La peur de rater quelque chose : entre cerveau social et anxiété collective

Source: The Conversation – France (in French) – By Emmanuel Carré, Professeur, directeur de Excelia Communication School, chercheur associé au laboratoire CIMEOS (U. de Bourgogne) et CERIIM (Excelia), Excelia

Un rêve d’ubiquité entretenu par les outils numériques. Roman Odintsov/Pexels, CC BY

La « peur de rater quelque chose » (« Fear Of Missing Out », ou FOMO) n’est pas née avec Instagram. Cette peur d’être exclu, de ne pas être là où il faut, ou comme il faut, a déjà été pensée bien avant les réseaux sociaux, et révèle l’angoisse de ne pas appartenir au groupe.


Vous l’avez sans doute déjà ressentie : cette sensation distincte que votre téléphone vient de vibrer dans votre poche. Vous le sortez précipitamment. Aucune notification.

Autre scénario : vous partez en week-end, décidé à vous « déconnecter ». Les premières heures sont agréables. Puis l’anxiété monte. Que se passe-t-il sur vos messageries ? Quelles conversations manquez-vous ? Vous ressentez la « peur de rater quelque chose », connue sous l’acronyme FOMO (« Fear Of Missing Out »).

D’où vient cette inquiétude ? De notre cerveau programmé pour rechercher des récompenses ? De la pression sociale ? De nos habitudes numériques ? La réponse est probablement un mélange des trois, mais pas exactement de la manière dont on nous le raconte.

Ce que les penseurs nous ont appris sur l’anxiété sociale

En 1899, l’économiste Thorstein Veblen (1857-1929), l’un des théoriciens invoqués dans l’industrie du luxe décrit la « consommation ostentatoire » : l’aristocratie ne consomme pas pour satisfaire des besoins, mais pour signaler son statut social. Cette logique génère une anxiété : celle de ne pas être au niveau, de se retrouver exclu du cercle des privilégiés.

À la même époque, le philosophe allemand Georg Simmel (1858-1918) prolonge cette analyse en étudiant la mode. Il décrit une tension : nous voulons simultanément nous distinguer et appartenir. La mode résout temporairement cette contradiction, mais au prix d’une course perpétuelle. Dès qu’un style se diffuse, il perd sa valeur. Cette dynamique crée un système où personne n’est épargné : les élites doivent innover sans cesse tandis que les autres courent après des codes qui se dérobent.

En 1959, le sociologue Erving Goffman (1922-1982) théorise nos interactions comme des performances théâtrales. Nous gérons constamment l’impression donnée aux autres, alternant entre scène (où nous jouons notre rôle) et coulisses (où nous relâchons la performance). Sa question résonne aujourd’hui : que se passe-t-il quand les coulisses disparaissent ? Quand chaque instant devient potentiellement documentable, partageable ?

Enfin, plus récemment, le philosophe Zygmunt Bauman (1925-2017) a développé le concept de « modernité liquide » : dans un monde d’options infinies, l’anxiété n’est plus liée à la privation, mais à la saturation. Comment choisir quand tout semble possible ? Comment être certain d’avoir fait le bon choix ?

Ces quatre penseurs n’ont évidemment pas anticipé les réseaux sociaux, mais ils ont identifié les ressorts profonds de l’anxiété sociale : l’appartenance au bon cercle (Veblen), la maîtrise des codes (Simmel), la performance permanente (Goffman) et l’angoisse du choix (Bauman) – des mécanismes que les plateformes numériques amplifient de manière systématique.

FOMO à l’ère numérique

Avec la généralisation des smartphones, le terme se popularise au début des années 2010. Une étude le définit comme « une appréhension omniprésente que d’autres pourraient vivre des expériences enrichissantes desquelles on est absent ». Cette anxiété naît d’une insatisfaction des besoins fondamentaux (autonomie, compétence, relation) et pousse à un usage compulsif des réseaux sociaux.

Que change le numérique ? L’échelle, d’abord : nous comparons nos vies à des centaines de vies éditées. La permanence, ensuite : l’anxiété est désormais continue, accessible 24 heures sur 24. La performativité, enfin : nous ne subissons plus seulement le FOMO, nous le produisons. C’est ainsi que chaque story Instagram peut provoquer chez les autres l’anxiété que nous ressentons.

Le syndrome de vibration fantôme illustre cette inscription corporelle de l’anxiété. Une étude menée sur des internes en médecine révèle que 78 % d’entre eux rapportent ces vibrations fantômes, taux qui grimpe à 96 % lors des périodes de stress intense. Ces hallucinations tactiles ne sont pas de simples erreurs perceptives, mais des manifestations d’une anxiété sociale accrue.

Au-delà de la dopamine : une anxiété d’appartenance

De nombreux livres et contenus de vulgarisation scientifique ont popularisé l’idée que le FOMO s’expliquerait par l’activation de notre « circuit de récompense » cérébral.

Ce système fonctionne grâce à la dopamine, un messager chimique du cerveau (neurotransmetteur) qui déclenche à la fois du plaisir anticipé et une forte envie d’agir pour ne rien manquer. Dans le Bug humain (2019), Sébastien Bohler développe notamment la thèse selon laquelle notre cerveau serait programmé pour rechercher constamment davantage de ressources (nourriture, statut social, information).

Selon cette perspective, les plateformes de réseaux sociaux exploiteraient ces circuits neuronaux en déclenchant de manière systématique des réponses du système de récompense, notamment par le biais des signaux de validation sociale (likes, notifications), ce qui conduirait à des formes de dépendance comportementale.

D’autres travaux en neurosciences pointent vers une dimension complémentaire, peut-être plus déterminante : l’activation de zones cérébrales liées au traitement des informations sociales et à la peur de l’exclusion. Les recherches menées par Naomi Eisenberger et ses collègues depuis les années 2000 ont révélé que les expériences d’exclusion sociale activent des régions cérébrales qui chevauchent partiellement celles impliquées dans le traitement de la douleur physique.

Elles suggèrent que le rejet social constitue une forme de souffrance inscrite biologiquement. Ces deux mécanismes – recherche de récompense et évitement de l’exclusion – ne s’excluent pas mutuellement, mais pourraient opérer de manière synergique. Au fond, ce n’est pas tant le manque d’un like qui nous inquiète que le sentiment d’être en marge, de ne pas appartenir au groupe social.

Cette inscription neurobiologique de la peur de l’exclusion confirme, d’une autre manière, ce qu’avaient analysé Veblen, Simmel, Goffman et Bauman : l’anxiété d’appartenance constitue un ressort fondamental de nos comportements sociaux, que les plateformes numériques amplifient désormais de manière systématique.

Reprendre le contrôle de l’attention ?

L’anxiété sociale comparative n’a donc pas attendu Instagram pour exister. Mais il faut reconnaître une différence d’échelle : nos cerveaux, façonnés pour des groupes de quelques dizaines d’individus, ne sont pas équipés pour traiter le flux incessant de vies alternatives qui défile sur nos écrans.

Face à cette saturation, la déconnexion n’est pas une fuite mais une reconquête. Choisir de ne pas regarder, de ne pas savoir, de ne pas être connecté en permanence, ce n’est pas rater quelque chose – c’est gagner la capacité d’être pleinement présent à sa propre vie. Cette prise de conscience a donné naissance à un concept miroir du FOMO : le JOMO, ou « Joy of Missing Out », le plaisir retrouvé dans le choix conscient de la déconnexion et dans la réappropriation du temps et de l’attention.

The Conversation

Emmanuel Carré ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. La peur de rater quelque chose : entre cerveau social et anxiété collective – https://theconversation.com/la-peur-de-rater-quelque-chose-entre-cerveau-social-et-anxiete-collective-267362

Devenue une religion mondiale, l’Église mormone va devoir s’adapter

Source: The Conversation – France in French (3) – By Brittany Romanello, Assistant Professor of Sociology, University of Arkansas

Le 14 octobre 2025, Dallin H. Oaks a pris la tête de l’« Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours », aussi connue sous le nom d’Église mormone, un mouvement mondial en pleine expansion qui revendique plus de 17 millions de membres en 2024. L’anthropologue Brittany Romanello a étudié plusieurs communautés de femmes mormones à travers les États-Unis et revient sur leurs caractéristiques ainsi que sur les enjeux qui attendent la nouvelle direction de l’Église.


L’« Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours » (Église SDJ) a connu ces dernières semaines un moment de deuil et de transition. Le 28 septembre 2025, une fusillade et un incendie criminels ont fait quatre morts et huit blessés lors d’un rassemblement dans une église mormone du Michigan. La veille, le président de l’Église Russell M. Nelson était mort à l’âge de 101 ans. Dallin H. Oaks, le plus ancien des hauts dirigeants de l’Église, a été nommé comme nouveau président le 14 octobre.

Le nouveau président des Saints des Derniers Jours hérite de la direction d’une institution religieuse à la fois profondément américaine et de plus en plus globale. La diversité de ce mouvement entre en tension avec la manière dont il est traditionnellement représenté dans les médias, de la téléréalité la Vie secrète des épouses mormones à la comédie musicale de Broadway le Livre de mormons.

En tant qu’anthropologue culturel et ethnographe, je mène des recherches sur les communautés des saints des derniers jours à travers les États-Unis, en particulier sur les immigrantes latino-américaines et les jeunes adultes. Lorsque je présente mes recherches, je remarque que beaucoup de gens associent encore étroitement l’Église à l’Utah, où se trouve son siège social.**

Un bâtiment blanc orné d’une haute flèche, avec des montagnes verdoyantes en arrière-plan
Le temple des Saints des derniers jours à Cochabamba, en Bolivie, a été inauguré en 2000.
Parallelepiped09/Wikimedia, CC BY-SA

L’Église a joué un rôle central dans l’histoire et la culture de l’Utah. Aujourd’hui, cependant, seuls 42 % de ses habitants en sont membres. Le stéréotype selon lequel les saints des derniers jours sont principalement des Américains blancs et conservateurs est l’une des nombreuses idées fausses tenaces concernant les communautés et les croyances mormones.**

Beaucoup de gens sont surpris d’apprendre qu’il existe des congrégations dynamiques loin du « corridor mormon » de l’Ouest américain. On trouve des saints des derniers jours fervents partout, du Ghana et des Émirats arabes unis à la Russie, en passant par la Chine continentale.

