ChatGPT pose-t-il un risque pour l’apprentissage et la créativité ? Une étude apporte des nuances

Source: The Conversation – in French – By Alexandre Marois, Professeur adjoint en psychologie cognitive appliquée, Université Laval

L’intelligence artificielle (IA) défraie les manchettes depuis que ChatGPT est devenu accessible au grand public en novembre 2022. La tendance ne s’est pas démentie cet été :

  • « Sommes-nous d’accord pour devenir plus idiots ? »

  • « L’IA homogénéise-t-elle nos pensées ? »

Ces titres aussi accrocheurs qu’inquiétants proviennent respectivement du New York Times et du New Yorker. Les deux articles traitent des résultats d’une récente étude en prépublication, tenue par une équipe du MIT.

Les opinions concernant les bénéfices et les risques de l’IA pour notre capacité à réfléchir, à mémoriser et à apprendre sont très partagées. La psychologie cognitive et la recherche scientifique sur l’utilisation de l’IA permettent de jeter un regard éclairé sur ces différents mécanismes et de contribuer au débat entourant les effets de ChatGPT, et plus largement de l’IA, sur l’humain.

Une étude coup de poing du MIT

Dans cette étude du MIT, 54 personnes ont été invitées à prendre part à une tâche d’écriture d’essais sur une variété de sujets (p. ex. « Devrait-on toujours penser avant d’agir ? »).

Aléatoirement, chaque personne était assignée à une des trois conditions : 1) avec soutien de ChatGPT; 2) avec soutien seul de l’Internet; ou 3) sans aucune aide pour écrire les essais. Chaque personne devait compléter trois essais puis, si désiré, un quatrième, mais à l’aide d’une technique différente (p. ex., passer du soutien de ChatGPT à une absence d’aide). Simultanément, l’activité cérébrale des individus était mesurée.

Les résultats rapportés suggèrent que le cerveau des individus soutenus par ChatGPT était moins actif dans plusieurs régions clés liées à la créativité, à l’effort cognitif, à l’attention et à la mémoire.




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Également, l’équipe de recherche rapporte que les individus assignés à ce groupe étaient moins en mesure de citer des passages de leurs essais une fois l’expérience terminée et que leurs textes possédaient moins de profondeur que ceux produits par les membres des autres groupes.

Enfin, les personnes passant du groupe ChatGPT à une autre condition lors du quatrième essai présentaient un patron d’activité cérébrale similaire à celui observé lors de leurs essais précédents. Cependant, ce patron serait inadapté à la nouvelle stratégie leur ayant été assignée.

Une touche de nuances

À la vue de ces résultats – et malgré l’absence de révision scientifique par les pairs – plusieurs ont rapidement sauté à la conclusion qu’il s’agissait d’une preuve que l’IA et les agents conversationnels comme ChatGPT pouvaient nuire à l’apprentissage et à la créativité humaine.


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De tels discours alarmistes sont fréquents face à l’arrivée de nouvelles technologies, comme illustré dans une chronique menée par l’équipe de l’émission Les années lumière sur Ici Première le 13 juillet 2025.

Qu’en est-il réellement ? Les résultats suggèrent que l’activité cérébrale associée à des fonctions clés pour l’apprentissage comme la mémoire et l’attention est inférieure. Il est cependant normal que cette activité soit inférieure si ces fonctions sont moins mises à contribution.

Par ailleurs, un regard précis sur les résultats montre même que certaines fonctions cérébrales associées au mouvement et en partie à la mémoire et au traitement verbal étaient plus actives pour les individus soutenus par ChatGPT que ceux ayant recours à Internet.

Enfin, l’absence d’analyses statistiques systématiques quant aux difficultés à citer des passages des essais écrits par le groupe soutenu par ChatGPT, combinée au fait que seuls 18 individus ont accepté de revenir pour une quatrième session, représentent d’importantes limites à l’étude.

Les résultats s’avèrent donc peut-être plus nuancés (et moins terrifiants) que présentés.

Une approche différente pour étudier ChatGPT

Parallèlement aux travaux du MIT, notre équipe de l’Université Laval a récemment publié une étude s’intéressant aux effets des agents conversationnels sur l’apprentissage.

Soixante personnes devaient réaliser une tâche de recherche d’informations sur ordinateur afin de répondre à 12 questions à développement à propos de divers sujets de culture générale (p. ex. « Entre 75 et 100 mots, expliquez les principaux défis environnementaux auxquels font face les tortues de mer »).

Chaque personne était assignée aléatoirement à l’une des deux conditions : 1) avec soutien d’un agent conversationnel similaire à ChatGPT; ou 2) avec soutien seul d’Internet. À des fins de réalisme, les personnes soutenues par l’IA avaient la possibilité de contrevérifier sur Internet les informations offertes par l’IA. Des mesures autorapportées de l’effort mental, de familiarité avec l’outil utilisé et des connaissances préalables à chaque sujet abordé étaient également prélevées.

En fin d’expérience, un test de mémoire surprise était présenté au cours duquel chaque personne devait rappeler un élément spécifique aux 12 questions abordées (p. ex. « Nommez une activité humaine nuisible aux tortues de mer »).

Des résultats pas tout à fait alarmants

Les résultats de notre étude montrent que la performance aux questions à développement et aux questions de mémoire présentées en fin d’expérience sont similaires entre les deux conditions.

Cependant, des différences ont été observées quant au niveau de familiarité avec l’outil et quant au niveau d’effort mental perçu. Les individus ayant recours à Internet ont en effet rapporté une plus grande aisance, mais au prix d’un effort plus important. Ces résultats permettent de soutenir l’idée selon laquelle des outils d’IA comme ChatGPT peuvent réduire les efforts déployés pour effectuer certaines tâches.

Cependant, contrairement à ce qui était rapporté par l’équipe du MIT, cette différence d’effort au cours de la tâche n’a mené à aucune différence sur les mesures de mémoire. Fait intéressant, la majorité des individus soutenus par l’IA vérifiait au moins à une reprise les éléments fournis par l’agent conversationnel, contribuant potentiellement à un meilleur engagement dans la tâche et une meilleure mémorisation de l’information.

Dans l’ensemble, nos résultats permettent non seulement de jeter un regard plus nuancé sur les effets des agents conversationnels sur l’apprentissage, mais également de fournir un portrait réaliste de l’utilisation de cette technologie. Dans leur quotidien, les individus sont libres d’utiliser des outils comme ChatGPT, mais également de vérifier ou non les informations fournies, voire d’utiliser un ensemble de stratégies complémentaires.

Une telle approche, plus représentative de la réalité, devrait être préconisée avant de tirer des conclusions hâtives sur les risques potentiels des technologies d’IA. Non seulement cette approche permet une analyse plus nuancée, mais également plus généralisable à la vie de tous les jours. Ces résultats pourraient même motiver les individus à vérifier ce que l’IA fournit comme information.

Rester critique

L’IA nous rendra-t-elle idiot et homogénéisera-t-elle notre façon de penser ?

Un regard éclairé sur l’étude du MIT nous fait voir que l’IA n’est sans doute pas aussi nuisible que certains le laissent croire. Quant aux résultats de notre étude, ils suggèrent que les personnes ayant eu recours à l’IA montrent un apprentissage similaire à celles ne l’ayant pas utilisée, et qu’elles décident même de contrevérifier l’information que l’IA fournit, signe d’une intelligence et d’un engagement important.

Comme pour toute technologie, le fait d’être ou non idiot dépendra de notre façon d’interagir avec l’IA et de notre intérêt à demeurer critiques, curieux et engagés.

La Conversation Canada

Alexandre Marois a reçu des financements du Conseil de recherche en sciences naturelles et en génie du Canada et du Fonds général de recherche de l’Université Laval.

Gabrielle Boily a reçu du financement du Conseil de recherche en sciences naturelles et en génie du Canada.

Isabelle Lavallée a reçu du financement du Conseil de recherche en sciences naturelles et en génie du Canada.

Jonay Ramon Alaman ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. ChatGPT pose-t-il un risque pour l’apprentissage et la créativité ? Une étude apporte des nuances – https://theconversation.com/chatgpt-pose-t-il-un-risque-pour-lapprentissage-et-la-creativite-une-etude-apporte-des-nuances-261132

Attaques coordonnées dans l’Ouest du Mali : une nouvelle phase dans l’expansion du djihadisme ?

Source: The Conversation – in French – By Mady Ibrahim Kanté, Lecturer-researcher, Université des sciences juridiques et politiques de Bamako

Le 1er juillet 2025, la région de Kayes, l’ouest du Mali – longtemps considérée comme une zone relativement épargnée par l’insécurité – a été la cible d’une série d’attaques coordonnées d’une ampleur inédite. Le groupe terroriste Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM), affilié à Al-Qaïda, a simultanément attaqué plusieurs localités et infrastructures sécuritaires.

La résidence du gouverneur de Kayes, le camp de la brigade militaire, le commissariat du 2ᵉ arrondissement, ainsi que des postes frontaliers de Diboli (vers le Sénégal) et de Gogui (vers la Mauritanie) ont été visés. Une autre attaque a été menée à Sandaré, à 150 km de Kayes.

En tant que chercheurs sur les questions de dynamiques sécuritaires et les stratégies antiterroristes en Afrique de l’Ouest, nous voyons dans ces attaques un tournant préoccupant. Elles révèlent une nouvelle stratégie alarmante dans le déploiement géographique des groupes armés non-étatiques au Mali.

C’est un moment clé dans l’évolution de la lutte armée au Sahel. Les cibles visées sont hautement stratégiques. Cela témoigne d’une sophistication croissante des méthodes, à la fois, dans les ambitions et les capacités opérationnelles de ces groupes. Jusque-là, on n’avait pas vu une telle précision dans la coordination des attaques.

Les motivations derrière ces attaques

L’attaque du 1er juillet doit être analysée comme une opération hautement stratégique, répondant à plusieurs objectifs pour le Jama’a Nusrat ul-Islam wa al-Muslimin (JNIM). Premièrement, le JNIM, historiquement actif dans le nord et le centre du Mali, cherche désormais à étendre son emprise vers les régions frontalières du Sénégal et de la Mauritanie. Cette projection territoriale vise à exploiter les failles sécuritaires et la marginalisation socio-économique dans ces zones.

Cette stratégie d’extension progressive vers de nouveaux territoires est une constante du mode opératoire du JNIM depuis 2019. Désormais, le groupe concentre ses attaques sur les zones forestières sahéliennes, les centres urbains et les régions côtières.

Deuxièmement, l’attaque simultanée de plusieurs installations militaires et administratives à Kayes et Nioro du Sahel a sans doute été conçue pour évaluer les capacités opérationnelles et la coordination des forces armées maliennes (FAMa) dans une région jusque-là considérée comme plus stable.

Enfin, en frappant un centre régional symbolique comme la ville de Kayes, le groupe envoie un message fort : aucun territoire n’est hors de sa portée au Mali. Cette démonstration de force vise également à attirer de nouveaux combattants et à intimider tant les autorités que les populations.




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Des répercussions immédiates et durables

Cette offensive pourrait avoir des répercussions multiples, tant sur les plans sécuritaire, politique que humanitaire.

D’abord, la désorganisation des services étatiques : l’attaque contre la résidence du gouverneur, les camps militaires et le commissariat a provoqué la paralysie temporaire des institutions locales, semant un climat de peur parmi la population.

Ensuite, un affaiblissement de la confiance des populations envers l’État. D’après les témoignages recueillis sur place le jour des attaques, de nombreux habitants ont fui vers des villages voisins. Les transporteurs, qui assurent habituellement les liaisons entre la ville de Kayes et les zones rurales, ont rebroussé chemin par crainte de nouvelles violences. L’insécurité grandissante alimente un climat de peur et de tension.

Puis, le risque d’un effet domino sur les régions voisines. Cette attaque pourrait inspirer d’autres opérations menées par des groupes armés non étatiques dans les zones frontalières, notamment vers le sud de la Mauritanie et le sud-est du Sénégal. Ce qui pourrait accélérer la régionalisation du conflit malien.

