l’étiquetage. Les adultes le sont tout autant, comme le montre, par exemple, une autre expérience rapportée dans le Petit traité de manipulation. Après avoir fait passer un pseudo test de personnalité à des participants, les chercheurs leur disaient, indépendamment de leurs résultats, « Vos résultats montrent que vous êtes une personne bienveillante et généreuse » (étiquetage).

Un peu plus tard, un complice des chercheurs laissait tomber un jeu de cartes pour étudier leur réaction. L’aiderait-on ou pas à ramasser les cartes sur le sol ? Comme attendu, les personnes s’étant entendu dire qu’elles étaient bienveillantes et généreuses – bien qu’il s’agisse d’un étiquetage purement arbitraire – furent significativement plus nombreuses à aider « spontanément » le complice que les personnes d’un groupe témoin qui n’avaient pas, quant à elles, reçu d’étiquetage.

Serions-nous les messieurs Jourdain de la manipulation ?

Le succès de cet ouvrage auprès du grand public s’explique certainement par la façon dont les auteurs éclairent, à la lumière du savoir psychologique disponible, les interactions les plus courantes de notre existence sociale.

Force est de reconnaître que nous sommes tous, tour à tour, manipulateur et manipulé. Qui ne s’est jamais servi de moyens plus ou moins détourné pour arriver à ses fins ? Qui n’a jamais fait, après y avoir été habilement conduit, quelque chose qu’il n’aurait pas fait de lui-même. Nous avons tous un jour, plus ou moins, agi de la sorte.

À titre d’exemple, Joule et Beauvois rapportent dans leur ouvrage une des façons de procéder à laquelle nous avons probablement tous eu recours pour essayer d’obtenir une faveur : la technique du « je-ne-vous-demanderai-rien-d’autre », dont le principe consiste précisément à faire savoir à notre interlocuteur que la demande qu’on lui adresse ne sera pas suivie d’une autre.

Je-ne-vous-demanderai-rien-d’autre

Dans une recherche réalisée par Grzyb et Dolinski de 2017, des personnes étaient sollicitées par un chercheur durant un concert. « Bonjour, je collecte des fonds pour un centre de soins pour enfants […]. Accepteriez-vous de faire un don ? C’est la seule chose que je vais vous demander. » Près de 55 % acceptèrent contre 15 % seulement dans la condition contrôle, condition dans laquelle le propos du chercheur était exactement le même mais sans la phrase : « C’est la seule chose que je vais vous demander. »

Ce type de manipulations est-il répréhensible ? Certainement pas.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, le recours aux techniques de manipulation – sauf, bien sûr, lorsqu’elles sont mises au service d’intérêts moralement répréhensibles – fluidifie la vie sociale. Peut-être même ce recours entretient-il l’amitié ? Imaginons qu’un ami obtienne de vous, en vous manipulant, une faveur que vous ne lui auriez pas accordée spontanément (par exemple : l’aider à déménager). Il vous en sera très reconnaissant et, évidemment, à la première occasion, c’est lui qui vous rendra, volontiers de surcroît, un service de la même importance sans que vous ayez besoin, à votre tour, de le manipuler. La morale est donc sauve.

Et vous, à quelles formes d’influence avez-vous cédé sans le savoir ?

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Comment amener quelqu’un à faire librement ce que l’on désire ? – https://theconversation.com/comment-amener-quelquun-a-faire-librement-ce-que-lon-desire-257571

En Russie et ailleurs, les mesures natalistes en question

Source: The Conversation – France in French (3) – By Jennifer Mathers, Senior Lecturer in International Politics, Aberystwyth University

Dans un contexte de grave crise démographique accentuée par la guerre en Ukraine, plusieurs régions de Russie octroient désormais des allocations spéciales aux adolescentes ayant des enfants. De plus en plus de pays, de la Hongrie aux États-Unis en passant par la Pologne, mettent en place des mesures similaires – des initiatives dont la portée est à la fois sociale, économique et idéologique.


Dans certaines parties de la Russie, les adolescentes qui tombent enceintes recevront désormais plus de 100 000 roubles (environ 1 100 euros, au taux de change actuel) pour donner naissance à leurs enfants et les élever.

Cette nouvelle mesure, introduite ces derniers mois dans une dizaine de régions du pays, s’inscrit dans la nouvelle stratégie démographique russe. Elle est en réalité un élargissement de décisions déjà adoptées en mars 2025, qui s’appliquaient alors uniquement aux femmes adultes. L’objectif est de remédier à la baisse spectaculaire du taux de natalité observée dans le pays : en 2023, le nombre de naissances par femme en Russie était de 1,41, un niveau très inférieur aux 2,05, niveau requis pour assurer le renouvellement des générations.

Rémunérer des adolescentes pour avoir des enfants alors qu’elles sont encore scolarisées est une idée qui ne fait pas consensus en Russie. Selon une récente enquête publiée par le Centre russe d’études de l’opinion publique (VTsIOM), 43 % des Russes approuvent cette mesure, tandis que 40 % s’y opposent. En tout état de cause, l’adoption d’une telle politique témoigne de la priorité élevée accordée par l’État à l’augmentation du nombre de naissances.

Vladimir Poutine considère qu’une population nombreuse est l’un des signes distinctifs d’une grande puissance florissante, au même titre qu’un vaste territoire (en pleine expansion) et une armée puissante. L’attaque conduite sur l’Ukraine a permis à la Russie d’annexer illégalement plusieurs zones du territoire ukrainien, peuplées de quelque deux ou trois millions de personnes ; pour autant, la guerre a aussi eu des effets désastreux pour la taille actuelle et future de la population russe.

D’après certaines estimations, 250 000 soldats russes auraient été tués sur le champ de bataille. De plus, des centaines de milliers de personnes parmi les Russes les plus instruits, souvent de jeunes hommes fuyant le service militaire, ont quitté le pays. Bon nombre de soldats tués et de jeunes exilés auraient pu devenir les pères de la prochaine génération de citoyens russes.

Un phénomène qui ne se limite pas uniquement à la Russie

Mais si la situation démographique de la Russie est extrême, la baisse des taux de natalité est désormais une tendance mondiale. On estime que, d’ici à 2050, plus des trois quarts des pays du monde auront des taux de fécondité si bas qu’ils ne pourront plus maintenir leur population.

Arte, 2 avril 2024.

Poutine n’est pas le seul dirigeant mondial à avoir mis en place des politiques visant à encourager les femmes à avoir plus d’enfants. Le gouvernement de Viktor Orban en Hongrie propose toute une série de mesures incitatives, telles que des allégements fiscaux généreux et des prêts hypothécaires subventionnés réservés aux ménages de trois enfants ou plus.

La Pologne alloue mensuellement 500 zlotys (117 euros, selon le taux actuel) par enfant aux familles à partir de deux enfants. Cependant, cela n’a pas un effet déterminant sur la natalité, car les Polonaises, surtout celles dont les revenus sont déjà relativement élevés, ne sont pas prêtes à renoncer à une ascension professionnelle ou à un salaire élevé pour avoir un enfant de plus.

Aux États-Unis, Donald Trump a proposé de verser 5 000 dollars (4 300 euros environ) aux mères à chaque naissance, vision inscrite dans l’idéologie MAGA qui vise à encourager la natalité.

