Moins de cris, moins de coups : le Québec a changé sa façon d’éduquer

Source: The Conversation – in French – By Annie Bérubé, Professeure au département de psychologie et de psychoéducation, Université du Québec en Outaouais (UQO)

En un quart de siècle, le Québec a profondément transformé sa façon d’éduquer ses enfants, et pour le mieux. La cinquième édition d’une enquête unique au monde confirme une tendance claire : moins de violence dans l’éducation des enfants.

Le Québec est riche de 25 ans de données documentant la violence à l’égard des enfants, recueillies par le biais de cinq éditions d’une enquête populationnelle. Rares sont les sociétés capables de documenter ainsi la maltraitance envers les enfants.

Cette enquête unique est le fruit d’une collaboration entre l’Institut de la statistique du Québec et de chercheuses universitaires. À leur tête, la chercheuse Marie-Ève Clément, de l’Université du Québec en Outaouais (UQO), est présente depuis les débuts de ce travail, qui fait du Québec un pionnier en la matière. Ont également contribué aux différentes éditions des enquêtes : Annie Bérubé de l’UQO, Marie-Hélène Gagné de l’Université Laval et Sylvie Lévesque de l’Université du Québec à Montréal.

Une diminution de la violence envers les enfants

Les résultats de l’enquête qui vient de paraître sont encourageants. Ils montrent une diminution marquée autant des attitudes parentales favorables envers la punition corporelle que des comportements de violence physique et psychologique envers les enfants. Aujourd’hui, moins d’une mère sur 20 croit encore qu’une tape est nécessaire pour éduquer son enfant, contre près d’une sur trois il y a 25 ans.

Ce changement d’attitude se reflète dans une réduction des comportements violents à l’égard des enfants dans les familles. Ainsi, en 25 ans, l’utilisation de la punition corporelle, comme donner la fessée, a diminué de 70 %. Ce sont aujourd’hui près de 14 % des enfants qui subiraient de tels comportements au moins une fois dans l’année, contre 48 % en 1999. Il y a 25 ans, environ 7 enfants sur 100 subissaient de la violence physique sévère chaque année. Aujourd’hui, ce chiffre se situe à 3 enfants sur 100.

Enfin, l’agression psychologique répétée, qui se manifeste par des comportements comme crier ou hurler après l’enfant ou le traiter de noms, a diminué de près de moitié et toucherait aujourd’hui 28 % des enfants du Québec au cours d’une année, contre 48 % en 1999.

Même si c’est constats sont encourageants, il reste que 62 % des enfants vivent au moins une forme de violence au cours d’une année, qu’elle soit psychologique ou physique. Bien qu’ils aient diminué, les taux annuels de violence physique sévère demeurent bien plus élevés que ce que laissent entrevoir les statistiques des services de protection de la jeunesse au Québec.

Les ados, premiers touchés par la négligence

Chaque année, près de 290 000 enfants au Québec vivent des situations de négligence. L’enquête distingue trois formes principales. D’abord, la négligence de supervision, qui touche 6 enfants sur 100 et expose ceux-ci à des risques pour leur sécurité. Les adolescents de 13 à 17 ans sont les plus touchés : presque 1 sur 7 manque de surveillance suffisante.

Plus de 6 % des enfants vivent une négligence cognitive et affective, lorsque les adultes du ménage ne participent pas suffisamment aux activités quotidiennes de l’enfant. La négligence physique, concernant l’accès à la nourriture, aux vêtements et aux soins médicaux, touche moins de 1 enfant sur 100 (0,4 %).

Un enfant sur cinq témoin de violence entre ses parents

L’enquête de 2024 a permis de documenter l’exposition des enfants à la violence entre leurs parents ou un partenaire intime au cours de l’année. Les résultats montrent que 20 % des enfants du Québec sont exposés à ce type de violence qui s’exprime principalement sous forme de violence psychologique entre les partenaires (19 %), mais aussi de violence physique (2,5 %).

La maltraitance, un cycle difficile à briser

L’enquête montre que certains enfants sont plus exposés à la maltraitance, quel que soit leur âge ou le type de violence. Ceux dont les parents signalent des difficultés de développement ou des problèmes de santé, physiques ou mentaux, sont particulièrement vulnérables.

Trois caractéristiques parentales se distinguent par leur lien avec toutes les formes de maltraitance. D’abord, les parents ayant eux-mêmes vécu de la maltraitance durant leur enfance sont plus susceptibles d’exercer de la violence physique ou psychologique, de négliger leur enfant ou de l’exposer à la violence conjugale.


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Ensuite, les enfants grandissant auprès de parents qui rapportent des symptômes dépressifs sont plus susceptibles que les autres d’être exposés à au moins une forme de maltraitance. Enfin, le stress parental est particulièrement lié à l’agression psychologique répétée, à la violence physique et à l’exposition à la violence entre partenaires intimes, alors qu’il est associé à la négligence pour les enfants de 6 à 17 ans.

Finalement, au niveau de l’environnement familial, un faible niveau de soutien social rapporté par le parent s’avère être un facteur relié à toutes les formes de maltraitance. Les enfants grandissant auprès de parents moins bien soutenus sont significativement plus à risque de vivre de la violence, d’y être exposés ou de grandir dans un contexte de négligence que les autres enfants.

En somme, plus de la moitié (52 %) des enfants de 6 mois à 17 ans vivent annuellement au moins un type de maltraitance au sein de leur foyer, que ce soit sous forme de violence physique, psychologique, de négligence ou d’exposition à la violence entre partenaires intime. Parmi eux, 18 % subissent deux formes ou plus de maltraitance. Cette combinaison de violences, généralement vue comme un signe de gravité, toucherait davantage les personnes adolescentes. Les enfants vivent souvent en même temps des violences à la maison et des disputes ou violences entre leurs parents.

Agir pour prévenir et soutenir

Les facteurs associés à la maltraitance identifiés par l’enquête soulignent l’importance d’un soutien efficace, à la fois dans les services publics et dans le réseau communautaire. Cela inclut, par exemple, les politiques et programmes publics comme le Régime québécois d’assurance parentale ou les Services intégrés en périnatalité et petite enfance, ainsi que les services communautaires, éducatifs et philanthropiques. Pensons aux organismes communautaires Famille (OCF), aux centres de la petite enfance (CPE), aux initiatives comme Naître et grandir, ou programmes de parentalité qui accompagnent et soutiennent les parents et les familles. Les investissements en prévention demeurent primordiaux, comme le rappelle un récent texte appuyé par plus de 175 personnes issues du milieu de la recherche.

En somme, les données de la récente enquête soulignent l’important travail accompli au cours des 25 dernières années pour mieux soutenir le développement des enfants. Il reste crucial de garantir à tous les enfants des foyers sûrs et bienveillants. Ces résultats militent en faveur d’interventions de proximité, précoces et préventives.

La Conversation Canada

Annie Bérubé a reçu des financements du CRSH et des financements passés du MSSS.

Clément, Marie-Eve a reçu des financements du CRSH, du FRQ et du MSSS.

Lévesque sylvie a reçu des financements du FRQSC, du CRSH, des IRSC et du Secrétariat à la condition féminine du Québec.

Marie-Hélène Gagné a reçu des financements du CRSH, des IRSC et des FRQ.

ref. Moins de cris, moins de coups : le Québec a changé sa façon d’éduquer – https://theconversation.com/moins-de-cris-moins-de-coups-le-quebec-a-change-sa-facon-deduquer-267931

Il y a notablement moins d’hommes que de femmes à l’université. Est-ce une fatalité ?

Source: The Conversation – in French – By Cathia Papi, Professeure, CURAPP-ESS, Université TÉLUQ

Alors que le ministère de l’Enseignement supérieur du Québec vient de lancer la campagne « Pour toi, plus que tu crois » sur les réseaux socionumériques dans l’espoir d’attirer davantage de jeunes hommes dans l’enseignement supérieur, il semble pertinent de revenir sur le constat suivant : les hommes sont moins nombreux que les femmes sur les bancs de l’université.

Professeure à l’Université TÉLUQ, je me suis penchée ces dernières années avec Dominic Thériault, coordonnateur des statistiques et des indicateurs de gestion au ministère de l’Enseignement supérieur du Québec, sur les données disponibles au Québec concernant la représentativité des hommes dans l’enseignement supérieur et l’éducation.

Un constat général

Bien que, dans l’histoire du XXe siècle, les femmes aient accédé plus tardivement que les hommes à l’enseignement supérieur, un même constat est fait dans la plupart des pays occidentaux : au XXIe siècle, les femmes sont davantage diplômées de l’enseignement supérieur que les hommes.

Cette situation est notamment mise en évidence des deux côtés de l’Atlantique : en France, on recense 54 % de femmes diplômées contre 47 % d’hommes parmi les 25-34 ans, tandis qu’au Québec, on compte 62,6 % de femmes et 51,5 % d’hommes (en incluant le collégial) parmi les 25-64 ans. Ce taux de diplomation reflète une fréquentation universitaire de plus en plus féminisée.

Cette féminisation s’est développée depuis les années 1980. Au Québec, par exemple, les données disponibles au ministère de l’Enseignement supérieur font ressortir que les étudiantes représentaient 51,2 % de l’effectif en 1982-1983, contre 58,9 % en 2022-2023, soit une augmentation de 7,7 points en 40 ans. Depuis cinq ans, la tendance semble s’être stabilisée, les hommes représentant chaque année environ 41 % des étudiants inscrits dans les universités québécoises.