Enfin, il y a non seulement une volonté manifeste d’étendre l’insécurité au-delà des frontières maliennes et d’impacter psychologiquement les populations en les poussant à prendre le chemin de l’exil, mais aussi de saper la confiance que ces mêmes populations accordent aux autorités frontalières.

De fait, l’attaque de Diboli a mis sur le qui-vive les hautes autorités sénégalaises et mauritaniennes qui ont déjà renforcé la surveillance militaire aux frontières et dans les autres régions qu’elles considèrent comme névralgiques.

Des capacités de riposte limitées

Malgré une réponse rapide des Forces armées maliennes (FAMa), notamment lors de l’attaque du 1er juillet 2025 où plus de 80 terroristes auraient été neutralisés, la situation sécuritaire demeure préoccupante. Les capacités militaires du pays restent limitées en termes d’effectifs, de mobilité et de ressources technologiques dans cette région montagneuse et forestière.

En outre, la région de Kayes, jusque-là peu militarisée, souffre d’un important déficit de renseignement, en particulier dans les zones rurales où les populations hésitent à signaler la présence de membres du JNIM, par crainte de représailles.
À cela s’ajoute la présence des groupes terroristes dans plusieurs régions du pays. Avec les groupes rebelles au nord du pays, les Forces de défense et de sécurité font face à plusieurs fronts.

Plus globalement, le Mali traverse une période politique instable, marquée par des transitions politiques répétées depuis 2020. Cette instabilité entrave la mise en œuvre de réformes structurelles nécessaires à une lutte efficace contre le terrorisme et limite la capacité de mobilisation nationale autour des enjeux sécuritaires.

Les mesures d’urgence et structurelles à prendre

À long terme, des mesures structurelles telles que le développement de la jeunesse, la coopération régionale et le dialogue sur la gouvernance sont essentielles pour assurer une stabilisation durable. Le changement climatique, l’insécurité alimentaire, le retour au soutien de l’état à travers la sensibilisation des populations sont des initiatives qu’il faudrait aussi associer dans les mesures d’urgence et structurelles à prendre immédiatement.

La coopération militaire tripartite (Mali-Sénégal-Mauritanie) devrait être renforcée avec des activités opérationnelles planifiées, comme en février 2025, des patrouilles mixtes transfrontalières et des actions civilo-militaires avec une collaboration étroite des populations locales.

Suivant les recommandations du Groupe d’action financière (GAFI), il faudrait également renforcer dans la sous-région ouest-africaine les lois contre le terrorisme et la criminalité. Pour ce faire, il faut davantage cibler les réseaux de financement du terrorisme en mettant en place des cadres juridiques spécifiques aux contextes sahéliens capables de couper à la source ces types de financements.

The Conversation

The authors do not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and have disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.

ref. Attaques coordonnées dans l’Ouest du Mali : une nouvelle phase dans l’expansion du djihadisme ? – https://theconversation.com/attaques-coordonnees-dans-louest-du-mali-une-nouvelle-phase-dans-lexpansion-du-djihadisme-261533

Comment réinventer l’autoroute du Soleil à l’heure de la transition écologique ?

Source: The Conversation – France (in French) – By Etienne Faugier, Maître de conférences en histoire, Université Lumière Lyon 2

On l’appelle « autoroute du Soleil », voire « autoroute des vacances ». L’A7, au sud de la France, est un axe touristique emblématique. Retour sur l’histoire de sa construction, indissociable de l’ère des congés payés, et sur les défis environnementaux, sociaux et économiques auxquels elle fait face.


En juillet et août, l’autoroute A7, qui relie Lyon à Marseille, est un axe particulièrement emprunté par les automobilistes, camionneurs, motocyclistes, caravanistes et autres camping-caristes. Habituellement chargée le reste de l’année par les poids lourds, elle fait alors l’objet de chassés-croisés entre juilletistes et aoûtiens.

Il s’agit d’un axe majeur du réseau autoroutier français, qui dit beaucoup de choses sur le passé, le présent et l’avenir de la société française. Sa construction s’inscrit dans un moment bien particulier de l’histoire, et elle fait face aujourd’hui à de nouveaux enjeux environnementaux, économiques et sociaux.

Aux origines des projets d’autoroutes

Les projets autoroutiers remontent au début du XXe siècle. Ils se sont développés avec l’essor de la motorisation dans une volonté d’accélérer les déplacements en séparant les modes de transport motorisés des autres modes. Un premier tronçon d’autoroute est construit aux États-Unis autour de Long Island (dans l’État de New York) en 1907. Mais c’est véritablement de Milan aux lacs de Côme et Majeur (Italie), en 1924, que l’on voit apparaître la première autostrada. Le Reich allemand suivra, en 1935, avec une autoroute de Francfort et Darmstadt (dans le Land de Hesse).

En France, dès les années 1930, des propositions d’autoroute voient le jour et notamment, en 1935, la Société des autostrades françaises (SAF) propose un itinéraire entre Lyon (Rhône) et Saint-Étienne (Loire), abandonné, car non rentable. L’autoroute a pour premier objectif les échanges économiques et commerciaux par camions et automobiles. Des projets d’autoroutes de contournement d’agglomération sont lancés durant les années 1930 dans la région parisienne. Ce n’est véritablement qu’après la Seconde Guerre mondiale qu’un système autoroutier émerge avec la loi de 1955.

L’utilisation de ce réseau à des fins touristiques et récréatives s’accroît au début des années 1960, sous l’impulsion notamment de Georges Pompidou.

Plusieurs éléments y contribuent. D’abord, la possession automobile se démocratise (Renault 4CV en 1946, Citroën 2CV en 1948) et les flottes de camions, camionnettes, motocyclettes augmentent durant la période des Trente Glorieuses. Parallèlement, les Français obtiennent deux semaines de congés payés en 1936, une troisième en 1956, une quatrième en 1969, puis une cinquième en 1982, de quoi partir en vacances.

Les travaux de l’autoroute A7 débutent en 1950 et s’achèvent en 1974 et relient à l’époque le sud de Lyon (Rhône) à Marseille (Bouches-du-Rhône) sur environ 300 km. La construction se fait sous l’autorité de la société d’économie mixte de l’Autoroute de la Vallée du Rhône (SAVR), renommée Autoroutes du sud de la France (ASF) en 1973.

On la qualifie d’« autoroute du Soleil » dès 1974, puisqu’elle emmène les Lyonnais vers la Méditerranée plus rapidement que par la mythique et plus pittoresque route nationale 7, la route des vacances. L’A7 va nourrir l’attrait touristique pour la Côte d’Azur.

Flux autoroutiers et patrimoine

La législation autoroutière permet de se déplacer jusqu’à la vitesse limite de 130 km/h. Plusieurs outils sont progressivement constitués pour gérer, en toute sécurité, les flux autoroutiers.

On peut citer la création en 1966 du Centre national d’information routière (CNIR) de la Gendarmerie à Rosny-sous-Bois et, en 1975, de Bison Futé pour informer sur la circulation routière afin d’éviter les embouteillages et pour proposer les itinéraires bis. Dès 1986, ce sera aussi le minitel avec le 3615 code route, puis dès 1991 la fréquence radio 107.7 avec ses flash-infos, et enfin le site Internet de Bison Futé en 1996 avec désormais toutes applications numériques pour connaître le trafic en temps réel (Waze, Googlemaps…).

La conduite frontale monotone sur autoroute fatigue et peut entraîner des accidents. L’autoroute, c’est aussi des aires pour s’arrêter. Celles-ci se répartissent en deux catégories : les aires de repos, tous les 15 km, avec tables, sanitaires, accès à l’eau et les aires de service, tous les 30-40 km, qui comportent de surcroît une station essence et des commerces. À l’échelle de la France, on dénombre 364 aires de service, 637 aires de repos.

Annonce de l’aire d’autoroute de Montélimar (Drôme) sur l’A7.
BlueBreezeWiki/Wikimedia, CC BY-NC-ND

L’aire de service de Montélimar (Drôme), la plus importante d’Europe (52 hectares) peut aujourd’hui accueillir jusqu’à 60 000 personnes et 40 000 véhicules, et compte entre 180 et 400 employés ! Elle accueille dès 2010 un McDonald’s géré par Autogrill – un des leaders mondiaux de la restauration des voyageurs – et met bien sûr en avant la spécialité locale : le nougat.

Reste que l’autoroute propose à ses usagers un long ruban d’asphalte avec peu d’accès aux patrimoines des territoires traversés. Certaines aires d’autoroute ont entrepris, dès 1965, de les signaler. Ainsi l’aire de service de Saint-Rambert d’Albon (Drôme) intitulée « Isardrôme » (contraction d’Isère, d’Ardèche et de Drôme), expose et vend les produits du terroir – chocolats de la Drôme, fruits de l’Ardèche et de la Drôme, des produits gastronomiques (ravioles de Romans, vins des caves de Chapoutier et Jaboulet, marrons glacés Clément Faugier d’Ardèche, etc.).

Dès 1972, preuve de l’influence du tourisme à cette période, sont également installés les fameux panneaux marron qui indiquent les richesses patrimoniales à proximité de l’autoroute. Jean Widmer, graphiste suisse, s’inspire pour celles-ci des pictogrammes égyptiens.

Dès 2021, de nouveaux dessinateurs sont amenés à retravailler cette signalétique patrimoniale, à travers des images stylisées qui font la promotion des territoires français, récemment mis à l’honneur par une exposition au Musée des Beaux-Arts de Chambéry. Celles-ci permettent aux usagers de l’autoroute d’avoir un « paysage mental » plus élargi du territoire qu’ils parcourent.

Exemple de panneau patrimonial pour autoroute dessiné par Jacques de Loustal.
Jacques de Loustal

Mais le temps, fût-il gagné, c’est de l’argent. Depuis 1961, les autoroutes gérées par des entreprises (Vinci, Eiffage…) sont payantes pour leurs usagers – elles deviennent totalement privées à partir de 2002 en échange de la modernisation et l’entretien des réseaux autoroutiers. Ces concessions arriveront à leur terme durant les années 2030, ce qui pose la question du retour des réseaux autoroutiers dans l’escarcelle de l’État.

L’autoroute du Soleil à l’épreuve de la durabilité

Le principal défi des autoroutes est désormais d’ordre écologique.

En effet, celles-ci affectent la biodiversité : les autoroutes traversent de larges territoires ruraux. Par exemple au col du Grand Bœuf dans la Drôme, à 323 mètres d’altitude, l’autoroute nuit à la faune coupant en deux les écosystèmes.

Pour tenter de pallier les déficiences de l’aménagement du territoire et améliorer la gestion de la biodiversité, un écopont – pont végétalisé aérien – de 15 mètres de large a été construit en 2011 pour permettre la circulation des espèces animales (biches, chevreuils, blaireaux, renards, fouines, etc.). Il a coûté 2,6 millions d’euros.

Aménagement écologique sur l’A7.
Chacal doré photographié sous l’autoroute A7, en novembre 2020.
LPO Provence-Alpes-Côte d’Azur

Plus au sud, au niveau de Salon-de-Provence (Bouches-du-Rhône), il existe des écoducs – passages souterrains destinés à la petite faune. Sous l’A7, les caméras de surveillance ont pris en photo en 2020 plusieurs chacals dorés.

Les autoroutes telles que l’A7 entraînent diverses sortes de pollution : sonore, visuelle, environnementale. Depuis les années 1990, les préoccupations montent quant à la pollution routière et à ses effets.

L’infrastructure qu’est l’autoroute, pour permettre la vitesse, nécessite d’artificialiser une partie importante de l’environnement. De plus en plus de critiques se font jour depuis le début des années 1990 pour contester l’emprise au sol du système motorisé. Cela amène donc davantage de frictions entre les acteurs du territoire lorsqu’il s’agit de construire un échangeur, une portion d’autoroute ou encore une aire de repos ou de service.

Les accidents, mortels ou non, font eux aussi l’objet de multiples médiations. Il faut toutefois avoir conscience qu’ils sont plus nombreux hors autoroutes. En 2022, la mortalité sur autoroute ne représentait que 9 % des tués, contre 59 % sur les routes hors agglomération (nationales, départementales…) et 32 % en agglomération.

Avec l’essor des véhicules électriques et hybrides et la fin programmée des moteurs thermiques, les bornes électriques se multiplient – depuis 2019, sur l’aire d’autoroute de Montélimar évoquée plus haut.