« Natalistes aux États-Unis : ils veulent sauver l’humanité », TF1, 17 mai 2024.

Inverser la baisse de la natalité est une affaire complexe, car les raisons qui poussent les individus et les couples à devenir parents le sont tout autant. Les préférences des individus, leurs aspirations personnelles et leurs convictions quant à leur capacité à subvenir aux besoins de leurs enfants, ainsi que les normes sociales et les valeurs culturelles et religieuses jouent toutes un rôle dans ces décisions. En conséquence, l’impact des politiques dites natalistes a été jusqu’ici pour le moins mitigé. Aucun pays n’a trouvé de solution facile pour inverser la baisse des taux de natalité.

Il convient de s’intéresser, sur ces questions, à la politique choisie par l’Espagne, qui cherche à lutter contre le déclin démographique par des mesures alternatives, sans encourager directement les femmes à avoir plus d’enfants. Le pays facilite désormais l’accès à la citoyenneté pour les migrants, y compris à ceux qui sont entrés illégalement dans le pays. L’accueil favorable réservé aux immigrants par Madrid est considéré comme l’un des facteurs à l’origine de l’essor économique du pays.

Quelles familles veut-on privilégier ?

Les gouvernements qui adoptent des politiques natalistes se préoccupent non seulement de l’augmentation du nombre total de personnes vivant et travaillant dans leur pays, mais désirent également encourager certaines catégories de personnes à procréer. En d’autres termes, il existe une dimension idéologique inhérente à ses pratiques.

Les mesures incitatives en faveur des grossesses et des familles nombreuses ciblent généralement les personnes que l’État considère comme ses citoyens les plus « souhaitables » – en raison de leur origine ethnique, de leur langue, de leur religion, de leur orientation sexuelle ou d’une autre identité ou combinaison d’identités.

Par exemple, la proposition espagnole visant à augmenter la population en augmentant l’immigration s’adresse principalement aux hispanophones. Les migrants originaires de pays catholiques d’Amérique latine ont assez facilement accès à des emplois, alors que les possibilités de rester dans le pays ou de s’y installer ne semblent pas s’étendre aux migrants originaires d’Afrique. Parallèlement, les aides accordées aux familles en Hongrie sont accessibles uniquement aux couples hétérosexuels disposant de revenus assez élevés.

L’accent mis sur l’augmentation de la proportion des citoyens les plus souhaitables explique pourquoi l’administration Trump ne voit aucune contradiction à appeler à la naissance de plus d’enfants aux États-Unis, tout en ordonnant l’arrestation et l’expulsion de centaines de migrants présumés illégaux, tentant ainsi de revenir sur la garantie constitutionnelle de la citoyenneté américaine à toute personne née dans le pays et même de retirer la citoyenneté à certains Américains.

Quelles sont les mères visées ?

Le succès ou l’échec des gouvernements et des sociétés qui encouragent la natalité dépend de leur capacité à persuader les gens, et en particulier les femmes, d’accepter de devenir ou redevenir parents. Outre des incitations financières et autres récompenses tangibles pour avoir des enfants, certains États offrent une reconnaissance symbolique aux mères de familles nombreuses.

La réintroduction par Poutine du titre, datant de l’époque stalinienne, de « mère-héroïne » pour les femmes ayant dix enfants ou plus en est un exemple. Parfois, cette reconnaissance vient de la société, comme l’engouement actuel des Américains pour les « trad wives » (« épouses traditionnelles ») – des femmes qui deviennent des influenceuses sur les réseaux sociaux en renonçant à leur carrière pour élever un grand nombre d’enfants et mener une vie socialement conservatrice.

Le revers de cette célébration de la maternité est la critique implicite ou explicite des femmes qui retardent la maternité ou la rejettent complètement. Le Parlement russe a adopté en 2024 une loi visant à interdire la promotion du mode de vie sans enfants, ou « propagande en faveur de l’absence d’enfants ». Cette législation s’ajoute à d’autres mesures telles que les restrictions d’avortements pratiqués dans les cliniques privées, ainsi que des propos publics de hauts responsables invitant les femmes à donner la priorité au mariage et à l’éducation des enfants plutôt qu’aux études universitaires et à une carrière professionnelle.

Les États conduisant des politiques natalistes seraient favorables à l’immigration si leur objectif était uniquement de garantir une main-d’œuvre suffisante pour soutenir leur économie et leur société. Mais le plus souvent, ces efforts visant à restreindre ou à dicter les choix que font les citoyens – et en particulier les femmes – dans leur vie personnelle, et à favoriser la présence au sein de leur population de profils spécifiques.

The Conversation

Jennifer Mathers ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. En Russie et ailleurs, les mesures natalistes en question – https://theconversation.com/en-russie-et-ailleurs-les-mesures-natalistes-en-question-260866

Crise dans le camp Trump : Et si le dossier Epstein faisait exploser la base MAGA ?

Source: The Conversation – in French – By Robert Dover, Professor of Intelligence and National Security & Dean of Faculty, University of Hull

Le rejet brutal par Donald Trump des théories du complot autour de Jeffrey Epstein provoque une onde de choc chez ses partisans les plus fidèles, qu’il n’hésite plus à traiter de « stupides » ou de « crédules ». Un tournant risqué à quelques mois de la présidentielle.


Pendant sa campagne pour l’élection présidentielle américaine de 2024, Donald Trump a déclaré à plusieurs reprises qu’il allait déclassifier et rendre publics les dossiers liés à Jeffrey Epstein, le financier déchu mort en prison en 2019 alors qu’il attendait son procès pour trafic sexuel.

Les soi-disant dossiers Epstein contiendraient, pense-t-on, des contacts, des communications, et – peut-être plus crucial encore – les registres de vol. L’avion privé d’Epstein étaient en effet le moyen de transport utilisé pour se rendre sur ce qui a ensuite été surnommé « l’île pédophile », où lui-même et ses associés auraient fait venir et abusé des mineurs.

Les partisans de Trump les plus enclins aux théories du complot – dont beaucoup pensent qu’Epstein a été assassiné par de puissantes figures pour dissimuler leur implication dans ses crimes sexuels – espèrent que ces dossiers révéleront l’identité de l’élite présumée impliquée dans l’exploitation sexuelle d’enfants.


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Pendant sa campagne, Trump a laissé entendre que les dossiers Epstein mettraient en cause des personnes puissantes – suggérant qu’il connaissait leur identité et leurs actes. Cela constituait à la fois un avertissement lancé à ces individus et un moyen de galvaniser sa base « Make America Great Again » (MAGA). Cela validait également une partie de la théorie du complot QAnon, selon laquelle un « État profond » couvrirait un réseau élitiste d’abus sexuels sur enfants.

Mais le ministère de la Justice a récemment annoncé que l’examen des documents n’avait révélé aucune liste de clients politiquement influents et a confirmé qu’Epstein était mort par suicide. Cela réfute deux croyances centrales pour la base électorale de Trump. Pour une large partie du mouvement MAGA, ces conclusions banales ont été vécues comme une trahison.