Croissance globale

Joseph Smith a fondé l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours dans le nord de l’État de New York en 1830 et a immédiatement envoyé des missionnaires prêcher le long de la frontière. Les premiers missionnaires outre-mer se sont rendus en Angleterre en 1837.

Peu après la Seconde Guerre mondiale, les dirigeants religieux ont revu leur approche missionnaire afin d’augmenter le nombre de missions internationales. Cette stratégie a conduit à une croissance à travers le monde, en particulier en Amérique centrale, en Amérique du Sud et dans les îles du Pacifique.

Aujourd’hui, l’Église compte plus de 17,5 millions de membres, selon ses registres. La majorité d’entre eux vivent en dehors des États-Unis, répartis dans plus de 160 pays.

L’Église et les chercheurs suivent cette croissance mondiale, notamment grâce à la construction de nouveaux temples. Ces bâtiments, qui ne sont pas utilisés pour le culte hebdomadaire mais pour des cérémonies spéciales telles que les mariages, étaient autrefois presque exclusivement situés aux États-Unis. Aujourd’hui, ils existent dans des dizaines de pays, de l’Argentine aux Tonga.

Au cours de sa présidence, qui a débuté en 2018, Nelson a annoncé la construction de 200 nouveaux temples, soit plus que n’importe lequel de ses prédécesseurs. Les temples sont une représentation physique et symbolique de l’engagement de l’Église à être une religion mondiale, même si des tensions culturelles persistent.

Deux hommes en costume passent devant une grande carte du monde encadrée accrochée au mur d’un couloir
Deux missionnaires de l’« Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours » traversent le centre de formation missionnaire de Provo, dans l’Utah, en 2008.
AP Photo/George Frey

Parmi les membres américains, la démographie évolue également. 72 % des membres américains sont blancs, contre 85 % en 2007, selon le Pew Research Center. Un nombre croissant de Latinos-Américains – 12 % des membres américains – ont joué un rôle important dans le maintien des congrégations à travers le pays.

Il existe des congrégations dans tous les États américains, y compris dans la petite communauté de Grand Blanc, dans le Michigan, lieu de la tragique fusillade. Le suspect Thomas Jacob Sanford, qui a été abattu par la police, s’était récemment lancé dans une tirade contre les saints des derniers jours lors d’une conversation avec un candidat politique local. Dans les jours qui ont suivi, un membre américain de l’église a récolté des centaines de milliers de dollars pour la famille de l’assaillant.

Douleurs en hausse

Malgré la diversité de l’Église, ses fondements institutionnels restent solidement ancrés aux États-Unis. Les instances dirigeantes sont encore composées presque exclusivement d’hommes blancs, dont la plupart sont nés aux États-Unis.

À mesure que l’Église continue de croître, des questions se posent quant à l’adéquation des normes d’une Église basée dans l’Utah avec les réalités des membres à Manille, Mexico, Bangalore ou Berlin. Quelle place reste-t-il, même dans les congrégations américaines, pour les expressions culturelles locales de la foi ?**

Les mormons latino-américains et les membres d’Amérique latine, par exemple, ont dû faire face à une opposition à l’égard de traditions culturelles considérées comme « non mormones », telles que la construction d’autels et les offrandes lors du Dia de los Muertos. En 2021, l’Église SDJ a lancé une campagne en espagnol utilisant des images du Jour des morts afin de susciter l’intérêt des Latino-Américains. De nombreux membres se sont réjouis de cette représentation. Pourtant, certaines femmes avec lesquelles j’ai discuté ont déclaré que l’accent mis sur la blancheur et le nationalisme américain, ainsi que la rhétorique anti-immigrés qu’elles avaient entendue de la part d’autres membres, les dissuadait de célébrer pleinement leur culture.

Même les détails esthétiques, comme les styles musicaux, reflètent souvent un modèle typiquement américain. Le recueil de cantiques standardisé, par exemple, contient des chants patriotiques comme « America the Beautiful ». Cette importance accordée à la culture américaine peut sembler particulièrement déplacée dans les pays où le taux d’adhésion est élevé et qui ont connu des conflits avec l’armée américaine ou politique.

Les attentes en matière d’habillement et d’apparence physique ont également soulevé des questions sur la représentation, l’appartenance et l’autorité. Ce n’est qu’en 2024, par exemple, que l’Église a proposé à ses membres vivant dans des régions humides des versions sans manches des vêtements sacrés que les mormons portent sous leurs vêtements pour rappeler leur foi.

Historiquement, l’Église considérait les tatouages comme tabous – une violation du caractère sacré du corps. De nombreuses régions du monde ont des traditions sacrées de tatouage vieilles de plusieurs milliers d’années, notamment l’Océanie, qui compte un taux élevé d’adhérents à l’Église.

Changement à venir ?

Parmi les nombreux défis qui l’attendent, le prochain président de l’Église SDJ devra trouver comment diriger une Église mondiale depuis son siège américain, une Église qui continue d’être mal comprise et victime de stéréotypes, parfois au point d’en arriver à des actes de violence.

Un bâtiment blanc au loin au centre, avec des palmiers et un bassin réfléchissant rempli d’une eau limpide au premier plan
Le temple de Laie, à Hawaï, a ouvert ses portes au début des années 1900, ce qui en fait l’un des plus anciens de l’Église SDJ.
Kaveh/Wikimedia, CC BY-SA

Le nombre de mormons continue d’augmenter dans de nombreuses régions du monde, mais cette croissance s’accompagne d’un besoin accru de prise en compte des différentes sensibilités culturelles. L’Église, qui a toujours été très uniforme dans ses efforts de standardisation de l’histoire, de l’art et des enseignements des mormons, a de plus en plus de mal à maintenir cette uniformité lorsque les congrégations s’étendent sur des dizaines de pays, de langues, de coutumes et d’histoires.

Organiser l’Église SDJ comme une entreprise, avec un processus décisionnel descendant, peut également rendre difficile le traitement des histoires raciales douloureuses et des besoins des groupes marginalisés, tels que les membres LGBTQ+.

La transition au niveau de la direction offre une occasion non seulement à l’Église, mais aussi au grand public, de mieux comprendre les multiples facettes ainsi que la dimension mondiale de la vie des « saints des derniers jours » aujourd’hui.

The Conversation

Brittany Romanello ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Devenue une religion mondiale, l’Église mormone va devoir s’adapter – https://theconversation.com/devenue-une-religion-mondiale-leglise-mormone-va-devoir-sadapter-267337

La fin du libre-échange et le retour du protectionnisme économique aux États-Unis

Source: The Conversation – France in French (3) – By Bernard Guilhon, Professeur de sciences économiques, SKEMA Business School

Les récentes politiques douanières des États-Unis signalent un changement de paradigme. Washington adopte un protectionnisme assumé, centré sur la relocalisation de la production et sur la promotion du « Made in America ». Ce tournant redéfinit les règles du jeu et contribue à une reconfiguration en profondeur de la mondialisation et des flux commerciaux internationaux.


Une lecture rapide de la mondialisation permet de retracer les étapes essentielles qui ont abouti à la situation actuelle et de mettre en lumière l’effacement de l’idéologie libérale au profit de l’interventionnisme stratégique aux États-Unis.

La période 1990-2019 représente une phase d’hypermondialisation caractérisée par la diffusion d’une idéologie néolibérale centrée sur les entreprises et les marchés, et sur l’adoption de politiques commerciales se conformant aux règles globales des flux commerciaux et d’investissements édictées par l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Le système d’échanges international, construit autour de chaînes de valeur mondialisées, traduit l’influence unilatérale des États-Unis, unique hyperpuissance dans les années 1990, 2000 et 2010. Le résultat est un jeu à somme positive qui conduit à une convergence des taux de croissance entre le Nord et le Sud, entre 2003 et 2019.

Les inégalités s’accroissent à la fin de la période et la démondialisation, certes relative, s’amplifie. Pour deux raisons.

D’une part, en raison de la crise financière, les pays pauvres très endettés ne peuvent exploiter leurs avantages comparatifs au sein de chaînes de valeur raccourcies et régionalisées. C’est le cas du Bangladesh et du Cambodge dans le textile-habillement et dans l’ameublement. Les pays bénéficiaires sont la Turquie, la Roumanie et la Bulgarie.

D’autre part, les considérations géopolitiques l’emportent sur les motifs strictement économiques, ce qui accroît fortement la contrainte de risque dans les choix des localisations et conduit à une fragmentation progressive de l’espace mondial (certains segments de chaînes de valeur dans l’aéronautique et les technologies numériques installées en Chine ont été transférés au Vietnam).

Du libre-échange à la quête de puissance

Pour les États-Unis, le risque global de décrochage économique et technologique par rapport à la Chine accentue le poids de l’impératif de sécurité : il s’agit de sécuriser certains approvisionnements (terres rares ou batteries) et de développer les technologies critiques couvrant des besoins économiques et de sécurité nationale. Il apparaît que les interactions internationales ont accru le déficit commercial et l’endettement financier.

Les rapports de force s’introduisent en deux temps. Les États-Unis réagissent d’abord lorsqu’ils admettent que les gains de puissance politique, économique et technologique de la Chine diminuent la puissance relative des États-Unis, et reconnaissent que la puissance mondiale est un jeu à somme nulle.

Le nouveau paradigme repose sur l’idée que les politiques industrielles ne s’opposent pas aux marchés, mais permettent de renforcer des positions d’ancrage significatives sur des marchés ayant une importance économique et géopolitique stratégique. Dès lors, des formes de protectionnisme se développent. D’où les deux lois votées en 2022, sous Joe Biden : le CHIPS and Science Act (semiconducteurs) et l’Inflation Reduction Act (transition énergétique).

À l’opposé, Donald Trump considère que la décarbonation de l’industrie ne permet pas la réindustrialisation des États-Unis. C’est pourquoi il a mis fin le 7 juillet au plan de subventions et d’exonérations fiscales en faveur de la transition énergétique.