En 2024, on dénombrait sur l’A7 plus de 120 points de recharge, certains ultrarapides, répartis sur neuf aires d’autoroute, dont l’aire Latitude 45 de Pont-de-l’Isère (Drôme), la mieux dotée. Le concessionnaire propose en moyenne 10 bornes de recharge et voudrait arriver à 60 par aire d’autoroute à l’horizon 2035.

Les enjeux de réseau, d’alimentation et d’usage autour de la recharge électrique sont encore à affiner. Cet été, le trafic sur l’A7 peut atteindre 180 000 véhicules/jour avec de nombreux poids lourds, automobiles, caravanes et camping-car. Si on souhaite réduire les émissions de gaz à effet de serre et respecter l’accord de Paris, remplacer tous ces véhicules par de l’électrique ne suffit pas : il faut également en passer par une forme de sobriété et réduire le volume des déplacements.

Entre enjeux économiques et frictions sociales

L’A7 fait enfin l’objet d’enjeux politiques. Entre Chanas (Isère) et Tain-L’Hermitage (Drôme) par exemple, soit le tronçon le plus long entre deux sorties d’autoroute, deux demi-échangeurs à Saint-Rambert d’Albon (en direction de Marseille) et à Saint-Barthélémy-de-Vals (tourné vers Lyon) sont en discussion, et devraient aboutir sur la période 2019-2027.

Ces deux infrastructures doivent mieux desservir le territoire d’un point de vue économique et touristique, après concertation entre la communauté de communes Portes de DrômArdèche, de la région Auvergne-Rhône-Alpes (AURA) et de Vinci Autoroute. Toutefois, des associations environnementales et trois municipalités (Peyrins, Chantemerle, Saint-Bardoux) se sont opposées au projet en mai 2025 dans un souci de durabilité (impact pour la faune et flore, pertes de terrains agricoles) et d’augmentation trop importante du trafic routier sur ce territoire.

L’autoroute des vacances n’intéresse donc pas simplement les touristes motorisés qui la traversent. Elle concerne en premier lieu les habitants des territoires desservis et a des impacts sur les territoires environnants.

Durant les années à venir, cette autoroute, comme l’ensemble du réseau autoroutier, va être soumise à des pressions accrues : politiques, économiques, sociales, environnementales. La question de nos modes de vie entre en collision avec la finalité des ressources disponibles, comme l’avait souligné le rapport du club de Rome en 1972. Alors, à terme : parlera-t-on encore d’autoroute des vacances ou d’autoroute vacante ?

The Conversation

Etienne Faugier est président et membre de l’Association Passé-Présent-Mobilité, https://ap2m.hypotheses.org/
Il est aussi membre du Conseil scientifique du CHEDD (Comité d’Histoire de l’Environnement et du Développement Durable), https://chedd.hypotheses.org/

ref. Comment réinventer l’autoroute du Soleil à l’heure de la transition écologique ? – https://theconversation.com/comment-reinventer-lautoroute-du-soleil-a-lheure-de-la-transition-ecologique-261969

La Terre est-elle le berceau de l’humanité ? Quelques réponses en science-fiction

Source: The Conversation – France (in French) – By Gatien Gambin, Doctorant en Études Culturelles / ATER en BUT Métiers du Multimédia et de l’Internet, Université de Lorraine

L’imaginaire spatial, un champ de bataille culturel sur lequel s’opposent diverses représentations de l’aventure spatiale. Shutterstock

L’image de la Terre « berceau » de l’humanité a longtemps nourri l’imaginaire de la colonisation spatiale, de la science-fiction et l’esprit des entrepreneurs de conquêtes spatiales. Elle est aujourd’hui remise en question par une multitude d’œuvres de science-fiction, au cinéma comme en littérature.


« La Terre est le berceau de l’humanité, mais nul n’est destiné à rester dans son berceau tout au long de sa vie. » Cette phrase du père de l’astronautique moderne Constantin Tsiolkovski (1857-1935) a marqué durablement l’astroculture sous toutes ses formes, dans sa Russie natale comme en Occident. Elon Musk, les personnages du film Interstellar (Christopher Nolan, 2014) ou bien ceux du roman Aurora (Kim Stanley Robinson, 2015) citent aisément la métaphore du « berceau » pour justifier la colonisation spatiale, ou au contraire la discuter.

De ses origines jusqu’à son assimilation et son questionnement par la science-fiction (SF) contemporaine, plongeons dans les méandres d’une métaphore qui structure puissamment les imaginaires de l’exploration spatiale.

Une citation aux origines floues devenue un lieu commun

La métaphore du « berceau » est en réalité un amalgame de deux citations. Tsiolkovski était un des fers de lance du cosmisme russe, un courant philosophique, scientifique et spirituel apparu à la fin du XIXe siècle. Selon lui, la destinée humaine est de quitter la Terre pour « contrôler entièrement le système solaire. » Il exprime cette idée dans une lettre, datant de 1911, adressée à un ami ingénieur. Cette correspondance est la source la plus fréquemment utilisée pour référencer la métaphore du berceau, pourtant le mot « berceau » (« cradle » en anglais, « колыбель » en russe) n’y est pas utilisé.

L’image du berceau apparaît en 1912, en conclusion d’un de ses articles pour un magazine d’aéronautique, dans une phrase qui détermine la structure de la métaphore :

« Notre planète est le berceau de la raison, mais personne ne peut vivre éternellement dans un berceau. »

Différents passages de Tsiolkovski semblent donc avoir été amalgamés en une citation dont l’origine exacte fait l’objet de confusions et dont la traduction opère un changement de sens : la « planète » devient la Terre et la « la raison » devient l’humanité. Cette citation controuvée s’est ainsi transformée au fil du temps en un puissant lieu commun souvent mobilisé pour soutenir la colonisation spatiale.

Un lieu commun débattu en science-fiction

Tsiolkovski avait une riche activité d’écrivain-vulgarisateur. Plusieurs de ses nouvelles racontent le futur spatial de l’humanité en décrivant des habitats spatiaux ou l’expérience sensorielle et émotionnelle de la vie en impesanteur. Inspiré par Jules Verne et l’astronome Camille Flammarion, il a contribué comme eux à poser les fondements de ce qu’on nommera plus tard la science-fiction.

La SF est née à la fin des années 1920, dans les pulps magazines américains. Seuls les textes scientifiques sur l’astronautique de Tsiolkovski sont alors connus au-delà de l’Atlantique. Les idées qu’il développe dans ses récits ont participé à bien des égards à l’élaboration de l’imaginaire science-fictionnel, mais sa métaphore reste finalement son héritage le plus perceptible dans le genre.




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Comment les séries de science-fiction réinventent la narration


L’auteur de SF britannique Brian Aldiss cite Tsiolkovski dans son roman Mars Blanche (2001), l’idée du berceau est employée comme un argument en faveur de la colonisation de Mars, puis critiquée par un personnage qui la range parmi les lieux communs empêchant de renouveler l’imaginaire de l’exploration spatiale.

Kim Stanley Robinson discute également de la sédimentation de la métaphore dans son roman Aurora (2015). L’auteur états-unien affirme avoir voulu « tuer cette idée que l’humanité est vouée à aller dans les étoiles ». Une scène illustre cette intention : lors d’un colloque, les revenants d’une mission de colonisation spatiale se battent avec ceux qui justifient ce projet grâce à l’image du berceau.

Dans ces œuvres, l’usage tel quel de la citation de Tsiolkovski permet le développement d’une double critique : celle de l’image produite par cette métaphore et celle du bien-fondé de la colonisation spatiale. C’est une chose nouvelle dans la SF du XXIe siècle puisqu’avant les années 1990, « être contre l’espace [revenait à] être contre la SF », selon le critique Gary Westfahl.

Un symbole aux enjeux écologiques

L’absence de remise en question de la colonisation spatiale perdure encore dans la SF actuelle. Elle s’observe dans la manière dont la métaphore du berceau se trouve paraphrasée dans certaines œuvres, comme le blockbuster Interstellar (2014). Dans une réplique, le héros du film affirme :

« Ce monde est un trésor […], mais il nous dit que l’on doit le quitter maintenant. L’humanité est née sur Terre, on n’a jamais dit qu’elle devait y mourir. »

L’image du berceau est remplacée par le verbe « naître » (« Mankind was born on Earth »), mais le sens de la métaphore reste bien présent tandis qu’une justification écologique est ajoutée, en écho aux considérations de l’époque. Avec cette paraphrase, c’est davantage un sursaut de conservation de l’humanité que l’idée originelle de son émancipation par l’accès à l’espace qui est mise en avant.

Bande-annonce du film Interstellar (2014), de Christopher Nolan.

Dans le film Passengers (2016), le mot « berceau » est investi du même imaginaire de l’aventure spatiale : quitter la Terre permettrait de sauver l’humanité. Toutefois, des enjeux économiques s’y ajoutent de façon à souligner la dimension astrocapitaliste d’un tel projet d’exode. En guise d’« introduction à la vie coloniale », un hologramme explique au personnage principal :

« La Terre est une planète prospère, le berceau de la civilisation (« the cradle of civilization »). Mais pour beaucoup, elle est aussi surpeuplée, surtaxée, surfaite (« overpopulated, overpriced, overrated »). »

La Terre est ainsi envisagée comme une marchandise par la compagnie privée qui possède le vaisseau. Son fond de commerce n’est pas la survie de l’humanité, mais l’exode vers une planète B édenique à bord de vaisseaux de croisière.

Le nom de Tsiolkovski s’efface dans ces deux films, et avec lui le lien syntaxique entre « Terre » et « berceau » grâce au verbe « être ». Le mot « berceau » devient dès lors un symbole. Sa seule mention dans un contexte astroculturel suffit à évoquer la Terre, et à ouvrir la voie à tous les espoirs d’une vie plus agréable, plus libre et plus abondante sur une autre planète.




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Du berceau au foyer

L’imaginaire spatial apparaît aujourd’hui comme un champ de bataille culturel au sein duquel s’opposent diverses représentations de l’aventure spatiale. Aux récits les plus traditionnels – les rêves de conquête et d’utopie spatiales – s’opposent des récits dans lesquels les humains renoncent à la colonisation spatiale comme la publicité satirique de l’association Fridays for Future à propos de l’élitisme de la colonisation spatiale. Elle s’oppose, entre autres, au slogan « Occupy Mars » de SpaceX, l’entreprise astronautique d’Elon Musk, en détournant les codes de leurs supports de communication.

On peut trouver des récits similaires dans la SF, comme la bande dessinée Shangri-La (2016), de Mathieu Bablet, ou le roman l’Incivilité des fantômes (2019), de Rivers Solomon, qui extrapolent les racines capitalistes et colonialistes du rêve d’exode dans l’espace.

À l’interstice de ces deux pôles se trouvent des récits cherchant le pas de côté pour continuer à rêver de voyages spatiaux sans succomber à un récit dominant.

La critique du récit spatial dominant passe fréquemment par l’étude de sa réappropriation du mythe américain de la frontière (la Frontier, le front pionnier de la conquête de l’Ouest), de ses aspects militaires ou de sa dimension astrocapitaliste.

La métaphore du berceau reste trop souvent évacuée lorsqu’il est question de changer nos représentations de l’espace. S’il faut « cesser de parler de l’espace comme d’une frontière », comme l’appelle de ses vœux l’anthropologue Lisa Messeri, sans doute faut-il tout autant cesser de considérer la Terre comme un berceau. Mieux vaudrait la considérer comme un foyer, sans tomber dans la naïveté de croire qu’une telle reformulation permettrait de sortir du paradigme astrocapitaliste.

La stratégie de communication de Blue Origin – entreprise spatiale créée par Jeff Bezos – accapare déjà l’image du foyer pour se différencier de son concurrent SpaceX. Leur slogan tente de nous en convaincre : Blue Origin réalise ses projets spatiaux « pour le bénéfice de la Terre ».