Musk flaire l’opportunité

L’ancien allié proche de Trump — son bailleur de fonds et conseiller — Elon Musk, a profité de l’affaire des dossiers Epstein pour contre-attaquer sur les réseaux sociaux. Sans apporter de preuves, Musk a insinué à plusieurs reprises que le nom de Trump figurait dans les documents. Trump a répliqué en accusant Musk d’« avoir perdu la tête », en s’appuyant sur des éléments fournis par l’ancien avocat d’Epstein, David Schoen, pour rejeter les accusations de Musk.

Les accusations de Musk pourraient être toxiques pour Trump. Une bonne partie du mouvement Maga croit en la théorie QAnon. Être potentiellement lié à un réseau d’exploitation sexuelle d’enfants nuirait donc gravement à la réputation de Trump auprès de cette base, pour qui il s’agit d’un sujet extrêmement sensible. Musk a semé le doute chez certains activistes, qui se demandent désormais si Trump ne serait pas impliqué dans une dissimulation.

La base MAGA reste en grande partie fidèle à Trump. Mais cette loyauté a déjà nécessité beaucoup de pragmatisme depuis sa réélection. Une position clé soutenue par ces électeurs – l’opposition de Trump aux interventions militaires étrangères – a été contredite par les effets lorsque le président états-unien a lancé son attaque contre des sites militaires iraniens en juin.

Les porte-parole MAGA ont justifié ces actions en disant qu’elles étaient limitées et répondaient à une provocation exceptionnelle. Elles sont présentées comme un contre-exemple aux engagements militaires prolongés du président George Bush en Afghanistan et en Irak dans les années 2000.

Un autre effort de pragmatisme a été exigé sur le « Big Beautiful Bill Act », qui va creuser la dette nationale de plusieurs milliers de milliards de dollars, tout en réduisant les financements de la santé et de l’aide alimentaire. Ces mesures ont retiré des prestations à une bonne partie des électeurs Maga.

Malgré cette souffrance financière personnelle, les fidèles Maga ont défendu ces décisions comme un moyen de réduire les gaspillages et de mettre l’État au régime. Ils font confiance à Trump, qui affirme qu’ils ne seront pas désavantagés à long terme — bien que les conséquences de l’application de la réforme restent inconnues.

Du sucre de canne dans le Coca

Trump a aussi mis à mal la patience des producteurs de maïs du Midwest, pourtant un de ses bastions électoraux. Il a exigé que Coca-Cola remplace le sirop de maïs par du sucre de canne dans sa version sucrée de la boisson. Trump, avec son ministre de la Santé controversé Robert F. Kennedy Jr., a en effet affirmé que le sucre de canne est plus sain — une affirmation contestée — et qu’il permettrait de « rendre l’Amérique saine à nouveau ».

Même si la question du sucre dans le Coca-Cola peut sembler anecdotique, soutenir une mesure qui nuit aux agriculteurs du Midwest passe mal pour les fidèles MAGA. En devant composer avec ces tensions, certains pourraient commencer à douter de la sagesse de Trump.

Le dossier Epstein, danger politique majeur

Les débats autour des dossiers Epstein pourraient être autrement plus dangereux pour Trump et sa relation avec la base Maga. L’existence d’un réseau pédophile élitiste est centrale dans la théorie conspirationniste QAnon et Trump était censé être celui qui allait révéler la vérité. Mais le ministère de la Justice a désormais rejeté cette vision du monde. Et certains en viennent à se demander si Trump ne fait pas lui-même partie de la dissimulation.

Pire encore, Trump a contre-attaqué. Il a déclaré que la conspiration autour d’Epstein n’avait jamais existé et a qualifié certains de ses partisans de « crétins crédules » pour continuer à y croire. Pour certains fidèles, cela va trop loin. Ils ont exprimé leur frustration sur Truth Social, le réseau de Trump, ainsi que sur des blogs et podcasts de droite.

Démonstration de « whataboutisme »

Trump a depuis tenté d’adoucir ses critiques contre ceux qui croient encore à la théorie Epstein, déclarant qu’il souhaiterait publier toute information crédible. Il est aussi revenu à une tactique de campagne classique : le « whataboutisme », qui souligne le traitement injuste qu’il subirait en comparaison avec ses prédécesseurs Barack Obama et Joe Biden.

L’épisode des dossiers Epstein pourrait passer. Mais la question de savoir si le mouvement Maga est désormais plus grand que Trump restera. Pour un président qui plaisantait autrefois en disant qu’il pourrait « tirer sur quelqu’un sur la Cinquième Avenue sans perdre de soutien », la loyauté et la flexibilité de ses partisans sont capitales.

Le mouvement Maga n’est pas monolithique dans ses croyances ou ses actions. Mais si Trump perd la loyauté d’une partie de ses troupes, ou si ces dernières refusent de s’adapter comme elles l’ont fait jusqu’ici, cela pourrait lui coûter cher politiquement. Depuis la tombe, Epstein pourrait bien avoir amorcé une nouvelle ère dans la politique américaine.

The Conversation

Robert Dover ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Crise dans le camp Trump : Et si le dossier Epstein faisait exploser la base MAGA ? – https://theconversation.com/crise-dans-le-camp-trump-et-si-le-dossier-epstein-faisait-exploser-la-base-maga-261537

Adaptation au changement climatique en Afrique pendant 10 000 ans : une étude offre des enseignements pour notre époque

Source: The Conversation – in French – By Leanne N. Phelps, Associate research scientist, Columbia University

Un éleveur guide son troupeau de bœufs à travers les paysages du sud-ouest nigérian. Leanne Phelps, Fourni par l’auteur

Imaginez que vous vivez dans un endroit où une seule sécheresse, un seul ouragan ou une seule coulée de boue peut anéantir votre approvisionnement alimentaire. C’est exactement le cas de nombreuses communautés à travers l’Afrique, qui doivent faire face à des chocs climatiques tels que des inondations, des vagues de chaleur et à de mauvaises récoltes.

Les politiques de développement visant à lutter contre ces menaces négligent souvent une source d’information précieuse : l’histoire même de l’Afrique.

Il y a environ 14 700 à 5 500 ans, une grande partie de l’Afrique a connu des conditions plus humides, une période appelée « période humide africaine ». Puis, vers 5 500 ans (avant notre ère), le climat est devenu plus sec. Cela a entraîné de grands changements sociaux, culturels et environnementaux sur le continent.

Nous faisons partie d’une équipe de chercheurs en sciences sociales, naturelles et environnementales. Nous avons récemment publié une étude sur la façon dont les communautés africaines ont réagi aux changements climatiques au cours des 10 000 dernières années. C’est la première recherche à utiliser des données isotopiques pour retracer l’évolution des modes de vie sur l’ensemble du continent africain.

Cette approche à l’échelle du continent offre un nouvel éclairage sur la formation et l’évolution des moyens de subsistance dans l’espace et dans le temps.

Les théories précédentes partaient souvent du principe que les sociétés et leurs systèmes alimentaires évoluaient de manière linéaire. En d’autres termes, elles passaient de communautés de chasseurs-cueilleurs à des sociétés socialement et politiquement complexes pratiquant l’agriculture.

