Particuliers vs professionnels de la finance : l’illusion des mêmes gains en Bourse

Source: The Conversation – France (in French) – By Jérémie Bertrand, Professeur de finance, IESEG School of Management et LEM-CNRS 9221, IÉSEG School of Management, IÉSEG School of Management

Gare au miroir aux alouettes sur les marchés financiers. Obtenir les mêmes rendements que les professionnels des marchés n’est pas chose aisée. En cause, une différence de nature entre un particulier forcément isolé, et un professionnel de l’investissement mieux armé. Sur les marchés, gare aux biais cognitifs.


Après une performance exceptionnelle des marchés américains en 2024 (+23 % pour le S&P 500 et +29 % pour le Nasdaq), le premier trimestre 2025 a été marqué par une volatilité inédite, amplifiée par les décisions commerciales successives et erratiques de Donald Trump. Le 2 avril 2025, baptisé « Liberation Day » par le président américain, l’administration Trump a imposé des droits de douane « réciproques », de 10 à 50 % en moyenne, sur les produits de la quasi-totalité des partenaires commerciaux des États-Unis, avant de revenir partiellement sur certains de ces droits décidés unilatéralement.

Bien qu’un tribunal américain ait temporairement bloqué ces mesures fin mai avant qu’une cour d’appel ne les rétablisse, l’incertitude générée a créé une volatilité exceptionnelle sur les marchés financiers : le VIX, indice de volatilité du S&P 500, a doublé depuis le début des annonces.

Cette situation masque une réalité complexe : si les banques d’investissement françaises tirent parti de cette volatilité pour générer des profits substantiels (on peut citer Société Générale avec une hausse de 10 % ou Crédit Agricole avec une hausse de 7,3 %), les investisseurs particuliers, attirés par ces rendements médiatisés, s’exposent à des risques comportementaux.




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Des performances de professionnels

Ceci étant rappelé, les particuliers doivent prendre garde : les performances obtenues par les professionnels de la finance sont difficilement réplicables à l’échelle individuelle. Contrairement aux particuliers, les banques d’investissement françaises disposent d’outils de gestion des risques sophistiqués qui leur permettent de tirer parti de la volatilité tout en limitant leur exposition. Elles utilisent des stratégies de couverture par les dérivés, une diversification poussée et des modèles de gestion des risques en temps réel. Ces institutions ont également l’avantage de pouvoir maintenir des positions sur le long terme, contrairement aux investisseurs particuliers souvent pressés par leurs contraintes de liquidité.

Cette asymétrie d’information et de moyens explique pourquoi les performances des banques d’investissement ne peuvent pas être directement extrapolées aux rendements que peuvent espérer les investisseurs particuliers. Les premiers disposent d’une infrastructure de gestion du risque que les seconds ne possèdent pas.

Un miroir aux alouettes pour les investisseurs particuliers

Au-delà de ces différences de moyens et de compétences, d’autres raisons militent pour davantage de prudence de la part des particuliers. Les performances exceptionnelles, affichées par certains marchés, créent un phénomène d’attraction particulièrement puissant auprès des investisseurs particuliers. Cette situation n’est pas nouvelle : la littérature académique en finance a largement documenté les biais qui poussent les investisseurs particuliers à prendre des décisions sous-optimales, particulièrement en période de forte volatilité.

Le cas des secteurs technologiques américains illustre ce phénomène. Lorsque Trump a menacé Apple de droits de douane d’au moins 25 % si la production d’iPhone n’était pas rapatriée aux États-Unis, l’action a d’abord chuté puis rebondi spectaculairement après la visite de Tim Cook à la Maison-Blanche. Ces mouvements erratiques, qui représentent des opportunités pour les traders professionnels, constituent autant de pièges pour les investisseurs particuliers.


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Émotions trompeuses

Tout d’abord, le « biais de confirmation » constitue l’un des pièges les plus pernicieux. Ce biais comportemental a été très bien documenté dans les travaux de Daniel Kahneman, prix Nobel d’Économie en 2002. Les investisseurs ont tendance à ne retenir que les informations qui confirment leurs croyances préexistantes, ignorant les signaux d’alarme et surestimant leurs capacités de prédiction.

Un autre biais important est l’« effet de disposition », qui consiste à vouloir vendre trop tôt les titres dont la valeur a augmenté, afin d’enregistrer le gain, et à garder les mauvais titres, espérant faire des profits dans le futur. Ce biais a été mis en avant pour la première fois dans une étude académique menée par Terrance Odean en 1998 sur la base de 10 000 comptes individuels analysés de 1987 à 1997, représentant environ 100 000 transactions.

Ce comportement est l’inverse de ce que suggère une gestion rationnelle des risques. De plus, cette tendance s’amplifie en période de volatilité, quand les émotions prennent le dessus sur l’analyse rationnelle. Les investisseurs particuliers, éblouis par les performances à court terme, négligent souvent la dimension temporelle des investissements et les risques de retournement.

Enfin, la numérisation des services financiers et la communication marketing des banques privées créent une illusion de démocratisation de l’investissement. Les plates-formes en ligne permettent aux particuliers d’accéder facilement aux marchés, mais cette facilité technique ne s’accompagne pas automatiquement d’une meilleure compréhension des risques. L’effet de « surconfiance » décrit par Barber et Odean montre que les investisseurs particuliers surestiment systématiquement leurs capacités, particulièrement après une série de gains. Cette « surconfiance » les pousse à prendre des risques disproportionnés, réduisant leurs performances nettes.

BFM Business Juin 2025.

Des biais exacerbés avec la volatilité

L’impact de ces différents biais comportementaux sur les performances des investisseurs particuliers a été estimé à 1,1 % de manque à gagner annuel selon Morningstar, une entreprise spécialisée dans les investissements. De plus, en période de forte volatilité, comme celle que nous connaissons actuellement, ces biais s’exacerbent. Les investisseurs particuliers, influencés par l’euphorie des médias financiers et les performances exceptionnelles communiquées par les institutions, sont tentés d’augmenter leur exposition aux risques sans mesurer les implications à long terme.

Face à cette situation, plusieurs principes issus de la recherche académique peuvent guider les investisseurs particuliers :

  • la diversification reste la seule « recette miracle » gratuite en finance (« The Only Free Lunch » de Harry Markowitz). Elle permet de réduire le risque spécifique sans sacrifier le rendement espéré à long terme ;

  • l’adoption d’une stratégie d’investissement programmé (dite DCA – Dollar Cost Averaging) permet de lisser les effets de la volatilité ;

  • la définition d’objectifs à long terme et d’une stratégie de sortie préalable permet de limiter l’impact des émotions sur les décisions d’investissement.

Malgré ces réserves, les investisseurs privés qui veulent profiter de cette situation doivent ne pas se laisser abuser par les résultats des banques spécialisées, car ils n’ont ni les mêmes moyens ni les mêmes outils. Sur les marchés financiers, être conscient du risque est essentiel. La prudence doit donc guider les investisseurs privés sur ces marchés comme sur d’autres, car si la volatilité est associée à des anticipations de gains, les prises de position peuvent se terminer par des pertes très importantes.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Particuliers vs professionnels de la finance : l’illusion des mêmes gains en Bourse – https://theconversation.com/particuliers-vs-professionnels-de-la-finance-lillusion-des-memes-gains-en-bourse-258097

Petit guide du management toxique : comment faire fuir vos salariés en six leçons

Source: The Conversation – France (in French) – By George Kassar, Full-time Faculty, Research Associate, Performance Analyst, Ascencia Business School

Si la gestion de la performance n’est pas mise en œuvre de manière adéquate, elle peut devenir un formidable outil pour démotiver, épuiser et pousser au départ vos collaborateurs. PeopleImages.comYuri A/Shutterstock

La recherche en gestion de performance offre une gamme complète de pratiques managériales toxiques à appliquer sans modération pour faire fuir les talents les plus précieux. Si ces conseils sont à prendre au second degré, ces pratiques restent bien réelles dans la gestion quotidienne de certains managers.