Les rapports de puissance s’expriment par les droits de douane censés réaliser des objectifs économiques et de sécurité nationale. L’idée est que plus les droits de douane sont élevés, plus les entreprises étrangères sont incitées à investir aux États-Unis pour ne pas avoir à les payer.

Or, les entreprises étrangères peuvent être désincitées par le coût de la main-d’œuvre aux États-Unis (seize fois plus élevé qu’au Vietnam et onze fois plus important qu’au Mexique), mais plus encore par la difficulté de s’approvisionner en biens intermédiaires stratégiques, ce que les accords de libre-échange facilitaient.

Les nouveaux droits de douane sont la base d’une politique « réciproque » visant à équilibrer le commerce entre les États-Unis et leurs partenaires commerciaux, notamment les pays en développement.

Dans les faits, la recherche de l’équité via « la politique réciproque » dans les relations commerciales aboutit à de fortes asymétries. Par exemple, en ce qui concerne le Vietnam, les exportateurs américains vendront à droit zéro sur le marché vietnamien tandis que les exportateurs vietnamiens acquitteront une taxe de 20 %.

Dans ce contexte, la mondialisation transactionnelle articulée autour de négociations et de sanctions, comme dans le cas de l’Inde, s’accompagne de mesures protectionnistes dont les plus notables sont le contrôle des importations menaçant la sécurité nationale, les restrictions sur les investissements entrants et sortants et la prise de participation de 10 % de l’État américain au capital d’Intel, ce qui interroge sur l’éclosion d’un capitalisme d’État.

La fin de l’orthodoxie libérale

En janvier 2025, le Bureau of Industry and Security (agence du département du commerce, ndlr) a imposé des restrictions formelles à l’exportation de nouveaux équipements de calcul avancé (la Taïwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC) est dorénavant contrainte d’obtenir une licence pour tout envoi de produits), ce à quoi s’ajoute le contrôle de volumes importants de données nécessaires à l’entraînement des modèles d’intelligence artificielle (IA).

L’objectif est d’instrumentaliser les interconnexions économiques (flux de produits, de connaissances brevetées, de données, transferts financiers) à des fins de blocage et de coercition. L’orthodoxie libérale est congédiée au profit de l’avantage stratégique dans le but d’atteindre un leadership incontestable sur la scène mondiale.

À supposer que l’UE reste une zone de libre-échange capable d’irradier et de construire avec d’autres pays des règles et de l’équité, la mondialisation s’organiserait autour de deux découpages superposés : celui du libre-échange concernant les produits de faible et moyenne gamme et celui des biens stratégiques dont le périmètre est réduit, selon la formule « Small yard, high fence », en raison des barrières à l’entrée infranchissables, à la fois, géopolitiques et industrielles.

The Conversation

Bernard Guilhon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. La fin du libre-échange et le retour du protectionnisme économique aux États-Unis – https://theconversation.com/la-fin-du-libre-echange-et-le-retour-du-protectionnisme-economique-aux-etats-unis-266810

La Bretagne, un futur refuge climatique ?

Source: The Conversation – in French – By Louis Amiot, Docteur en géographie, Université Rennes 2

La Bretagne n’est pas épargnée par le changement climatique, qui y provoque des problèmes de sécheresses de plus en plus inquiétants. Capture d’écran de Météo France/Martin Cígler/Maëlick, CC BY

Déménager pour éviter de trop subir les aléas du changement climatique, nous sommes nombreux à y avoir songé un jour. La région de prédilection à laquelle nous pensons alors est souvent la Bretagne. Mais est-ce vraiment une bonne idée ?

Allons-nous tous finir en Bretagne ? Cette question, sans doute assez improbable il y a encore dix ans, est désormais une interrogation sérieuse que posent divers médias nationaux et qui s’immisce dans les esprits. Car à l’heure du changement climatique, la Bretagne, souvent considérée comme une région où « il pleut tout le temps » et où l’on a « des étés pourris » se transforme en un refuge possible face au mercure qui n’en finit pas de grimper.

En effet, d’après un récent sondage, environ un Français sur trois est prêt à déménager face au changement climatique. La Bretagne est la région de migration privilégiée pour cela en plus d’être déjà la plus attractive pour les retraités. Mais s’installer en Bretagne pour échapper au changement climatique, est-ce vraiment une bonne idée ?

La réalité n’est pas si simple, d’abord parce que la région n’a pas un climat uniforme, notamment lorsque l’on compare Rennes (Ille-et-Vilaine) et Brest (Finistère), par exemple. La Bretagne est aussi loin d’être préservée du changement climatique. Elle est particulièrement vulnérable au risque de sécheresse, ce qui peut poser des problèmes dans la gestion de l’eau. Ses habitants sont d’ailleurs les Français les plus pessimistes face au changement climatique, selon le même sondage. Seule différence, eux n’ont pas tellement de perspective de déménagement pour apaiser leurs inquiétudes.

Des climats bretons

La Bretagne est généralement classée comme un climat océanique (été frais, hiver doux et pluies régulières toute l’année). Mais en détail, il existe de grandes différences entre l’est et l’ouest de la région. Il n’y a par exemple qu’un degré d’écart en moyenne entre Rennes et Brest à l’année, mais à Brest les hivers sont plus doux et les étés plus frais qu’à Rennes. La pluviométrie est, elle, presque deux fois plus importante à Brest (1220 mm) qu’à Rennes (690 mm). Cette différence est plus marquante à l’échelle saisonnière : en hiver, il y a trois fois plus de pluie à Brest qu’à Rennes, tandis qu’en été, l’écart est moins conséquent.

Cumul de précipitations et de températures moyennes mensuelles à Rennes (Ille-et-Vilaine) et à Brest (Finistère), sur la période 1991-2020.
Fourni par l’auteur

Il existe ainsi plusieurs climats bretons qui ont été cartographiés afin de différencier le littoral nord et sud de la Bretagne, l’est et l’ouest et l’intérieur de la région. De manière générale, les côtes bretonnes sont moins exposées aux risques climatiques tels que les extrêmes thermiques (chaleur et gel) et pluviométriques (sécheresses et fortes pluies). Le sud de la Bretagne est aussi plus chaud et sec que le nord.

Une région qui subit le changement climatique

Mais, partout en Bretagne, le changement climatique se fait sentir, avec une hausse de la température moyenne annuelle de l’ordre de 0,9 °C à 1,1 °C entre la période 1951-1980 et la période 1991-2020. Cela est certes moins prononcé qu’à échelle de la France (+1,5 °C), mais reste supérieur au réchauffement mondial (+0,7 °C entre ces mêmes périodes).

À l’horizon 2050, la température devrait encore augmenter d’au moins 1 °C et de 1,5 °C à 3 °C en fin de siècle. Dans le scénario pessimiste, en fin de siècle, la température moyenne de Brest pourrait être équivalente à l’actuelle température de Bordeaux et celle de Rennes à la température de Marseille. Dans le même temps, les quantités de pluie devraient rester similaires sur l’année avec des pluies davantage concentrées en hiver et moins importantes en été. Les risques et aléas climatiques liés au réchauffement sont eux aussi déjà notables et devraient s’intensifier.

Prenons l’exemple du risque de forte chaleur en regardant les journées à plus de 30 °C, qui sont un des marqueurs du changement climatique. Il existe une forte différence est/ouest concernant le risque actuel avec en moyenne 8 jours en Ille-et-Vilaine contre seulement 1 à 2 jours dans le Finistère. D’ici 2050, le nombre moyen de jours très chauds devrait plus que doubler. En fin de siècle, les fortes chaleurs sont encore plus présentes et concernent en moyenne 20 jours par an sur la région. Ce chiffre varie de moins de 10 sur le littoral nord à plus de 30 jours au sud de Rennes (soit autant qu’à Toulouse en moyenne).

Dans l’ensemble, seul le littoral nord se retrouve relativement préservé de ce risque de fortes chaleurs même si celui-ci augmente.

Cartographie du nombre de jours très chaud par an (température maximale supérieure à 30 °C) avec la situation actuelle observée et la situation future projetée dans le scénario pessimiste
Cartographie du nombre de jours très chaud par an (température maximale supérieure à 30 °C) avec la situation actuelle observée et la situation future projetée dans le scénario pessimiste.
Fourni par l’auteur

La Bretagne face au défi de l’eau

Le changement climatique affecte aussi l’intensité et la fréquence des sécheresses. Or, cela peut paraître paradoxal, mais la Bretagne est très vulnérable face à ce risque. En effet, plus de 75 % de l’eau potable dépend des réserves superficielles (rivières, lacs, étangs) contre seulement 36 % pour l’échelle du territoire.

La Bretagne se retrouve ainsi extrêmement dépendante des conditions météorologiques. Si d’ordinaire, celles-ci sont plutôt humides avec une bonne répartition des pluies au cours de l’année, certaines années sont marquées par des longues périodes sans pluies menant à des sécheresses.

Par exemple, en 2022, la région a subi une sécheresse historique : au cours du mois d’août, toute la région était pour la première fois en état de crise sécheresse du fait de pluviométrie très faible et de fortes chaleurs. Cela a engendré de fortes pressions sur l’île de Groix (Morbihan), il y a eu des menaces de coupure d’eau à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine) comme dans le département des Côtes-d’Armor où la préfecture a indiqué un « risque sérieux de rupture de l’alimentation en eau potable se dessine pour les dernières semaines d’octobre ». La région a finalement été sauvée de la pénurie par des pluies bienvenues au cours du mois de septembre. Mais cette situation a révélé la fragilité de la Bretagne dans ces périodes climatiques exceptionnelles.

De plus, une récente étude a démontré que ces sécheresses extrêmes sont amenées à être de plus en plus présentes. D’ici 2050, environ un été sur cinq serait au moins aussi chaud et sec que celui de 2022, en fin de siècle cela représente un été sur deux. Dans ce contexte, la région risque d’être confrontée à des problèmes grandissants d’accès à l’eau alors que le nombre d’habitants devrait augmenter d’au moins 250 000 d’ici 2050.