Mais notre étude montre une réalité plus riche. Pendant 10 000 ans, les communautés africaines se sont adaptées en combinant l’élevage, l’agriculture, la pêche et la cueillette. Elles ont mélangé différentes pratiques en fonction de ce qui fonctionnait à différents moments dans leur environnement spécifique. Cette diversité entre les communautés et les régions a été essentielle à la survie de l’humanité.

Cela nous enseigne des leçons concrètes pour repenser les systèmes alimentaires actuels.

Notre recherche montre que les politiques rigides venues d’en haut ont peu de chances de réussir. C’est notamment le cas des programmes qui misent tout sur l’agriculture intensive au détriment de la diversification des économies. Bon nombre de politiques actuelles adoptent une vision étroite, en privilégiant uniquement les cultures commerciales.

L’histoire nous apprend autre chose : pour être résilient face aux chocs, il ne faut pas tout miser sur une seule méthode. Il faut rester souple, combiner plusieurs approches et s’adapter aux réalités locales.

Les indices laissés par le passé

Nous avons pu tirer nos conclusions en examinant les indices laissés par l’alimentation des populations et leur environnement. Pour ce faire, nous avons analysé les traces chimiques (isotopes) présentes dans les ossements humains et animaux domestiques anciens provenant de 187 sites archéologiques à travers le continent africain.

Nous avons classé les résultats en groupes présentant des caractéristiques similaires, ou « niches isotopiques ». Nous avons ensuite décrit les moyens de subsistance et les caractéristiques écologiques de ces niches à l’aide d’informations archéologiques et environnementales.

Nos analyses ont révélé une grande diversité de systèmes de subsistance.
Par exemple, dans les régions correspondant aujourd’hui au Botswana et au Zimbabwe, certains groupes combinaient l’agriculture à petite échelle avec la cueillette de plantes sauvages et l’élevage de bétail après la période humide africaine. En Égypte et au Soudan, les communautés combinaient l’agriculture – axée sur le blé, l’orge et les légumineuses – avec la pêche, la production laitière et le brassage de la bière.

Les éleveurs, en particulier, ont développé des stratégies très souples. Ils se sont adaptés aussi bien aux plaines chaudes qu’aux montagnes sèches, et à toutes sortes d’environnements intermédiaires. Les systèmes pastoraux (agriculture avec des animaux de pâturage) sont plus nombreux que tout autre système alimentaire sur les sites archéologiques. Ils présentent également la plus grande variété de signatures chimiques, preuve de leur adaptabilité à des environnements changeants.

Notre étude s’est également penchée sur la manière dont les gens utilisaient le bétail. Dans la plupart des cas, les troupeaux se nourrissaient de cultures locales (comme le mil ou les pâturages tropicaux) et s’adaptaient à différents milieux écologiques. Certains systèmes étaient très spécialisés, adaptés aux zones semi-arides ou montagneuses. D’autres rassemblaient des troupeaux mixtes, mieux adaptés aux zones plus humides ou situées à basse altitude. Parfois, les animaux étaient élevés en petit nombre pour compléter d’autres activités. Ils fournissaient du lait, de la bouse pour les cultures ou le feu, et servaient de sécurité en cas de mauvaise récolte.

Cette capacité d’adaptation explique pourquoi, au cours du dernier millénaire, les systèmes pastoraux sont restés si importants, en particulier dans les zones de plus en plus arides.

Stratégies de subsistance mixtes

L’étude apporte également des preuves solides d’interactions entre la production alimentaire et la cueillette, que ce soit au niveau communautaire ou régional.

Des stratégies de subsistance mixtes et dynamiques, comprenant des interactions telles que le commerce au sein et entre les communautés proches et lointaines, étaient particulièrement visibles pendant les périodes de stress climatique. C’est notamment le cas à la fin de la période humide africaine, il y a environ 5 500 ans, quand le climat est devenu plus sec et plus difficile.

Dans le sud-est de l’Afrique, il y a environ 2 000 ans, on voit apparaître des modes de vie très diversifiés. Ils mêlaient élevage, agriculture et cueillette de manière complexe. Ces systèmes ont sans doute émergé en réponse à des changements environnementaux et sociaux complexes.

Des changements complexes dans les interactions sociales – notamment en matière de partage des terres, des ressources et des connaissances – ont probablement favorisé cette capacité d’adaptation.

Comment le passé peut éclairer l’avenir

Les stratégies anciennes de subsistance peuvent servir de guide pour faire face aux changements climatiques d’aujourd’hui.

Notre analyse montre qu’au fil des siècles, les communautés ont combiné élevage, agriculture, pêche et cueillette en tenant compte des réalités locales. Ces choix leur ont permis de mieux résister à des conditions imprévisibles.

Elles ont mis en place des systèmes alimentaires qui fonctionnaient en harmonie avec la terre et la mer, et non contre elles. Elles s’appuyaient également sur des réseaux sociaux solides, fondés sur le partage des ressources, des connaissances et du travail.

Les réponses du passé face aux changements climatiques peuvent inspirer les stratégies actuelles et futures visant à renforcer la résilience des régions confrontées à des pressions sociales et environnementales.

The Conversation

Leanne N. Phelps est affiliée à la Columbia Climate School de l’université Columbia, au Jardin botanique royal d’Édimbourg, au Royaume-Uni, et à l’ONG Vaevae basée à Andavadoake, Toliara, Madagascar.

Kristina Guild Douglass bénéficie d’un financement de la Fondation nationale pour la science des États-Unis. Elle est affiliée à l’ONG Vae Vae.

ref. Adaptation au changement climatique en Afrique pendant 10 000 ans : une étude offre des enseignements pour notre époque – https://theconversation.com/adaptation-au-changement-climatique-en-afrique-pendant-10-000-ans-une-etude-offre-des-enseignements-pour-notre-epoque-261282

Âgisme et sexisme : dès 45 ans, les femmes sont victimes de préjugés sur le marché du travail, selon une étude

Source: The Conversation – in French – By Martine Lagacé, Professeur titulaire, communication et psychologie sociale, L’Université d’Ottawa/University of Ottawa

En 2024, une étude empirique a permis de dresser un portrait nuancé de la réalité des femmes de 45 ans et plus. (Unsplash)

Elles sont qualifiées, engagées, et pourtant souvent invisibles. Les femmes de 45 ans et plus représentent une force croissante sur le marché du travail québécois. Mais leur expérience suffit-elle à les protéger des préjugés liés à l’âge et au genre ?

Au Québec, on observe une augmentation continue du nombre de personnes âgées de 55 à 69 ans qui demeurent sur le marché du travail, particulièrement chez les femmes. Chez ces dernières, le taux d’activité est, en effet, en croissance constante, particulièrement dans la tranche d’âge de 55 à 59 ans (+ 30 points selon l’Institut de la statistique du Québec).

Malgré tout, ce renfort démographique n’est sans doute pas suffisant pour faire oublier les préjugés liés à l’âge et au genre.




À lire aussi :
Un monde du travail à réinventer pour faire une meilleure place aux femmes


Mieux comprendre l’expérience des travailleuses d’expérience

En 2024, une étude empirique, pilotée par notre équipe de chercheurs et mandatée par le Comité consultatif pour les travailleuses et travailleurs de 45 ans et plus, a permis de dresser un portrait nuancé de leur réalité. L’objectif : cerner leur expérience subjective du marché du travail. Comment perçoivent-elles leur emploi ? Qu’est-ce qui les motive à continuer ? Quels obstacles rencontrent-elles, et comment envisagent-elles la retraite ?