Qui a dit que la principale ressource d’une entreprise, et son véritable avantage concurrentiel, résidait dans ses employés, leur talent ou leur motivation ?

Après tout, peut-être souhaitez-vous précisément vider vos bureaux, décourager durablement vos collaborateurs et saboter méthodiquement votre capital humain.

Dans ce cas, la recherche en gestion de performance vous offre généreusement tout ce dont vous avez besoin : une gamme complète de pratiques managériales toxiques à appliquer sans modération pour faire fuir les talents les plus précieux.

En fait, la gestion de la performance, issue des pratiques de rationalisation au début du XXe siècle, est devenue aujourd’hui un élément clé du management moderne. En théorie, elle permet d’orienter l’action des équipes, de clarifier les attentes et de contribuer au développement individuel. En pratique, si elle n’est pas mise en œuvre de manière adéquate, elle peut également devenir un formidable outil pour démotiver, épuiser et pousser au départ vos collaborateurs les plus précieux.

Voici comment :

Management par objectifs flous

Commencez par fixer des objectifs vagues, irréalistes ou contradictoires. Surtout, évitez de leur donner du sens ou de les relier à une stratégie claire, et évidemment ne pas leur assurer les ressources appropriées. Bref, adoptez les « vrais » objectifs SMART : Stressants, Mesurés arbitrairement, Ambigus, Répétés sans contexte, Totalement déconnectés du terrain !

Selon les recherches en psychologie organisationnelle, cette approche garantit anxiété, confusion et désengagement parmi vos équipes, augmentant significativement leur intention de quitter l’entreprise.


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Le silence est d’or

Éviter toute forme de dialogue et de communication. Ne donnez jamais de feedback. Et si vraiment vous ne pouvez pas l’éviter, faites-le rarement, de manière irrégulière, strictement détachée du travail, et portez-le plutôt sur une critique de la personne. L’absence d’un retour d’information régulier, axé sur les tâches et exploitable, laisse les employés dans l’incertitude et les surprend au moment de l’évaluation et mine progressivement leur engagement.

Plus subtilement encore, c’est la manière dont vos employés interprètent vos intentions, et le feedback que vous leur donnez, qui compte le plus. Attention, lorsqu’il est perçu comme ayant une intention constructive, il risque de renforcer la motivation à apprendre et l’engagement. Mais lorsque ce même feedback est perçu comme incité par des intérêts personnels du manager (attribution égoïste), il produit l’effet inverse : démotivation, repli et départ.

« Procès » d’évaluations de performance

Organisez des entretiens annuels où vous ne relevez que les erreurs et oubliez totalement les réussites ou les efforts invisibles. Soyez rigide, critique, et concentrez-vous uniquement sur les faiblesses. Prenez soin de vous attribuer tout le mérite lorsque l’équipe réussit – après tout, sans vous, rien n’aurait été possible. En revanche, lorsque les résultats ne sont pas à la hauteur, n’hésitez pas à pointer les erreurs, à individualiser la faute et à rappeler que « vous aviez pourtant prévenu ».

Ce type d’évaluation de performance, mieux vaut le qualifier de procès punitif, garantit une démotivation profonde et accélère la rotation des équipes.




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Compétition interne poussée à l’extrême

Favorisez une culture de rivalité entre collègues : diffusez régulièrement des classements internes, récompensez uniquement les meilleurs, éliminer systématiquement les moins bien classés, dévaloriser l’importance de la coopération, et laisser la concurrence interne faire le reste. Après tout, ce sont les caractéristiques essentielles de la « célèbre » méthode que Jack Welch a popularisée chez General Electric.

Si vous remarquez un possible élan de motivation à court terme, ne vous inquiétez pas, les effets de la « Vitality Curve » de Jack Welch seront, à terme, beaucoup plus néfastes que bénéfiques. La féroce concurrence interne vous sera un excellent outil de détruire la confiance entre coéquipiers, de créer une atmosphère toxique durable et d’augmenter le nombre de départs volontaires.

Ignorez le bien-être : surtout, restez sourd

Nous avons déjà établi qu’il fallait éviter le feedback et tout dialogue. Mais si, par malheur, un échange survient, surtout n’écoutez pas les plaintes ni les signaux d’alerte liés au stress ou à l’épuisement. Ne proposez aucun soutien, aucun accompagnement, et bien sûr, ignorez totalement le droit à la déconnexion.

En négligeant la santé mentale et en refusant d’aider vos employés à trouver du sens à leur travail – notamment lorsqu’ils effectuent des tâches perçues comme ingrates ou difficiles – vous augmentez directement l’éventualité de burn-out et d’absentéisme chronique

De plus, privilégiez systématiquement des primes de rémunération très variables et mal conçues : cela renforcera l’instabilité salariale des employés et tuera ce qui reste d’engagement.

L’art d’user sans bruit

Envie d’aller plus loin dans l’art de faire fuir vos équipes ? Inspirez-vous de ce que la recherche classe parmi les trois grandes formes de violence managériale. Il s’agit de pratiques souvent banalisées, telles que micro-gestion, pression continue, absence de reconnaissance ou isolement, qui génèrent une souffrance durable. Ces comportements, parfois invisibles mais répétés, finissent par user les salariés en profondeur, jusqu’à les pousser à décrocher, mentalement puis physiquement jusqu’à rupture.


Évidemment, ces conseils sont à prendre au second degré !

Pourtant, les pratiques toxiques décrites ici restent malheureusement bien réelles dans la gestion quotidienne de certains managers. Si l’objectif est véritablement de retenir les talents et d’assurer le succès durable d’une entreprise, il devient indispensable d’orienter la gestion de la performance autour du sens, de l’équité et du développement authentique du potentiel humain.

The Conversation

George Kassar ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Petit guide du management toxique : comment faire fuir vos salariés en six leçons – https://theconversation.com/petit-guide-du-management-toxique-comment-faire-fuir-vos-salaries-en-six-lecons-260438

Tax season in South Africa: the system is designed to tackle inequality – how it falls short

Source: The Conversation – Africa – By Nadine Riedel, Director of the Institute for Public and Regional Economics, University of Münster

South Africa’s personal income tax system is in the spotlight as the country’s tax filing season gets under way. Personal income tax is an important way of redistributing income from higher-earning to less-well-off individuals.

But how effectively does it do this and what can get in the way?

At the heart of any redistributive tax system is its structure: which incomes are taxed or exempted, which expenses are tax deductible, how the tax rate schedule is designed, and which tax credits are granted, including how much they reduce the tax owed. The schedule translates taxable income into the taxpayers’ tax liability by defining tax rates by tax brackets. The top tax rate is 45%.

In a recent study we explore how features such as tax rates, deductions, credits, and bracket adjustments shape the redistributive capacity of South Africa’s personal income tax system. For this research, we analyse all the income tax returns of South African taxpayers provided by South Africa’s Revenue Service for the tax years 2015 and 2018. (All records were made anonymous.)

The country´s personal income tax operates under a progressive tax scheme: People pay higher rates of tax as their income rises. Those with lower incomes may owe no income tax at all, while top earners can face marginal rates as high as 45%.

Based on our analysis, this progressive rate schedule is the most effective mechanism for redistributing income from higher- to lower-income earners. By contrast, “tax expenditures” – that is, expenses, which taxpayers can deduct from what they owe in tax – lower the redistributive impact of the personal income tax system.

Put differently: Allowing taxpayers to claim tax deductions and tax credits reduces the extent to which personal income taxation effectively lowers gaps between the after-tax income of high- and low-income earners.

A number of recent tax policy reforms further dampened the redistributive capacity of the system. The spotlight is on potential policy reforms that may counter this.

Weaknesses

Our research shows that the benefits from tax expenditures in the country’s personal income tax system lower its ability to narrow income gaps. South African taxpayers can deduct various expenses from the personal income tax base and their tax liability respectively, including expenses for donations, home offices, certain insurance contributions and public offices.