Cette tendance démographique risque ainsi d’aggraver le partage d’une ressource qui se fait de plus en plus précieuse. L’enjeu est donc de garantir un accès à l’eau dans un futur climatique plus sec et chaud, particulièrement autour de Rennes et dans le littoral sud-breton.

Le risque d’une maladaptation

Dès lors, si s’installer en Bretagne peut sembler de prime abord une bonne idée face au changement climatique, il s’agit plutôt d’une forme de maladaptation. En effet, un accroissement massif de la population bretonne peut amplifier les impacts négatifs du changement climatique, principalement lié au risque de sécheresse et mener à une crise de l’eau. La région n’est donc pas un refuge climatique optimal à terme. Au-delà des enjeux liés au manque d’eau, la Bretagne doit aussi faire face à la hausse du niveau de la mer dont les 1 700 kilomètres de littoraux sont directement concernés.

Enfin, le changement climatique n’est qu’une problématique au milieu d’une crise environnementale globale (pollutions, extinction de la biodiversité, acidification de l’océan…). Par exemple, la Bretagne est en première ligne face à la pollution aux nitrates qui peut affecter la qualité de l’eau et les plages avec les algues vertes.

La crise climatique doit donc être traitée collectivement d’une part pour réduire l’intensité de celui-ci en diminuant les émissions de gaz à effet de serre et d’autre part en préparant les territoires à faire face aux changements climatiques. Il faut adapter les territoires au climat de demain pour qu’ils restent des lieux de vie agréables plutôt que de miser sur des migrations vers d’autres régions à priori moins exposés au changement climatique.

The Conversation

Louis Amiot a reçu des financements dans le cadre des programmes CLIMATVEG (financé par l’ADEME et les régions Bretagne et Pays de la Loire et piloté par Vegepolys Valley) et FERMADAPT (financé par l’ADEME et les régions Bretagne et Pays de la Loire et piloté par Valorial).

ref. La Bretagne, un futur refuge climatique ? – https://theconversation.com/la-bretagne-un-futur-refuge-climatique-267482

La démocratie municipale n’a pas la couverture médiatique qu’elle mérite 

Source: The Conversation – in French – By Sandra Breux, Démocratie municipale, élections municipales, Institut national de la recherche scientifique (INRS)

De façon générale, les médias traditionnels réussissent difficilement, faute de moyens, à couvrir l’ensemble des enjeux et à les documenter en profondeur. La Conversation Canada, CC BY

La campagne électorale du 2 novembre, qui déterminera la composition de plus de 1 000 conseils municipaux, est l’occasion de nous rappeler que la démocratie municipale québécoise souffre d’un double déficit : un manque criant de couverture médiatique et un traitement systématiquement négatif qui occulte les dynamiques constructives au profit des dysfonctionnements.

Cette vision déséquilibrée décourage la participation électorale et l’engagement citoyen.

La démocratie municipale, c’est près de 12 000 candidats qui postulent aux quelques 8 000 postes à pourvoir. C’est aussi des élus qui sont, dans leur grande majorité, rémunérés à temps partiel et qui tentent de satisfaire les besoins de la population, de répondre aux exigences auxquelles ils et elles doivent se conformer et d’inciter les citoyens à participer au développement de leur municipalité.

La démocratie municipale, c’est aussi des électeurs qui exercent leurs droits de vote, qui proposent des projets audacieux, se mobilisent, participent à des consultations publiques, cherchent à comprendre le bien-fondé d’une décision, demandent des comptes à leurs élus et font du bénévolat. C’est aussi un ensemble d’organismes variés qui soutiennent l’action des municipalités dans différents domaines pour essayer d’améliorer leur cadre de vie et le bien-être général de la population.

Parler de démocratie municipale, ce n’est pas que – certaines représentations sont tenaces – parler d’aqueducs, de déneigement et de collecte de poubelles. C’est discuter de la façon dont les ressources vont être allouées : faut-il vendre un terrain à un promoteur immobilier pour récupérer des fonds qui seront investis dans d’autres projets, ou le conserver pour créer un espace pour la population ?

Respectivement professeure à l’INRS en études urbaines, et professeure à l’Université d’Ottawa en sciences politiques, nous nous interrogeons sur le contexte médiatique et ses effets sur notre manière collective d’appréhender le palier de gouvernement municipal. Outre le déficit d’information qui le caractérise, le traitement médiatique dont il est l’objet pose certainement question à la veille du rendez-vous démocratique du 2 novembre prochain.

Sur le déficit informationnel

Plusieurs chercheurs et observateurs ont déjà souligné la faiblesse de la couverture médiatique dont fait l’objet la scène municipale. Si les médias provinciaux et régionaux couvrent les principaux pôles urbains, l’essentiel du territoire ne peut compter que sur les journaux locaux, dont le modèle d’affaire peine à en assurer la survie.




À lire aussi :
La démocratie municipale est-elle en crise au Québec ? Enquête chez les élus des petites municipalités


De façon générale, les médias traditionnels réussissent difficilement, faute de moyens, à couvrir l’ensemble des enjeux et à les documenter en profondeur. Cette situation n’est pas spécifique au Québec. Plusieurs travaux en Amérique du Nord font l’hypothèse qu’il existe à l’échelle municipale une circulation plus faible de l’information politique en comparaison avec les autres niveaux de gouvernement.

L’absence d’une circulation suffisante et adéquate de l’information politique a des conséquences sur l’électorat : il est plus difficile de savoir qui se présente, quel est le programme de chaque candidat, mais aussi de saisir la réelle portée des enjeux qui sont discutés. Plus encore, une enquête menée en 2017 sur 3 200 électeurs au Québec a montré que plus un électeur connaît les programmes et les projets des candidats, plus il est susceptible de voter.

Sur le traitement médiatique

Lorsqu’elle existe, la couverture municipale met davantage l’accent sur les dysfonctionnements (faible participation, augmentation du nombre d’élections par acclamation, démissions d’élus, harcèlement des élus, climat tendu au sein du conseil, mécontentement des citoyens), que sur les dynamiques constructives (solutions locales, innovations de services, mobilisations citoyennes).

Ces éléments s’ajoutent aux nouveaux enjeux auxquels sont confrontées les municipalités : logement, mobilité, itinérance, ou gestion de l’eau. La complexité de ces problèmes empêche souvent les municipalités de trouver des solutions à court ou à moyen terme. Ils nourrissent alors un flot de nouvelles négatives qui surpasse de loin les informations valorisant les actions des élus et des citoyens.

Le problème n’est pas que ces sujets soient couverts – ils doivent l’être –, mais que l’écart avec les informations valorisant les actions et les solutions soit tel qu’il produit une image déséquilibrée et décourageante de la démocratie municipale.

La faible présence médiatique du municipal favorise par ailleurs la domination d’une seule grille de lecture qui met sans cesse en évidence les défaillances de cette démocratie. Ce cadrage unique ne favorise ni la participation électorale, ni l’engagement citoyen, ni le renouvellement des élus. Et si on peut penser que de façon générale, la couverture médiatique des affaires provinciales et fédérales peut aussi être négative, la diversité des médias et le volume des informations relayées rendent possibles plusieurs lectures.




À lire aussi :
Les municipalités québécoises sont plus actives qu’on ne le pense en matière de développement durable


Le déséquilibre en exemples

Lire que 65 % des élus en 2021 l’ont été par acclamation laisse entendre que c’est un problème. On sait pourtant que ce fait mérite une lecture plus nuancée et qu’il cache une réalité bien différente. Cette situation peut s’expliquer par la difficulté à recruter, parfois par un choix volontaire pour éviter des frais de tenue d’élection, et d’autres fois encore par la volonté de ne pas s’opposer à quelqu’un que l’on connaît. Il convient par ailleurs de rappeler que le fait d’avoir quelque 8 000 élus est déjà une réalisation de taille.


Déjà des milliers d’abonnés à l’infolettre de La Conversation. Et vous ? Abonnez-vous gratuitement à notre infolettre pour mieux comprendre les grands enjeux contemporains.


De même, mettre de l’avant que la population ne participe pas, notamment les jeunes, c’est occulter l’ensemble des actions que des bénévoles (Commission jeunesse etc.), des citoyens, des municipalités et des institutions mettent en place pour favoriser l’intérêt des citoyens. La moyenne provinciale de la participation électorale est par ailleurs plus élevée que celle que l’on rencontre dans d’autres provinces, notamment l’Ontario, même si elle demeure faible, à 38,7% de taux de participation.

Enfin, parler d’un climat politique tendu et des difficultés d’être élu, c’est oublier que certains élus se mobilisent et s’entraident pour parler d’une fonction qu’ils apprécient (que ce soit au sein de la FQM et de l’UMQ, ou dans de nouveaux lieux comme la nouvelle vague municipale, ou encore via une série de publications individuelles ou collectives.

La Conversation Canada

Sandra Breux a reçu des financements du CRSH, du FRQSC et du programme des Chaires de recherche du Canada

Anne Mevellec a reçu des financements du CRSH

ref. La démocratie municipale n’a pas la couverture médiatique qu’elle mérite  – https://theconversation.com/la-democratie-municipale-na-pas-la-couverture-mediatique-quelle-merite-266531

La hausse du coût de la vie modifie notre façon de faire des rencontres, de vivre et d’aimer

Source: The Conversation – in French – By Melise Panetta, Lecturer of Marketing in the Lazaridis School of Business and Economics, Wilfrid Laurier University

Les jeunes adultes âgés de 20 à 39 ans sont confrontés à un paysage social modifié où les réalités financières influencent leurs relations. (Rene Ranisch/Unsplash)

Les jeunes dans la vingtaine et la trentaine évoluent dans un nouveau contexte social où les réalités financières influencent leurs relations.

Si vous avez l’impression que l’inflation transforme votre vie amoureuse ou vos amitiés, vous ne rêvez pas. Partout dans le monde les contraintes économiques ont un véritable impact sur les relations humaines.


25-35 ans : vos enjeux, est une série produite par La Conversation/The Conversation.