Pour répondre à ces questions, 455 femmes âgées de 45 ans et plus travaillant sur le territoire québécois ont répondu à un questionnaire auto-rapporté. Pourquoi ce seuil d’âge ? Car une littérature abondante suggère que dès l’âge de 45 ans, les travailleurs risquent d’être la cible de comportements et de manifestations d’attitudes âgistes.

Une femme aux longs cheveux gris penchés sur un bureau, crayon à la main
Dès l’âge de 45 ans, les travailleurs risquent d’être la cible de comportements et de manifestations d’attitudes âgistes.
(Unsplash), CC BY

Des 455 participantes, la majorité (55 %) était âgée de 45 à 54 ans, et plus d’un tiers détenaient une formation universitaire. En outre, 88 % de ces femmes se disaient en « bonne » ou « très bonne » santé, physique et mentale. Les quatre secteurs de travail les plus représentés dans l’échantillon étaient l’éducation (28,3 %), la santé (19,4 %), les ventes et services (19,2 %) ainsi que l’administration (80 %). Enfin, la majorité des participantes (58 %) travaillaient dans le secteur public.

Travail valorisant et motivation intrinsèque : un duo gagnant

La majorité des répondantes (84 %) se disent satisfaites ou très satisfaites de leur emploi, surtout lorsqu’elles sont motivées par des raisons personnelles ou sociales : sentiment d’accomplissement, contribution à une mission, défis stimulants.

À l’inverse, celles qui mentionnent la rémunération comme motivation principale se déclarent généralement moins satisfaites. Une tendance qui s’aligne avec la théorie de l’auto-détermination : les motivations extrinsèques, comme l’argent, ne suffisent pas à combler les besoins fondamentaux d’autonomie, de compétence et de lien social.

L’âgisme et le sexisme

Bien que la majorité des participantes soient globalement satisfaites de leur emploi, 27 % d’entre elles qualifient le marché du travail d’âgiste et/ou sexiste envers les travailleuses plus âgées, et près de 20 % évoquent des obstacles concrets. Voici quelques-uns de leurs commentaires :

Dans mon milieu, il y a définitivement un changement face aux femmes de 50 ans et plus. J’ai vu une attitude âgiste chez les hommes qui sont en position d’autorité.

La stigmatisation liée au fait d’être une femme affecte la façon dont mes collègues la perçoivent dans une certaine mesure.

Dur, car l’âge ne joue pas en notre faveur. Le choix est restreint, malgré l’expérience et la maturité, c’est encore un monde où des hommes de 45 ans ont plus de chance d’obtenir des postes de cadre.

Cette perception de discrimination, fondée sur l’âge et/ou le genre, s’exprime aussi sous la forme d’une fracture générationnelle : les travailleuses plus âgées se sentent désavantagées et expriment leur frustration en comparant leur situation à celle des plus jeunes, que ce soit pour les façons de faire au travail ou encore pour les conditions de recherche d’emploi.

Les travailleuses plus âgées se sentent désavantagées et expriment leur frustration en comparant leur situation à celle des plus jeunes.
(Vitaly Gariev sur Unsplash), CC BY

Voici certains témoignages de participantes :

Nous sommes en constante compétition. Les employeurs ne veulent pas prendre de risque d’engager une femme de plus de 45 ans. Et la nouvelle génération est très différente.

Très honnêtement, je pense qu’il est difficile pour une femme de cet âge de réintégrer le marché du travail après une perte d’emploi.

Les retombées de la discrimination fondée sur l’âge

Les résultats de l’étude montrent aussi que les participantes qui se sentent victimes de l’âgisme éprouvent une moins grande satisfaction au travail. Elles sont aussi plus nombreuses à envisager un départ à la retraite à court terme, c’est-à-dire au cours de la prochaine année, par comparaison avec celles qui n’éprouvent pas ce sentiment (soit 12,7 % pour les premières et 6,1 % pour les secondes).

Plus encore, les résultats montrent un lien significatif entre le ressenti d’âgisme et la perception de relations plus difficiles, plus tendues avec les gestionnaires, particulièrement avec les plus jeunes. « Il y a beaucoup de micro-gestion, des enjeux de communication, peu d’écoute et de reconnaissance de notre expérience », nous a dit l’une des participantes.


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Enfin, lorsqu’elles sont questionnées sur l’importance de la transmission de leurs connaissances aux plus jeunes travailleurs, la majorité répond par l’affirmative (72 %). Toutefois, celles qui se perçoivent victimes de l’âgisme témoignent du même coup d’un certain manque de réceptivité des plus jeunes travailleurs à l’égard de ces connaissances ainsi que d’une dévalorisation de leur expérience par l’employeur.

Repenser la culture du travail

Dans l’ensemble, ces résultats, même à partir d’un échantillon restreint, corroborent de nombreuses études montrant la persistance de l’âgisme au travail, doublée, pour les femmes, des stéréotypes de genre, en dépit de leur expérience. Cette réalité dépeinte par ces femmes, on peut le présumer, pèse sur leurs décisions d’interrompre malgré elles leur carrière.

Une femme aux cheveux gris coupés courts assise devant un ordinateur, un crayon à la main
La persistance de l’âgisme au travail, doublée, pour les femmes, des stéréotypes de genre, en dépit de leur expérience, teintent la carrière des femmes.
(Unsplash), CC BY

L’âgisme ciblant les travailleuses d’expérience demeure un phénomène sous-estimé. Ses conséquences sur le bien-être de ces travailleuses, comme pour la santé des organisations n’en sont pas moins négatives. Or si l’on veut réellement reconnaître la contribution de ces femmes, il est urgent de repenser la culture de nos environnements de travail dans un esprit d’inclusion et d’équité.

Le point de départ pour ce faire n’est autre qu’une prise de conscience, de la part des employeurs comme des travailleurs, de la prévalence des préjugés âgistes et sexistes, et des pratiques discriminatoires qui peuvent en découler.

La Conversation Canada

Martine Lagacé a reçu un financement du Comité consultatif pour les travailleuses et travailleurs de 45 ans et plus pour effectuer cette étude.

ref. Âgisme et sexisme : dès 45 ans, les femmes sont victimes de préjugés sur le marché du travail, selon une étude – https://theconversation.com/agisme-et-sexisme-des-45-ans-les-femmes-sont-victimes-de-prejuges-sur-le-marche-du-travail-selon-une-etude-252973

Âgisme et sexisme : dès l’âge de 45 ans, les femmes sont victimes de préjugés sur le marché du travail, selon une étude

Source: The Conversation – in French – By Martine Lagacé, Professeur titulaire, communication et psychologie sociale, L’Université d’Ottawa/University of Ottawa

En 2024, une étude empirique a permis de dresser un portrait nuancé de la réalité des femmes de 45 ans et plus. (Unsplash)

Elles sont qualifiées, engagées, et pourtant souvent invisibles. Les femmes de 45 ans et plus représentent une force croissante sur le marché du travail québécois. Mais leur expérience suffit-elle à les protéger des préjugés liés à l’âge et au genre ?