Many of these benefits are claimed by a relatively small number of taxpayers (often below 1% of the taxpayer population or under 100,000 taxpayers) and are concentrated among top earners. And average deduction amounts can be high.

Even more widely used deductions and credits, such as those for pensions and medical schemes, are disproportionately claimed by higher-income individuals.

We also found that recent reforms have weakened the redistributive capacity of the personal income tax system.

Over the years, adjustments have been made, some intended to improve equity, others driven by the need to bolster revenues. A closer look at three key reforms offers some insight into the impact they have had on the distributive goal of the country’s tax system.

In 2016, pension-related deductions were redesigned to be more generous and to harmonise the treatment of different pension funds. The goal of the reform was to create a fairer and more coherent pension deduction system. While the number of taxpayers claiming pension deductions increased after the reform, our research found that that the policy change still disproportionately benefited higher-income earners. This is because they are more likely to make pension contributions – and do so in larger amounts.

As a result, the policy reduced the overall redistributive impact of the personal income tax system. In other words, it lowered the extent to which personal income taxation reduces income gaps between higher and lower income taxpayers.

The following year, the government introduced a new top tax bracket which raised the marginal tax rate on incomes above R1.5 million (today roughly R1.8 million or US$100,700) from 41% to 45%. That is, if you earn more than R1.5 million, you pay 45% of this income in tax.

The stated aim of the reform was to strengthen the progressivity of the personal income tax system. But our analysis suggests that the real-world impact was limited. This is because the pre-tax incomes of high earners grew more slowly than those of lower-income individuals after the reform. This may reflect that high income earners responded to the reform by lowering their taxable income. They could do so by tax avoidance – high income earners may, for example, shift income to the (potentially lower-taxed) future by compensation through stock options or higher retirement contributions. Or it could be through real adjustments, like earlier retirement entry or less job effort (and, in consequence, lower earnings).

Between 2015 and 2018, inflation pushed wages and prices upward, but tax thresholds did not keep pace. This led to many taxpayers being shifted into higher tax brackets despite no real change in their purchasing power (referred to as bracket creep). This raised effective tax rates, but also had a regressive side-effect: lower- and middle-income earners were disproportionately affected, weakening the personal income tax system’s ability to reduce income inequality.

For example, because of bracket creep, a significant fraction of low-income taxpayers – around 3% – became liable for tax. Without bracket creep they would have stayed below the tax exemption threshold.

Reforms to the tax system

South Africa’s progressive personal income tax structure has played an important redistributive role. Nevertheless, its effectiveness has been weakened by tax expenditures, bracket creep, and uneven reform outcomes.

Targeted policy adjustments can strengthen its redistributive capacity.

Deductions and tax credits: Most of these are regressive, with benefits concentrated among higher-income earners. Phasing out some could strengthen redistribution. But not without trade-offs. After all, deductions and credits also recognise unavoidable expenses, such as work-related or medical costs, and encourage behaviour like charitable giving or retirement saving.

Yet their appropriateness remains widely debated and their use differs across countries.

Beyond fairness, tax expenditures come with other downsides, too. For example, they can complicate tax enforcement and open the door to misreporting, particularly where qualifying expenses are hard to verify.

Policymakers might also consider shifting from deductions to tax credits.
While deductions reduce the taxable income of an individual, tax credits directly reduce the tax owed. Individuals in higher tax brackets gain a relatively higher advantage from deductions, as their tax rate is higher. Contrarily, one rand of tax credit provides the same relief to all taxpayers with a positive tax liability.

Making credits refundable, though potentially costly, could further boost their redistributive effect.

Standardised deductions could help as well, by allowing fixed rand amounts for certain expenses without requiring proof of payment, and offering relief to lower-income taxpayers who often forgo claims due to lack of resources or knowledge.

Finally, addressing bracket creep by automatically indexing tax brackets to inflation could preserve the progressivity of the personal income tax system over time, shielding lower- and middle-income taxpayers from a quiet rise in tax burdens.

The Conversation

Prof. Dr. Nadine Riedel receives funding from UNU WIDER.

This research is part of the so-called SATIED program. In the context of the program, I act as an academic work stream lead and receive compensation through UNU WIDER (which is the University of the UN) for this role.

Ida Zinke does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.

ref. Tax season in South Africa: the system is designed to tackle inequality – how it falls short – https://theconversation.com/tax-season-in-south-africa-the-system-is-designed-to-tackle-inequality-how-it-falls-short-260351

There are many things American voters agree on, from fears about technology to threats to democracy

Source: The Conversation – UK – By Emma Connolly, Research Fellow, Digital Speech Lab, UCL

During his recent public spat with Donald Trump, Elon Musk tweeted a poll asking if a new political party would better represent the 80% of voters in the middle. Hundreds of thousands of people responded and more than 80% answered “yes”.

The middle is still overlooked in US politics. This is because there is a perception that Republicans and Democrats have nothing in common, and therefore no issue will win support from both centrist Republicans and Democrats.

Polarisation is problematic as it is linked to “democratic backsliding” – the use of underhand tactics in political processes. Worst of all, it poses a threat to democracy.

Many think that polarisation is fuelled by echo chambers created on social media platforms. These only expose people to beliefs similar to their own.

However, I study how narratives emerge on social media, and ways to investigate them. My work has two aims: first, to identify political issues that are likely to cross party lines, and a wider goal of exploring the role of social media in mitigating, rather than exacerbating, levels of polarisation.


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Earlier this year, for example, I sorted through 12,000 posts from Republican and Democrat voters on subreddits (online forums discussing specific topics). Using a technique I developed in my PhD research, I analysed attitudes to contested political issues around the time of Trump’s inauguration. Like other researchers, I am finding that there are things both sides often agree on, and that not every issue splits neatly across party lines.

Pew Research shows what Democrats and Republicans agree on.

Although it’s a complex topic, people from both parties are worried about levels of free speech on social media. According to my work and other sources, some Democrats accuse TikTok of censoring hashtags such as #FreeLuigi (a reference to Luigi Mangione, accused of murdering UnitedHealthcare CEO, Brian Thompson).

Meanwhile, some Republicans are saying they are flooded with what they see as left-wing content pushed by the algorithms. Despite their differences, Republicans and Democrats agree that social media platforms need to be more transparent about the way they work.

Both sides worry about the rise of authoritarianism and the growing negative influence of artificial intelligence in shaping the US’s future. There is a sense among some members of the two parties that the real enemies aren’t each other, but powerful corporations who hold too much power.

People on both sides of the political divide can be distrustful of tech companies and big businesses, where billionaires have power regardless of who’s in charge. Divisions of “up v down” could be alternatives to seeing divisions as “left v right”.

Some people are worried about the creation of a massive database of citizens’ details, and how their details could be used, or abused. Recently Republican Marjorie Taylor Greene said she would have opposed Trump’s “big, beautiful, bill”, had she read the AI clause thoroughly. The clause stops states from passing laws to regulate AI systems for the next ten years.

What do people agree on?

On the topic of protecting democracy, there are some suggestions that many Republicans and Democrats agree this is important, and under threat. In my study, some Republican and Democrat voters object to the possibility of Trump having a third term, aligning with the findings of several recent polls on the subject, and even among Trump’s most loyal support groups.

Both Republicans and Democrats want “the best” leaders who could get things done fast and efficiently. But it would appear that people on both sides are concerned about the “slash-and-burn” way that Doge (the Department for Government Efficiency, the new agency tasked with cutting federal spending) is working.

Also, deciding who is the best leader isn’t always about agreeing with specific policies. Instead, it’s about delivering decisive, efficient action. Even Republicans who don’t back everything Trump is doing say that at least he is doing something, especially in relation to immigration.

Many Republicans criticise the left, and former Democratic presidential candidate Kamala Harris in particular, but for unclear messaging, as much as any one policy. They (and others) put her loss down to a lack of direction and clarity on key issues (among other things). This probably resulted in failing to win votes from independents and moderate Republicans and many Democrats are frustrated that the party still hasn’t addressed this.