Chacun vit sa vingtaine et sa trentaine à sa façon. Certains économisent pour contracter un prêt hypothécaire quand d’autres se démènent pour payer leur loyer. Certains passent tout leur temps sur les applications de rencontres quand d’autres essaient de comprendre comment élever un enfant. Notre série sur les 25-35 ans aborde vos défis et enjeux de tous les jours.

Qu’il s’agisse de tensions dans les couples ou d’étapes importantes de la vie que l’on repousse, l’incertitude financière affecte la manière dont les gens entrent en relation et communiquent, selon un récent sondage réalisé par la Banque Royale du Canada (RBC).

Les adultes dans la vingtaine et la trentaine, en particulier, évoluent dans un nouveau contexte social, où même les aspects les plus fondamentaux des relations sont influencés par la réalité financière.

Stress financier et tensions conjugales

L’argent est depuis longtemps l’une des principales sources de conflit dans les couples, mais le contexte économique actuel accentue encore davantage le stress financier.

Au Canada, 77 % des couples déclarent rencontrer des contraintes financières et 62 % affirment se disputer à propos de l’argent. L’augmentation du coût du loyer, de l’alimentation et des dépenses quotidiennes a en effet poussé de nombreux couples à prendre des décisions financières difficiles, parfois au détriment de leur relation, toujours selon le sondage RBC.

Ces préoccupations ne concernent pas uniquement les ménages canadiens. Une étude menée au Royaume-Uni a révélé que 38 % des personnes en couple admettent avoir un compte secret ou « de l’argent caché » dont leur partenaire ignore l’existence. Aux États-Unis, les couples interrogés ont déclaré avoir 58 disputes liées à l’argent par an.

Une femme est assise sur un canapé, la tête entre les mains, tandis qu’une autre personne, que l’on ne voit que du cou jusqu’aux pieds, est assise à côté d’elle, les bras croisés
L’argent est depuis longtemps l’une des principales sources de conflit dans les relations amoureuses.
(Shutterstock)

Plus inquiétant encore, l’instabilité financière a une incidence sur la durée des relations. Toujours selon le récent sondage de la RBC, 55 % des Canadiens estimaient devoir être en couple pour pouvoir se permettre leur style de vie.

Les obstacles économiques à l’indépendance sont particulièrement importants si l’on envisage une séparation ou un divorce. Traditionnellement, une rupture signifiait que l’un des partenaires quittait la maison, mais aujourd’hui, de plus en plus de couples divorcés ou séparés doivent cohabiter simplement parce qu’ils n’ont pas les moyens de vivre seuls.

Pour les couples, savoir entretenir une relation saine lorsqu’on rencontre des contraintes financières est essentiel pour traverser ces temps difficiles.

Reporter les décisions importantes de la vie

La crise du coût de la vie retarde également les étapes importantes de la vie des jeunes adultes dans le monde entier. Une enquête de Statistique Canada a révélé que 38 % d’entre eux estiment que leur capacité financière et l’accès à un logement adéquat pourraient constituer des obstacles à leur projet d’avoir un enfant.

Ce problème ne repousse pas seulement le passage à l’indépendance, il provoque même des retours en arrière. Au Royaume-Uni, par exemple, un jeune adulte sur cinq ayant quitté le domicile familial a dû y revenir en raison de la crise actuelle.

L’accessibilité au logement joue un rôle majeur dans ce contexte. Avec la flambée des prix de l’immobilier au Canada, aux États-Unis, au Royaume-Uni et ailleurs, l’accession à la propriété semble hors de portée pour beaucoup. Ainsi, 55 % des jeunes Canadiens déclarent que la crise du logement les incite à reporter le projet de fonder une famille.

Plusieurs panneaux « À vendre » visibles sur une pelouse
La crise du coût de la vie retarde les étapes importantes de la vie des jeunes adultes dans le monde entier. On peut voir ici des panneaux immobiliers à Calgary en mai 2023.
(Shutterstock)

Ces retards ont des répercussions en cascade sur les individus et les tendances sociétales plus larges, avec une baisse des taux de fécondité et une évolution vers des familles moins nombreuses.

Les rencontres amoureuses à l’ère des budgets serrés

Une des conséquences de la hausse du coût de la vie est que les couples emménagent ensemble plus tôt qu’ils ne l’auraient fait autrement, afin de partager les dépenses courantes. D’autres adoptent une approche pragmatique de l’amour et abordent des sujets tels que la stabilité financière, la sécurité de l’emploi et le logement beaucoup plus tôt dans leur relation.

Une tendance dans le monde de la recherche amoureuse, connue sous le nom de « future-proofing » (préparer son avenir) se répand également. Selon le rapport annuel de Bumble sur les tendances, 95 % des célibataires interrogés déclarent que leurs inquiétudes quant à l’avenir influencent leurs choix en matière de rencontres et leur approche des relations. Parmi leurs principales préoccupations figurent les finances, la sécurité de l’emploi, le logement et les changements climatiques.

Parallèlement, les difficultés financières incitent les gens à opter pour des sorties simples et bon marché. Plus de la moitié des Canadiens affirment que la hausse du coût de la vie a une incidence sur leur façon de faire des rencontres. Les gens privilégient les activités abordables, comme les rendez-vous dans un café, les pique-niques ou les repas faits maison, plutôt que les restaurants chics ou les escapades d’une fin de semaine.

Au Royaume-Uni, le tiers des jeunes célibataires se disent moins enclins à faire des rencontres à cause de l’inflation et des dépenses quotidiennes. Environ un quart d’entre eux affirment que cela les a rendus moins enclins à rechercher une relation amoureuse.

Deux personnes trinquent avec leurs verres de vin rouge à une table éclairée à la bougie
Les difficultés financières incitent les gens à faire moins de sorties coûteuses et luxueuses.
(Shutterstock)

Ces coûts obligent les célibataires américains à revoir leurs projets en matière de rencontres amoureuses. En effet, 44 % d’entre eux déclarent avoir modifié un rendez-vous pour des raisons financières et 27 % l’avoir carrément annulé. Il est clair que le coût de la vie transforme la façon dont les Américains font des rencontres.

De plus, 38 % des Canadiens qui cherchent l’amour affirment que les coûts liés aux rendez-vous ont un impact négatif sur leur capacité à atteindre leurs objectifs financiers, certains allant même jusqu’à renoncer complètement aux rencontres.

Le coût de l’amitié

Les amitiés en pâtissent également. L’époque où l’on pouvait aller au restaurant ou assister à un concert sans se poser de questions est révolue. Environ 40 % des Canadiens, 42 % des Britanniques et 37 % des Américains ont en effet réduit leurs sorties sociales pour des raisons financières.


Déjà des milliers d’abonnés à l’infolettre de La Conversation. Et vous ? Abonnez-vous gratuitement à notre infolettre pour mieux comprendre les grands enjeux contemporains.


Le sacrifice peut sembler anodin, mais le déclin des interactions sociales a de graves conséquences. Une vie sociale régulière est essentielle pour la santé mentale, la résilience et la réussite professionnelle. L’augmentation de la solitude et de l’isolement, deux facteurs pouvant avoir un impact significatif sur le bien-être émotionnel, est proportionnelle à la réduction des activités sociales.

De nos jours, beaucoup de gens choisissent des activités abordables pour socialiser. Cependant, même avec des solutions créatives, les contraintes financières rendent difficile le maintien de liens solides.

Les relations changent

Si vous êtes dans la vingtaine ou la trentaine, vous avez probablement remarqué à quel point la réalité économique actuelle transforme les relations. L’inflation influence beaucoup de choses, notamment les choix de cohabitation, de sorties amoureuses ou encore le moment où l’on franchit des étapes importantes de la vie.

Vous avez peut-être emménagé avec votre conjoint plus tôt que prévu pour partager les frais de loyer, remplacé les sorties nocturnes par des activités moins coûteuses ou reporté des étapes importantes, comme fonder une famille. Vous n’êtes pas seul. Les contraintes financières redéfinissent la façon dont nous vivons les uns avec les autres.

Il est essentiel de trouver des moyens de maintenir des relations solides dans un contexte économique difficile. Des études montrent que le soutien émotionnel, l’utilisation de techniques positives de résolution de problèmes et une communication ouverte sont fondamentaux pour entretenir des relations de qualité.

La Conversation Canada

Melise Panetta ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. La hausse du coût de la vie modifie notre façon de faire des rencontres, de vivre et d’aimer – https://theconversation.com/la-hausse-du-cout-de-la-vie-modifie-notre-facon-de-faire-des-rencontres-de-vivre-et-daimer-266133

Quand les menus travaux se transforment en obstacle au vieillir chez soi

Source: The Conversation – in French – By Marie-Michèle Lord, Professeure, département d’ergothérapie Université du Québec à Trois-Rivières; chercheuse régulière Centre de recherche et d’expertise en gérontologie sociale , Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR)

Peindre un mur, déneiger, réparer… les menus travaux peuvent s’avérer difficiles à exécuter pour les personnes âgées. Il faut développer des services qui leur permettent de demeurer plus longtemps à domicile. (Unsplash), CC BY

La plupart des personnes âgées au Canada préfèrent vieillir chez elles et dans leur communauté.

Dans une enquête réalisée en 2020, 96 % des Canadiens âgés de 65 ans et plus ont déclaré qu’ils feraient tout ce qui est en leur pouvoir afin d’éviter d’entrer dans un établissement de soins de longue durée. De plus, une étude menée en 2024 révèle que la majorité des personnes aînées (61 %) souhaite rester à la maison jusqu’à leur fin de vie, mais, pas à n’importe quel prix.

Vivre dans un endroit sécuritaire et adéquat est essentiel dans la perspective d’un maintien à domicile. La qualité du milieu de vie d’une personne est un déterminant de sa santé.

Ainsi, plusieurs facteurs associés au logement ont une influence sur la santé et le bien-être, selon une étude publiée en 2024 par l’Institut national de santé publique du Québec en 2024. On compte des facteurs physiques et environnementaux, comme la qualité de l’air ou la température, des facteurs sociaux et psychologiques, tels que le sentiment de sécurité, ou encore des facteurs ergonomiques et fonctionnels, comme le fait d’avoir un espace suffisant, un aménagement adapté, et un accès facile à son lieu de vie.