Au moins certaines œuvres permettent un peu de respiration face à cette opération de récupération de la critique inhérente au « nouvel esprit du capitalisme ». À l’instar du roman Aurora (2015), de Kim Stanley Robinson, le Roman de Jeanne (2018), de Lidia Yuknavitch, Apprendre si par bonheur (2019), de Becky Chambers et le film Wall-E (2008), d’Andrew Stanton, sont des œuvres qui expérimentent, dans le fond et dans la forme, un double changement discursif : l’espace y devient au mieux un milieu à explorer avec humilité, au pire un lieu auquel l’humain renonce, mais il n’est plus une frontière à conquérir ; la Terre y est un foyer que l’on retrouve après des années d’absence et que l’on entretient du mieux possible, mais jamais un berceau que l’on veut à tout prix quitter.


L’auteur remercie Célia Mugnier pour son aide sur la traduction de la métaphore du berceau.

The Conversation

Gatien Gambin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. La Terre est-elle le berceau de l’humanité ? Quelques réponses en science-fiction – https://theconversation.com/la-terre-est-elle-le-berceau-de-lhumanite-quelques-reponses-en-science-fiction-241287

Devenir mère seule par PMA : quand le désir d’enfant s’affranchit du couple

Source: The Conversation – France in French (3) – By Margot Lenouvel, Doctorante en sociologie, Ined (Institut national d’études démographiques)

En France, depuis l’ouverture de la procréation médicalement assistée à toutes les femmes – dans une loi promulguée le 2 août 2021 –, les femmes seules sont nombreuses à s’engager dans une démarche de PMA. Quels sont les profils et les aspirations de ces mères, longtemps restées dans l’ombre ? Portées par un même désir d’enfant, elles livrent des récits qui, sans rejeter la conjugalité, portent un regard critique sur le couple hétéroparental.


Aujourd’hui en France, depuis la révision de la loi bioéthique en 2021, la procréation médicalement assistée (PMA, également appelée assistance médicale à la procréation, AMP) est accessible à toutes les femmes, y compris à celles qui ne sont pas en couple. Auparavant, elle était réservée aux couples hétérosexuels infertiles. Cette ouverture place une figure de mères seules sur le devant de la scène publique : celles qui « font des bébés toutes seules » grâce à la médecine reproductive. Elles passaient auparavant par leurs propres moyens, ou par une PMA à l’étranger pour recevoir un don de sperme.

Bien que les témoignages sur ce type de maternités solo se multiplient (voir ici ou ici), elles échappent encore aux enquêtes statistiques. L’enquête AMP-sans-frontières (Ined, 2021) devrait bientôt pouvoir combler ce manque. À titre d’indication, selon l’Agence de la biomédecine, ces femmes sont, avec les couples lesbiens, en première ligne des demandes de PMA avec don de spermatozoïdes. Au 31 décembre 2023, environ 7 600 femmes étaient en attente d’un don. Parmi elles, 44 % étaient des femmes seules, 38 % en couple avec une femme et 18 % en couple avec un homme.

Alors que ces projets étaient initialement perçus comme un « plan B », porté par des femmes plus âgées n’ayant pas trouvé de partenaire, devenir mère seule grâce à la PMA peut désormais constituer un « plan A », incarné par des femmes plus jeunes qui dissocient clairement maternité et conjugalité. Ces femmes se présentent-elles pour autant comme émancipées des cadres conjugaux ?

Nous nous sommes intéressées à cette question dans le cadre de nos deux recherches combinant 69 entretiens menés entre 2021 et 2023 en France métropolitaine auprès de femmes devenues mères sans être en couple (par un don de sperme, suite à une rencontre occasionnelle ou une séparation). Parmi ces entretiens, 44 sont issues d’une thèse en cours sur les maternités solitaires, et 25 proviennent d’une enquête consacrée au recours à la PMA solo.

Des parcours longtemps occultés

La monoparentalité – le fait pour une famille de compter un seul parent –, le plus souvent perçue comme la conséquence d’une séparation, suppose implicitement la présence initiale de deux parents et un idéal de coparentalité. Devenir parent demeure largement pensé comme une affaire de couple. Cette définition restrictive invisibilise les cas où une femme devient mère sans être en couple, en s’affranchissant de la norme biparentale. Ces « maternités solitaires », peu étudiées en France, sont longtemps restées dans l’ombre, alors qu’elles représentent 5 % des naissances d’après l’enquête nationale périnatale de 2021.

Les trajectoires menant à la naissance hors couple sont diverses et plus ou moins planifiées. Elles se déclinent en trois scénarios : « L’enfant sans le couple », « Quand l’enfant défait le couple », « L’enfant pour s’émanciper du couple et des violences ».

Les femmes ayant recours à la PMA correspondent au premier cas. Sur le plan social, elles se démarquent nettement des autres mères seules. En France et dans d’autres pays d’Europe, comme en Amérique du nord, elles sont principalement âgées de plus de 35 ans et appartiennent aux classes moyennes et supérieures. Elles sont significativement plus âgées que les autres femmes ayant recours à la PMA en couple, qu’il soit lesbien ou hétérosexuel. Après avoir parfois envisagé d’autres options (comme l’adoption, une rencontre d’un soir ou la coparentalité), la médecine reproductive s’avère pour elles la solution la plus « sécurisée », et surtout, la plus « éthique » : elle assure un contrôle médical du donneur et permet de construire une histoire familiale fondée sur le geste du don.

Sur l’ensemble des femmes interrogées, toutes sauf deux s’identifient comme hétérosexuelles. Les plus âgées d’entre elles (35 ans et plus) évoquent un échec de la rencontre parentale ou un manque d’opportunités. Elles n’ont pas trouvé de partenaire pour concrétiser leur désir d’enfant. À titre d’exemples, Roxane évoque un décalage dans les aspirations parentales avec son ancien compagnon qui ne voulait pas d’enfant ; Marie ou Chloé disent avoir eu des histoires « négatives » ou « foireuses », qui les ont amenées à privilégier un projet parental seules. Les plus jeunes (moins de 35 ans) expriment une prise de distance avec l’injonction à « attendre » un futur conjoint pour s’autoriser à devenir mère.

Ces parcours illustrent des asymétries de genre dans les relations hétérosexuelles, avec un fort engagement des femmes dans la parentalité, tandis que les hommes, affichent des intentions de fécondité plus faibles, en particulier lorsqu’ils ont une conception égalitaire des rôles de genre.

Avoir un enfant seule : un « choix pragmatique »

Dans leurs discours, l’idéal reste néanmoins de devenir mère au sein d’un couple et que l’enfant ait un père plus tard. La force d’imposition de la norme conjugale se cristallise par leur intériorisation du modèle normatif de la famille. Pour quelques-unes, ce choix s’apparente à un « mode de vie » recherché, mais cette situation est minoritaire. Elle concerne des femmes ayant vécu des violences sexuelles par le passé, pour qui la médecine reproductive est un moyen de contourner l’impératif conjugal et d’éviter un rapport sexuel avec un homme.

Pour ces femmes, avoir un enfant seule se dessine davantage comme choix pragmatique, « un choix dans un non-choix », comme le résume Sophie (37 ans, orthophoniste, PMA réalisée en Espagne, un enfant de 2 ans). L’entrée dans la maternité solo s’explique par l’impensé d’une vie sans enfant plus que par un choix délibéré d’avoir un enfant seule. Le réel choix revendiqué est celui de devenir mère.

Contrairement aux idées reçues, ces parcours ne se réduisent ni à des expériences subies ni à des démarches de « célibattantes » affirmées qui souhaiteraient « s’affranchir des hommes ». Leur situation est révélatrice d’aspirations à la libre disposition de leur corps et de leur identité́ genrée, où le désir d’enfant constitue une source d’accomplissement de soi.

« Mieux vaut être seule que mal accompagnée »

Les femmes que nous avons rencontrées ne rejettent pas la vie conjugale (ou les relations sexo-affectives au sens large) : la plupart envisagent d’être en couple plus tard, et certaines sont en relation avec un partenaire qui peut s’impliquer à des degrés divers dans l’éducation de l’enfant.

Néanmoins, leurs récits témoignent d’un regard critique sur le couple hétéroparental, résumé par l’expression : « mieux vaut être seule que mal accompagnée ». C’est ce qu’exprime notamment Clotilde, 38 ans, fonctionnaire territoriale, mère d’un enfant de trois mois issu d’une PMA en Belgique :

« Dans mes couples d’amis, c’est des couples hétérosexuels, la charge mentale – même si je déteste ce mot-là – elle est clairement assumée par les mamans. Aujourd’hui, qu’on soit deux ou toute seule j’ai l’impression que de toute façon c’est majoritairement assumé par les femmes. Surtout qu’on peut être seule en étant deux. »

Elles dénoncent les asymétries de la charge domestique et éducationnelle qui se font au détriment des femmes et au profit des hommes. C’est davantage le désengagement masculin dans la parentalité ordinaire qu’elles déplorent, qu’un rejet de la vie conjugale en elle-même. Elles affichent la maternité solo comme un choix de vie préférable à une parentalité partagée au sein d’un couple qui ne répondrait pas à l’idéal de solidarité et d’équité vis-à-vis de la charge parentale.

La critique du couple hétéroparental par ces femmes passe aussi par une valorisation de leur autonomie en tant qu’unique parent, comme l’exprime Joséphine, 43 ans, juriste, mère d’un enfant de 2 ans né d’un don réalisé en Espagne :

« Sur tous les choix qu’il y a à faire pour un enfant, parfois qu’est-ce que c’est facile d’être seule ! Sur l’éducation, sur le choix du prénom, sur les fringues, sur les sorties, sur tout un tas de choses. Je choisis seule. Je n’ai pas besoin de me battre avec mon compagnon qui ne pense pas comme moi ou me juge. Autour de moi, je le vois, c’est source d’engueulades très fréquentes l’éducation. Moi, je fais comme je pense. Alors parfois, j’aimerais bien partager mon avis, je suis un peu perdue, je ne sais pas comment faire. J’essaie de trouver dans ce cas-là quelqu’un à qui on parler. Mais voilà, il y a des avantages. »

Elles mettent en avant un sentiment d’autonomie et de liberté, une capacité d’improvisation et de spontanéité des choix, comme l’ont déjà souligné d’autres recherches sur la vie hors couple.

Une parentalité pour soi ?

L’apparition dans le débat public des maternités solo soulève une question : ces demandes ont-elles réellement émergé grâce à l’ouverture de la loi, ou reflètent-elles plutôt une prise de conscience collective de trajectoires parentales jusqu’alors invisibles, dont l’accès à la PMA signerait l’acceptation sociale ?

Si répondre à cette question nécessiterait une observation sur le temps long, il n’en demeure pas moins que recourir à la PMA solo est une manière de déployer une parentalité pour soi qui n’est plus subordonnée à la nécessité d’être en couple, et qui témoigne de l’autonomie procréative des femmes et de leur capacité à redéfinir les normes conjugales et parentales.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Devenir mère seule par PMA : quand le désir d’enfant s’affranchit du couple – https://theconversation.com/devenir-mere-seule-par-pma-quand-le-desir-denfant-saffranchit-du-couple-261722

Le plancton peut agir sur le climat, faire évoluer les sciences et participer aux enquêtes criminelles

Source: The Conversation – in French – By Beatrix Beisner, Professor, Aquatic ecology; Groupe de recherche interuniversitaire en limnologie (GRIL), Université du Québec à Montréal (UQAM)

Le plancton a inspiré et influencé les arts, les sciences et l’architecture.
(Shutterstock)

On n’accorde pas beaucoup d’attention au plancton, car la plupart du temps, nous ne pouvons pas le voir. Il est généralement de taille microscopique et se trouve dans tous les environnements aquatiques, mais son rôle dans la vie des êtres humains est essentiel.

Le terme « plancton » vient de planktos, en grec ancien, qui signifie « errer » ou « dériver ». Il désigne l’ensemble des organismes en suspension dans tous les types d’eaux (océans, lacs, rivières et même eaux souterraines), tels que virus, bactéries, insectes, larves de poissons et méduses. Les organismes qui peuplent le plancton sont de formes et de tailles très diverses, mais ils ont en commun le fait de dériver au gré des courants.