Research suggests that Democrat and Republican voters often agree that polarisation causes gridlock and prevents progress, but believe voices from the middle are not being heard. Some Republicans and Democrats also share a concern that both parties are more focused on fighting each other than on solving problems, with 86% of Americans believing this.

Some Republican voters in the posts I am analysing suggest that working together to get things done would be positive, supporting findings from the US and abroad. Other important factors rather than political party, such as religion or family or everyday life experiences can bring people from both sides together.

So, Americans might not be as divided as one might think. Levels of polarisation feel high but this could be skewed by the extreme views of a minority on both sides. And it isn’t helped by some sensationalist media reporting.

Lots of people get their news from social media platforms which reward and monetise engagement. Posts that fuel division are often the most visible, but they rarely tell the whole story. Divisive views are also often shared by those who are themselves the most polarised.

Like Musk’s online poll, research is starting to suggest that there is still a sizeable moderate middle in the US today who are open to compromise through clear messaging. These voters can make all the difference, especially if parties can frame issues in ways that appeal across the divide. With the 2026 midterm elections on the horizon, both sides might want to listen to them more.

The Conversation

Emma Connolly does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.

ref. There are many things American voters agree on, from fears about technology to threats to democracy – https://theconversation.com/there-are-many-things-american-voters-agree-on-from-fears-about-technology-to-threats-to-democracy-258440

Northern B.C. shows how big resource projects can strain rural health care

Source: The Conversation – Canada – By Gary N. Wilson, Professor of Political Science, University of Northern British Columbia

American tariffs and fears of a prolonged recession have increased calls to expand resource development and infrastructure projects in Canada. The pace and scope of expansion projects like these have major implications for Canada on many levels, including: commitments to environmental sustainability, relations with Indigenous Peoples and the quality of local health services.

In a study that I conducted with environmental health researcher Barbara Oke in northern British Columbia, we found that major resource projects can strain local health-care services in rural and remote regions. In particular, the influx of workers connected with development projects puts significant pressures on health-care providers. This is especially concerning as local health-care services are already experiencing funding, infrastructure and staff shortages.

Therefore, it’s critical that government and industry actively consider these pressures when planning new projects.

Health-care services under pressure

In recent years, northern British Columbia has been home to some of the biggest capital investment projects in Canada, including a major hydroelectric dam, liquefied natural gas (LNG) facilities, pipelines and mines.

Our interviews with leaders from Northern Health, the region’s main health-care provider, have highlighted the link between major development projects and the pressures experienced by their health-care system.

Pressures on the local health-care system mainly stem from the influx of a non-local workforce when compared to the size of the nearest community, and local contexts. The smaller the community, the more vulnerable its health-care system is to additional pressures, especially if capacity challenges already exist.

How well a project manages its health service impacts clearly matters. When project workers resided in well-managed camps supported by competent onsite medical service providers, the pressures on the local system were less than when workforces did not have adequate accommodation and health supports.

An older workforce

Contrary to some popular assumptions that itinerant project workforces consist mainly of young, risk-taking individuals, most workers seeking health-care services were older and managing multiple chronic illnesses or disease risk factors.

Therefore, most of the pressure on health-care services did not come from what one would consider typical “workplace injuries” but, rather, from workers experiencing injuries and illnesses common within any population.

One health-care interviewee said: “It’s not that [project workers] are asking for special services, but just having more people needing health care adds to [the] pressure.”

Emergency departments

Impacts to the health-care system were felt primarily in the emergency departments of local hospitals and health-care centres.

Many communities in northern B.C. do not have walk-in clinics and most doctor’s offices are already at patient capacity.

So if a project does not provide its own on-site medical supports, the only option for workers is to seek care at a local emergency department, which are supposed to respond to urgent issues.

When staff have to deal with non-urgent needs, such as prescription renewals, sick notes or to manage regular ailments, it compounds the challenges and congestion faced by emergency departments.

Cumulative impacts on health services

Beyond emergency departments, industry pressures have cascaded throughout the system, affecting services such as primary care, infectious disease, diagnostic and lab services, and administrative and ambulance transfer services.

Rising workloads, combined with higher private-sector wages and an industry-driven increase in the cost of living, have made it harder to retain and recruit staff — especially in housekeeping, food services, laundry, administration, ambulance services and care aide roles.

Several people interviewed noted the consistent and cumulative pressures of projects on the health-care system.

While the pressures from a single project may seem inconsequential, the impacts from multiple projects in the same area pose a significant challenge to health-care services.

Balancing resource development and health care

The strategic and economic value of resource development is difficult to ignore.

Major infrastructure projects contribute to both local and provincial economies. When managed well, the economic benefits of such projects can positively contribute to community health.

But when not managed properly, the pressures that major infrastructure projects place on local health-care services can be significant. Therefore, we strongly urge governments and businesses to consider their impacts on overburdened and hard-working health-care providers in rural and remote communities.

Barbara Oke contributed to this article. She recently completed her Master’s of Arts in Political Science at UNBC.

The Conversation

The authors do not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and have disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.

ref. Northern B.C. shows how big resource projects can strain rural health care – https://theconversation.com/northern-b-c-shows-how-big-resource-projects-can-strain-rural-health-care-256059

Calls to designate the Bishnoi gang a terrorist group shine a spotlight on Canadian security laws

Source: The Conversation – Canada – By Basema Al-Alami, SJD Candidate, Faculty of Law, University of Toronto

British Columbia Premier David Eby recently called on Prime Minister Mark Carney to designate the India-based Bishnoi gang a terrorist organization.

Brampton Mayor Patrick Brown echoed the request days later. The RCMP has also alleged the gang may be targeting pro-Khalistan activists in Canada.

These claims follow a series of high-profile incidents in India linked to the Bishnoi network, including the murder of a Punjabi rapper in New Delhi, threats against a Bollywood actor and the killing of a Mumbai politician in late 2024.

How terrorism designations work

Eby’s request raises broader legal questions. What does it mean to label a group a terrorist organization in Canada and what happens once that label is applied?

Under Section 83.05 of the Criminal Code, the federal government can designate an entity a terrorist organization if there are “reasonable grounds to believe” it has engaged in, supported or facilitated terrorist activity. The term “entity” is defined broadly, covering individuals, groups, partnerships and unincorporated associations.

The process begins with intelligence and law enforcement reports submitted to the public safety minister, who may then recommend listing the group to cabinet if it’s believed the legal threshold is met. If cabinet agrees, the group is officially designated a terrorist organization.

A designation carries serious consequences: assets can be frozen and financial dealings become criminalized. Banks and other institutions are protected from liability if they refuse to engage with the group. Essentially, the designation cuts the group off from economic and civic life, often without prior notice or public hearing.

As of July 2025, Canada has listed 86 entities, from the Islamic Revolutionary Guard Corps to far-right and nationalist organizations. In February, the government added seven violent criminal groups from Latin America, including the Sinaloa cartel and La Mara Salvatrucha, known as the MS-13.

This marked a turning point: for the first time, Canada extended terrorism designations beyond ideological or political movements to include transnational criminal networks.

Why the shift matters

This shift reflects a deeper redefinition of what Canada considers a national security threat. For much of the post-9/11 era, counterterrorism efforts in Canada have concentrated on groups tied to ideological, religious or political agendas — most often framed through the lens of Islamic terrorism.

This has determined not only who is targeted, but also what forms of violence are taken seriously as national security concerns.

That is why the recent expansion of terrorism designations — first with the listing of Mexican cartels in early 2025, and now potentially with the Bishnoi gang — feels so significant.

It signals a shift away from targeting ideology alone and toward labelling profit-driven organized crime as terrorism. While transnational gangs may pose serious public safety risks, designating them terrorist organizations could erode the legal and political boundaries that once separated counterterrorism initiatives from criminal law.

Canada’s terrorism listing process only adds to these concerns. The decision is made by cabinet, based on secret intelligence, with no obligation to inform the group or offer a chance to respond. Most of the evidence remains hidden, even from the courts.