Or, tout logement demande de l’entretien. Qu’arrive-t-il lorsqu’une personne n’arrive plus à prendre soin de son milieu de vie ? Quand déneiger l’entrée devient une tâche insurmontable ? Ou vider ses gouttières ? Avec l’avancée en âge, il peut devenir de plus en plus pénible d’entretenir sa maison seule. Certaines tâches peuvent être difficiles à accomplir en raison d’un manque d’énergie, ou de capacités diminuées.

Notre équipe de recherche réalise, en partenariat avec l’organisme Développement social Lanaudière, un projet de recherche pour mieux comprendre les besoins des personnes aînées en matière de menus travaux, ainsi que les facteurs qui entravent le déploiement de services à large échelle au Québec. Nous souhaitons développer un modèle de prestation de ce type de service qui tient compte des réalités territoriales diverses du Québec (régions rurales, semi-urbaines et urbaines).


Cet article fait partie de notre série La Révolution grise. La Conversation vous propose d’analyser sous toutes ses facettes l’impact du vieillissement de l’imposante cohorte des boomers sur notre société, qu’ils transforment depuis leur venue au monde. Manières de se loger, de travailler, de consommer la culture, de s’alimenter, de voyager, de se soigner, de vivre… découvrez avec nous les bouleversements en cours, et à venir.


Les services de menus travaux : l’angle mort du maintien à domicile

Les services de menus travaux sont l’ensemble du soutien et de l’aide pour les tâches d’entretien, de réparation, d’installation et de remisage qui demandent un peu de force ou une énergie soutenue.

Les menus travaux comprennent la réalisation de tâches qui sont en hauteur ou qui exigent de la souplesse ou de la force, qui nécessitent des connaissances particulières et des habiletés manuelles et qui ne sont pas visées par les métiers qui exigent des cartes de compétences. Des services pourraient permettre aux personnes qui en ont besoin, dont les aînées, de disposer d’aide pour entretenir leur domicile et en assurer la salubrité et la sécurité.

Un homme en train de pelleter de la neige
Pelleter son entrée l’hiver demande de la force et une bonne forme physique, qui manquent parfois aux personnes âgées.
(Unsplash), CC BY

Malgré le fait que les besoins de services de menus travaux devraient croitre de manière corollaire à l’évolution du vieillissement de la population, il est étonnant de constater qu’au Québec ils n’ont pas fait l’objet d’une mise en place structurée et ne sont pas offerts dans toutes les régions.

Actuellement, les rares initiatives locales de menus travaux qui existent sont principalement mises sur pied par des acteurs du secteur communautaire ou du secteur privé (par exemple des coopératives ou des entreprises d’économie sociale en aide à domicile). Elles desservent un petit bassin de personnes aînées, sans déploiement à large échelle.


Déjà des milliers d’abonnés à l’infolettre de La Conversation. Et vous ? Abonnez-vous gratuitement à notre infolettre pour mieux comprendre les grands enjeux contemporains.


Les quelques initiatives existantes ne sont pas suffisantes pour répondre aux besoins de la population vieillissante d’aujourd’hui et encore moins dans les années à venir. Le gouvernement n’inclut toujours pas les menus travaux dans les services offerts au soutien à domicile.

Il n’a pas non plus bonifié le Programme d’exonération financière pour les services d’aide domestique (PEFSAD). Il pourrait pourtant offrir une réduction des coûts associés au recours à des services provenant du secteur privé pour les aînés selon leur niveau de revenus.

Quatre difficultés auxquelles se heurtent les aînés

Il devient prioritaire de se pencher sur les conditions gagnantes pour développer un modèle de services de menus travaux offert à grande échelle au Québec et favorable au maintien à domicile des personnes aînées.

Le projet de recherche que nous poursuivons a permis à ce jour de créer des espaces de parole pour que les personnes aînées elles-mêmes nomment leurs enjeux et besoins face aux services de menus travaux.

Une femme âgée en train d’arroser des plantes dans un jardin
Les personnes âgées doivent s’engager dans de longues recherches pour obtenir de l’aide pour leurs tâches domestiques.
(Unsplash), CC BY-SA

Ce qui en ressort, c’est qu’elles doivent s’engager dans des recherches interminables d’un prestataire de service lorsqu’elles désirent obtenir des services de réparation ou d’entretien de leur domicile — elles désirent donc un service facile à trouver.

Puis, elles ont de la difficulté à trouver des personnes en qui elles ont confiance pour réaliser les travaux et entrer dans leur « intimité », dans leur chez-soi — elles désirent donc un service qui est offert par une organisation de confiance (un CLSC ou une entreprise d’économie sociale de leur région), qui dispose de moyens financiers suffisants pour retenir une main-d’œuvre qualifiée, fiable et stable.

Finalement, il leur est difficile de comprendre les mécanismes de remboursement des services de menus travaux. En effet, il existe certains programmes gouvernementaux pour couvrir une partie des frais reliés aux services de menus travaux, mais ces programmes sont peu connus, ne remboursent qu’une portion des frais encourus et sont difficilement accessibles — elles aimeraient donc avoir accès à des processus de remboursement ou de couverture simple, accessible et suffisant.

Le soutien à domicile doit aller au-delà des soins de santé

Un service de menus travaux accessible, stable, de proximité et bien financé semble être une avenue à prioriser. Il n’est pas encore clair qui devrait être le « porteur de ballon » de ce service. Est-ce que ces services doivent être offerts par le secteur de la santé et des services sociaux ? Est-ce que le gouvernement devrait bonifier le Programme d’exonération financière pour y inclure une meilleure couverture des services afin que le déploiement à large échelle de ce service par les entreprises d’économie sociale en aide à domicile soit possible (c’est-à-dire rentable) ? Cela reste à déterminer.

Une chose est certaine, demeurer chez soi en vieillissant ne devrait pas être la seule responsabilité des personnes aînées, mais bien celle des gouvernements et des organisations qui pourraient et devraient mieux les soutenir. Pour ce faire, une vision globale des facteurs qui influencent la santé est nécessaire.

Nous ne pouvons retreindre le soutien à domicile au seul aspect médical et aux soins offerts. Nous devons mettre en place des services pour que le maintien à domicile soit fait dans des domiciles sécuritaires et satisfaisants pour ceux qui y demeurent.

La Conversation Canada

Marie-Michèle Lord a reçu des financements des Fonds de recherche du Québec

ref. Quand les menus travaux se transforment en obstacle au vieillir chez soi – https://theconversation.com/quand-les-menus-travaux-se-transforment-en-obstacle-au-vieillir-chez-soi-246954

La santé sexuelle des jeunes en situation de handicap : un sujet encore tabou ?

Source: The Conversation – in French – By Noëline Vivet, Doctorante en Santé Publique, Ined (Institut national d’études démographiques)

Les études consacrées à la sexualité des jeunes en situation de handicap physique, sensoriel, intellectuel ou mental restent trop peu nombreuses. Il est pourtant crucial de mener des recherches pour, et avec, ce public afin d’appréhender au mieux leurs besoins et spécificités dans la sphère intime et de mener des actions de prévention, notamment contre les violences sexuelles et le risque d’infections sexuellement transmissibles.


Imaginez un monde où l’on vous considère comme une personne asexuée, sans désirs ni besoins amoureux. Un monde où l’on vous infantilise, où vous manquez d’informations essentielles sur votre propre corps et sur vos relations intimes. C’est une réalité que vivent trop souvent les jeunes en situation de handicap.

En France, 5 % des jeunes personnes âgées de 10 ans à 24 ans vivent avec un handicap, qu’il soit physique, sensoriel, intellectuel ou mental. Si l’accès à l’éducation, à l’emploi et au logement s’améliore, un aspect essentiel de leur vie reste encore trop souvent négligé : leur santé sexuelle et reproductive, comme le montre l’analyse de la littérature scientifique que nous avons menée.

Très peu de recherche… le reflet d’un tabou ?

En recherchant dans les bases de données scientifiques parmi les articles publiés au cours d’une décennie (2013-2023), uniquement 21 références scientifiques ont pu être trouvées. Parmi ces articles, 13 décrivent des interventions d’éducation sexuelle qui ont concrètement été proposées à de jeunes personnes handicapées, six décrivent les besoins de ces jeunes au regard de leur sexualité et deux adressent des recommandations pour mieux comprendre le sujet.

Ce très faible nombre de travaux scientifiques nous interroge en tant que chercheuses et chercheurs. La sexualité des jeunes en situation de handicap reste un sujet tabou dans la société qui évite souvent la question, en projetant sur ces jeunes une représentation d’absence de sexualité. Est-ce que cette stigmatisation de la sexualité des jeunes personnes handicapées serait également intériorisée par les scientifiques, conduisant à ce qu’ils et elles négligent cette thématique dans leurs travaux ?

Comprendre les besoins spécifiques en santé sexuelle

En dix ans, au niveau international, seulement six publications scientifiques ont cherché à identifier les besoins concernant la sexualité des jeunes en situation de handicap (que ces personnes soient atteintes de spina bifida, d’autisme, de cancer, d’un handicap physique ou intellectuel). Considérant la diversité des handicaps, cela représente très peu de travaux.

Nous pouvons néanmoins faire l’hypothèse que les jeunes en situation de handicap ont des besoins de santé sexuelle au même titre que les jeunes sans handicap : besoins d’informations fiables et d’éducation appropriée sur leur corps, sur la contraception, sur les relations amoureuses et sexuelles, sur les infections sexuellement transmissibles (IST), sur le consentement, etc.

Les jeunes en situation de handicap ont également des besoins intimes spécifiques, liés à leur handicap. Par exemple, les jeunes ayant des troubles de l’apprentissage peuvent avoir besoin d’informations simplifiées et visuelles pour garantir leur compréhension.

Les jeunes ayant des handicaps moteurs peuvent avoir besoin de ressources et d’outils supplémentaires pour garantir leur vie affective et sexuelle (comme du matériel médical pour se mouvoir en autonomie pendant la vie sexuelle malgré leurs difficultés physiques).