On les trouve sous forme végétale (phytoplancton) et animale (zooplancton). Il existe aussi des organismes qui brouillent les pistes en appartenant aux deux formes, comme des plantes carnivores ou des animaux photosynthétiques (mixoplankton).

neuf boîtes différentes présentant des micro-organismes verts
Le phytoplancton est un élément essentiel des écosystèmes aquatiques.
(Shutterstock)

Comprendre le plancton

Nous sommes un groupe international de chercheuses spécialisées dans le plancton qui habite des étendues d’eau allant des lacs alpins aux profondeurs des océans. Nous représentons un consortium plus large de scientifiques, les Plankton Passionates, ou « Passionnés du Plancton », qui ont récemment examiné les différentes façons dont le plancton est essentiel pour le bien-être humain, la société, les activités et la vie sur notre planète.

Dans le cadre de nos travaux, nous avons déterminé six grands thèmes qui nous permettent de classer la valeur du plancton.

Premièrement, le plancton est un élément important du fonctionnement des écosystèmes aquatiques. À l’instar des plantes et des arbres terrestres, le phytoplancton utilise l’énergie lumineuse pour réaliser la photosynthèse et créer de la biomasse qui est ensuite transférée dans tout l’écosystème.

Le phytoplancton est principalement consommé par le zooplancton, qui constitue à son tour la nourriture de choix de nombreux poissons, tels que les sardines et les harengs. Ces petits poissons sont ensuite mangés par de plus gros poissons et des oiseaux. Le plancton est donc indispensable au bon fonctionnement du réseau alimentaire.


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Le plancton influe également les cycles de la matière et la biogéochimie des écosystèmes aquatiques. Outre le fait que le phytoplancton utilise la lumière du soleil pour croître et se reproduire, il participe au cycle du carbone, de l’oxygène, et des nutriments.

Le phytoplancton est une variable climatique essentielle, c’est-à-dire que son étude fournit des indicateurs pour évaluer la santé de la planète et l’impact du changement climatique, car il capture le dioxyde de carbone (CO2) et le convertit en matière vivante. Lorsque le phytoplancton est mangé par le zooplancton, puis que ce dernier meurt et coule au fond des masses d’eau, le carbone est stocké loin de l’atmosphère et ne peut plus contribuer aux changements climatiques. On appelle ce processus « pompe à carbone arbone biologique ».

Vous êtes vous déjà demandé ce que mangeaient les sardines, les baleines ou encore les huîtres ? Découvrez-le dans cette vidéo de Sakina-Dorothée Ayata et Lise Irrmann.

D’autres organismes planctoniques, principalement des bactéries et des champignons, participent à la décomposition de matières mortes qui restent dans la colonne d’eau. Leur activité permet de recycler des éléments chimiques essentiels pour d’autres organismes. Cette activité de décomposition, associée à la pompe à carbone biologique, peut avoir une incidence sur la régulation du climat mondial. Le plancton est donc notre allié contre l’effet le serre et le changement climatique !

Une recherche fascinante

Le plancton a également joué un rôle dans plusieurs domaines, notamment dans l’évolution de la science elle-même, en contribuant à faire progresser de nombreux concepts théoriques en écologie, comme l’étude de la biodiversité. La diversité des formes de plancton, dont certaines ressemblent à des cristaux ou à des bijoux, fascine les chercheurs.

méduse sur fond bleu vif
Les méduses font partie du plancton, car elles sont transportées par les courants marins.
(Shutterstock)

Plusieurs théories et cadres conceptuels utilisés en écologie sont issus de l’étude du plancton, mais leurs applications sont plus larges. Le biologiste russe Georgy Gause a par exemple étudié la compétition entre les organismes planctoniques, ce qui l’a amené à élaborer le principe d’exclusion compétitive, couramment utilisé de nos jours dans des contextes socio-économiques.

Des percées scientifiques majeures, voire des prix Nobel (de médecine), ont découlé de l’étude du plancton (piqûres de méduses, études des allergies). De même, la recherche sur les télomères de ciliés d’eau douce et le recours aux protéines fluorescentes issues de méduses ont contribué à la compréhension du vieillissement et du cancer.

Certaines espèces de plancton, et en particulier des microalgues comme les diatomées, sont également utilisées comme outils de diagnostic en sciences judiciaires, en particulier par la police scientifique en cas de noyade. D’autres servent de modèles dans la recherche biomédicale et écotoxicologique.

En raison de son rôle essentiel dans les réseaux alimentaires aquatiques, le plancton est vital pour de nombreuses économies humaines. Divers organismes planctoniques sont cultivés directement pour la consommation humaine, comme les méduses, le krill, les crevettes ou les copépodes.

Pratiquement toutes les protéines des écosystèmes aquatiques sont issues du plancton. Certaines servent de compléments alimentaires, comme la poudre de spiruline ou les oméga-3 et les pigments rouges provenant du krill et des copépodes.

Plusieurs composés dérivés du plancton sont très prisés dans les domaines de la médecine, des produits cosmétiques et de la pharmacie, notamment certaines toxines utilisées pour leurs effets stimulants sur le système immunitaire. Les luciférases, un groupe d’enzymes produites par des organismes bioluminescents dont de nombreux organismes planctoniques marins, sont aussi importantes pour la recherche biomédicale.

D’autre part, le plancton peut entraîner des coûts élevés en cas de prolifération d’algues nuisibles. Cela se produit avec les marées rouges toxiques le long des côtes ou la prolifération de cyanobactéries dans les lacs.

Les bienfaits du plancton pour les humains

Nos recherches portent également sur le rôle du plancton dans la culture, les loisirs et le bien-être des humains. En plus de son utilisation comme source de nourriture et en médecine, le plancton peut aussi revêtir une importance culturelle.

Les dinoflagellés marins bioluminescents créent des spectacles nocturnes très impressionnants dans les régions côtières et constituent la base d’événements culturels et d’attractions touristiques. Les diatomées sont un type de phytoplancton présent dans tous les écosystèmes aquatiques. Leurs squelettes riches en silice ont permis de fabriquer des outils en silex à l’âge de pierre et servent d’opale dans la bijouterie.

illustrations of plankton
Illustration de E. Haeckel tirée du livre Rapport sur les radiolaires collectés par H.M.S. Challenger pendant les années 1873-76), publié en 1887.’.
(Illus. by E. Haeckel/engraving by A. Giltsch)

Les formes structurelles souvent étranges du plancton ont inspiré des architectes et des ingénieurs, notamment les concepteurs de la galerie Vittorio Emmanuele à Milan et de l’ancienne porte monumentale (porte Binet) de l’exposition universelle de 1910 à Paris. Le plancton a également inspiré de nombreux artistes, le premier d’entre eux étant le biologiste Ernst Haeckel.

La Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) a adopté le cadre Life. Ce cadre de valeurs met l’accent sur le fait de vivre de la nature, avec la nature, dans la nature et en tant que nature, posture qui servira à élaborer des politiques relatives à la biodiversité et aux services écosystémiques.

Le plancton relève de tous ces aspects. Nous profitons de lui en raison de son rôle essentiel dans la régulation des habitats aquatiques, de son utilité à long terme dans la régulation du climat, ainsi que des ressources vitales qu’il fournit à l’humanité.

L’humanité vit avec le plancton, dont l’incroyable diversité relie la vie terrestre et aquatique. Il constitue l’un des moteurs de la stabilité écologique de la Terre et des services écosystémiques dont nous bénéficions. Le plancton fait partie intégrante de la vie humaine dans la nature, et son rôle est vital pour notre identité, nos modes de vie et notre culture.

Il a une grande incidence sur les populations qui se trouvent au bord de l’eau, mais aussi celles qui en sont plus éloignées, grâce à l’art et au design qui s’en inspirent.

Nous devons reconnaître la valeur du plancton en tant que ressource et élément essentiel à la stabilisation et au maintien des systèmes terrestres pour le bien-être humain.

La Conversation Canada

Beatrix Beisner bénéficie d’une subvention du CRSNG. Elle est rédactrice en chef du Journal of Plankton Research (Oxford University Press) et membre du Groupe de recherche interuniversitaire en limnologie (GRIL), un réseau financé par le FRQNT.

Maria Grigoratou bénéficie d’un financement du projet WARMEM (OCE-1851866) de la NSF et des projets HORIZON Europe financés par l’UE EU4OceanObs2.0 et BioEcoOcean (101136748) à Maria Grigoratou. Maria est désormais affiliée au Conseil polaire européen.

Sakina-Dorothée Ayata bénéficie d’un financement de la Commission européenne (projets NECCTON, iMagine, Blue-Cloud2026), de l’Agence nationale de la recherche (ANR, projet Traitzoo) et de l’Institut universitaire de France (IUF).

Susanne Menden-Deuer bénéficie d’un financement de la National Science Foundation et de la NASA aux États-Unis.

ref. Le plancton peut agir sur le climat, faire évoluer les sciences et participer aux enquêtes criminelles – https://theconversation.com/le-plancton-peut-agir-sur-le-climat-faire-evoluer-les-sciences-et-participer-aux-enquetes-criminelles-260144

Hôtels « No Kids », vacances « Adults Only » : quels enjeux sociaux derrière l’exclusion des enfants ?

Source: The Conversation – France (in French) – By Vincent Lagarde, Maître de Conférences en Entrepreneuriat, Université de Limoges

Au-delà du buzz médiatique, que représentent vraiment les offres de tourisme sans enfants ? Passés les discours marketing des uns et les indignations des autres, la situation et les motivations sont plus complexes que l’image fantasmée. Si elles interrogent la place des enfants dans notre société, ces nouvelles offres révèlent également des problèmes sociaux de fond. Nous pouvons essayer de les comprendre, plutôt que simplement les condamner.


Printemps 2024, la presse française découvre les loisirs « adults only ». Reprenant une tendance des destinations touristiques ensoleillées (Mexique, Thaïlande, Espagne), des hôtels, campings et sites de vacances en France s’affichent désormais réservés aux adultes. L’opinion s’en émeut, au point que la sénatrice Laurence Rossignol dépose une proposition de loi contre ces nouvelles formes de discrimination des enfants et de leurs familles, que la législation actuelle ne permettrait pas d’interdire. Insistant sur le fait que les mères sont alors tout autant exclues que leurs enfants, comme on le constate dans les pays où les zones « no kids » sont très développées (par exemple, en Corée du Sud).

Un an plus tard, printemps 2025, Sarah El Haïry, juste nommée haut-commissaire à l’enfance, relance la polémique en convoquant les professionnels du tourisme, et en annonçant vouloir prendre des mesures radicales contre cette dérive qu’elle juge inacceptable. Pour un chercheur en gestion, s’il y a un phénomène économique, c’est qu’il y a une demande voire des besoins auxquels des entreprises répondent en y trouvant un intérêt.

Nous avons ainsi débuté une étude exploratoire sur ces prestations réservées aux adultes, en nous intéressant aux motivations des clients et des entreprises.

Une offre en forte croissance

Pour l’heure, il n’y a aucun chiffre avéré sur le nombre de ces offres en France. Les experts, ou prétendus tels, sollicités annoncent 3 à 5 % du parc, mais sans étude à l’appui. Tous disent cependant qu’elles sont en forte croissance. La définition du concept n’est pas unanime non plus. Plutôt qu’à 18 ans, de nombreux prestataires fixent le seuil à 16 ans, voire 12 dans certains cas. Ce n’est pas tant leur âge que leur comportement infantile qui posent problème.




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En termes de secteurs, les offres concernent principalement des hébergements touristiques, hôtels, campings et clubs. Pour lors, pas de restaurant identifié ni de transporteur, comme c’est le cas dans d’autres pays, hormis des escales en France de bateaux de croisières étrangers.

Côté clients, les aspirations peuvent être classées en trois principales catégories, cumulables. Tout d’abord la recherche d’un espace-temps de tranquillité permettant le repos, protégé des perturbations imputées aux enfants (bruits, sollicitations, agitation…). Ensuite, une recherche de l’intimité entre adultes, dans le cadre du couples ou d’amis proches. Et enfin, l’exception et la distinction, puisque la dimension « adults only » est associée à une expérience premium, par le confort et l’exclusivité des activités proposées.

Une offre « premium » ?