While judicial review is technically possible, it is limited, opaque and rarely successful.

In effect, the label becomes final. It brings serious legal consequences like asset freezes, criminal charges and immigration bans. But the informal fallout can be just as harsh: banks shut down accounts, landlords back out of leases, employers cut ties. Even without a trial or conviction, the stigma of being associated with a listed group can dramatically change someone’s life.

What’s at stake

Using terrorism laws to go after violent criminal networks like the Bishnoi gang may seem justified. But it quietly expands powers that were originally designed for specific types of threats. It also stretches a national security framework already tainted by racial and political bias.




Read more:
Canadian law enforcement agencies continue to target Muslims


For more than two decades, Canada’s counterterrorism laws have disproportionately targeted Muslim and racialized communities under a logic of pre-emptive suspicion. Applying those same powers to organized crime, especially when it impacts immigrant and diaspora communities, risks reproducing that harm under a different label.

Canadians should be asking: what happens when tools built for exceptional threats become the default response to complex criminal violence?

As the federal government considers whether to label the Bishnoi gang a terrorist organization, the real question goes beyond whether the group meets the legal test. It’s about what kind of legal logic Canada is endorsing.

Terrorism designations carry sweeping powers, with little oversight and lasting consequences. Extending those powers to organized crime might appear pragmatic, but it risks normalizing a process that has long operated in the shadows, shaped by secrecy and executive discretion.

As national security law expands, Canadians should ask not just who gets listed, but how those decisions are made and what broader political agendas they might serve.

The Conversation

Basema Al-Alami does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.

ref. Calls to designate the Bishnoi gang a terrorist group shine a spotlight on Canadian security laws – https://theconversation.com/calls-to-designate-the-bishnoi-gang-a-terrorist-group-shine-a-spotlight-on-canadian-security-laws-259844

Des pistes pour une IA digne de confiance : mélanger expertises humaines et apprentissage automatique

Source: The Conversation – in French – By Elodie Chanthery, maîtresse de conférences en diagnostic de fautes – IA hybride, INSA Toulouse

Peut-on faire confiance à un algorithme d’IA dont les décisions ne sont pas interprétables ? Quand il s’agit de diagnostiquer une maladie ou de prédire une panne sur un train ou une voiture, la réponse est évidemment non.

L’intelligence artificielle hybride se positionne comme une réponse naturelle et efficace aux exigences croissantes d’interprétabilité, de robustesse et de performance.

En conciliant données et connaissances, apprentissage et raisonnement, ces approches ouvrent la voie à une nouvelle génération de systèmes intelligents, capables de comprendre — et de faire comprendre — le comportement de systèmes physiques complexes. Une direction incontournable pour une IA de confiance.


Les algorithmes d’IA s’immiscent de plus en plus dans les systèmes critiques — transport, énergie, santé, industrie, etc. Dans ces domaines, une erreur peut avoir des conséquences graves — et un problème majeur de la plupart des systèmes d’IA actuels est qu’ils ne sont pas capables d’expliquer leurs conclusions et qu’il est donc difficile pour leurs superviseurs humains de rectifier le système s’il commet une erreur.

Considérons par exemple la maintenance des roulements d’un train. Si un modèle d’IA indique la nécessité d’une réparation sans donner d’explication, le technicien en charge ne sait pas si l’alerte est justifiée, ni quoi réparer ou remplacer exactement. Celui-ci peut alors être amené à ignorer l’alerte pour éviter des arrêts ou des réparations inutiles, ce qui peut avoir des conséquences critiques. Pour ces raisons, la nouvelle loi européenne sur l’IA — le AI Act — introduit des exigences de transparence et de supervision humaine.




À lire aussi :
L’AI Act, ou comment encadrer les systèmes d’IA en Europe



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Pour concevoir des solutions à la fois performantes, robustes et interprétables (compréhensibles) par des humains, les approches d’IA dites « hybrides » proposent une voie prometteuse.

Il s’agit de combiner les méthodes d’apprentissage à partir des données (l’IA) avec des modèles basés sur les connaissances des experts du domaine concerné (par exemple des procédures de tests habituellement utilisées par les techniciens de maintenance des trains).

Première option : apprendre à partir des données pour enrichir les modèles experts

Une première approche hybride consiste à utiliser l’apprentissage automatique, non pas comme une fin en soi, mais comme un outil pour construire ou ajuster des modèles basés sur des connaissances physiques ou structurelles du système.

Par exemple, dans le suivi de patients épileptiques, des modèles physiques existent pour décrire les activités cérébrales normale et pathologique. Cependant, l’analyse de signaux d’électroencéphalogrammes par apprentissage automatique permet d’identifier des motifs annonciateurs de crises d’épilepsie que les modèles des experts ne prévoient pas. Ici, l’IA vient compléter la connaissance médicale avec des analyses pouvant prendre en compte l’évolution de la maladie spécifique à chaque patient.

On dit que l’apprentissage du système d’IA est « guidé » par des analyses de diagnosticabilité, c’est-à-dire la capacité à identifier précisément un état anormal grâce aux observations.

Un autre exemple concret : le modèle d’un moteur électrique enrichi avec l’IA hybride peut combiner un premier modèle représentant le comportement nominal du moteur sous forme d’équations de la physique, complété avec des comportements appris grâce aux données mesurées. On peut ainsi découvrir des comportements anormaux comme des petits glissements intermittents du rotor dus à une usure progressive des roulements.

On voit que cette combinaison permet à la fois de profiter de la rigueur du modèle physique et de la flexibilité de l’apprentissage automatique.

Deuxième option : Injecter directement des « règles » dans les modèles d’IA

Une autre voie d’hybridation consiste à intégrer directement des connaissances expertes dans les algorithmes d’apprentissage. Ainsi, on rend l’approche d’IA « interprétable » (dans le sens où le résultat peut être compris et expliqué par un humain). Par exemple, on peut guider un arbre de décision avec des règles inspirées de la physique ou du raisonnement humain.

Qu’est-ce qu’un arbre de décision ?

  • Un arbre de décision est un modèle d’apprentissage automatique qui permet de prendre des décisions en suivant une structure arborescente de règles successives basées sur les caractéristiques des données (par exemple les questions successives: “la température du patient est-elle supérieure 38,5°C ?” suivi de “le patient a-t-il du mal à respirer ?”).
  • À chaque noeud, une condition est testée, et selon la réponse (oui ou non), on progresse sur une branche.
  • Le processus se poursuit jusqu’à une “feuille” de l’arbre, qui donne la prédiction sous forme de valeur, ou une décision finale (“le patient a la grippe”).

En utilisant des arbres de décision dans les algorithmes d’IA, on peut dévoiler des « tests de diagnostic » adéquats que l’on ne connaissait pas encore.

Un exemple de test de diagnostic simple est de regarder la différence entre l’état d’un interrupteur et l’état de la lampe associée (la lampe ne s’allume que si la position de l’interrupteur est sur ON. Si l’on constate que l’interrupteur est sur ON mais que la lampe est éteinte, il y a un problème ; de même si l’interrupteur est OFF et la lampe est allumée). Ce genre de relation, égale à 0 quand le système fonctionne de manière nominale et différente de 0 quand il y a un problème, existe également pour le diagnostic de systèmes plus complexes. La seule différence est que la relation est mathématiquement plus complexe, et qu’elle fait intervenir plus de variables — si le test de diagnostic de notre système « interrupteur+ampoule » est simple, ces tests sont souvent plus difficiles à concevoir.

Ainsi, en IA, si on insère des arbres de décision où on force les règles à être des tests de diagnostic — sans connaître le test spécifique au préalable — on peut :

  • découvrir un test de diagnostic adéquat de manière automatique et sans expertise humaine,

  • faire en sorte que l’algorithme d’IA résultant soit plus facilement interprétable.