Un écart qui se creuse tout au long de la scolarité

L’écart constaté entre les garçons et les filles trouve son origine dès les premiers instants de la vie. À partir de leur entrée dans le système scolaire, on constate ainsi que les garçons accumulent plus de retard que les filles et sont donc proportionnellement de moins en moins nombreux, quel que soit le milieu socioéconomique, à fréquenter le palier scolaire suivant (soit après le primaire, le secondaire, puis le cégep et in fine l’université).

Si l’on admet généralement que ces écarts peuvent être en partie attribués à la plus rapide maturité des filles, force est néanmoins de remarquer qu’ils varient selon les milieux. En effet, au Québec comme dans d’autres sociétés, le milieu socioéconomique dans lequel évolue un garçon semble avoir une plus grande influence sur son parcours que sur celui d’une fille. Cet écart s’explique entre autres par des différences de socialisation plus marquées.




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Tandis que dans tous les milieux socioéconomiques, les filles sont encouragées à être studieuses, dans les milieux plus défavorisés, les garçons ont souvent des modèles de pères, et surtout de pairs, valorisant davantage des attributs stéréotypiques de la masculinité comme la force physique ou l’habileté sportive, la réussite éducative étant même parfois dépréciée.

Des recherches américaines mettent ainsi en lumière que lorsque le père a un haut niveau d’études, les écarts entre garçons et filles diminuent, en raison du milieu plus favorable à l’apprentissage et du modèle concret de réussite éducative parentale.

Écarts entre le réseau public et le réseau privé

De plus, les écarts entre garçons et filles varient entre le réseau public et le réseau privé comme le met en évidence le graphique ci-dessous :

Ainsi, au Québec, en 2017, l’écart entre les sexes concernant le taux de passage du secondaire au collégial était de 9,8 % dans le réseau public, tandis qu’il était de 3,5 % dans le réseau privé. On constate également que les garçons scolarisés dans le réseau privé subventionné tendent à « dépasser » les filles scolarisées dans le réseau public. En 2017, on observait par exemple que 94,1 % des garçons scolarisés dans le réseau privé, contre 84,2 % des filles scolarisées dans le réseau public au secondaire, ont accédé à des études collégiales.

Comme les différences de milieux socioéconomiques tendent à se cumuler avec l’inscription dans le réseau public ou privé, on comprend que les chances de réussite sont susceptibles de varier fortement selon le genre et le milieu familial et scolaire dans lequel évoluent les enfants. C’est notamment ce que révèlent, année après année, les résultats aux épreuves ministérielles qui font ressortir que « les garçons en arrachant toujours davantage en français que les filles », mais avec des taux de réussite nettement supérieur dans le privé que dans le public.


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Des rémunérations différentes

Les garçons sont, pour ces raisons, moins nombreux à avoir le diplôme d’enseignement secondaire nécessaire pour entrer dans l’enseignement supérieur. Ils sont également plus susceptibles d’être attirés par certains métiers ne nécessitant pas de diplôme universitaire. On peut penser à certains métiers de l’industrie, de la construction ou des mines pour lesquels la rémunération est plus élevée que celle de professions de niveau équivalent plus féminisées, comme ceux relatifs aux soins à la personne ou à la garde d’enfants.

Le fait que l’écart salarial en défaveur des femmes diminue au fur et à mesure que l’on monte dans les niveaux d’études peut aussi expliquer qu’elles soient plus nombreuses à fréquenter l’université. En effet, l’obtention d’un diplôme d’enseignement secondaire ou supérieur offre un gain salarial plus important pour les femmes que pour les hommes. Ces dernières gagnent, par exemple, 36,9 % de plus en ayant un diplôme de premier cycle universitaire qu’un diplôme collégial, tandis que l’écart est de 30,3 % pour les hommes, comme le fait ressortir le graphique ci-dessous.

Plus qu’une fatalité, des choix de société

Au-delà des facteurs d’ordres biologiques liés au développement quelque peu différencié des garçons et des filles, notamment concernant leur maturité, il apparaît clairement que les facteurs d’ordre sociologique jouent un rôle prédominant dans les écarts de réussite et parcours scolaires des garçons et des filles.

Dès la fin des années 1980, le sociologue français Roger Establet évoquait ainsi « la progression spectaculaire de la réussite scolaire des filles ». À l’hiver 2001-2002 le magazine Réseau de l’Université du Québec comprenait tout un dossier cherchant à expliquer l’écart entre garçons et filles à l’école et questionnant si cette dernière ne favorisait pas les filles. En 2009, un livre intitulé Sauvons les garçons ! » paraissait en France tel un cri du cœur auquel faisait échos, au Québec, en 2017, Leçons d’éléphants. Pour la réussite des garçons à l’école. Loin d’avoir été pris en compte ou de s’être amélioré, l’écart entre garçons et filles n’a cessé de s’accentuer depuis.




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Aussi semble-t-il opportun de généraliser des mesures pour soutenir les garçons dès le plus jeune âge, tout particulièrement concernant l’apprentissage de la lecture. Les résultats de plusieurs recherches font ressortir l’importance des modèles masculins dans la scolarité, les initiatives comme « Lire avec fiston » pourraient donc servir de sources d’inspiration.

Enfin, ces constats devraient conduire à des réflexions plus profondes concernant l’ensemble de la société. Il semble impératif d’envisager une nouvelle forme scolaire qui réponde mieux à la diversité des élèves, une forme qui favorise l’égalité et déconstruise les stéréotypes de genre susceptibles de nuire aussi bien à la scolarité des garçons que de restreindre les orientations universitaires et professionnelles des hommes et des femmes.

La Conversation Canada

Cathia Papi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Il y a notablement moins d’hommes que de femmes à l’université. Est-ce une fatalité ? – https://theconversation.com/il-y-a-notablement-moins-dhommes-que-de-femmes-a-luniversite-est-ce-une-fatalite-266535

Peut-on être trop riche ? Tout dépend de vos convictions profondes et du contexte économique national

Source: The Conversation – in French – By Jackson Trager, Ph.D. Candidate in Psychology, USC Dornsife College of Letters, Arts and Sciences

Des milliardaires à l’intelligence artificielle, la question reste la même : à partir de quand l’accumulation devient-elle excessive ? Une étude internationale montre que nos réponses dépendent autant de nos valeurs morales que du contexte économique et culturel.


À travers les cultures, les mêmes questions reviennent : avoir beaucoup d’argent est-il une bénédiction, un fardeau ou un problème moral ? Selon nos nouvelles recherches, la façon dont on perçoit les milliardaires ne relève pas seulement de l’économie. Le jugement dépend aussi de certains instincts culturels et moraux, ce qui aide à expliquer pourquoi les opinions sur la richesse sont si polarisées.

L’étude, que mon collègue Mohammad Atari et moi avons publiée en juin 2025 dans la revue scientifique PNAS Nexus, s’appuie sur des données d’enquêtes menées auprès de plus de 4 300 personnes dans 20 pays. Nous avons constaté que, si la plupart des gens dans le monde ne condamnent pas fermement le fait de posséder « trop d’argent », il existe des différences culturelles marquées.

Dans les pays riches et plus égalitaires sur le plan économique, comme la Suisse ou la Belgique, les personnes interrogées étaient plus enclines à juger immoral le fait de détenir trop de richesses. À l’inverse, dans des pays plus pauvres et plus inégalitaires, comme le Pérou ou le Nigeria, l’accumulation de richesses était perçue comme davantage acceptable.

Au-delà des aspects économiques, nous avons constaté que les jugements sur la richesse excessive sont aussi façonnés par des intuitions morales plus profondes. Notre étude s’appuie sur la moral foundations theory (théorie des fondements moraux), qui propose que le sens du bien et du mal repose sur six valeurs fondamentales : le soin, l’égalité, la proportionnalité, la loyauté, l’autorité et la pureté. Nous avons observé que les personnes attachées à l’égalité et à la pureté étaient plus susceptibles de considérer la richesse excessive comme répréhensible.

Le résultat concernant l’égalité était attendu, mais le rôle de la « pureté » est plus surprenant. La notion de pureté est généralement associée à des idées de propreté, de sacralité ou d’évitement de la contamination – découvrir qu’elle est liée à une perception négative de la richesse donne un nouveau sens à l’expression anglaise « filthy rich » (mot à mot « salement richenbsp;», de « filth » qui signifie «dégoûtant, obscène, corrompu »).

En tant que chercheur en psychologie sociale étudiant la morale, la culture et la technologie, je m’intéresse à la façon dont ce type de jugements varie selon les groupes et les sociétés. Les systèmes sociaux et institutionnels interagissent avec les croyances morales individuelles, façonnant la manière dont les gens perçoivent des sujets de société clivants comme la richesse et les inégalités – et, en retour, la façon dont ils s’engagent face aux politiques et aux conflits qui en découlent.

Pourquoi est-ce important ?

Les milliardaires exercent une influence croissante dans la politique, la technologie et le développement mondial. Selon l’organisation Oxfam, qui lutte contre la pauvreté, le 1 % le plus riche de la planète détenait en 2024 plus de richesses que 95 % de l’humanité réunie.