Au Québec, on observe une augmentation continue du nombre de personnes âgées de 55 à 69 ans qui demeurent sur le marché du travail, particulièrement chez les femmes. Chez ces dernières, le taux d’activité est, en effet, en croissance constante, particulièrement dans la tranche d’âge de 55 à 59 ans (+ 30 points selon l’Institut de la statistique du Québec).

Malgré tout, ce renfort démographique n’est sans doute pas suffisant pour faire oublier les préjugés liés à l’âge et au genre.




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Pour répondre à ces questions, 455 femmes âgées de 45 ans et plus travaillant sur le territoire québécois ont répondu à un questionnaire auto-rapporté. Pourquoi ce seuil d’âge ? Car une littérature abondante suggère que dès l’âge de 45 ans, les travailleurs risquent d’être la cible de comportements et de manifestations d’attitudes âgistes.

Une femme aux longs cheveux gris penchés sur un bureau, crayon à la main
Dès l’âge de 45 ans, les travailleurs risquent d’être la cible de comportements et de manifestations d’attitudes âgistes.
(Unsplash), CC BY

Des 455 participantes, la majorité (55 %) était âgée de 45 à 54 ans, et plus d’un tiers détenaient une formation universitaire. En outre, 88 % de ces femmes se disaient en « bonne » ou « très bonne » santé, physique et mentale. Les quatre secteurs de travail les plus représentés dans l’échantillon étaient l’éducation (28,3 %), la santé (19,4 %), les ventes et services (19,2 %) ainsi que l’administration (80 %). Enfin, la majorité des participantes (58 %) travaillaient dans le secteur public.

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La majorité des répondantes (84 %) se disent satisfaites ou très satisfaites de leur emploi, surtout lorsqu’elles sont motivées par des raisons personnelles ou sociales : sentiment d’accomplissement, contribution à une mission, défis stimulants.

À l’inverse, celles qui mentionnent la rémunération comme motivation principale se déclarent généralement moins satisfaites. Une tendance qui s’aligne avec la théorie de l’auto-détermination : les motivations extrinsèques, comme l’argent, ne suffisent pas à combler les besoins fondamentaux d’autonomie, de compétence et de lien social.

L’âgisme et le sexisme

Bien que la majorité des participantes soient globalement satisfaites de leur emploi, 27 % d’entre elles qualifient le marché du travail d’âgiste et/ou sexiste envers les travailleuses plus âgées, et près de 20 % évoquent des obstacles concrets. Voici quelques-uns de leurs commentaires :

Dans mon milieu, il y a définitivement un changement face aux femmes de 50 ans et plus. J’ai vu une attitude âgiste chez les hommes qui sont en position d’autorité.

La stigmatisation liée au fait d’être une femme affecte la façon dont mes collègues la perçoivent dans une certaine mesure.

Dur, car l’âge ne joue pas en notre faveur. Le choix est restreint, malgré l’expérience et la maturité, c’est encore un monde où des hommes de 45 ans ont plus de chance d’obtenir des postes de cadre.

Cette perception de discrimination, fondée sur l’âge et/ou le genre, s’exprime aussi sous la forme d’une fracture générationnelle : les travailleuses plus âgées se sentent désavantagées et expriment leur frustration en comparant leur situation à celle des plus jeunes, que ce soit pour les façons de faire au travail ou encore pour les conditions de recherche d’emploi.

Les travailleuses plus âgées se sentent désavantagées et expriment leur frustration en comparant leur situation à celle des plus jeunes.
(Vitaly Gariev sur Unsplash), CC BY

Voici certains témoignages de participantes :

Nous sommes en constante compétition. Les employeurs ne veulent pas prendre de risque d’engager une femme de plus de 45 ans. Et la nouvelle génération est très différente.

Très honnêtement, je pense qu’il est difficile pour une femme de cet âge de réintégrer le marché du travail après une perte d’emploi.

Les retombées de la discrimination fondée sur l’âge

Les résultats de l’étude montrent aussi que les participantes qui se sentent victimes de l’âgisme éprouvent une moins grande satisfaction au travail. Elles sont aussi plus nombreuses à envisager un départ à la retraite à court terme, c’est-à-dire au cours de la prochaine année, par comparaison avec celles qui n’éprouvent pas ce sentiment (soit 12,7 % pour les premières et 6,1 % pour les secondes).

Plus encore, les résultats montrent un lien significatif entre le ressenti d’âgisme et la perception de relations plus difficiles, plus tendues avec les gestionnaires, particulièrement avec les plus jeunes. « Il y a beaucoup de micro-gestion, des enjeux de communication, peu d’écoute et de reconnaissance de notre expérience », nous a dit l’une des participantes.


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Enfin, lorsqu’elles sont questionnées sur l’importance de la transmission de leurs connaissances aux plus jeunes travailleurs, la majorité répond par l’affirmative (72 %). Toutefois, celles qui se perçoivent victimes de l’âgisme témoignent du même coup d’un certain manque de réceptivité des plus jeunes travailleurs à l’égard de ces connaissances ainsi que d’une dévalorisation de leur expérience par l’employeur.

Repenser la culture du travail

Dans l’ensemble, ces résultats, même à partir d’un échantillon restreint, corroborent de nombreuses études montrant la persistance de l’âgisme au travail, doublée, pour les femmes, des stéréotypes de genre, en dépit de leur expérience. Cette réalité dépeinte par ces femmes, on peut le présumer, pèse sur leurs décisions d’interrompre malgré elles leur carrière.

Une femme aux cheveux gris coupés courts assise devant un ordinateur, un crayon à la main
La persistance de l’âgisme au travail, doublée, pour les femmes, des stéréotypes de genre, en dépit de leur expérience, teintent la carrière des femmes.
(Unsplash), CC BY

L’âgisme ciblant les travailleuses d’expérience demeure un phénomène sous-estimé. Ses conséquences sur le bien-être de ces travailleuses, comme pour la santé des organisations n’en sont pas moins négatives. Or si l’on veut réellement reconnaître la contribution de ces femmes, il est urgent de repenser la culture de nos environnements de travail dans un esprit d’inclusion et d’équité.

Le point de départ pour ce faire n’est autre qu’une prise de conscience, de la part des employeurs comme des travailleurs, de la prévalence des préjugés âgistes et sexistes, et des pratiques discriminatoires qui peuvent en découler.

La Conversation Canada

Martine Lagacé a reçu un financement du Comité consultatif pour les travailleuses et travailleurs de 45 ans et plus pour effectuer cette étude.

ref. Âgisme et sexisme : dès l’âge de 45 ans, les femmes sont victimes de préjugés sur le marché du travail, selon une étude – https://theconversation.com/agisme-et-sexisme-des-lage-de-45-ans-les-femmes-sont-victimes-de-prejuges-sur-le-marche-du-travail-selon-une-etude-252973

Grok, l’IA de Musk, est-elle au service du techno-fascisme ?