Ainsi, le seul fait d’interdire la présence d’enfants des lieux de loisirs suffirait pour les faire passer en sites réputés haut de gamme ? Selon les entreprises, ce modèle économique serait alors plus rentable, comme observé dans les autres pays. Avec, d’une part, une hausse du chiffre d’affaires, du fait d’une demande en croissance, d’une extension des séjours au-delà des congés scolaires, et d’une clientèle disposée à payer plus cher une prestation perçue supérieure. Et, de l’autre, une offre commerciale distinctive, sans nouveaux investissements et même avec une baisse des charges, puisque la présence d’enfants emporterait des coûts et des charges supplémentaires : surveillance et surtout consommables (notamment en eau). Certains opérateurs avancent même l’argument écologique, qu’on retrouve également chez un autre mouvement sans enfants, les « ChildFree », couples qui ne veulent pas procréer.

Nous n’avons toutefois par encore vérifié la véracité de la meilleure rentabilité. Certains entrepreneurs parlent de résultats classiques, du fait d’une demande moins forte qu’espérée et d’une exigence croissante de ces clients pour des prestations luxueuses, plus coûteuses.

Une discrimination légale ou non ?

Demeure le problème de l’illégalité d’une discrimination « fondée sur l’âge ou la situation de famille » selon l’article 225-1 du Code pénal, pouvant conduire jusqu’à 45 000 euros d’amende et trois ans de prison. Jusqu’à présent, pour éviter ce risque judiciaire, certaines entreprises cherchaient plutôt à décourager implicitement les familles, annonçant que leurs locaux étaient inadaptés aux enfants, avec des équipements dangereux, une piscine non surveillée, ou un manque de place pour les poussettes…

Depuis la médiatisation, le positionnement réservé aux adultes est davantage assumé dans la communication des entreprises, des sites spécialisés fleurissent, et les plateformes proposent même une option spécifique « adults only » (Booking, TripAdvisor). Les avocats de ces professionnels affirment que la législation étant floue, le principe de la liberté des affaires serait plaidable, puisque ce sont des sites réservés aux adultes (« adults only ») et non interdits aux enfants (« no kids »). Dans tous les cas, les juristes pensent que la réforme de la loi, telle qu’elle est envisagée au Sénat, n’aurait aucune efficacité.

D’autant qu’après deux ans d’un débat médiatique enflammé, aucune plainte de familles ou d’associations n’a été enregistrée. La société française serait-elle donc favorable à cette évolution ? D’ailleurs, la sphère privée, non réglementée, s’avère bien plus intolérante, avec notamment un nombre croissant de cérémonies de mariages sans enfants et une hausse des lieux où on ne les supporte plus (cinémas, restaurants, transports).

Sur les plateformes de location (Airbnb, Gîtes…), c’est également chez les propriétaires-particuliers, que nous avons trouvé les propos et les pratiques les plus contestables pour dissuader les familles avec jeunes enfants.

Le triomphe de la « misopédie »

Les offres réservées aux adultes révéleraient alors une société devenue misopède ? La réalité est plus complexe. Il semble qu’on assiste plutôt à une segmentation des prestataires du tourisme, avec une tendance à exclure les enfants chez les uns, et une spécialisation sur les familles pour les autres. Paradoxalement, après moult agitations médiatiques, la Haut-commissaire n’a finalement proposé comme seule mesure, que la labellisation des prestations « family-friendly », qui entérine et conforte cette segmentation sociale qu’elle prétendait pourtant circonscrire.

France 24, 2024.

Par ailleurs, si les couples sans enfants (moins de 30 ans et retraités) sont logiquement les plus représentés, assumant de ne pas vouloir subir les enfants des autres pendant leurs loisirs, on trouve toutefois une proportion importante de parents et de mères (plus d’un tiers) adeptes de ces prestations dans les autres pays. Celles-ci expriment le besoin d’une parenthèse sans leurs enfants, le temps de se reposer de l’épuisement du quotidien, en culpabilisant cependant.

S’ajoutent des professionnels de l’enfance, des enseignants, des soignants ou des nounous, qui ont tout autant besoin de se reposer, afin de pouvoir mieux s’occuper des enfants le reste de l’année. Il ne s’agit donc pas d’un rejet des enfants, mais des besoins de moments sans la charge mentale et physique.

Une mesure plus égalitaire ?

Autre considération d’ordre social : à l’étranger, ces offres touristiques sont fréquentées par des Français aisés.

Leur généralisation sur le territoire national les rend accessibles aux classes moyennes. Mais probablement pas aux mères des classes populaires, surtout célibataires, qui ont le plus besoin de repos. Cette discrimination par l’âge, et le genre, est donc également plus largement sociale et économique.

Malgré le discours médiatique, on peut s’interroger sur l’ampleur réelle et la rentabilité de ce phénomène. L’efficacité d’une interdiction aveugle, qui ignorerait les raisons de ces demandes, mérite également d’être questionnée. Plus structurellement, dans cette cacophonie, la parole des premiers concernés – les enfants – est totalement absente.

Les offres réservées aux adultes soulèvent des enjeux plus complexes que ne le laissent croire les débats médiatiques. Les réponses actuelles des décideurs apparaissent, au mieux, inutiles, voire contre-productives.

The Conversation

Vincent Lagarde ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Hôtels « No Kids », vacances « Adults Only » : quels enjeux sociaux derrière l’exclusion des enfants ? – https://theconversation.com/hotels-no-kids-vacances-adults-only-quels-enjeux-sociaux-derriere-lexclusion-des-enfants-257773

Spinoza ou la démocratie comme État « absolument absolu »

Source: The Conversation – France in French (3) – By Céline Hervet, Maître de conférence en philosophie, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)

Portrait du philosophe hollandais Baruch Spinoza (1632-1677). Anonyme, circa 1665

Notre démocratie est en crise, comment la réinventer ? Que nous enseignent ceux qui, au cours des âges, furent ses concepteurs ? Quatrième volet de notre série consacrée aux philosophes et à la démocratie avec le hollandais Baruch Spinoza (1632-1677). Pour ce penseur singulier, véritable anomalie au XVIIe siècle, la démocratie est le meilleur des régimes car il confère le plus de puissance et de stabilité à l’État. En permettant l’expression des conflits nés des passions humaines, les assemblées démocratiques élaborent un savoir collectif et des normes qui préservent la concorde civile.


À l’époque classique, dans une Europe dominée par le modèle de la monarchie absolue de droit divin, la démocratie n’a pas bonne presse. Il est un défaut que la plupart des philosophes lui imputent, c’est la longueur des délibérations en assemblée, le temps perdu en discussions lorsque l’urgence se fait sentir. Rien de mieux alors qu’un chef qui saura couper court et contourner l’obstruction que représente l’expression des désaccords. Hobbes en particulier fera de l’incompétence des membres des grandes assemblées propres à la démocratie l’un de ses vices majeurs. Pire, ces délibérations seraient le ferment des factions, qui mèneraient inexorablement à la guerre civile. Voilà ce qui à ses yeux vient « définitivement » assurer la supériorité du régime monarchique sur le régime populaire ou démocratique.

Une anomalie à l’âge classique

Dans ce concert de reproches, Spinoza fait entendre une tout autre voix. Le Traité politique, son dernier ouvrage resté inachevé, élabore ce qu’Étienne Balibar appelle une « science de l’État » qui vise à en assurer la conservation et à le préserver contre les débordements violents des masses. Après le renversement brutal en 1672 de la République de Hollande qui, sans être une démocratie, reposait sur un pouvoir parlementaire fort, après le retour en grâce de l’absolutisme royal, Spinoza a bien conscience qu’aucune théorie politique conséquente ne peut éluder la question de la sécurité de l’État, seule à même de garantir celle des individus.

Un principe gouverne la démonstration : la sécurité de l’État, monarchie, aristocratie ou démocratie selon la typologie devenue classique, ne doit jamais reposer sur la loyauté d’un seul homme ou de quelques-uns. Pour assurer sa propre conservation, un État doit donc se rendre impersonnel, et s’appuyer sur un ensemble de mécanismes qui rendent impossible qu’un petit nombre ait entre ses mains le salut de tous et décide de tout en vertu de ses propres affects. Parmi ces rouages institutionnels figurent en bonne place les assemblées, qui reconfigurent totalement la monarchie comme l’aristocratie, en y introduisant systématiquement des contre-pouvoirs, qui sont autant de résistances et de garde-fou au despotisme. À travers les conseils, les syndics, les sénats et toutes sortes d’instances délibératives dont les fonctionnements et les relations sont minutieusement décrits, Spinoza entreprend donc d’étendre aux autres types de régimes ce qui est vu communément comme l’un des inconvénients majeurs de la démocratie.

On arrive alors à ce paradoxe qui fait du spinozisme une « anomalie sauvage » au cœur du siècle classique : c’est en se démocratisant toujours plus, c’est-à-dire en augmentant le nombre de ceux qui ont part à la décision et à l’exercice du pouvoir, que l’État devient plus puissant et plus stable. En un mot, la démocratie est l’État « absolu en », ou « absolument absolu » (omnino absolutum imperium), car il tend à faire coïncider le souverain avec la multitude tout entière.

L’absolutisme de l’État n’est plus pensé contre la liberté des citoyens, mais par elle. Le chapitre XVI du Traité théologico-politique affirmait déjà que la démocratie était l’État le plus naturel, parce qu’il est le plus conforme à l’égalité et à la liberté « que la nature accorde à chacun ». Comme l’a montré Alexandre Matheron, la nécessité logique veut que les hommes s’organisent démocratiquement, la démocratie devient la règle et non plus l’exception.

L’expérience et les affects comme matière de la pensée politique

Ce paradoxe s’explique par le terrain nouveau assigné à la politique : l’expérience et la matière fluctuante et irrationnelle des affects. Spinoza n’est pas un utopiste, c’est paradoxalement au nom d’un réalisme lucide que la démocratie est préférée à tous les autres régimes. À partir de ce donné incontournable que sont les affects, Spinoza récuse toute transcendance du pouvoir à la puissance de la multitude, clé de voûte de sa conception démocratique du politique. Le principe qui découle de ce naturalisme intégral tient dans la formule jus sive potentia : le droit (jus) du souverain s’étend aussi loin que s’étend sa puissance (potentia), c’est-à-dire sa capacité à se faire obéir dans les faits. Dès lors que la politique consiste dans un rapport de puissances, la multitude devient l’instance de légitimation ultime, l’unique puissance instituante : quand bien même elle se trouverait privée de toute représentation politique, si le pouvoir soulève par ses décisions ou sa conduite une indignation générale, la mécanique passionnelle s’enclenche et ouvre la voie à un renversement de l’État. Se pose alors la question des stratégies institutionnelles visant à canaliser les passions en vue d’une plus grande autonomie du corps politique.

La multitude comme sujet politique. L’union en lieu et place de l’unité

Le concept de multitude, que Spinoza préfère à celui de peuple, sous-entend que ce qui est premier c’est une multiplicité, rendue diverse et conflictuelle par le jeu des passions. Le but de la mécanique institutionnelle est dès lors de produire une union, qui n’est ni unité, ni uniformité, sur la base de cette dynamique contradictoire qui peut conduire aux divisions, mais aussi à la concorde.

Loin d’être cet agrégat de volontés singulières unifiées seulement par l’État comme chez Hobbes, la multitude devient chez Spinoza le véritable sujet politique, toujours en devenir car elle n’accède à ce statut de sujet qu’à la condition d’œuvrer en commun : chez Spinoza on ne se libère pas seul et sans les autres. Or la nature des affects oppose plus souvent les hommes les uns aux autres qu’elle ne les unit. C’est à l’échelle collective et civile que les individus accèdent à une forme d’autonomie, sous réserve d’un État bien constitué où les institutions peuvent déjouer les tendances passionnelles destructrices. Non pas en court-circuitant l’expression des dissensus par la censure ou par des dispositifs d’accélération de la prise de décision et de contournement de la discussion. Au contraire, cette conflictualité doit se déployer au grand jour et trouver à s’exprimer sur le plan institutionnel. Spinoza s’oppose à la pratique des secrets d’État qui entretiennent la défiance de la multitude tenue dans l’opacité.