Les tentatives de réduction des inégalités par l’impôt ou la régulation des plus riches reposent toutefois peut-être sur une hypothèse erronée : celle selon laquelle l’opinion publique condamnerait largement les richesses extrêmes. Si, au contraire, la majorité considère l’accumulation de richesses comme moralement justifiable, de telles réformes risquent de rencontrer un soutien limité.

Si notre étude montre que la plupart des gens dans le monde ne considèrent pas la richesse excessive comme moralement condamnable, ceux vivant dans des pays plus riches et plus égalitaires sont en revanche bien plus enclins à la critiquer. Ce contraste soulève une question plus aiguë : lorsque les habitants de sociétés privilégiées dénoncent les milliardaires et cherchent à limiter leur influence, mettent-ils réellement en lumière une injustice mondiale – ou projettent-ils leur propre sentiment de culpabilité ?

Imposent-ils un principe moral façonné par leur prospérité à des pays plus pauvres, où la richesse peut représenter la survie, le progrès ou même l’espoir ?

Ce qu’on ignore encore

Une question reste ouverte : comment ces perceptions évoluent-elles avec le temps ? Les attitudes changent-elles à mesure que les sociétés deviennent plus riches ou plus égalitaires ? Les jeunes sont-ils plus enclins que les générations plus âgées à condamner les milliardaires ? Notre étude offre un instantané, mais des recherches menées sur le long terme pourraient montrer si les jugements moraux suivent les évolutions économiques ou culturelles plus larges.

Une autre incertitude concerne le rôle inattendu de la pureté. Pourquoi une valeur associée à la propreté et à la sacralité influencerait-elle la manière dont on juge les milliardaires ? Notre étude complémentaire a révélé que les préoccupations liées à la pureté dépassent la question de l’argent et s’étendent à d’autres formes d’« excès », comme le rejet d’« une trop grande » ambition, sexualité ou recherche de plaisir. Cela suggère que les individus perçoivent peut-être l’excès en lui-même – et pas seulement l’inégalité – comme une forme de corruption.

Et ensuite ?

Nous poursuivons nos recherches sur la manière dont les valeurs culturelles, les systèmes sociaux et les intuitions morales façonnent les jugements portés sur l’équité et sur l’excès – qu’il s’agisse de la richesse et de l’ambition, ou encore du savoir et de la puissance de calcul de l’intelligence artificielle.

Comprendre ces réactions morales instinctives au sein de systèmes sociaux plus larges est essentiel pour les débats sur les inégalités. Mais cela peut aussi aider à expliquer comment les individus évaluent les technologies, les dirigeants et les institutions qui accumulent un pouvoir ou une influence disproportionnés, jugés excessifs.

The Conversation

Jackson Trager ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Peut-on être trop riche ? Tout dépend de vos convictions profondes et du contexte économique national – https://theconversation.com/peut-on-etre-trop-riche-tout-depend-de-vos-convictions-profondes-et-du-contexte-economique-national-268580

Ce que font vraiment les analystes financiers

Source: The Conversation – in French – By Pierre Lescoat, Professeur Assistant, Neoma Business School

Au-delà des transactions financières, les marchés sont animés par une communauté humaine de professionnels, avec ses règles, ses valeurs et ses récits. Vectorfusionart/Shutterstock

Que font réellement ces analystes financiers, dits analystes « sell-side », au sein des grandes banques d’affaires ? Une étude consacrée à leur travail à travers les pratiques d’évaluation de la performance montre la complexité de ce métier finalement peu connu.


Les analystes financiers dits sell-side conseillent des milliers de professionnels, en particulier les fonds d’investissement qui gèrent les retraites et l’épargne de nombreuses personnes à travers le monde. La recherche en finance s’est beaucoup concentrée sur la fiabilité de leurs recommandations et sur la façon dont elles informent des mouvements de marché, le travail des analystes étant de produire des prévisions fiables.

S’inscrivant dans les travaux en sociologie de la finance, notre étude ne se penche pas tant sur le rôle des analystes, mais sur ce que leur organisation attend d’eux. Nous appréhendons les analystes non pas comme membre des marchés financiers, mais comme membres d’une organisation marchande – la banque qui les emploie – qui les rémunère et les évalue.

Interface des entreprises et des fonds d’investissement

Les analystes sell-side vendent des services financiers à différents clients (d’où le nom sell-side). Ils émettent des conseils sur la vente ou l’achat d’actions boursières de sociétés cotées. Ces analystes sont soumis à une régulation stricte. Ils sont l’interface entre les départements de communication financière des grandes entreprises cotées et les fonds d’investissement, qui investissent en bourse l’argent de leurs clients.

La régulation porte particulièrement sur la prévention des conflits d’intérêts et du délit d’initié, réglementant les informations que les analystes ont le droit ou non de transmettre en fonction de leurs interlocuteurs, selon quels moyens – rapport écrit public, discussions informelles, etc.

Indispensables aux banques

Profession plus discrète que celle de traders, les analystes financiers sont indispensables aux banques. Ils leur fournissent une légitimité puisqu’ils sont reconnus comme des experts sur les marchés financiers. Pour autant, la multiplication des bases de données, ainsi que la concurrence d’ « activistes », les short-seller, remet en question cette expertise et notamment l’objectivité des rapports publiés par les analystes sell-side.

Notre étude se concentre sur le système d’évaluation de la performance des analystes par leur banque. Ce système est particulièrement complexe, car il fait intervenir des groupes professionnels internes et externes à la banque. En externe, les équipes d’analystes sell-side sont soumises chaque année à des classements réalisés par des sites, tels que Extel.

Classement des analystes financiers

Ces classements mettent en compétition les équipes d’analystes entre banques, mais aussi à l’intérieur des banques – entre secteurs d’activités ou zones géographiques couverts –, voire à l’intérieur de leur équipe. Les classements sont constitués suite à la collecte des votes effectués par les analystes buy-side, c’est-à-dire les analystes financiers présents chez les clients des banques (d’où le nom buy-side).




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Ces classements sont par la suite intégrés dans l’évaluation interne de la performance des analystes dans leur banque. D’autres groupes professionnels de la banque comme les vendeurs et les traders sont également amenés à voter pour les analystes, les classant à nouveau.

Plus un analyste sell-side marque la mémoire d’un analyste buy-side ou d’un vendeur, plus ce dernier a des chances de voter pour lui. Selon certains participants à notre étude, il n’existe pas de norme pour marquer la mémoire d’un investisseurs. Un analyste peut aussi bien plaire à un client pour la qualité de ses analyses que pour sa personnalité, ou encore sa capacité à aider les analystes buy-side dans leurs propres analyses. Ce qui importe c’est que le votant se souvienne de lui.

Des analystes entrepreneurs de leur réputation

Dans le but d’obtenir une bonne évaluation de leur performance, les analystes doivent travailler leur réputation en externe, mais aussi en interne. Si on les imagine régulièrement en contact avec leurs clients investisseurs, notre étude met en lumière l’existence d’un gatekeeper : le vendeur, appelé encore sales, en charge de gérer la relation client.

Le vendeur, ou sales, constitue un intermédiaire incontournable qui transmet les arguments des analystes pour appuyer son discours commercial. Les analystes doivent à ce titre effectuer un travail de mise en valeur de leurs recherches. En effet, les vendeurs lisent rarement les rapports, surtout écrits, comme le montrent le professeur de comptabilité Crawford Spence et ses co-auteurs dans une logique de conformité à la loi.

La régulation encadre ces échanges : les espaces de travail des analystes et des vendeurs sont strictement séparés. Il existe donc une ambiguïté entre ce qu’exige la régulation – une séparation stricte des activités – et ce que reflète le système d’évaluation de la performance des analystes, devoir être apprécié et reconnu par les vendeurs.

Performativité des narratifs d’analyste

L’économiste Robert Shiller a mis en avant à quel point l’économie se constitue à partir de récits, c’est-à-dire d’histoires, ou stories, qui circulent et donnent un sens des évènements économiques. Chez les analystes financiers, ces « narratifs » correspondent aux interprétations et recommandations que font les analystes pour leurs clients. Notre étude prolonge ces travaux, ainsi que ceux de l’anthropologue Stefan Leins en mobilisant le concept d’autorité narrative. Cette autorité, et la compétition qui existe entre analystes pour l’obtenir, est au fondement de leur évaluation.

C’est en faisant circuler ces narratifs d’analystes qu’on voit leur « performativité ». Par l’intermédiaire des vendeurs, les narratifs des analystes sell-side atteignent les clients investisseurs qui peuvent eux-mêmes les réutiliser pour défendre leurs idées auprès de leurs propres clients. C’est ainsi que les narratifs circulent sur les marchés. Or, la valeur de ces narratifs dépend aussi des « modes » existantes sur les marchés, modes dont la dimension éphémère contraste avec le temps long nécessaire à un analystes pour développer une expertise. Comme dit l’une de nos sources, Michael, analyste sell-side dans une banque d’une capitale financière européenne :

« Si tu es réputé comme étant le meilleur fabricant de cabines téléphoniques aujourd’hui, tu es peut-être la star des cabines téléphoniques, mais plus personne n’en veut donc ça ne sert à rien. »

Ces modes sont cruciales pour les banques, car ces dernières se rémunèrent sur les transactions effectuées pour le compte de leurs clients. Les secteurs « à la mode » génèrent potentiellement plus de commissions, puisque le volume de transaction y est plus important. Elles ont comme contrepartie de remettre en cause régulièrement la valeur de l’expertise des analystes.