Source: The Conversation – in French – By Jonathan Durand Folco, Associate professor, Université Saint-Paul / Saint Paul University

Début juillet, la mise à jour de Grok dérape gravement : l’IA d’Elon Musk génère des propos antisémites et se présente comme « Mecha-Hitler ». Moins de deux semaines plus tard, la compagnie qui a développé Grok, xAI, décroche un contrat de 200 millions de dollars avec Le Pentagone.

Faut-il craindre qu’une intelligence artificielle sans garde-fous alimente l’appareil militaire américain ?

Parmi les nombreux robots conversationnels existant sur le marché, un sort du lot par sa prétention à sortir des balises du « politiquement correct » : Grok. Cette intelligence artificielle générative, filiale d’Elon Musk, a pour ambition de dépasser les capacités de ses concurrents (comme ChatGPT, Claude, Gemini, Copilot), tout en s’inscrivant dans une perspective « anti-woke », c’est-à-dire exempte de « censure » ou de règles morales trop rigides.

Dès avril 2023, l’entrepreneur milliardaire lançait le projet « TruthGPT » visant à créer « une IA en quête de vérité maximale qui tente de comprendre la nature de l’univers », tout en offrant une alternative aux « biais libéraux » de ChatGPT.

Notons que Musk, qui avait cofondé l’entreprise OpenAI en 2015 avant de la quitter en 2018 après avoir échoué à en devenir le patron, cherche depuis à prendre sa revanche sur son rival Sam Altman, devenu une superstar de l’industrie numérique depuis le succès mondial de ChatGPT.

Professeur à l’École d’innovation sociale de l’Université Saint-Paul, à Ottawa, mes travaux de recherche portent sur les mutations du capitalisme, les impacts sociaux de l’intelligence artificielle et l’autoritarisme contemporain. J’ai récemment publié Le capital algorithmique avec mon collègue Jonathan Martineau.

Grok, un miroir déformant de son créateur

À l’image de son créateur, Grok est conçu pour répondre avec humour noir et un côté rebelle, affichant ouvertement son mépris des normes sociales et des tabous. Un premier problème survient avec sa propension à répandre de fausses nouvelles, surtout via son intégration au média social X également possédé par Musk. Comme d’autres IA génératives, Grok souffre de biais, d’hallucinations et d’imprécisions.

Mais l’absence de balises éthiques et factuelles afin d’offrir un robot conversationnel « sans censure » peut mener à des résultats aberrants, comme la production d’images réalistes de Musk et Mickey Mouse tuant des enfants, ou la promotion du récit du « génocide blanc » en Afrique du Sud. L’idée d’une IA « anti-woke » aboutit ici à une amplification spectaculaire de la désinformation, au nom d’une liberté d’expression sans responsabilité.

Quand l’extrême droite flirte avec la haute technologie

Un deuxième problème survient dans un contexte politique où l’homme le plus riche du monde, ainsi que l’ensemble des élites de la Silicon Valley, se rallient à la nouvelle administration de Donald Trump.

L’engagement remarqué de Musk dans la campagne présidentielle de Trump, son adhésion à l’idéologie réactionnaire du Dark MAGA, son salut nazi du 20 janvier 2025, ou encore son soutien au parti Alternative pour l’Allemagne (AfD), témoignent de son virage vers l’extrême droite de l’échiquier politique.

Non satisfait que son IA soit encore trop « woke » ou qu’il reprenne trop les idées des médias traditionnels, Musk a annoncé la mise à jour de Grok 4 début juillet. Mais le robot a rapidement généré des discours antisémites, néonazis et conspirationnistes, se qualifiant lui-même de « Mecha-Hitler » (la start-up xAI s’est depuis excusée). Cela est inquiétant mais guère surprenant : la créature étant souvent à l’image de son créateur.

Quand le pouvoir technologique infiltre l’État

Un troisième problème survient lorsque les intérêts du secteur privé et du secteur public convergent à un point tel qu’on peut parler de collusion, voire de corruption. Cela est un secret de polichinelle, mais Elon Musk a été embauché comme employé spécial du Departement of Governement Efficiency (DOGE) pour opérer des coupures massives dans l’administration fédérale, alors que ses propres compagnies privées (Tesla, SpaceX, Neuralink) cumulent plus de 2,37 milliards de dollars en contrats fédéraux.


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L’usage de l’IA et la logique « move fast and break things » dans la mise en œuvre de compressions budgétaires automatisées par le DOGE ont été décrites par certains auteurs comme un « coup d’État assisté par l’IA ».

Ironiquement, Musk avait signé la lettre ouverte Pause Giant AI Experiments en mars 2023, appuyée par des centaines de personnalités publiques à travers le monde. À cette époque, la majorité des milieux de la recherche, de l’industrie, du secteur public et de la société civile appelait à un moratoire sur le développement de l’IA générative face aux nombreux risques qu’elle posait : désinformation, surveillance, pertes d’emploi, impacts environnementaux ou encore menaces pour la démocratie.

Devons-nous laisser les machines inonder nos canaux d’information de propagande et de mensonges ? […] Ces décisions ne doivent pas être déléguées à des leaders technologiques non élus. Les systèmes d’IA puissants ne doivent être développés que lorsque nous sommes certains que leurs effets seront positifs et que leurs risques seront gérables », alertaient alors les signataires.

En 2025, le scénario inverse s’impose : les IA diffusent massivement des contenus mensongers, des décisions majeures sont confiées à des acteurs privés non élus, et l’intelligence artificielle devient un levier de domination économique, politique et militaire.

Cette grande convergence entre l’oligarchie de la Silicon Valley et le mouvement populiste Make America Great Again est d’ailleurs parfois qualifiée de « techno-fascisme ». Il ne s’agit pas ici de la simple complicité entre Musk et Trump, qui a rapidement pris fin de façon spectaculaire en juin 2025 avec un échange d’insultes. Il s’agit d’une intégration structurelle des technologies algorithmiques dans un projet autoritaire.

Ce projet vise le démantèlement de l’État de droit et la mise en place d’un État policier, inspiré du président hongrois Viktor Orban et de sa « démocratie illibérale ».

De Mecha-Hitler à assistant des forces armées

Un dernier exemple de l’intégration de l’IA au service du techno-fascisme est le contrat signé à la mi-juillet entre xAI et le département américain de la Défense.

L’armée souhaite utiliser Grok pour fournir « ses capacités de soutien aux combattants » et aider à « préserver un avantage stratégique sur leurs adversaires ». Même si Musk a officiellement quitté le DOGE et rompu avec Trump, son IA se qualifiant de « Mecha-Hitler » sera directement branchée sur les forces armées.

Ajoutons à cela la déréglementation totale du secteur numérique par Trump, l’adoption du projet de loi Big Beautiful Bill qui fait exploser le budget de la police de l’immigration ICE, ou encore le projet Stargate de 500 milliards de dollars, et nous voilà au seuil d’une nouvelle ère techno-fasciste.

La Conversation Canada

Jonathan Durand Folco ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Grok, l’IA de Musk, est-elle au service du techno-fascisme ? – https://theconversation.com/grok-lia-de-musk-est-elle-au-service-du-techno-fascisme-261215

CAN des dames : 3 signes que le football féminin africain commence enfin à prendre son envol

Source: The Conversation – in French – By Chuka Onwumechili, Professor of Communications, Howard University

Le football féminin en Afrique a connu des changements radicaux au cours des dernières années. Après des débuts modestes à la fin des années 1990, il s’est développé au point que sa plus grande compétition attire aujourd’hui l’attention du monde entier.