Troisième option : rendre les réseaux de neurones moins obscurs

Les réseaux de neurones sont très performants mais critiqués pour leur opacité. Pour y remédier, on peut injecter des connaissances expertes dans leur structure, notamment via par exemple les Graph Neural Networks (GNN).

Qu’est-ce qu’un réseau de neurones en graphes (Graph Neural Network (GNN)) ?

  • Un Graph Neural Network (GNN) est un modèle d’apprentissage automatique conçu pour traiter des données avec des relations explicites entre éléments, comme dans un réseau social ou une molécule. Contrairement aux réseaux de neurones classiques, qui supposent des données organisées en tableaux ou séquences, les GNN exploitent la structure d’un graphe: des noeuds (par exemple les individus dans un réseau social) et les liens entre ces noeuds (les liens entre les individus).
  • Chaque noeud apprend en échangeant de l’information avec ses voisins via le graphe. Cela permet de capturer des dépendances locales et globales dans des systèmes connectés.
  • Les GNN, c’est l’IA qui comprend les relations, pas juste les valeurs.

Contrairement aux architectures classiques, les GNN sont conçus pour traiter des données structurées sous forme de graphes, ce qui les rend particulièrement adaptés pour tirer parti des modèles de systèmes physiques complexes.

Par exemple, dans le cas d’une carte électronique, la structure du circuit — c’est-à-dire les connexions entre composants, la topologie des pistes, etc. — peut être représentée sous forme de graphe. Chaque nœud du graphe représente un composant (résistance, condensateur, circuit intégré…), et les arêtes traduisent les connexions physiques ou fonctionnelles.

En entraînant un GNN sur ces graphes enrichis de données mesurées (tensions, courants, températures), on peut non seulement détecter des anomalies, mais aussi localiser leur origine et comprendre leur cause probable, grâce à la structure même du modèle.

Cette approche améliore l’explicabilité des diagnostics produits : une anomalie n’est plus simplement un signal aberrant détecté statistiquement, mais peut être reliée à un ensemble de composants spécifiques, ou à une zone fonctionnelle de la carte. Le GNN agit ainsi comme un pont entre la complexité des réseaux de neurones et l’intelligibilité du comportement physique du système.

Quatrième option : croiser les sources pour un diagnostic fiable

Enfin, les méthodes de fusion permettent de combiner plusieurs sources d’information (modèles, données, indicateurs) en un diagnostic unifié. Ces méthodes s’avèrent particulièrement utiles lorsque les différentes sources d’information sont complémentaires ou redondantes.

Un exemple d’application : fusionner les résultats de diagnostic issus d’un modèle basé sur la physique et de modèles issus de méthodes d’apprentissage permet d’obtenir une estimation plus robuste de l’état de santé d’un composant, en tirant profit à la fois de la fiabilité de la modélisation physique et de la sensibilité des approches basées données.

C’est aussi exactement ce qui est fait en médecine lorsqu’on confronte les résultats d’un diagnostic médical obtenu par une équipe de médecins, dont les avis peuvent diverger, ajouté à des méthodes d’aide à la décision automatisées nourries par des données (diagnostics déjà existants, base de données patients, etc.).


Le programme « Investir pour l’avenir – PIA3 » ANR-19-PI3A-0004 est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. L’ANR a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.

The Conversation

Elodie Chanthery a reçu des financements d’ANITI dans le cadre du programme français « Investir pour l’avenir – PIA3 » sous le numéro de convention ANR-19-PI3A-
0004. Elle est membre d’ANITI (Artificial and Natural Intelligence Toulouse Institute).

Philippe Leleux ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Des pistes pour une IA digne de confiance : mélanger expertises humaines et apprentissage automatique – https://theconversation.com/des-pistes-pour-une-ia-digne-de-confiance-melanger-expertises-humaines-et-apprentissage-automatique-260331

Loi Duplomb et pesticides : comment la FNSEA a imposé ses revendications

Source: The Conversation – in French – By Alexis Aulagnier, Chercheur postdoctoral, Centre Emile Durkheim, Sciences Po Bordeaux

La loi Duplomb sera examinée ce mardi 8 juillet à l’Assemblée nationale. Le texte reprend plusieurs revendications de longue date du syndicat majoritaire agricole, historiquement opposé à l’objectif de réduction de l’utilisation de pesticides. Il est le fruit d’une séquence au cours de laquelle la FNSEA est parvenue à s’appuyer sur la colère des agriculteurs pour imposer certaines de ses demandes.


La période est aux régressions en matière de politiques écologiques. Les reculs se multiplient en ce qui concerne le climat, l’énergie ou encore la biodiversité, comme l’atteste ce récent rapport du réseau Action climat. Comment expliquer ces rétropédalages environnementaux ?

Nous proposons d’analyser le cas des politiques liées aux pesticides, au cœur de l’actualité en raison de la proposition de loi « visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur », dite Duplomb. Ce texte, soutenu par la ministre de l’Agriculture Annie Genevard, acterait notamment la réintroduction temporaire d’un néonicotinoïde interdit depuis 2020, l’acétamipride.

Or ce texte n’est pas un fait isolé : il intervient au terme d’un processus à l’œuvre depuis deux ans, qui a vu des acteurs syndicaux comme la FNSEA réussir à fragiliser des politiques limitant l’usage de ces substances controversées.

Le plan Ecophyto, symbole du rejet de l’objectif de réduction des pesticides par une partie du monde agricole

Un rappel nécessaire : les pesticides sont encadrés, en France, par deux ensembles de politiques publiques. En amont de leur mise sur le marché, l’efficacité et les risques liés à leur usage sont évalués : c’est le système d’homologation, en place en France depuis près d’un siècle.


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Depuis la fin des années 2000, des politiques publiques visent par ailleurs à réduire l’usage de ces substances, dont les impacts apparaissent difficiles à contrôler. En 2008 a été lancé le plan Ecophyto, qui visait initialement à réduire de 50 % la consommation de pesticides.

Une part de la profession agricole, représentée en particulier par le syndicat majoritaire de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), n’a jamais fait mystère de son opposition à Ecophyto. Pour cette organisation, l’existence même d’une politique de réduction est illégitime, étant entendu que les risques liés aux pesticides sont déjà pris en charge par le système d’homologation.

Quand la FNSEA profite des manifestations pour remettre en cause le plan Ecophyto

En janvier et février 2024, le monde agricole a été secoué par un important mouvement de protestation sur l’ensemble du territoire français. Ces manifestations sont parties de la base, avec un mécontentement croissant dans plusieurs territoires à partir de l’automne 2023. Rien n’indique qu’Ecophyto était l’objet prioritaire de revendications au sein des collectifs mobilisés. Les spécialistes des mondes agricoles décrivent un malaise agricole multiforme, mêlant l’excès de normes et d’opérations administratives, un sentiment d’abandon et des préoccupations en matière de rémunération et de partage de la valeur.

En janvier 2024 pourtant, l’échelon national de la FNSEA, face à un exécutif déstabilisé par les mobilisations, a formulé une très large liste de revendications, incluant un « rejet d’Ecophyto ».

La stratégie a été gagnante : la mise en pause du plan a effectivement compté parmi les premières mesures annoncées par le gouvernement. Par la suite, le syndicat a imposé un changement d’indicateur pour ce plan, l’affaiblissant considérablement. Ce faisant, la FNSEA est parvenue à imposer une interprétation bien particulière de la colère des exploitants, instrumentalisant sa prise en charge politique pour contester un plan auquel elle s’opposait de longue date.

Cette séquence confirme la capacité de cette organisation à imposer ses priorités politiques, notamment dans des moments de crise. Les relations entre ce syndicat et les pouvoirs publics ont historiquement été privilégiées, notamment lors de la phase de modernisation de l’agriculture, qui s’est ouverte à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. S’est mis en place à l’époque un système dit de « cogestion », dans lequel le ministère de l’Agriculture et les organisations professionnelles agricoles menaient de front l’intensification des productions.