Notre étude rappelle ainsi qu’au-delà des transactions et des rapports écrits, les marchés sont bien animés par des professionnels incarnés qui parlent, échangent, analysent au quotidien. Ils font de ces termes un peu abstraits une communauté d’humains qui constituent sans toujours en avoir clairement l’idée les marchés qu’ils ne cessent de décrire tout au long de leurs carrières.

The Conversation

Cette étude a été menée dans le cadre d’une thèse de doctorat financée par l’ESCP Europe et le réseau Netw@rks.

Pénélope Van den Bussche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Ce que font vraiment les analystes financiers – https://theconversation.com/ce-que-font-vraiment-les-analystes-financiers-265102

Quand les imaginaires des marques nous inspirent

Source: The Conversation – in French – By Valérie Zeitoun, Maitre de Conférences, IAE Paris – Sorbonne Business School

Les marques produisent des imaginaires collectifs et peuvent être considérées comme « des acteurs politiques ». HJBC/Shutterstock

Traversé par de multiples crises, le réel est devenu anxiogène. Il réclame de nouveaux modèles et de nouveaux rêves. Dans ce contexte, les imaginaires des marques viennent se substituer aux grands récits collectifs défaillants, en offrant aux individus de quoi se projeter, espérer, et peut-être apporter de nouvelles raisons de croire. C’est ce qu’analysent ici Valérie Zeitoun et Géraldine Michel, avec Raphaël LLorca, expert associé à la Fondation Jean-Jaurès, Arnaud Caré, directeur général délégué d’Ipsos, et Nicolas Cardon, directeur de l’expérience client d’Ipsos.


« L’esprit du voyage par Louis Vuitton », « La beauté plurielle de Dove », « Le sport inclusif » de Nike, ces imaginaires irriguent notre quotidien. Ils deviennent des forces de projection et de conviction collective, bien au-delà de leur valeur marchande. Face à l’évolution de leur rôle se pose la question de leur influence dans l’ordre social et/ou politique, au-delà de l’ordre marchand.

Comment, dans leur mission d’agent social, les marques participent-elles et poussent-elles au progrès social et environnemental, et permettent-elles ainsi de renouer avec de nouvelles utopies ?

L’imaginaire

L’imaginaire est le fruit de l’imagination d’un individu, d’un groupe ou d’une société. Il produit des représentations ou des mythes qui entretiennent un rapport plus ou moins détaché de la réalité.

Poser l’imaginaire et le réel en parallèle tend à accentuer la tension qui existe entre ces deux notions. Leur relation relève d’une dialectique qui interroge la manière dont l’imaginaire se rapporte au réel et réciproquement. Pour explorer ce rapport complexe, il est possible de distinguer trois dynamiques principales : une dynamique d’opposition, une dynamique de substitution et une dynamique d’enrichissement.

L’imaginaire comme illusion

Depuis l’allégorie de la caverne de Platon, la tradition philosophique a longtemps pensé l’imaginaire et le réel de manière adverse. Pour Platon, les individus vivent souvent dans l’ignorance, attachés aux apparences, et il faut un effort de pensée pour accéder à la vérité, c’est-à-dire au « monde des Idées ». Dans cette perspective, le réel renvoie au monde des idées invariables et immuables tandis que l’imaginaire est lui entendu comme illusoire, fictif, sans réalité.

Notre culture occidentale est profondément ancrée dans cette opposition, valorisant le réel comme domaine de la vérité et de la connaissance, reléguant l’imaginaire au rang du fantasme.

Affiche publicitaire de la marque Persil qui « lave plus blanc que blanc ».
Bibliothèque spécialisée de Paris, FAL

Dans le domaine de la consommation, la célèbre réclame de Persil (« lave plus blanc ») est emblématique d’une rhétorique publicitaire fondée sur l’excès de promesse. En invoquant l’idée d’un « plus blanc que blanc », elle promet l’inatteignable et participe à une forme d’aliénation ou d’asservissement. Le récit de marque se réduit alors à l’idée d’une illusion, voire d’une tromperie.

L’imaginaire comme idéalisation

Publicité du Big Mac de McDonald’s en Thaïlande.
Opasbbb/Shutterstock

Le philosophe Jean Baudrillard propose une autre perspective. Selon lui, l’imaginaire ne s’oppose plus simplement au réel, mais s’y substitue. Le simulacre n’est pas une simple copie du réel : il en efface la référence. Il produit l’illusion d’un monde réel, mais entièrement artificiel, forme d’hyperréalité, saturée d’images et de signes.

Photo d’un Big Mac dans un restaurant McDonald’s.
Liveheavenly/Shutterstock

L’imaginaire, dès lors, se substitue au réel et l’idéalise. Les campagnes publicitaires de la marque McDonald’s qui reposent sur une représentation parfaite du hamburger – comparée à la réalité du hamburger servi dans les restaurants – génèrent un simulacre. Les consommateurs n’achètent pas un hamburger, mais l’image idyllique du hamburger.

L’imaginaire comme ressource du réel

Une troisième approche, initiée par le philosophe Maurice Merleau-Ponty, envisage au contraire l’imaginaire comme une composante fondamentale du réel. Dans cette perspective, l’imaginaire ne s’oppose pas au réel, il en est le prolongement, voire un producteur. L’imaginaire permettrait d’accéder au réel autrement, éventuellement de le transformer en lui imprimant de nouvelles formes.

L’imaginaire ouvre vers d’autres réels possibles. C’est dans cette dynamique que certaines marques s’inscrivent, et ce faisant réinventent les modalités de notre environnement. C’est le cas de la marque Apple. À son lancement, elle apporte une nouvelle vision de l’ordinateur personnel axée sur la convivialité et le design de l’objet pour s’inscrire dans le quotidien des individus, et se positionner contre des usages de l’époque qui considéraient l’ordinateur comme strict objet du monde du travail.

La fabrique de nouveaux réels collectifs

Dès 1957, le sémiologue Roland Barthes met en évidence la capacité des objets et des signes de consommation à produire un imaginaire socialement partagé. La marque se définit comme objet social et réservoir symbolique. Elle ne se réduit pas à un simple signe marchand, elle agit comme un médiateur symbolique, capable de relier les individus à des univers de significations collectives.

Elle produit du sens et génère de la valeur en projetant des imaginaires partagés. Dans cette direction, les marques iconiques le deviennent, justement, parce qu’elles articulent des imaginaires culturels qui viennent répondre à des enjeux sociaux forts. Nike, en soutenant publiquement le footballeur Colin Kaepernick dans sa protestation contre les violences policières faites aux Afro-Américains, incarne un imaginaire de résistance.

Publicité de la marque Nike pour fêter les 30 ans de son slogan « Just do it » avec le footballeur états-unien Colin Kaepernick.
Nike

Avec sa campagne « Don’t Buy This Jacket », la marque outdoor Patagonia a supporté un imaginaire plus sobre. Elle incite les consommateurs à ne pas céder au consumérisme. Cet imaginaire s’incarne aussi dans les actes – réparabilité des produits, soutien à des actions environnementales, etc. – et, de fait, devient le réel.

D’autres marques pourraient être ici mentionnées, Dove et le nouvel imaginaire de la beauté : vision alternative qui remet en cause une beauté normative pour la rendre plurielle, femmes de toutes morphologies, âges, origines ou couleurs de peau. C’est encore Ikea ou Levi’s qui participent d’imaginaires plus inclusifs en soutenant la cause LGBTQIA+. Toutes ces marques participent d’une forme d’engagement, fondé sur de nouveaux imaginaires sociaux et/ou culturels, qui permet d’enrichir, de modifier, de transformer le réel.

La marque, un acteur politique ?

Publicité d’avril 2024 en France de la marque Burger King, « mettant l’accent » sur la région provençale.
HenrySaintJohn/Shutterstock

Les marques produisent des imaginaires collectifs, en ce sens, comme le propose Raphaël LLorca, elles peuvent être considérées comme « des acteurs politiques » qui structurent et façonnent notre appréhension du réel. L’imaginaire national et la signification « d’être français » se fonde aujourd’hui, en partie, sur des projections et/ou des incarnations proposées par les acteurs marchands tous secteurs confondus, la mode, les transports ou la grande distribution.

L’ironie, souligne Raphaël LLorca, c’est que ce sont souvent des marques étrangères, et singulièrement états-uniennes, comme Burger King ou Nike, qui proposent leur version du roman national français !

Dans tous les cas, la sécrétion d’imaginaires politiques de la part d’acteurs marchands constitue une rupture profonde dans l’équilibre des forces entre les trois ordres traditionnels – ordres politique, religieux et marchand.

Imaginaires de marques et engagement

Une étude Ipsos fait le constat d’un lien entre engagement individuel et engagement des marques. Il apparaît ainsi que les fans de marques engagées, comme Disney, Deezer ou Heineken, sont eux-mêmes plus impliqués que la moyenne française dans les causes d’équité et d’égalité entre les populations.