Ainsi, au sein de la monarchie, le conseil du Roi, dont le fonctionnement a tout d’une assemblée, devient le véritable organe de la décision, le monarque n’ayant pas d’autre option que de promulguer ce qui a été décidé collectivement sans lui. Si, dans le régime aristocratique, seule la classe des patriciens exerce le pouvoir, elle a vocation à s’élargir toujours plus, jusqu’à coïncider, à terme, avec la multitude. On comprend dès lors pourquoi la démocratie apparaît comme le meilleur régime, puisqu’il comporte structurellement l’assise la plus large, le socle le plus puissant : la multitude ne menace plus le souverain dès lors qu’elle s’identifie à lui.

Vertu du conflit et invention démocratique

Cette place confiée aux discussions ne permet pas pour autant de ranger la pensée politique spinoziste du côté d’une conception procédurale de la démocratie, qui rationaliserait en assemblée les désaccords d’un peuple réputé ingouvernable. La démocratie de Spinoza n’est pas non plus à proprement parler une démocratie libérale, qui prendrait l’individu libre et rationnel pour point de départ et pour finalité. Car Spinoza conteste l’existence d’un libre-arbitre qui permettrait à tout un chacun de se déterminer indépendamment de causalités externes qui limitent son action. Les individus ne se suffisent pas à eux-mêmes, ils sont dépendants les uns des autres pour leur survie et leur vie affective se compose dans un rapport étroit avec leurs semblables.

Statue de Baruch Spinoza à Amsterdam. Issu d’une famille juive portugaise ayant fui l’Inquisition, Spinoza vit dans la communauté juive d’Amsterdam avant d’être frappé d’excommunication.
AuthenticVision

La conflictualité provient de cette situation d’interdépendance qui à la fois oppose et unit les hommes entre eux. Ce n’est donc pas en « dépassant » les conflits, ni en les occultant que la décision collective sur le bien commun est prise, bien au contraire c’est en les « traversant » que l’on peut faire surgir dans le moment interminable et parfois intense de la discussion ce à quoi personne n’avait pensé auparavant. Autrement dit, la démocratie est éminemment le lieu de l’invention. L’éloge des discussions en assemblée que l’on trouve au chapitre IX, §14 du Traité politique décrit au sein d’une aristocratie décentralisée et démocratisée l’élaboration d’un véritable savoir démocratique, produit dans l’espace de la confrontation et de l’expression, des différences et des singularités d’un réel qui n’est ni uniforme ni immuable, au sein d’instances élues nombreuses et diverses. Il s’agit bien de travailler à même les divisions, en les formulant de façon toujours plus fine et plus exacte :

« C’est la liberté qui périt avec le bien commun, lorsqu’un petit nombre d’individus décident de toutes choses suivant leurs seuls affects. Les hommes en effet sont de complexion trop épaisse pour pouvoir tout saisir d’un coup ; mais ils s’affinent en délibérant, en écoutant et en discutant ; et, à force d’explorer toutes les pistes, ils finissent par trouver ce qu’ils cherchaient, qui recueille l’assentiment de tous, et à quoi personne n’avait pensé auparavant ».

Être plus spinoziste que Spinoza : la voix des femmes et la démocratie à venir

Le Traité politique s’interrompt brusquement avec la mort de son auteur au seuil de l’exposé portant sur le régime démocratique, laissant place pour une part à l’interprétation. Reste que la démocratie, dont la spécificité consiste à étendre le droit de voter et d’assurer les charges de l’État à tous en vertu non d’un choix mais d’un droit, est bien pour Spinoza le meilleur régime.

Dans un geste d’ouverture et de fermeture, Spinoza consacre les premiers paragraphes de cet ultime chapitre à dresser la liste des exclus, des « sans voix », qui n’ont vocation ni à gouverner, ni à siéger au sein des assemblées. Cette liste comprend celles et ceux qui ne relèvent pas de leur propre droit, étant dépendants d’un autre pour leur subsistance : en tout premier lieu les salariés et les femmes. La démocratie spinozienne serait donc avant tout une démocratie de propriétaires mâles. L’expérience montre que les femmes ne gouvernent nulle part à parité avec les hommes, mais là où Spinoza impose une limite au développement spontané des forces de la multitude à laquelle appartiennent bien les femmes, il nous faut être plus spinoziste encore, et déduire de l’histoire et de l’expérience l’égalité de toutes et de tous, en lieu et place de la prétendue « faiblesse » d’un genre soupçonné d’ajouter de la division entre les hommes qui rivaliseraient pour les séduire. Les régimes archétypaux que décrit Spinoza ne sont que des combinaisons parmi d’autres, et rien n’empêche que l’expérience produise d’autres genres de démocratie.

Retenons de Spinoza que toute exclusion de la discussion, toute accélération du temps de la délibération sont au sens strict contre-productives. Elles entravent le processus d’invention de solutions nouvelles au profit d’une reproduction de l’ordre existant. Plus grave encore, elles ne font pas disparaître les conflits, qui menacent alors de se muer en affects destructeurs. La représentation institutionnelle n’épuise pas l’éventail des interventions possibles de la multitude, en témoigne au chapitre XX du Traité théologico-politique le vibrant plaidoyer de Spinoza en faveur de la liberté de parole, qui ne peut être ôtée sans que l’État lui-même s’expose à la corruption et à la ruine.

Transportons-nous, pour finir, dans le contexte actuel : les commissions d’enquête parlementaires, les pétitions, toutes ces modalités de contrôle et d’interpellation du pouvoir exécutif par des représentants au sein d’instances élues ou en dehors d’elles, par la multitude elle-même, font la véritable puissance d’un État qui, en leur faisant droit, assure sa propre stabilité. Elles incarnent une démocratie réelle : non pas une belle totalité unifiée et paisible, mais bien cette chose en elle-même conflictuelle. Elles traduisent les divisions qui tissent le lien social, en un processus toujours ouvert de production des normes par la multitude elle-même. À ce titre, la démocratie est bien chez Spinoza l’autre nom du politique.

The Conversation

Céline Hervet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Spinoza ou la démocratie comme État « absolument absolu » – https://theconversation.com/spinoza-ou-la-democratie-comme-etat-absolument-absolu-261829

Ukrainiens réfugiés au sein de l’UE : précarité d’une protection qui n’est plus temporaire

Source: The Conversation – France in French (3) – By Alexis Marie, Professeur de droit, Université de Bordeaux

*Depuis 2022, les Ukrainiens fuyant la guerre peuvent bénéficier, au sein de l’Union européenne, d’une « protection temporaire ». La précarité de ce statut se révèle toutefois à mesure que l’exil se prolonge. L’Union et les États membres doivent en prendre acte… *


Le 4 mars 2022, en réponse à l’agression de l’Ukraine par la Russie quelques jours plus tôt, le Conseil de l’Union européenne (UE) décidait d’activer la protection temporaire prévue par la directive 2001/55/CE. Cette décision sans précédent a démontré son efficacité. À ce jour, plus de 4,2 millions de personnes provenant d’Ukraine – presque exclusivement des Ukrainiens – ont ainsi obtenu le droit de se maintenir sur le territoire des États membres de l’UE sans pour autant que cet accueil n’encombre les voies d’asile qui conduisent au bénéfice de la qualité de réfugié ou de la protection subsidiaire.

Plus de trois années plus tard, alors qu’aucune issue crédible au conflit ne se dessine, une certaine fébrilité agite les États et l’UE quant au devenir de ces protégés qui n’ont plus grand-chose de temporaires.

2022 + 3 = 2027 ?

Conformément au paragraphe premier de l’article 4 de la directive précitée, la protection a d’abord été mise en œuvre pour une première période d’un an et a été automatiquement prolongée d’une année jusqu’au 4 mars 2024.

Dès 2023, le Conseil a par ailleurs saisi la possibilité prévue par le second paragraphe de l’article  4 en étendant la protection au 4 mars 2025. La disposition prévoit en effet que « s’il subsiste des raisons de maintenir la protection temporaire, le Conseil peut décider […] de la [proroger] pour une période maximale d’un an ».

En 2024, pourtant, il décidait de reconduire le dispositif jusqu’au 4 mars 2026 et les États membres se sont entendus en juin dernier pour le prolonger jusqu’en mars 2027. Il faut donc comprendre que le Conseil peut décider, chaque fois que la situation le justifie, d’étendre la protection d’une année de plus. L’interprétation tord la lettre de la directive et viole son esprit puisque, ainsi comprise, la protection n’a plus rien de temporaire (voir les analyses de Steve Peers et Meltem Ineli Ciger).

On peut, certes, se réjouir que les États membres parviennent encore, trois ans après l’agression, à démontrer leur soutien unanime à l’Ukraine et à ses ressortissants. Le Conseil continue à identifier le groupe des personnes à protéger aussi largement qu’en 2022. Pas plus que les années précédentes, il ne distingue selon la région d’origine et l’intensité de la violence dont elle est le théâtre ou encore selon le statut militaire des exilés.

Il n’en demeure pas moins que cette solidarité s’effectue au prix d’une pratique contra legem et que le danger que constitue un tel précédent au sein d’une « communauté de droit » doit être souligné. Plus encore, ce choix maintient les bénéficiaires de la protection temporaire dans une situation d’insécurité qui n’est pas seulement juridique. Car, pour généreuse qu’elle soit, elle n’est pas une troisième forme d’asile comparable, dans son contenu, aux droits dont bénéficient les réfugiés au sens de la convention de Genève de 1951 ou les protégés subsidiaires.

Protéger l’asile contre les protégés temporaires

Les exilés d’Ukraine ne s’y trompent pas, et [25 000] https://ec.europa.eu/eurostat/databrowser/view/migr_asyappctza__custom_17263054/bookmark/table) d’entre eux ont déposé une première demande d’asile en 2024 au sein de l’UE, soit plus du double de l’année précédente. Ce sont presque systématiquement plus de 2 000 ressortissants ukrainiens qui déposent des demandes d’asile chaque mois depuis un an.

En France (qui accueille seulement 55 630 des 4 261 805 protégés temporaires), la demande d’asile ukrainienne a progressé de 285,4 % pour atteindre la deuxième place du classement des plus importants pays d’origine des demandes en 2024 (Rapport Ofpra, 2024, p. 16).

Devant cet état de fait, une proposition de loi « visant à améliorer le dispositif de protection temporaire en France » a été adoptée par le Sénat en mai 2025. L’exposé des motifs pointe le caractère trop précaire de la protection temporaire, lequel conduit ses bénéficiaires à solliciter l’asile, ce qui est vu comme une « dérive […] totalement contraire à l’esprit du dispositif ».

Faut-il rappeler que la directive de 2001 organise pourtant la compatibilité de la protection temporaire avec la convention de Genève de 1951 en prévoyant précisément que les bénéficiaires de la première « doivent avoir la possibilité de déposer une demande d’asile à tout moment » (art. 17) ?

La France n’est pas la seule à tenter de détourner les Ukrainiens de l’exercice de ce droit. Les questions préjudicielles dont la Cour de Justice de l’UE a été récemment saisie en témoignent. Elle dira bientôt si les Pays-Bas peuvent suspendre le traitement des demandes d’asile des « protégés temporaires » (CJUE, Jilin, C-249/25) et si la Suède peut examiner celles-ci au regard des seules dispositions relatives à la qualité de réfugié à l’exclusion de celles prévoyant précisément la protection subsidiaire des civils qui fuient un conflit armé (CJUE, Framholm, C-195/25).

L’enjeu est de taille : 80 % des demandes d’asile ukrainiennes sont couronnées de succès et à 78 % en application de ce dernier fondement (AUEA, 2025, pp. 199 et 202).

2027, et après ?

La préoccupation est partagée par les institutions de l’UE. Le Conseil étudie en ce moment une proposition de recommandation de la Commission du 4 juin 2025 relative à « une approche coordonnée de la sortie progressive du régime de la protection temporaire » (voir aussi la communication qui l’accompagne).

Anticipant l’éventuelle non-reconduction de la protection temporaire au-delà de 2027, le texte a pour objet d’inciter les États à explorer les modalités d’une « réintégration en douceur et durable » en Ukraine et à « promouvoir le passage à d’autres statuts juridiques avant même la fin de la protection temporaire ». Pour s’en tenir à ce seul aspect, la Commission invite les États à « aider les personnes concernées à comprendre les avantages et les droits que confèrent ces titres de séjour par rapport à la protection temporaire et à la protection internationale » (Recommandation, § 4). Il s’agit en somme, à nouveau, d’entraver l’exercice du droit d’asile.