Les jeunes autistes ont davantage besoin d’aide pour appréhender la communication et la lecture du consentement sexuel. Ou encore, les jeunes ayant des troubles mentaux peuvent avoir besoin d’un accompagnement spécifique pour comprendre les émotions et les relations.

Quelques études mettent en évidence le fait que les jeunes en situation de handicap sont plus vulnérables face aux violences sexuelles et aux IST que les autres jeunes.

Dans une étude réalisée auprès de femmes autistes de haut niveau (sans déficiences intellectuelles, ndlr), la moitié d’entre elles ont témoigné avoir subi, au cours de leur vie, une pénétration par la contrainte (notion incluant le mensonge et la manipulation). Les enfants en situation de handicap auraient « 2,9 fois plus de risques d’être victimes d’actes de violence sexuelle et 4,6 fois plus en cas de maladie mentale ou de déficiences intellectuelles ».

Pour prendre en compte ces besoins spécifiques et difficultés, il sera nécessaire d’adapter le contenu et les supports de l’éducation à la santé sexuelle en fonction du handicap (visuel, cognitif, etc.), mais également d’adopter une approche inclusive pour intégrer les jeunes en situation de handicap dans les supports et les ressources déjà existants.

Une éducation à la santé sexuelle pour – et avec – les jeunes

Parmi les 21 travaux scientifiques analysés, aucun n’a été réalisé selon une méthode de recherche participative, c’est-à-dire en incluant de jeunes en situation de handicap dans la construction de la recherche, dans la conception et dans la mise en œuvre des interventions d’éducation à la santé sexuelle.

Pourtant, la recherche participative s’est beaucoup développée ces dernières années. Elle semblerait particulièrement pertinente à la fois pour conduire des recherches pertinentes et pour concevoir des actions de promotion de la santé sexuelle adaptées à leurs besoins spécifiques.




À lire aussi :
Recherche participative en santé : rapprocher les citoyens et les scientifiques au sein de projets de recherche


En effet, les points de vue des jeunes en situation de handicap sont essentiels pour garantir l’efficacité des actions et ainsi répondre de façon adaptée à leurs besoins. Ils et elles sont les mieux placées pour identifier ces besoins, pour proposer des solutions adaptées, et pour juger de la pertinence des actions d’éducation à la santé sexuelle.

Nous faisons l’hypothèse que cette absence d’implication des jeunes en situation de handicap dans la recherche pourrait refléter un manque de formation des chercheurs et chercheuses pour communiquer efficacement avec ces jeunes dans une visée de conduite des études de recherche. Il est probablement plus facile pour les scientifiques de s’adresser aux parents et aux professionnel·le·s qui accompagnent ces jeunes, mais cela ne permet pas de comprendre totalement les besoins propres des jeunes en situation de handicap.

Communiquer avec les jeunes en situation de handicap peut se révéler particulièrement difficile et challengeant. Les jeunes peuvent rencontrer des difficultés à s’exprimer au regard de leur handicap (limite d’accès à la parole, limite d’expression orale des émotions, etc.), mais également des difficultés à comprendre l’autre dans la communication.

L’entourage des jeunes ainsi que les professionnel·le·s manquent également de moyens et de connaissances pour communiquer efficacement avec les jeunes en situation de handicap. Communiquer avec ces jeunes nécessite donc de nouvelles méthodes de communication et d’adaptation qu’il faudrait anticiper et penser dans les études scientifiques.

Et maintenant ? Changeons notre regard sur ces jeunes et leur sexualité

Finalement, ce travail met en évidence l’urgence de changer le regard sur la sexualité des jeunes personnes handicapées. Il est indispensable de sortir des préjugés et de reconnaître enfin leurs besoins. Cela pourrait passer, dans un premier temps, par des formations des professionnel·le·s qui accompagnent ces jeunes, par la sensibilisation de la communauté scientifique et des financeurs de la recherche, mais également par la formation des professionnel·le·s de la recherche à interroger le handicap.

Cette déconstruction des a priori devra permettre également de changer le regard sur les jeunes personnes handicapées, afin de pouvoir enfin les considérer comme des partenaires indispensables dans le développement d’une éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle.

The Conversation

Elise de La Rochebrochard a reçu des financements de l’ANR et de l’Agence de la Biomédecine.

Philippe Martin a reçu des financements de l’Agence Nationale de la Recherche.

Noëline Vivet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. La santé sexuelle des jeunes en situation de handicap : un sujet encore tabou ? – https://theconversation.com/la-sante-sexuelle-des-jeunes-en-situation-de-handicap-un-sujet-encore-tabou-262879

L’économie et l’innovation, « talon d’Achille » de l’Union européenne ?

Source: The Conversation – in French – By Kambiz Zare, Professor of International Business and Geostrategy, Kedge Business School

La réussite économique de l’Union européenne a longtemps été le moteur de son influence mondiale. Aujourd’hui, les limites de sa compétitivité apparaissent et, avec elles, la fragilité de son modèle face aux nouvelles rivalités de puissance.


Non seulement en théorie, mais aussi en pratique, le commerce mondial demeure un moteur essentiel de la croissance et de la réduction de la pauvreté. Aucun pays n’a jamais atteint une prospérité durable sans ouverture au commerce et à l’investissement. Après l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (Gatt) de 1947, les échanges commerciaux mondiaux ont été multipliés par 43 fois depuis 1950, et leur valeur a été multipliée par 382 depuis cette date.

Aujourd’hui, parmi les grands blocs, l’Union européenne occupe une place centrale. Elle pèse 14 % du commerce international et constitue la troisième puissance économique mondiale. Les États-Unis dominent l’accord États-Unis–Mexique–Canada (AEUMC) tandis que les pays asiatiques renforcent leurs liens à travers le Partenariat économique régional global (RCEP) et l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (CPTPP). L’UE demeure donc un pilier de stabilité, d’influence réglementaire et de croissance durable dans un monde commercial de plus en plus multipolaire. Cependant, cette position dominante dissimule des fragilités structurelles de plus en plus préoccupantes.

Quand l’Est avance, l’Ouest s’essouffle

Entre 2011 et 2024, le PIB de l’UE est passé d’environ 13 000 à près de 18 000 milliards d’euros. Après une forte contraction en 2020, liée à la pandémie de Covid-19, l’économie européenne a rapidement rebondi, retrouvant et dépassant son niveau d’avant-crise dès 2021. Toutefois, la croissance ralentit depuis, en particulier en Europe occidentale, tandis que les modestes progrès de l’UE proviennent surtout du rattrapage effectué par les pays d’Europe de l’Est.

En 2026, la croissance moyenne du PIB dans l’UE devrait atteindre 1,5 %, mais les pays d’Europe de l’Est affichent des performances nettement supérieures. La Lituanie (3,1 %), la Pologne (3,0 %), la Croatie (2,9 %), la Hongrie (2,5 %), la Slovénie (2,4 %) et la Roumanie (2,2 %) figurent parmi les plus dynamiques, soutenant la croissance globale de l’UE. À l’inverse, les grandes économies d’Europe occidentale comme la France (1,3 %), l’Allemagne (1,1 %), la Belgique (0,9 %) et l’Italie (0,9 %) restent en bas du classement, confirmant le contraste persistant entre l’Est en expansion et l’Ouest en stagnation.

La croissance demeure globalement faible, reflétant des défis structurels tels que la faiblesse de la productivité, le retard en matière d’innovation et la perte de compétitivité face aux autres grandes économies mondiales. L’Europe peine toujours à faire émerger des géants technologiques à l’échelle mondiale.

Les études montrent que l’innovation et, plus particulièrement aujourd’hui, l’intelligence artificielle stimule significativement la croissance du PIB en améliorant la productivité et en favorisant la création de nouveaux secteurs économiques.

En 2024, le classement mondial de l’innovation montre une nette avance des pays non membres de l’UE. La Suisse (67,5), les États-Unis (62,4) et Singapour (61,2) dominent le classement en termes d’Indice mondial de l’innovation (Global Innovation Index, établi par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle), devant le Royaume-Uni (61,0) et la Corée du Sud (60,9). Côté européen, la Suède (64,5) reste la première de l’Union, suivie par la Finlande (59,4), les Pays-Bas (58,8) et l’Allemagne (58,1), qui conservent de bonnes performances en matière de recherche et d’innovation. Toutefois, aucun pays de l’UE ne figure parmi les tout premiers mondiaux, ce qui vient confirrmer le retard de l’Europe dans la transformation technologique face aux leaders mondiaux de l’innovation.

L’innovation constitue le fondement de la croissance du PIB à long terme, mais seulement si les économies parviennent à transformer le savoir en valeur commercialisable. Les pays qui associent des systèmes de recherche performants à des environnements économiques agiles (comme la Suisse ou les États-Unis) obtiennent à la fois de hauts niveaux d’innovation et une croissance du PIB soutenue – tandis que ceux qui innovent sans réussir à industrialiser ou commercialiser à grande échelle ces innovations risquent la stagnation malgré leur excellence scientifique.

Un budget européen largement insuffisant face aux besoins d’investissement

Certains pays membres de l’UE ont enfreint le Pacte de stabilité et de croissance, affichant des déficits et des dettes publiques élevés, ce qui fragilise la capacité de l’Europe à financer ses nouvelles priorités. La Grèce (158,2 % du PIB), l’Italie (136,3 %) et la France (113,8 %) présentent les niveaux d’endettement les plus élevés, tandis que l’Allemagne (62,4 %), la Pologne (53,5 %) et les Pays-Bas (42,2 %) restent plus modérés, confirmant ainsi un net clivage nord-sud en matière de discipline budgétaire.

Le budget européen, limité malgré l’élargissement de ses compétences et de ses membres, freine toute action véritablement efficace. Les gouvernements nationaux demeurant les principaux contributeurs, la solidarité européenne et les investissements à long terme dans des domaines stratégiques tels que la recherche, l’énergie et la défense s’en trouvent restreints.