Plus important, en termes de gestion de marque, il apparaît que cette adhésion aux marques, porteuses d’imaginaires positifs, va au-delà d’une élection de principe. 50 % des Français interrogés déclarent, dans le contexte actuel, qu’ils seraient prêts à acheter moins de produits provenant de marques éloignées de leur engagement pour l’équité, la diversité et l’inclusion. Ces résultats montrent que les marques ont le pouvoir de nourrir le réel d’imaginaires sociaux, culturels voire politiques.

Les Français et les politiques de « diversité et d’inclusion » en entreprise à l’ère de Donald Trump (sondage réalisé en avril 2025 auprès de 800 Français représentatifs de la population nationale).
Ipsos, Fourni par l’auteur

Mais comment peuvent-elles le faire ? À cette question, une seconde étude Ipsos explore les conditions d’émergence de nouveaux réels aspirationnels.

Les marques doivent incarner ces imaginaires si elles souhaitent construire des liens émotionnels avec les consommateurs et citoyens. Près de 69 % des interrogés affirment être disposés à rompre avec des marques qui ne tiendraient pas leurs promesses sur des sujets sociaux ; 70 % se déclarent prêts à suivre une marque à laquelle ils sont émotionnellement liés, contre 45 % lorsque ce lien n’est que fonctionnel.

Les imaginaires des marques deviennent des forces de projection et de conviction collective, bien au-delà de leur valeur marchande. Les marques qui s’engagent dans de nouveaux imaginaires et qui leur donnent une réalité tangible favorisent l’engagement des individus, collaborateurs et clients. Ainsi, elles génèrent une adhésion et une implication pérenne, mais, surtout, elles participent d’un élan transformatif social et peut-être politique.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Quand les imaginaires des marques nous inspirent – https://theconversation.com/quand-les-imaginaires-des-marques-nous-inspirent-264597

Utilisation de l’écriture inclusive par les marques : indifférence des hommes, soutien nuancé des femmes

Source: The Conversation – in French – By Magali Trelohan, Enseignante-chercheuse, comportements de consommations, sociaux et environnementaux, EM Normandie

Les femmes affichent une attitude plus favorable que les hommes à l’égard de la marque lorsque celle-ci utilise une écriture inclusive. Reworlding

L’écriture inclusive fait régulièrement la une des journaux en France. Entre défenseurs et opposants, le débat semble sans fin. Mais que se passe-t-il lorsque des marques utilisent cette écriture pour communiquer ? Une étude révèle que les réactions sont loin d’être homogènes.


La linguistique distingue trois types de langues à travers le monde :

  • les langues genrées, comme le français ou l’espagnol, qui attribuent un genre grammatical aux noms communs : le bateau, la mer, la plage, le sable, etc. ;

  • les langues à genre naturel, comme l’anglais, qui ne marquent pas le genre des noms communs – le déterminant est the pour tous les objets –, mais qui marquent le genre principalement dans les pronoms pour les personnes – she/her pour une fille ou une femme et he/his pour un homme ou un garçon ;

  • Les langues non genrées, comme le chinois ou le turc, qui n’intègrent pas de distinctions grammaticales de genre.

En France, langue dite genrée, le masculin est considéré comme « neutre » et, au pluriel, il « l’emporte sur » le féminin, selon la formule consacrée. Pourtant, des formes dites inclusives, comme le point médian de « salarié·es », se développent pour tenter de rendre visible la diversité des genres. Cette volonté s’appuie sur les travaux en sociolinguistiques qui montrent que la langue façonne notre perception du monde et de notre environnement. Si le sujet fait polémique, c’est parce que l’écriture inclusive interroge le pouvoir symbolique de la langue : qui est inclus ou exclu par les mots que nous choisissons ?

Notre étude, menée auprès de 800 consommatrices et consommateurs français, en analyse le phénomène.

Réaction envers la marque

Pour comprendre ces réactions, nous avons mené une expérience. Chaque participante ou participant à notre étude voyait un post d’une marque de jus de fruits, rédigé avec différentes formes d’écriture inclusive – comme « les client·es » – ou sans, et avec ou sans explication de ce choix par la marque. Nous avons ensuite mesuré leurs réactions, leur attitude envers la marque et leur intention d’achat. Il existe plusieurs formes d’écriture inclusive, nous les avons toutes testées.

  • La double flexion consiste à écrire les deux genres séparés par « et » (ex. : « toutes et tous ») ;
  • La double flexion contractée fusionne les terminaisons féminines et masculines grâce à un point médian ou un point (ex. : « étudiant·e·s ») ;
  • Les termes épicènes ou collectifs que nous appelons forme « dégenrée », ne marquent pas le genre (ex. : « le lectorat » plutôt que « les lecteurs ») ;
  • Le masculin générique, la forme usuelle en français avec le masculin qui l’emporte sur le féminin ;
  • Le féminin générique, avec l’ensemble des accords au féminin. C’est d’ailleurs cette forme qui est perçue comme la plus sexiste et la moins inclusive par l’ensemble des répondants.

Les hommes indifférents… sauf si la marque explique son choix

Les résultats indiquent que, globalement, les hommes ne réagissent pas différemment à un post utilisant l’écriture inclusive par rapport à un post classique.

Leur attitude, leur intention d’achat ou leur perception de la marque ne changent pas. Cependant, un point intéressant émerge : lorsque la marque explique son choix d’utiliser l’écriture inclusive, en rappelant qu’il s’agit d’une démarche d’égalité ou d’inclusivité, l’attitude des hommes devient plus positive.

Cette explication semble lever une forme de méfiance et permet d’intégrer le message sans rejet.

Les femmes soutiennent l’inclusif mais pas toutes ses formes

Globalement, les femmes affichent une attitude plus favorable que les hommes à l’égard de la marque lorsque celle-ci utilise une écriture inclusive. Elles perçoivent la marque comme plus proche de leurs valeurs et se disent plus enclines à acheter le produit.

Cet effet varie toutefois selon leur vision des rôles de genre.

Les femmes qui adhèrent fortement aux stéréotypes traditionnels – par exemple, l’idée que les hommes et les femmes ont des « rôles naturels » différents – se montrent plus réticentes à l’égard de l’écriture inclusive. Chez elles, l’écriture inclusive (en particulier la forme contractée, c’est-à-dire le point médian, et la forme dégenrée) tend à provoquer un rejet de la marque.

On ne retrouve pas cet effet de l’adhésion aux stéréotypes de genre chez les hommes. Ce n’est pas cela qui influence leurs perceptions et comportements liés à l’écriture inclusive.

Notre étude montre que la forme d’écriture inclusive la plus controversée, celle avec le point médian, suscite davantage de réactions négatives. Comme pour les hommes, lorsque la marque justifie son choix, cette forme controversée est toutefois mieux acceptée.

Puissance idéologique de la langue

Ces résultats mettent en lumière le poids idéologique de la langue. Le masculin reste perçu comme neutre.

Ce constat rejoint les travaux en sociolinguistique sur l’androcentrisme (une vision du monde qui voit l’homme comme l’humain neutre ou typique) et sur la domination symbolique.

Il révèle aussi une ligne de fracture : les femmes ne constituent pas un groupe homogène sur ces questions. Celles qui adhèrent aux normes traditionnelles deviennent les gardiennes d’un certain conservatisme linguistique.

Quelles implications pour les marques ?

Pour les professionnels du marketing, l’écriture inclusive n’est pas qu’une question de style : elle engage la perception de la marque.

Notre étude conseille :

  • d’expliquer son choix d’écriture inclusive, notamment pour rassurer les consommateurs qui y sont indifférents ou qui sont sceptiques. Ainsi, les marques remporteront leur adhésion ;

  • d’adapter la forme utilisée : certaines sont perçues comme plus acceptables que d’autres. Le point médian, plus controversé, peut être mis de côté au profit de termes épicènes ou de la double flexion dans le cadre d’une communication qui se veut consensuelle. En revanche, une marque militante pourra choisir la double flexion contractée (le point médian) ;

  • de connaître son audience : les femmes y sont majoritairement favorables, mais il existe des nuances idéologiques. Comme nous l’avons montré, celles qui adhèrent aux stéréotypes de genre auront tendance à rejeter les marques utilisant l’écriture inclusive.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Utilisation de l’écriture inclusive par les marques : indifférence des hommes, soutien nuancé des femmes – https://theconversation.com/utilisation-de-lecriture-inclusive-par-les-marques-indifference-des-hommes-soutien-nuance-des-femmes-260370

Quand l’enseignement supérieur s’enracine dans son territoire : déni de mondialisation ou stratégie gagnante ?

Source: The Conversation – in French – By Jean-Marie Cardebat, Professeur d’économie à l’Université de Bordeaux et Professeur affilié à l’INSEEC Grande Ecole, Université de Bordeaux

Et si la reconnaissance internationale des universités et des écoles de commerce passait par le terroir ? Alors que la course mondiale aux classements – celui de Shanghai ou d’autres – tend à uniformiser les programmes d’enseignement supérieur, l’ancrage local constitue aussi un atout stratégique.


Dans un paysage académique mondialisé, les grandes marques universitaires se livrent une compétition féroce pour figurer aux premières places des différents palmarès et classements internationaux. La réputation et la légitimité des universités et des écoles reposent encore largement sur la performance de leur recherche académique, comme en témoignent la culture du « Publish or perish » ou les critères du classement de Shanghai. Cette dynamique tend à renforcer la polarisation entre des universités de rang mondial et des établissements régionaux dans un contexte de mimétisme institutionnel et d’uniformisation des programmes d’enseignement supérieur.