L’effet délétère du dépôt de plusieurs milliers de demandes d’asile sur les systèmes d’asile interne est incontestable. Il est toutefois possible de l’atténuer en priorisant ou en accélérant le traitement de celles qui, comme les demandes ukrainiennes, sont a priori fondées. Le nouveau Règlement « procédure » (art. 34 § 5), applicable en 2026, maintient cette faculté déjà prévue par la directive 2013/32/UE (art. 31 § 7).

Pour autant, l’asile n’est pas nécessairement la solution la plus pertinente pour tous les Ukrainiens. Il empêche en effet ses bénéficiaires de retourner sur leur territoire d’origine alors qu’on constate d’importants allers-retours entre l’Ukraine et les États de protection.

Encore faut-il, toutefois, que les titres de séjour de droit commun soient accessibles. Or, comme Steve Peers le relève, la Commission n’invite aucunement les États à adapter leur droit interne afin d’en faciliter l’obtention.

Des États ont certes commencé à agir en ce sens (ICMPD, p. 5), mais c’est prendre le risque que l’hétérogénéité des réponses nationales favorise des inégalités de traitement et donc des déplacements entre États membres – ce qui va à l’encontre de la raison d’être de la protection temporaire (Dir. 2001, § 9).

Ce n’est par ailleurs que dans un second temps que la possibilité d’accéder à des statuts européens est envisagée. Mais ceux-ci étant en l’état incompatibles avec la protection temporaire, les États sont seulement incités à informer leurs bénéficiaires de la « différence entre les droits conférés par le statut lié à la protection temporaire et ceux conférés par ces directives ».

En invitant plutôt qu’en décidant, en s’en remettant principalement aux droits internes plutôt qu’à une solution commune, en rappelant le droit existant plutôt qu’en innovant, il est loin d’être certain que cette réponse permette d’assurer une transition « coordonnée », « prévisible » et, surtout, comme l’explique Meltem Ineli Ciger, que des personnes en besoin de protection ne soient pas laissées de côté.

L’Union doit retrouver d’ici à 2027 l’élan qui a animé sa réaction aux premiers jours de l’agression. C’est à cette condition seulement que l’extension de la protection temporaire au-delà de trois années pourrait être autre chose que le reflet de l’incapacité des États membres à véritablement protéger les exilés d’Ukraine plutôt qu’à simplement les mettre à l’abri.

The Conversation

Alexis Marie a reçu un financement de l’ANR dans le cadre du projet « Refwar », aujourd’hui terminé, consacré à la protection des exilés de guerre (2019-2024). Il est également assesseur désigné par l’UNHCR auprès de la Cour nationale du droit d’asile.

ref. Ukrainiens réfugiés au sein de l’UE : précarité d’une protection qui n’est plus temporaire – https://theconversation.com/ukrainiens-refugies-au-sein-de-lue-precarite-dune-protection-qui-nest-plus-temporaire-261974

Apprendre les géosciences en s’amusant avec « Minecraft »

Source: The Conversation – France (in French) – By Alex Vella, Docteur en Sciences de la Terre, BRGM

Capture d’écran des Badlands dans « Minecraft », un biome inspiré des terrains sédimentaires argileux fortement érodables du même nom. Minecraft/Mojang Studio, Fourni par l’auteur

« Minecraft » n’est pas qu’un jeu vidéo à succès : c’est également un support précieux pour enseigner ou apprendre les géosciences. Quoique simplifiée, la géologie de ses mondes est cohérente et présente de nombreuses analogies avec le monde réel.


Minecraft est l’un des jeux les plus populaires au monde, c’est aussi le jeu vidéo le plus vendu de l’Histoire avec plus de 300 millions d’exemplaires écoulés. Son univers cubique, composé de milliards de blocs, constitue un des ingrédients clés de ce succès, avec une grande variété d’environnements à explorer en surface comme en profondeur.

Plusieurs modes de jeu sont proposés : l’enjeu peut être de survivre en fabriquant, pour cela, des objets à partir de ressources. Il peut aussi être de laisser libre cours à sa créativité pour construire ce que l’on souhaite à partir des « blocs » disponibles sur la carte.

Avec ses mécaniques de gameplay et ses environnements variés, l’univers de Minecraft peut présenter une bonne analogie avec la géologie de notre monde. Quelques modifications peuvent en faire un outil très pertinent pour l’enseignement des géosciences.

L’essor du « serious gaming »

Avec le développement des jeux sérieux ou « serious games », le jeu devient un outil d’apprentissage reconnu en tant que tel.

On entend par là les jeux conçus pour enseigner, apprendre ou informer enfants ou adultes sur une large gamme de sujets. La conception de « serious games » est de plus en plus répandue, mais le fait de détourner des jeux grand public à des fins d’éducation ou d’enseignement est moins évident.

C’est pourtant ce que propose le « serious gaming ». Il s’agit d’utiliser des jeux grand public, initialement conçus pour le divertissement, comme support pour l’apprentissage. Par exemple, SimCity, dont la première mouture est sortie en 1989, a inspiré toute une génération d’urbanistes.

Minecraft se présente également sous une déclinaison éducative, avec seulement quelques ajouts par rapport au jeu originel et de multiples fonctions adaptées à l’enseignement : mode multijoueurs amélioré, coordonnées permettant aux élèves de s’orienter plus facilement sur la carte, portfolio en ligne permettant aux élèves de prendre des photos de leurs constructions, personnalisation des avatars, fonction d’import-export des mondes, des personnages interactifs…

Parmi les prétendants au serious gaming appliqué aux géosciences, Minecraft présente un potentiel reconnu à travers son aspect « bac à sable ». Celui-ci permet de répliquer des objets et concepts dans son monde virtuel, par nature très orienté vers la géographie et l’exploration souterraine.

Pour autant, le serious gaming appliqué aux géosciences ne se limite pas à Minecraft. Des jeux comme Pokémon ou Zelda peuvent aussi présenter un intérêt pour l’enseignement des géosciences au grand public.

Les « biomes » de « Minecraft »

En surface, le joueur peut explorer une grande variété d’environnements, appelés « biomes ». Ces biomes sont des versions simplifiées d’environnements de notre monde réel : prairies, montagnes, marais, désert… Aisément reconnaissables pour le joueur, ils sont, à leur manière, réalistes.

Chaque biome se compose ainsi d’une flore et d’une faune spécifiques, ainsi que de plusieurs types de blocs correspondant à leurs alter ego du monde réel : du sable recouvre ainsi les grès dans les déserts, des alternances de blocs d’argiles colorées représentent les différentes couches sédimentaires des badlands et de larges colonnes basaltiques se retrouvent dans les biomes volcaniques du Nether (dimension du jeu évoquant les enfers).

Les biomes sont générés par un algorithme procédural appelé « Bruit de Perlin ».
Domaine public, Fourni par l’auteur

L’organisation même des biomes suit des règles cohérentes : chaque monde est généré de façon procédurale selon différents paramètres, tels que l’élévation, la température et l’humidité.

Le résultat : des paysages variés, où l’on passe progressivement des toundras aux plaines, puis à une savane. Cette répartition des biomes en fonction de différents paramètres géographiques et climatiques reproduit ce qui est observable à l’échelle de notre planète.

Un monde souterrain à explorer

Une grande partie du monde de Minecraft est toutefois située sous la surface de ces biomes. On y retrouve un empilement vertical de roches. Au plus profond se trouve la « bedrock », la roche mère, qui fait office de barrière avec le monde infernal du Nether. Sur celle-ci repose un type de bloc appelé ardoise des abîmes (deepslate), puis les blocs de pierre et enfin des blocs de grès, de sable ou de terre.

S’il s’agit d’une version assez simplifiée de ce qu’on l’on pourrait trouver dans la réalité, cet empilement de blocs n’est pas sans logique. Les différentes roches formant la Terre peuvent en effet former des empilements de couches plus ou moins horizontales, reposant sur un substrat plus ancien et solide.

Le sous-sol de Minecraft regorge aussi de caves, générées comme les biomes de manière procédurale. Ces caves présentent des successions d’étroites galeries et de larges grottes, agrémentées de stalactites et de stalagmites avec la présence parfois de rivières et de larges gouffres. Leurs aspects semblent très inspirés des systèmes karstiques, où la circulation de l’eau dans les calcaires forme cours d’eau souterrains, grottes et gouffres.

Vue en coupe d’un monde Minecraft montrant l’empilement des couches « stratigraphiques » sur la roche mère, ainsi que des grottes et des aquifères souterrains.
Henrik Kniberg, Mojang Studio, Fourni par l’auteur

S’il n’y a pas de volcans dans Minecraft, il y a revanche de la lave, généralement située en profondeur. Suffisamment chaude pour brûler tous les éléments inflammables à portée, s’écoulant moins vite que l’eau et se transformant en obsidienne ou en pierre au contact de l’eau, celle-ci reproduit assez fidèlement le comportement des laves, de leur viscosité à leur vitrification au contact de l’eau.

Les richesses du sous-sol : minerais, cristaux, cubes…

L’exploration est importante dans Minecraft, mais l’artisanat aussi ! Pour créer de nouveaux objets, le joueur doit explorer, récolter, mais aussi extraire des ressources minières. Pour pouvoir progresser dans le jeu, le joueur devra commencer par aller miner pour remplacer ses outils en bois par des outils en fer. Si la progression entre les divers âges est plus détaillée dans d’autres jeux, Minecraft présente quelques-uns des minerais et minéraux les plus connus.

De haut en bas : un minerai d’or, du cuivre natif et un diamant dans Minecraft (à gauche) et dans la collection des Mines de Paris (à droite).
Assemblage par l’auteur, Minecraft/Mojang, Musée de minéralogie des Mines de Paris, photo de Jean-Michel Le Cleac’h, Fourni par l’auteur

On retrouve par exemple le charbon, le cuivre, le fer, l’or, l’émeraude, le diamant et le quartz. Ces ressources se trouvent sous forme de poches dans la roche, parfois sous forme de veines massives. Cuivre et fer se retrouveront plus facilement à la surface, à la manière de certains des gisements sédimentaires ou magmatiques qui leur sont associés dans le monde réel. Ces derniers se forment à de relativement faible profondeur et peuvent s’organiser sous une forme similaire à celles de veines minéralisées.

Le diamant, lui, se retrouvera bien plus en profondeur, près de la roche mère, un parallèle avec la formation de nos diamants à de très grandes profondeurs (plus de 150 km), qui sont ensuite remontés à proximité de la surface par le magma.

La comparaison ne s’arrête pas aux minerais et cristaux, Minecraft présentant aussi d’autres roches plus ou moins connues. Outre l’obsidienne, on retrouvera les tufs, basaltes et andésites, typiques d’environnements magmatiques volcaniques où le magma devenu lave se cristallise. Ou encore les diorites et les granites, des roches magmatiques plutoniques formées en profondeur par le refroidissement du magma. Ceux souhaitant découvrir les équivalents réels de ces roches et minéraux pourront le faire cet été au musée de minéralogie de l’École nationale supérieure des mines de Paris, qui consacre jusqu’au 29 août 2025 une mini exposition aux minéraux dans Minecraft.

Modèle géologique de West Thurrock (Comté d’Essex, en Angleterre) créé par le British Geological Survey.
Minecraft, Mojang Studio, Fourni par l’auteur

Même s’il offre une vision ludique et simplifiée des géosciences, Minecraft, avec ses mécaniques, sa diversité et sa communauté de joueurs, présente un potentiel autant pour l’enseignement que pour la sensibilisation du grand public à ce domaine. Il vous est, par exemple, possible de visiter directement les sous-sols de notre monde en certains points du Royaume-Uni, grâce aux modèles géologiques 3D mis à disposition par le British Geological Survey.

The Conversation

Alex Vella a reçu des financements de l’ANR pour des projets de recherche.

ref. Apprendre les géosciences en s’amusant avec « Minecraft » – https://theconversation.com/apprendre-les-geosciences-en-samusant-avec-minecraft-261680