À titre d’illustration, le programme NextGenerationEU (2020–2027) consacre la majeure partie de ses financements au Mécanisme pour la reprise et la résilience, avec 385,8 milliards d’euros de prêts et 338 milliards d’euros de subventions, ce qui en a fait le principal levier de l’Union pour soutenir la reprise post-pandémique et les réformes structurelles. Les autres programmes reçoivent des montants bien moindres : React-EU (50,6 milliards d’euros) soutient la reprise régionale, le Fonds pour une transition juste (10,9 milliards d’euros) accompagne la sortie des énergies fossiles, tandis que le Fonds de développement rural (8,1 milliards d’euros), InvestEU (6,1 milliards d’euros) et Horizon Europe (5,4 milliards d’euros) favorisent l’innovation, l’investissement et la durabilité. Enfin, RescEU (2 milliards d’euros) renforce la capacité européenne de réponse aux crises.

On le voit : bien que la priorité de l’UE demeure la relance économique, les moyens réellement consacrés à l’innovation et à la transformation structurelle restent limités. Certes, des programmes tels qu’Horizon Europe, InvestEU ou certains volets du mécanisme pour la reprise et la résilience soutiennent la recherche, la digitalisation et les technologies vertes – des leviers essentiels de compétitivité –, mais les montants alloués demeurent très en deçà des besoins.

Cette faiblesse budgétaire se confirme avec la proposition de la Commission européenne d’augmenter le budget de l’UE pour 2028-2034 de 1,1 % à seulement 1,26 % du revenu national brut, une progression jugée insuffisante au regard du déficit d’investissement estimé entre 4 et 5 % du PIB par le rapport Draghi (2024). L’augmentation proposée, de 0,15 %, apparaît d’autant plus dérisoire que la majorité des fonds sera absorbée par le remboursement de la dette post-pandémie, laissant peu de marge pour renforcer les capacités d’innovation et de compétitivité de l’Europe.

Les déséquilibres économiques et démographiques de l’UE

Les vulnérabilités économiques de l’UE découlent de l’élargissement des inégalités, du ralentissement de la convergence entre États membres et de déséquilibres structurels persistants. Les transformations technologiques rapides et l’automatisation accentuent l’incertitude autour de la productivité et de l’emploi, tandis que le vieillissement démographique met sous pression les systèmes de retraite et les finances publiques.

La dépendance de l’UE à l’égard des technologies, des infrastructures de paiement et des sources d’énergie étrangères accroît sa vulnérabilité face aux chocs extérieurs et fragilise sa souveraineté économique. Ces facteurs combinés révèlent une architecture économique assez friable, nécessitant une intégration plus poussée, des investissements stratégiques et des réformes structurelles pour garantir une croissance durable et une stabilité à long terme.

De l’économie à la géopolitique : l’Europe à la croisée des puissances

Aujourd’hui, la véritable source du pouvoir n’est plus seulement militaire ou politique, mais avant tout économique. La capacité d’un acteur international à influencer le système mondial dépend de sa force de production, de son innovation et de sa capacité à créer de la richesse durable.

Dans ce contexte, si l’UE, en tant que bloc, n’est pas en mesure de renforcer sa base industrielle, d’investir dans la recherche et de stimuler la croissance, elle risque de perdre progressivement son poids géopolitique. La puissance économique conditionne désormais la souveraineté stratégique : sans une économie compétitive, il devient difficile de peser dans les négociations internationales, de financer la défense commune, la transition verte ou encore la transformation numérique.

Consolider la puissance économique du continent – par des politiques d’investissement coordonnées, une union des marchés de capitaux et une stratégie industrielle ambitieuse – est donc essentiel pour préserver sa stabilité, sa souveraineté et son rôle dans l’équilibre géopolitique mondial. Si ces vulnérabilités persistent, l’Europe pourrait devenir un espace soumis à l’influence extérieure plutôt qu’un acteur exerçant sa propre influence…

The Conversation

Kambiz Zare ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. L’économie et l’innovation, « talon d’Achille » de l’Union européenne ? – https://theconversation.com/leconomie-et-linnovation-talon-dachille-de-lunion-europeenne-267345

Réseaux sociaux : une hyper-conscience de soi qui amplifie le mal-être des jeunes ?

Source: The Conversation – in French – By Caroline Rouen-Mallet, Enseignant-chercheur en marketing, Université de Rouen Normandie

Sur les réseaux sociaux, les jeunes font face à un jugement collectif permanent. cottonbro studio / Pexels, CC BY

Troubles alimentaires, genre, corps, identité… Sur les réseaux sociaux, chaque sujet intime devient un thème de débat public. Si ces discours permettent de sensibiliser à des enjeux de santé et de société, ils peuvent aussi inciter à une auto-surveillance source de mal-être.


Les indicateurs de santé mentale des jeunes se dégradent de manière continue.

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), près d’un jeune sur cinq souffre aujourd’hui d’un trouble mental : anxiété, troubles alimentaires, sentiment d’isolement, épuisement émotionnel. Les demandes d’aide explosent. En parallèle, le temps passé sur les réseaux sociaux ne cesse de croître : les 15–24 ans y consacrent plus de trois heures et demie par jour en moyenne (Arcom, 2024).

Cette génération n’est pas seulement la plus connectée : elle est aussi la plus exposée à des discours permanents sur la santé mentale, le corps, l’identité et la performance. Cette exposition continue redéfinit la manière dont les jeunes perçoivent leurs émotions, interprètent leurs comportements et évaluent leur « normalité ».

Des réseaux qui apprennent à se scruter et se comparer

Sur les réseaux sociaux, chaque sujet intime devient un thème de débat public : identité sexuelle, genre, TDAH, haut potentiel, troubles alimentaires, dyslexie, stress, normes physiques… Ces conversations, parfois initiées dans une intention bienveillante de sensibilisation, finissent parfois par nourrir une hyper-conscience de soi.

Les jeunes y apprennent, jour après jour, à se scruter, à se diagnostiquer, mais surtout, à se comparer. Chaque émotion devient suspecte : « Suis-je stressé ? TDAH ? Hypersensible ? », chaque écart par rapport aux normes visibles sur les réseaux sociaux devient motif d’inquiétude. Cette peur permanente à propos de soi-même crée un terrain fertile pour le mal-être.

Les jeunes d’aujourd’hui ne sont pas nécessairement plus stressés biologiquement que les générations précédentes – ils ont surtout appris à avoir peur d’être stressés selon Sonia Lupien, chercheuse en neurosciences. Autrement dit, c’est la représentation négative du stress qui en augmente l’intensité.

Nos recherches soulignent que les réseaux sociaux agissent comme une caisse de résonance du mal-être. En véhiculant en continu des messages alarmistes selon lesquels le mal-être est un poison ou en diffusant des discours emprunts d’une positivité exacerbée, ils entretiennent la croyance qu’un individu équilibré devrait être constamment serein et performant.

Le mal-être est donc devenu social et symbolique. Par le biais des réseaux sociaux, il devient diffus, constant et se renforce au gré de la visibilité des contenus numériques et de la comparaison sociale qu’ils sous-tendent. Ainsi, les jeunes ne fuient plus une menace extérieure, mais un jugement collectif permanent, celui des pairs et des algorithmes qui régulent leur image de soi.

En définitive, à force de présenter l’anxiété, la fatigue ou encore la différence comme des signaux alarmants, les jeunes finissent par redouter de ne pas souffrir de pathologies qui les rendent « normaux » aux yeux des autres.

Une internalisation des normes

Selon la théorie de l’apprentissage social, les individus apprennent à se comporter et à se percevoir en observant les autres. Les réseaux sociaux fonctionnent précisément sur ce principe : chaque image, chaque témoignage agit comme un micro-modèle de comportement, de posture ou d’émotion.

Nos recherches dans le cadre du [projet ALIMNUM], qui vise à étudier l’impact de la consommation numérique des étudiants sur leur santé, et notamment leurs pratiques nutritionnelles, constituent un cas concret illustrant ce phénomène. Les influenceurs sont pour les jeunes des figures médiatiques et incarnent aujourd’hui de véritables modèles normatifs. Dans le domaine du fitness par exemple, leurs contenus prônent la discipline, le contrôle de soi et la performance corporelle.

Cette exposition répétée favorise l’internalisation des normes esthétiques et une auto-surveillance constante – ce que Michel Foucault décrivait déjà comme une « gouvernementalité du corps ». Les jeunes ne se contentent plus de voir ces modèles : ils apprennent à se juger à travers eux.

Retrouver le sens de la nuance

Les réseaux sociaux se transforment en outil d’auto-surveillance : les jeunes y apprennent à reconnaître des symptômes, mais aussi à s’y identifier. L’expression du malaise devient un marqueur de légitimité sociale où la souffrance se mesure, se compare et se valorise.

Nos travaux mettent en évidence une peur d’être imparfait ou non conforme aux normes sociales, corporelles circulant en ligne. L’environnement numérique fonctionne alors comme un amplificateur de vigilance intérieure, qui transforme la régulation émotionnelle en source d’angoisse.

Plutôt que d’éliminer le mal-être, il faut réhabiliter l’ambivalence : la peur, le doute, l’imperfection. La santé mentale ne consiste pas à supprimer ces états, mais à apprendre à vivre avec eux.

À l’ère des réseaux sociaux, cet apprentissage de la nuance devient une forme de résistance : accepter de ne pas tout mesurer, de ne pas toujours aller bien. C’est sans doute là le véritable enjeu : dépathologiser l’expérience ordinaire, pour permettre aux jeunes de vivre avec eux-mêmes – et non contre eux-mêmes.


Le projet Alimentation et numérique – ALIMNUM est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. L’ANR a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.

The Conversation

Caroline Rouen-Mallet a reçu des financements de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) ) pour les projets ALIMNUM et MEALS.

Pascale Ezan a reçu des financements de Agence Nationale de la Recherche (ANR) ) projets ALIMNUM et MEALS.

Stéphane Mallet a reçu des financements de l’Agence Nationale de la Recherche pour les projets Alimnum et Meals

ref. Réseaux sociaux : une hyper-conscience de soi qui amplifie le mal-être des jeunes ? – https://theconversation.com/reseaux-sociaux-une-hyper-conscience-de-soi-qui-amplifie-le-mal-etre-des-jeunes-267705