Orientation des financements

Mais derrière cette image globalisée de la performance, les établissements d’enseignement supérieur demeurent intimement liés à leur territoire d’implantation. Cet ancrage local est notamment scruté de près par les pouvoirs publics, qui en font un critère pour orienter leurs financements, et par les acteurs institutionnels et les organismes d’accréditation, qui l’intègrent dans leurs critères de qualité pour octroyer le droit de délivrer des diplômes et accréditer des programmes.

Ce rapport au territoire ne se réduit toutefois pas à une logique réglementaire ou budgétaire et soulève une interrogation plus stratégique : la proximité avec les acteurs économiques, sociaux et culturels locaux peut-elle paradoxalement constituer une voie d’accès au rayonnement international pour les établissements d’enseignement supérieur ?




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Pour tenter de répondre à cette question, nous avons mené un travail d’investigation qui a donné lieu à un article de recherche publié dans la revue internationale Higher Education. Notre publication interroge et invite à repenser la relation entre enracinement local et visibilité mondiale des établissements d’enseignement supérieur à travers un cas emblématique : les régions viticoles françaises et les formations d’enseignement supérieur dédiées au secteur du vin.

Pour essayer de savoir si l’ancrage régional de ces programmes d’enseignement supérieur pouvait constituer un atout dans la compétition internationale entre établissements, notre projet de recherche repose sur une double méthodologie, à la fois quantitative (classement, attractivité, employabilité, résultats académiques de 72 formations en vin réparties sur l’ensemble des régions françaises) et qualitative (22 entretiens semi-directifs menés auprès de responsables académiques, étudiants et diplômés de programmes en vin et de professionnels du secteur viticole).

Attractivité internationale accrue

Notre travail est fondé sur deux hypothèses. La première postule que la réputation d’une région et la richesse de son écosystème (c’est-à-dire la densité des acteurs économiques, culturels et institutionnels liés à ce secteur) influencent directement la performance et la visibilité des formations supérieures spécialisées dans ce domaine. La seconde avance l’idée que ces formations confèrent alors à leurs établissements d’origine une attractivité internationale accrue au lieu de les limiter à un rayonnement local.

Pour explorer cette relation, notre travail a mobilisé deux concepts :

  • l’heuristique « glonacale », soit un cadre théorique qui permet d’analyser le positionnement des établissements d’enseignement supérieur en considérant simultanément leurs échelles globale, nationale et locale ;

  • l’échelle « géo-cognitive », qui désigne l’espace géographique dans lequel les établissements d’enseignement supérieur se positionnent. Cet outil permet de prendre en compte et d’interpréter la proximité et la portée symboliques et fonctionnelles des acteurs de cet espace.

Des liens stratégiques

Les résultats de notre étude révèlent ainsi une forte corrélation entre la réputation d’une région spécialisée dans un secteur et la performance des programmes de formation implantés dans cette région et dédiés à ce secteur. Dans le cas des régions viticoles françaises, plus un territoire est identifié et réputé pour son activité, sa culture et son histoire viticoles (Bordeaux, Champagne, Bourgogne…), plus les formations viticoles implantées sur ce territoire bénéficient d’une image de qualité.

Surtout, les liens de ces formations avec l’écosystème local (entreprises, syndicats, institutions) renforcent leurs contenus pédagogiques, favorisent l’employabilité de leurs diplômés et améliorent leur légitimité académique. C’est l’ensemble des critères de performance des programmes d’enseignement qui sont ainsi renforcés par le territoire d’accueil, en particulier l’attractivité auprès des étudiants étrangers.

Contourner la hiérarchie classique

Mais au-delà de ces résultats, qui peuvent sembler logiques, notre étude démontre surtout que les régions dotées d’une spécialisation historique, culturelle ou économique forte, telle que celle en lien avec les bassins viticoles, offrent un espace stratégique alternatif aux universités et aux écoles. Les échelles géo-cognitives liées aux programmes en lien avec le vin permettent de contourner la hiérarchie académique classique centrée sur la recherche.

Ces formations offrent notamment la possibilité de valoriser des caractéristiques distinctives dans les processus d’audit et d’accréditation des universités et des écoles. Elles créent ainsi, pour les établissements d’enseignement supérieur, un espace parallèle de légitimité stable et attractif qui leur permet de se distinguer dans un environnement universitaire dominé par les dynamiques de concurrence et de standardisation fondées sur la taille et les disciplines académiques.

Cette recherche démontre ainsi que les formations spécialisées peuvent jouer un rôle stratégique dans l’ancrage territorial des établissements d’enseignement supérieur tout en leur offrant des avantages compétitifs sur la scène mondiale.

L’enseignement supérieur globalisé ne s’oppose donc pas à la logique de spécialisation régionale : bien au contraire, celle-ci peut constituer un levier majeur de segmentation et de rayonnement stratégique. Pour les universités et les écoles, miser sur les atouts locaux de leurs régions d’implantation est aussi une manière de renforcer leur rayonnement global et de se distinguer dans un monde académique de plus en plus concurrentiel et mondialisé. Un exemple à méditer pour les établissements d’enseignement supérieur présents dans des régions réputées pour des spécialisations fortes similaires au vin.

The Conversation

Président de l’European Association of Wine Economists

Olivier Guyottot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Quand l’enseignement supérieur s’enracine dans son territoire : déni de mondialisation ou stratégie gagnante ? – https://theconversation.com/quand-lenseignement-superieur-senracine-dans-son-territoire-deni-de-mondialisation-ou-strategie-gagnante-265100

Pourquoi la France, malgré la dégradation de sa note par les agences financières, reste emprunteuse « sans risque » pour les régulateurs ?

Source: The Conversation – in French – By Rémy Estran, CEO – Scientific Climate Ratings, EDHEC Business School

Si la France est notée par trois agences (Standard & Poor’s, Moody’s, et Fitch), les notations la plus élevée et la plus basse sont écartées ; c’est celle du milieu qui est retenue. WilliamBarton/Shutterstock

Malgré la dégradation de la note de la France de AA- à A+ en septembre 2025 par l’agence Fitch, puis en octobre 2025 par Standard & Poor’s, l’Hexagone est toujours considéré comme un emprunteur « sans risque » dans les bilans des banques et des assureurs. Pourquoi ce décalage ?


Vendredi 12 septembre 2025, Fitch a dégradé la note de la France de AA- à A+, après la clôture des marchés. Symboliquement, c’est un coup dur. Pour la première fois depuis plus de dix ans, la France a perdu son badge « double A ». Et pourtant, le lundi suivant, rien n’avait changé : le CAC 40 était en hausse et les spreads de crédit de la France étaient stables.

Rebelote un mois plus tard : le 18 octobre, Standard & Poor’s (S&P) abaisse à son tour la note de la France à A+. Là encore, aucune réaction notable des marchés – ni sur les spreads obligataires ni sur l’indice CAC 40. Le 24 octobre, Moody’s a pour sa part placé la note AA- de la France sous perspective négative.

L’explication courante ? Les marchés avaient déjà anticipé ces décisions. Mais est-ce vraiment toute l’histoire ?

Dans cet article, nous expliquons pourquoi, tant dans le cadre de la réglementation bancaire (Capital Requirements Regulation, CRR) relative aux exigences de fonds propres, que de la réglementation des assurances (Solvency II), la France est toujours considérée comme un emprunteur entrant dans la définition d’un pays « sans risque ».

Cela peut aider à comprendre l’impact limité jusqu’à présent des dégradations successives de Fitch et de Standard & Poor’s, tout en soulignant que les mécanismes bancaires et assurantiels à l’œuvre peuvent soudainement se transformer en couperet.

Notations vs échelons

Dans le cadre des approches standardisées, les réglementations prudentielles européennes (2024/1820 et 2024/1872 essentiellement) ne fonctionnent pas directement avec des notations alphabétiques, mais s’appuient sur des credit quality step (CQS), soit des échelons de qualité de crédit. Ces échelons sont des catégories générales qui regroupent plusieurs notations :

– CQS 0 : AAA (Solvency II uniquement ; le CRR ne comporte pas de niveau 0), comme l’Allemagne, la Suisse, le Danemark, les Pays-Bas ou la Suède.

– CQS 1 : AAA à AA- (CRR)/CQS 1 et AA+ à AA- (Solvency II), comme l’Autriche, la Finlande, l’Estonie, la Belgique ou la République tchèque.

– CQS 2 : A+ à A-, comme la Slovénie, la Slovaquie, la Pologne, la Lituanie ou la Lettonie.

– CQS 3 : BBB+ à BBB-, comme l’Italie, la Roumanie, la Bulgarie, la Croatie, ou la Hongrie.

– CQS 4-6 : notations spéculatives (BB+ et inférieures), comme la Serbie, le Monténégro, la Macédoine du Nord ou le Kosovo.

Techniquement, selon les réglementations bancaires et assurantielles, la dégradation de la note de la France par Fitch en septembre 2025 aurait pu la faire passer de CQS 1 à CQS 2. Mais ce n’est pas le cas.

Jusqu’en octobre 2025, date de la dégradation de la note française par Standard & Poor’s, ces deux cadres réglementaires continuaient de traiter la France comme un émetteur de très haute qualité, c’est-à-dire « AA » et non « A ». Cela tient à la manière dont les réglementations traitent les notes multiples : ni les banques ni les assureurs ne retiennent mécaniquement la note la plus basse.