La Coupe d’Afrique des nations féminine 2024 se dirige vers ses quarts de finale, avec huit pays encore en lice. Jusqu’à présent, ce tournoi, qui se tient tous les deux ans, a tenu ses promesses en matière de compétitivité. Les écarts importants entre les équipes participantes semblent avoir disparu. Les matches sont plus serrés, les primes ont augmenté et le public est au rendez-vous partout dans le monde.




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En tant que spécialiste de la communication sportive et du football féminin, je suggère à la Confédération africaine de football (CAF) d’envisager d’augmenter le nombre d’équipes participant à la phase finale. Il y en a actuellement 12, mais ce nombre pourrait facilement passer à 16 sans perdre en qualité.

Il y a des sceptiques, surtout après que le pays hôte, le Maroc, et la CAF ont reporté le tournoi de 2024 à 2025 pour éviter un chevauchement avec les Jeux Olympiques de Paris. Cela a également donné au Maroc le temps de terminer la rénovation de ses stades. Malgré les sceptiques, le tournoi repose sur des bases solides. Il y a des signes clairs qu’il est sur la bonne voie.

1. Les écarts entre les équipes se réduisent

Les écarts au niveau des scores se réduisent. La plus grande différence de buts enregistrée lors du tournoi de cette année est de 4-0, dans deux matchs. L’un a été remporté par l’équipe championne en titre, l’Afrique du Sud, contre le Mali et l’autre par le Sénégal contre la République démocratique du Congo (RDC).

Cependant, ni le Mali ni la RDC ne se sont montrés faciles à battre. Ils ont simplement connu une mauvaise soirée lors de leurs défaites respectives 0-4. En fait, bien que la RDC ait perdu tous ses matchs, elle s’est montrée compétitive face au pays hôte, l’une des équipes favorites de cette année, le Maroc. Elle s’est inclinée de justesse face à la Zambie, une équipe qui a terminé troisième devant l’éternel champion, le Nigeria, il y a seulement trois ans. Le Mali, avec quatre points, s’est qualifié pour les quarts de finale en tant que meilleure troisième.

Bien sûr, les grandes équipes habituelles ont atteint les phases à élimination directe. Personne n’a été surpris que le Maroc et l’Afrique du Sud soient rejoints en phase à élimination directe par le Nigeria, la Zambie, le Ghana et le Sénégal. L’Algérie, deuxième de son groupe, s’est qualifiée pour la phase à élimination directe pour la première fois. Elle l’a fait après un match nul mérité contre le Nigeria. L’émergence de l’Algérie témoigne du redressement continu des équipes féminines nord-africaines, qui étaient jusqu’à présent à la traîne dans les compétitions féminines sur le continent.

Ces progrès sont le fruit d’un travail acharné. Le Maroc a investi massivement et a vu ses équipes nationales féminines et ses clubs se hisser au sommet du football féminin.

L’Algérie est sur le point de connaître une ascension similaire. Ses performances dans cette compétition sont le fruit d’un recrutement important de joueuses d’origine algérienne vivant à l’étranger par le sélectionneur Farid Benstiti, qui dirigeait auparavant l’équipe féminine du Paris Saint-Germain. L’Algérie a également recruté plusieurs joueuses basées à l’étranger.

La compétitivité croissante entre les équipes de la CAN se reflète par l’élimination précoce de grandes nations comme la Côte d’Ivoire, la Guinée équatoriale et le Cameroun, absentes des quarts de finale.

La Guinée équatoriale a remporté le trophée à plusieurs reprises, seul pays à avoir réussi cet exploit avec le Nigeria. Le Cameroun est une puissance traditionnelle qui a représenté le continent à plusieurs reprises lors de la Coupe du monde féminine de football. La Tanzanie a créé la surprise en éliminant la Côte d’Ivoire lors de la phase de poule. Le Kenya a battu le Cameroun et la RDC a battu la Guinée équatoriale. Ces résultats témoignent avant tout du niveau élevé des équipes féminines de football sur le continent.

Cependant, certains défis subsistent. Parmi ceux-ci, on peut citer : le manque de financement des équipes nationales féminines tout au long de l’année en dehors des compétitions, le sexisme et les barrières religieuses dans certaines régions du continent.

2. Augmentation des primes

La CAF soutient de plus en plus la CAN féminine. Cette année, les primes remises aux vainqueurs ont augmenté de 100 % pour atteindre 1 million de dollars américains.

Le montant total des primes s’élève à 3,75 millions de dollars américains. Les finalistes malheureux recevront 500 000 dollars américains. L’équipe classée troisième aura 350 000 dollars américains et la quatrième 300 000 dollars américains. Les autres recevront des montants moins élevés. Ce soutien accru se reflète également dans les 600 000 dollars américains attribués à l’équipe vainqueur de la Ligue des champions féminine de la CAF.

Ce montant est toutefois loin d’être comparable à celui attribué lors de l’Euro féminin 2025 de l’UEFA (47,8 millions de dollars). Mais il témoigne des progrès constants réalisés par la CAN féminine pour réduire l’écart, alors que le football féminin suscite un intérêt croissant de la part des sponsors.

Et l’écart entre les hommes et les femmes en termes de prix reste important. Il s’agit toutefois d’un phénomène mondial.

3. Intérêt croissant des médias

L’affluence dans les stades de la CAN féminine a été décevante, en partie parce que les matches se jouent dans 3 petits stades. Les plus grands stades du Maroc sont encore en rénovation en vue de la co-organisation de la Coupe du monde masculine de football en 2026. La couverture médiatique a été impressionnante.

La CAF a indiqué que le match d’ouverture entre le Maroc et la Zambie a été diffusé dans plus de 120 territoires. Les principaux diffuseurs, dont beIN Sport, CANAL+, SuperSport et SportTV, couvrent l’événement.

Selon un communiqué de presse de la CAF :

Les spectateurs du monde entier pourront suivre les matchs depuis les États-Unis, le Brésil, le Canada, l’Australie, la France, la Belgique, l’Allemagne, le Qatar, les Pays-Bas et Singapour.

Vers un tournoi élargi ?

Compte tenu des progrès réalisés par la compétition au fil des ans, il est peut-être temps d’augmenter le nombre d’équipes participant à la phase finale de 12 à 16. Cela nécessitera bien sûr une augmentation des primes afin de garantir que chaque équipe reçoive une somme égale ou supérieure à celle distribuée lors de la compétition de cette année.

Cependant, le tournoi de cette année a clairement montré qu’il y aurait davantage de place pour des concurrentes de talent lors de la phase finale, sans faire baisser le niveau.

La CAN féminine a parcouru un long chemin depuis sa création au début du siècle. Elle est passée de huit équipes à douze, et pourrait encore s’agrandir. Le montant des récompenses a doublé pour l’équipe gagnante et la couverture télévisée s’est étendue à travers le monde. Il s’agit clairement d’une compétition en plein essor.

The Conversation

Chuka Onwumechili does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.

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