Cette relation de cogestion s’est considérablement affaiblie à partir des crises sanitaires (vache folle, nitrates) et économiques (quotas laitiers) des années 1990, qui ont vu ces politiques modernisatrices être questionnées. Mais à l’heure où l’agriculture est mise face au défi de l’écologisation, ce syndicat continue d’apparaître comme un interlocuteur incontournable pour les pouvoirs publics.

La loi Duplomb reprend le « pas d’interdiction sans solutions » de la FNSEA

On retrouve cette même dynamique autour de la loi Duplomb, dont le contenu a été fixé en Commission mixte paritaire le 30 juin. Ce texte prévoit notamment la réautorisation temporaire de l’acétamipride, un pesticide utilisé par des agriculteurs dans les productions de betterave et de fruits à coque. Il fait partie de la famille des néonicotinoïdes, dont l’usage a progressivement été proscrit en France, en raison notamment de leurs impacts sur les populations d’insectes.

Au-delà du seul cas de l’acétamipride, la disposition du texte qui permet sa réintroduction apparaît comme particulièrement problématique. Elle inscrit dans la loi la possibilité de déroger temporairement à l’interdiction de pesticides si « les alternatives disponibles à l’utilisation de ces produits sont inexistantes ou manifestement insuffisantes ». Ce texte législatif reprend une logique devenue depuis quelques années un leitmotiv défendu par la FNSEA : « Pas d’interdiction sans solution ».

À première vue, cette demande semble légitime : il apparaît raisonnable de ne pas priver les agriculteurs de substances nécessaires à leurs productions en l’absence d’alternatives clairement identifiées. Mais à y regarder de plus près, conditionner le retrait de pesticides à la disponibilité d’alternatives comporte plusieurs limites.

Premièrement, pour satisfaire à cette logique, il convient de définir ce qui est considéré comme une alternative à un pesticide. Or, les agronomes ont montré que la réduction de l’usage de ces substances peut passer par l’adoption de pratiques alternatives – modification des rythmes de culture ou des assolements, diversification des cultures, entre autres – et pas seulement par l’usage de technologies de substitution. De telles méthodes ou pratiques culturales peuvent facilement être négligées au moment de passer en revue les alternatives identifiées.

Deuxièmement, les solutions alternatives aux pesticides gagnent à être pensées en interaction les unes avec les autres – c’est ce que les agronomes appellent une approche systémique. Les stratégies alternatives de protection des cultures sont d’autant plus efficaces qu’elles sont associées. Or, dans la logique dessinée par la loi Duplomb, les alternatives sont envisagées isolément les unes des autres.

Enfin, le « pas d’interdiction sans solutions » nécessite de définir les paramètres retenus pour décréter qu’une alternative est « équivalente » au pesticide qu’elle est censée remplacer. À ce stade, la loi Duplomb précise qu’une solution alternative doit procurer une « protection des récoltes et des cultures semblable à celle obtenue avec un produit interdit » et être « financièrement acceptable ». Cette définition d’apparent bon sens comporte le risque de disqualifier nombre de solutions, en imposant la comparaison terme à terme de méthodes de protection des cultures très différentes.

La FNSEA, un interlocuteur clé pour l’État malgré une représentativité qui s’érode

Il ne s’agit pas ici de délégitimer la recherche de solutions alternatives aux pesticides, qui est un enjeu essentiel. De multiples projets ont été lancés ces dernières années, en lien avec les filières agricoles, pour identifier et diffuser des stratégies de protection à même de remplacer les pesticides les plus dangereux. Mais conditionner le retrait de substances à la disponibilité d’alternatives présente le risque de maintenir indéfiniment sur le marché des produits chimiques controversés.

Les opposants à la réduction de l’usage des pesticides l’ont bien compris, et ont fait de ce « pas d’interdiction sans solution » un slogan. L’introduction de cette logique dans le droit est une victoire – revendiquée – pour la FNSEA. La loi Duplomb était censée être une réponse législative aux malaises agricoles. Elle comprend en réalité des mesures techniques qui ne concernent qu’un nombre réduit d’exploitants, en particulier ceux qui possèdent les exploitations à l’orientation la plus intensive. Elle néglige une série d’enjeux essentiels : répartition des revenus, règles commerciales, etc. Plus qu’une prise en compte réelle des difficultés du monde agricole, elle apparaît comme un nouveau véhicule de revendications anti-écologistes d’un syndicat toujours majoritaire – mais en recul – et qui ne représente plus qu’une partie d’un monde agricole toujours plus fragmenté.

Une politique prenant en charge le malaise agricole et les enjeux environnementaux devra nécessairement passer par une réflexion de fond sur les modalités de représentation du secteur, notamment la gouvernance des chambres d’agriculture.

The Conversation

Alexis Aulagnier est membre du Comité scientifique et technique (CST) du plan Ecophyo. Le présent article est signé à titre individuel et ne reflète en rien la position du comité.

ref. Loi Duplomb et pesticides : comment la FNSEA a imposé ses revendications – https://theconversation.com/loi-duplomb-et-pesticides-comment-la-fnsea-a-impose-ses-revendications-260603

« Nouveaux OGM » : quels risques en Europe à autoriser les semences issues des nouvelles techniques génomiques ?

Source: The Conversation – in French – By Dominique Desclaux, Chercheure en Agronomie et Génétique, Inrae

Un futur cadre réglementaire spécifique aux variétés OGM issues des « nouvelles techniques génomiques » (NTG) est en cours de discussion au sein de l’Union européenne. Le compromis à l’étude diviserait ces variétés en deux catégories, soumises à des contraintes différentes. Des citoyens et des scientifiques alertent sur les risques qu’une telle distinction entraînerait. Ce n’est pas seulement d’agriculture dont il est question, mais de l’assiette des consommateurs européens.


Les semences, premier maillon de notre agriculture, ont été sélectionnées au fil des siècles pour offrir une alimentation sûre, saine et durable. En France, un catalogue officiel réglementé par le ministère de l’agriculture via le Centre technique et permanent de la sélection (CTPS) recense les variétés pouvant être commercialisées dans le pays. Il est décrit comme un outil capable de sécuriser le marché de semences saines, loyales et marchandes, et de renseigner agriculteurs, consommateurs et industriels sur les caractéristiques précises des variétés cultivées.

Ce catalogue pourrait intégrer prochainement de nouvelles variétés, issues des nouvelles techniques génomiques (NTG, plus connu sous l’acronyme anglais NGT).

Classées comme OGM depuis 2018, ces variétés sont pour l’instant interdites de culture dans l’Union européenne et leur importation est autorisée sous condition d’étiquetage. Mais un assouplissement de ces règles est en cours de discussion à Bruxelles.

Que sont les variétés issues des NTG ?

Pour rappel, il existe divers types de techniques permettant de créer une variété végétale, et notamment d’introduire de nouveaux caractères d’intérêt dans une plante.

Les techniques de sélection conventionnelles consistent à croiser deux variétés d’une espèce végétale pour obtenir une plante présentant les caractéristiques souhaitées. Ce processus peut être accéléré par des substances chimiques ou des rayonnements induisant des mutations.

Les techniques de modification génétique (OGM) établies consistent à modifier le génome d’une plante par transfert de gènes d’origine extérieure (transgénèse).

Les nouvelles techniques génomiques (NGT), elles, recoupent les approches permettant de modifier le génome d’une plante :

  • par mutagénèse ciblée, qui induit une ou plusieurs mutations spécifiques sans insertion de matériel génétique nouveau ;

  • par transfert de gènes provenant de la même espèce ou d’une espèce étroitement apparentée, par cisgenèse ou intragénèse ;

  • ou encore par des techniques permettant l’insertion ou délétion ciblée de fragments d’ADN, par exemple grâce à la technique des « ciseaux » moléculaires (CRISPR-CAS).

Ces NGT sont présentées comme des techniques permettant donc de modifier en des endroits précis le génome pour conférer au végétal des caractéristiques d’intérêt. Par exemple, meilleure résistance à la sécheresse, aux insectes ravageurs et aux maladies, rendement plus élevé, etc.