Règle de la deuxième meilleure notation

En vertu de la réglementation bancaire et assurantielle européenne, la règle de la deuxième meilleure notation s’applique.

Par exemple, si un débiteur est noté par trois agences (S&P, Moody’s, Fitch), les notations la plus élevée et la plus basse sont écartées, et celle du milieu est retenue. Tant que deux des trois agences maintenaient la France dans la catégorie AA, la notation de référence aux fins du capital réglementaire restait CQS 1.




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En d’autres termes, même après la dégradation par Fitch à A+, les régulateurs continuaient de classer la France comme « AA ». Ce n’est qu’après la dégradation par S&P, le 17 octobre 2025, que la France est effectivement passée en CQS 2. Moody’s, de son côté, a maintenu sa note AA-, mais l’a placée sous perspective négative le 24 octobre – un signal d’alerte, certes, mais sans conséquence réglementaire à ce stade.

Toutes les dégradations ne se valent pas. Certaines modifient immédiatement la manière dont les institutions financières européennes doivent traiter le risque. D’autres, en revanche, restent sans effet opérationnel. Et pourtant, aucune n’a véritablement fait réagir les marchés.

Illusion réglementaire de la sécurité

Pour la plupart des débiteurs, tels que les entreprises ou les institutions financières, le passage d’un échelon de qualité de crédit, ou credit quality step (CQS), à un autre a une incidence directe sur les exigences de fonds propres. Dans le cas particulier des États souverains européens, même un passage officiel au CQS 2 n’a guère d’importance.

En vertu des règles actuelles, les obligations souveraines de l’Union européenne libellées dans leur propre devise ont en effet une pondération de risque de 0 %. Pourquoi ?

Dans la pratique, les banques ne sont pas tenues de mettre de côté des fonds propres pour couvrir le risque de défaut des emprunts de la France libellés en euros, et ce, quelle que soit la note attribuée à cette dette par les agences de notation.

De même, les assureurs qui détiennent des obligations émises par les États de l’Union européenne (libellées dans leur propre monnaie) ne sont soumis à aucune exigence de capital pour se prémunir contre un éventuel défaut de paiement sur ces titres.

Les seules exigences de fonds propres pour ces obligations proviennent des risques dits « de marché » : le risque de taux d’intérêt, c’est-à-dire la perte potentielle liée à une hausse des taux, et le risque de change, en cas de variation défavorable des devises étrangères. Aucun capital n’est exigé au titre du spread de crédit, c’est-à-dire du risque que le marché exige une prime plus élevée pour prêter à l’État.

Les prêts à la France – ou à tout autre État souverain européen dans sa monnaie nationale – sont considérés comme sans risque de crédit. Ce cadre a été conçu pour éviter la fragmentation et traiter la dette publique de tout État membre européen comme la base du système financier, quelle que soit la situation individuelle de chaque pays.

Paradoxe systémique

Les marchés font bien sûr déjà la distinction entre les États souverains. Les écarts se creusent, les prix des credit defaut swaps (CDS) – qui permettent aux investisseurs de s’assurer contre le défaut d’un émetteur de dette – augmentent et les investisseurs exigent une prime pour les crédits les plus faibles, bien avant que la dégradation ne soit officielle.

Du point de vue des fonds propres réglementaires, le cadre existant ne laisse aucune place à une distinction progressive au sein de l’Union européenne. La conséquence est claire : les États souverains européens sont considérés comme « sûrs » par définition, jusqu’à ce qu’ils ne le soient plus…

Cela crée une sorte d’« effet de falaise » organique. Tant que la confiance institutionnelle reste suffisante, la réglementation atténue partiellement la reconnaissance du risque. Dès qu’un seuil est franchi – souvent un seuil de confiance, plutôt que purement comptable –, la correction devient brutale. Ce qui devrait être une réévaluation progressive se transforme en rupture systémique.

Il y a quinze ans, la crise de la dette publique en Grèce avait suffi à déclencher une crise à l’échelle européenne. Aujourd’hui, la France nous rappelle que l’architecture même de la réglementation européenne rend sa stabilité financière moins graduelle que binaire. Tant que les marchés y croient, tout tient. Mais si la confiance venait à se dérober, ce n’est pas seulement la France qui vacillerait – ce serait toute l’Europe.

The Conversation

Rémy Estran est président de l’EACRA (European Association of Credit Rating Agencies).

ref. Pourquoi la France, malgré la dégradation de sa note par les agences financières, reste emprunteuse « sans risque » pour les régulateurs ? – https://theconversation.com/pourquoi-la-france-malgre-la-degradation-de-sa-note-par-les-agences-financieres-reste-emprunteuse-sans-risque-pour-les-regulateurs-266691

Les liaisons aériennes en Afrique manquent de fluidité : le G20 peut-il changer la donne ?

Source: The Conversation – in French – By Kaitano Dube, Faculty of Human Sciences Acting Research Professor, Vaal University of Technology

En Afrique, moins d’une ligne aérienne sur cinq est un vol direct. Les liaisons aériennes sont déterminées par des facteurs tels que le niveau des échanges commerciaux, les relations diplomatiques et l’existence d’une demande suffisante pour rendre une ligne rentable financièrement. À cause du manque de vols directs, les voyageurs qui souhaitent se rendre d’un pays africain à un autre sont souvent obligés de passer par l’Europe ou le Moyen-Orient. Cette situation renchérit le coût des déplacements et freine à la fois le tourisme et les investissements sur le continent.

En 2025, l’Afrique du Sud assure la présidence du G20, le groupe des grandes puissances économiques. Parmi ses quatre priorités dans le domaine du tourisme, figure la modernisation des accords aériens pour faciliter les vols directs ou les voyages sans rupture entre pays.

L’une de ses priorités est de promouvoir des accords de services aériens modernisés qui permettent des vols directs, ou des voyages sans interruption, entre les pays. Kaitano Dube, géographe spécialisé dans le tourisme, nous explique les enjeux.

Pourquoi la connectivité aérienne est-elle importante pour les pays africains ?

La connectivité aérienne mesure la facilité avec laquelle les personnes et les marchandises peuvent circuler par avion entre deux lieux. Elle est basée sur le nombre de destinations desservies et la fréquence des vols entre celles-ci.
Depuis longtemps, pouvoir voyager facilement à l’intérieur de l’Afrique est un rêve pour les entreprises touristiques et les touristes. Il a été perturbé par la pandémie de COVID-19, mais la reprise post-COVID-19 de l’industrie touristique a révélé que l’envie de voyager reste toujours forte.

Le tourisme est l’un des secteurs économiques les plus résilients au monde. Dans de nombreuses économies du G20, le tourisme contribue à plus de 10 % du produit intérieur brut. Mais les retombées sont très inégales : elles profitent surtout aux pays qui disposent d’un bon réseau aérien.
L’Afrique possède pourtant un riche patrimoine naturel et culturel, reconnu à l’échelle mondiale, avec de nombreux sites classés au patrimoine mondial. Mais de nombreux sites clés, tels que le parc national des montagnes du Simien en Éthiopie, les plateaux de grès du massif de l’Ennedi au Tchad ou le parc national du Banc d’Arguin en Mauritanie, sont parmi les moins accessibles.

La mauvaise connectivité aérienne freine la croissance économique, limite les investissements et maintient des millions de personnes en marge de la chaîne de valeur mondiale du tourisme. De nombreux voyageurs potentiels qui souhaiteraient voyager en Afrique aujourd’hui sont freinés par les coûts et la complexité des trajets.

Que fait la présidence sud-africaine du G20 en matière de connectivité aérienne ?

Le G20 a noté qu’une action coordonnée au niveau mondial pour améliorer la connectivité, en particulier pour les destinations émergentes, permettrait d’attirer davantage de visiteurs vers les régions encore peu fréquentées. Cela permettrait de répartir plus équitablement les bénéfices du tourisme sur l’ensemble du continent.

C’est pourquoi la présidence sud-africaine a choisi de faire de la connectivité sans rupture l’une de ses quatre priorités principales pour dynamiser le tourisme.

Le groupe de travail sur le tourisme du G20 a réfléchi à des moyens de promouvoir cette initiative et publiera un rapport sur le tourisme.

Les ministres du Tourisme du G20 ont également publié une déclaration encourageant les membres du G20 à créer les conditions nécessaires à des voyages aériens sans encombre.

Qu’est-ce qui faciliterait les vols en Afrique ?

Le G20 peut prendre six mesures clés :

Libéraliser le ciel : cela signifie simplement que les États membres du G20 devraient ouvrir des accords de services aériens (les accords officiels entre pays qui permettent aux compagnies aériennes de voler entre eux). Cela implique de réduire les restrictions sur les itinéraires ou la fréquence des vols et de permettre aux compagnies aériennes d’opérer plus librement. Il serait ainsi plus facile pour les compagnies aériennes de créer de nouvelles liaisons, de fixer des prix équitables et de se faire concurrence. Les voyageurs auraient ainsi plus de choix.

Relier les régions isolées : les destinations mal desservies par les compagnies aériennes, telles que celles situées en Afrique, en Amérique latine et en Asie du Sud-Est, devraient être reliées. Cela pourrait stimuler le tourisme et le commerce sur les liaisons mal desservies et créer des emplois et des opportunités économiques dans ces régions.




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Promouvoir les carburants aériens verts et les technologies à faibles émissions : cela fait partie de la modernisation des compagnies aériennes afin qu’elles atteignent d’ici 2050 l’objectif Net Zero de réduction à zéro des émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine.

Intégrer les politiques du tourisme et des transports : le G20 devrait encourager l’intégration des politiques du tourisme et des transports dans tous les États membres ou au sein des pays. Cela permettra de réduire le temps nécessaire aux compagnies aériennes pour obtenir des autorisations de vol et de diminuer les coûts d’exploitation et d’octroi de licences.




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Réduire les obstacles liés aux visas et à la fiscalité : les États membres du G20 doivent réduire les redevances d’atterrissage, les taxes aéroportuaires et autres redevances aéronautiques afin de permettre à davantage de personnes de voyager. Les systèmes de visa doivent également être simplifiés afin de faciliter les voyages.

Création d’un indice de connectivité aérienne du G20 pour suivre les progrès : un portail mondial en ligne mesurant l’augmentation de la connectivité aérienne doit être mis en place par les États membres du G20. Il pourrait mesurer l’expansion des liaisons aériennes, les coûts des vols, les émissions de gaz à effet de serre des compagnies aériennes et la fréquence des vols intérieurs en Afrique.

Comment l’Afrique du Sud peut-elle mettre à profit sa présidence du G20 pour y parvenir ?

L’Afrique du Sud joue un rôle de passerelle pour le marché unique africain du transport aérien de l’Union africaine. Celui-ci fournit un cadre pour la libéralisation du ciel intra-africain grâce à la création d’un marché aérien unique et unifié.

Ce marché n’est pas encore pleinement mis en place, à cause du manque de volonté politique de plusieurs États africains membres de l’Union africaine. Il existe également des déficits en matière d’infrastructures : certains pays ont du mal à développer des aéroports et des systèmes de navigation aérienne adéquats. Le maintien de compagnies aériennes nationales économiquement viables a également été un combat pour les pays africains.

L’Afrique du Sud pourrait utiliser sa position au G20 pour mobiliser les pays riches et obtenir leur appui technique, leurs investissements et leur confiance afin de faire aboutir ce marché unique. Les effets seraient considérables : ouverture de nouvelles routes, baisse des tarifs, hausse du nombre de touristes et coopération accrue entre les régions africaines autour de projets communs de tourisme et de commerce.

Des recherches ont montré que le marché unique africain du transport aérien pourrait générer 1,3 milliard de dollars américains de produit intérieur brut supplémentaire et créer plus de 150 000 emplois par an. En d’autres termes, un marché aérien unique pourrait entraîner une augmentation du tourisme et créer de la richesse à travers le continent grâce aux voyages, au tourisme et à l’hôtellerie.

The Conversation

Kaitano Dube does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.

ref. Les liaisons aériennes en Afrique manquent de fluidité : le G20 peut-il changer la donne ? – https://theconversation.com/les-liaisons-aeriennes-en-afrique-manquent-de-fluidite-le-g20-peut-il-changer-la-donne-268454

Syrian forced migrants in Turkey have built businesses despite challenges. Here’s what has helped them succeed

Source: The Conversation – France (in French) – By Eren Akkan, Associate Professor, Kedge Business School; European Academy of Management (EURAM)

By the end of 2024, the number of people worldwide who had been “forcibly displaced as a result of persecution, conflict, violence, human rights violations or events seriously disturbing public order” and had fled their countries stood at approximately 42.7 million, according to the UN Refugee Agency. Whether they are asylum seekers requesting temporary sanctuary or refugees who are unwilling to return to their countries of origin, forced migrants are people who haphazardly migrate to and strive to find safety in a new country.

While much attention focuses on their immediate needs, such as shelter, food, and security, many forced migrants are doing something remarkable: they’re starting businesses. For example, in Turkey, over 14,000 formal businesses owned or co-owned by Syrian forced migrants have been registered since the war in Syria began in 2011. By opening small restaurants, grocery stores and service providers, these entrepreneurs are working to rebuild their lives and contribute to their host communities.

However, building a business is often an uphill battle. Many forced migrant entrepreneurs face language barriers, discrimination and legal uncertainty. Yet, some manage to succeed. What makes the difference? Our recent research on Syrian forced migrant entrepreneurs in Turkey offers new insights. We point to the key factors that shape whether forced migrant businesses thrived or struggled. Understanding how these factors interact may reveal not only how to most effectively support forced migrant entrepreneurship but also how to ensure more inclusive societies.

The role of a host country identity

Forced migrants often turn to entrepreneurship out of necessity. Barred from regular employment or struggling to find work due to unrecognised credentials or to prejudice, many start small businesses to survive. The key question here is what transforms that act of survival into a story of success in a host country? Our study of 170 Syrian forced migrant entrepreneurs showed that their business performance didn’t just depend on acumen or capital but was also tied to how they saw themselves with respect to the host society.

Those who had a host country identity, that is, who reported having a strong sense of belonging and an emotional and mental connection to the people and institutions in Turkey, were more likely to adapt their businesses to local customers, seek opportunities, and build lasting relationships. A host country identity was a predictor of both financial performance (ie whether the business was more profitable and had higher returns relative to its main competitors) and customer performance (ie whether the business attained superior outcomes in managing its customer base compared to its main competitors).

A host country identity doesn’t form in a vacuum. Local language proficiency plays a powerful role. In our study, forced migrants who felt confident speaking the host country’s language were more likely to feel connected to local contexts, including markets and customers. In contrast, perceived discrimination had the opposite effect. We found that when entrepreneurs reported being treated unfairly by customers, landlords, or officials, it chipped away at their sense of belonging. In fact, social exclusion can be subtle, with customers avoiding shops, commercial landlords denying lease agreements, or government officials delaying permits. We found that these experiences hindered the success of forced migrants’ businesses by curbing their sense of connectedness to the host country.

The role of legal protection – and its timing

Legal status plays a critical but often overlooked role in this story. In Turkey, Syrian forced migrants are granted “temporary protection” status, which affects their ability to access capital and open formal businesses. But not everyone receives this protection at the same time. We found that promptly granted formal protection was crucial. Forced migrants who received legal temporary protection shortly after arrival were affected by discriminatory attitudes to a lesser extent, hence feeling more secure and included in the host country. By contrast, those who waited longer for protection tended to be more adversely affected by discriminatory attitudes, which weakened their feeling of connection toward the host country. Even when they eventually got legal status, the damage to their sense of belonging had often already been done. We believe that this delay creates a kind of invisible disadvantage, one that policies aimed at helping forced migrants rarely address.

A social justice issue

This isn’t only about forced migrant business owners, but all of us. When forced migrant entrepreneurs succeed, they don’t just lift themselves out of poverty or precarity. They create jobs, pay taxes, serve customers, and bring new ideas into local economies. They become part of the social and economic fabric of their communities. In contrast, when they’re held back due to language barriers, discrimination or slow-moving legal systems, everyone loses out on their potential.

This is also a social justice issue. Forced migrants didn’t choose to leave their homes. Many lost everything. And yet, instead of giving up, they’re trying to contribute and belong. The least we can do is remove the barriers that make their integration harder than it already is.

Our research suggests a few actions that policymakers and civil society can take. First, ensure timely legal protection for forced migrants. Fast-tracking legal status can give them the foundation they need to start planning their lives and their businesses with confidence. Second, invest in language programmes. Forced migrants with strong language skills are better positioned to engage economically and socially. Third, combat discrimination through public education. Negative stereotypes about forced migrants don’t just hurt feelings, they hurt economies. Promoting positive narratives and intergroup contact can reduce prejudice and build more inclusive communities.

The Fast Track initiative in Sweden, which partially reflected these recommendations by focusing on language learning, credential recognition, and “workplace integration”, illustrated how targeted support can accelerate inclusion. According to a report prepared for the Nordic Council of Ministers, a Fast Track effort that focused on newly arrived entrepreneurs “led to… increased motivation and inspiration” and “83 new businesses [being] initiated by participants”. These findings underscore the potential effects of coordinated, early interventions.

Forced migration is one of the defining issues of our time. As wars, climate change, and instability continue to uproot people, countries around the world will need to do more than offer short-term aid. They’ll need to offer pathways to belonging, and that starts with recognising that forced migrant entrepreneurs aren’t a problem to be solved. They’re part of how countries can integrate newcomers while boosting economic growth and community development.


A weekly e-mail in English featuring expertise from scholars and researchers. It provides an introduction to the diversity of research coming out of the continent and considers some of the key issues facing European countries. Get the newsletter!


The European Academy of Management (EURAM) is a learned society founded in 2001. With over 2,000 members from 60 countries in Europe and beyond, EURAM aims at advancing the academic discipline of management in Europe.

The Conversation

This work was supported by the Department of Research and Universities of the Generalitat de Catalunya and the Ramon Llull University (2023-URLProj-079).

Burcin Hatipoglu et Eren Akkan ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

ref. Syrian forced migrants in Turkey have built businesses despite challenges. Here’s what has helped them succeed – https://theconversation.com/syrian-forced-migrants-in-turkey-have-built-businesses-despite-challenges-heres-what-has-helped-them-succeed-267901