Elles sont vues comme permettant d’accélérer la création d’une variété par rapport aux techniques conventionnelles.

Un compromis réglementaire à l’étude

Ces NGT, apparues après la mise en place de la réglementation sur les OGM de 2001, n’avaient jusqu’alors pas de cadre législatif spécifique.

En 2018, un arrêt de la Cour de justice européenne a soumis les produits issus de ces nouvelles techniques à la réglementation OGM.

Mais sous la pression de plusieurs parties prenantes, le Conseil européen, dans sa décision du 8 novembre 2019 a enjoint la Commission de produire une étude sur le statut des NGT au regard du droit de l’UE.

Le 29 avril 2021, la Commission a rendu son étude et a conclu que la législation actuelle sur les OGM n’était pas adaptée à la réglementation ni des plantes NGT obtenues par mutagenèse ciblée ou cisgénèse, ni des produits (y compris les denrées alimentaires et les aliments pour animaux) qui en sont dérivés. Elle a conclu que cette législation devait s’adapter aux progrès scientifiques et techniques dans ce domaine.

Une proposition législative nouvelle a ainsi été publiée le 5 juillet 2023.

Alors qu’aucune version recueillant une majorité qualifiée n’avait pu être établie sous les dernières présidences (espagnole, belge et hongroise). La présidence polonaise a pu obtenir, via un calendrier très serré, une majorité qualifiée sur un texte de compromis le 14 mars 2025.

Les variétés NGT divisées en deux catégories

La France l’a soutenu en vue de la phase de « trilogue », qui a débuté en mai 2025 et permet d’engager des discussions entre Commission, Conseil et Parlement européen afin d’offrir un cadre réglementaire spécifique aux végétaux issues des NTG. La France a toutefois reconnu qu’il ne répond pas totalement aux enjeux sur les brevets, sur lesquels on reviendra plus bas dans ce texte. Le Danemark qui préside actuellement (juillet à décembre 2025) le conseil européen devrait poursuivre cette phase de trilogue.

La version actuelle du compromis entérine les deux grandes catégories inscrites dans la proposition de loi.

  • La catégorie 1 (NGT1) englobe les végétaux NGT considérés comme « pouvant apparaître naturellement ou avoir été produits par des techniques conventionnelles ». Ses végétaux ne sont pas considérés comme des OGM, les sacs de semences se voient imposer un étiquetage mais pas le produit final qui parvient au consommateur. Un État ne peut pas refuser de cultiver ou d’importer des NGT de cette catégorie.

  • La catégorie 2 (NGT2) inclut tous les autres végétaux NGT. Ils sont alors considérés comme des OGM et doivent être étiquetés comme tels. Leur culture peut être interdite par un État sur son territoire. Toute plante rendue « tolérante aux herbicides » par NGT doit être intégrée dans cette catégorie.

Les deux catégories de NGT sont prohibées pour l’agriculture biologique. Les plantes NGT1 ou NGT2 peuvent être brevetées.

L’accord sur le mandat de négociation du Conseil permet à sa présidence d’entamer des discussions avec le Parlement européen sur le texte final du règlement. Le résultat devra être formellement adopté par le Conseil et le Parlement avant que le règlement puisse entrer en vigueur.

Une réglementation qui divise

La réglementation à l’étude divise, en particulier entre professionnels de la filière et organisations non gouvernementales.

L’Union française des semenciers (UFS), et notamment le Collectif en faveur de l’innovation variétale, s’est ainsi félicitée de la position du conseil de l’Union européenne. Elle a souligné le « retard » de l’Europe sur ces techniques autorisées par « d’autres régions du monde » et ajouté qu’« il en va de notre souveraineté alimentaire dans un contexte international de fortes tensions ».

D’autres organisations, telles les Amis de la Terre Europe, Pollinis ou ECVC (European Coordination Via Campesina), dénoncent cette décision. Elles estiment qu’elle « menace grandement l’avenir de l’agriculture européenne et condamne à l’échec la nécessaire transformation de notre modèle agricole, en renforçant l’emprise de quelques multinationales ».

Plusieurs incertitudes et risques de ce futur cadre réglementaire suscitent l’inquiétude parmi les citoyens, mais également les scientifiques.

Une distinction floue entre les catégories

Tandis que la première proposition de loi distinguait les NGT1 des NGT2 par le nombre de nucléotides modifiés (inférieur ou égal à 20 nucléotides pour les NGT1 et supérieur à 20 pour les NTG2), ce seuil qui était arbitraire a été supprimé au profit d’un flou tout aussi latent (20 modifications ou 3, selon les propositions du Conseil ou du Parlement).

Qui pourra vraiment statuer sur le fait que les modifications NGT1 pourraient apparaître naturellement ou si elles doivent relever de la catégorie NGT2 ? Même en amont, comment distinguer les plantes NGT1 et les plantes issues de techniques conventionnelles ?

Dans ce compromis, cette différence sera fondée sur la simple déclaration du semencier. En cas de doute ou de litige, les scientifiques s’accordent sur la très grande difficulté – voire l’impossibilité – de détecter la technique à l’origine d’une mutation dans le génome.

En outre, l’état insuffisant des connaissances actuelles sur les régulations génomiques et sur l’épigénétique ne permet pas d’affirmer l’« équivalence » – évoquée par le texte sans la définir – entre une plante NGT1 et une plante issue de technique conventionnelle.

L’efficacité des NGT en question

Par ailleurs, le texte de loi indique en préambule que :

« les NGT ont le potentiel de contribuer aux objectifs d’innovation et de durabilité […], à la biodiversité et adaptation au changement climatique, à la sécurité alimentaire mondiale, à la stratégie pour la bioéconomie et à l’autonomie de l’Union ».

Les OGM vantaient les mêmes promesses. Or, leurs résultats ne sont pas à la hauteur : des études ont montré que ces cultures sont marquées par une augmentation des traitements herbicides et insecticides et par un contournement des résistances par les ravageurs.

À l’heure actuelle, les scientifiques ont trop peu de recul sur les NGT. Le référentiel d’évaluation des risques sanitaires et environnementaux est mal adapté à ces nouvelles plantes.

Des risques liés aux brevets

La future législation pose enfin des interrogations en matière de propriété intellectuelle des variétés. Jusqu’ici, la France et l’Europe ont toujours refusé que leur reconnaissance passe par des brevets, privilégiant le certificat d’obtention végétale (COV) qui permettait notamment d’utiliser librement une variété dans un programme de sélection.

Si les brevets sont autorisés sur les plantes NGT1 considérées comme équivalentes à des plantes non modifiées, cela pourrait rouvrir des velléités de brevets sur traits natifs… autrement dit, des brevets sur des fragments d’ADN naturellement présents dans les plantes ou pouvant être obtenus après un simple croisement.

En outre, quid des semences paysannes ou traditionnelles qui contiendraient une séquence génétique « semblable » à celle obtenue par NGT et couverte par un brevet ? Les agriculteurs pourraient-ils être poursuivis pour contrefaçon ?

La concentration du secteur semencier est déjà très forte : en 2018, le marché mondial des semences était partagé entre six multinationales – Monsanto, Bayer, BASF, Syngenta, Dow et DuPont. Depuis, Bayer a racheté Monsanto, Dow et Dupont ont fusionné et donné Corteva, et Syngenta a été rachetée par ChemChina.

La proposition de loi et l’incitation au brevet ne risquent-elles pas d’accélérer cette concentration ? Quelle place pour les artisans semenciers ?

Une consultation lancée dans l’Union européenne

Ce compromis pose encore d’autres questions. Quid de la présence accidentelle de végétaux NGT1 ou NGT2 dans un champ en agriculture biologique ? Sur ce risque mentionné dans le texte de compromis, les États membres sont invités à prendre des mesures pour l’éviter. Mais concrètement, comment feront-ils ?

Enfin, un des problèmes tout aussi majeur est l’information du consommateur. Les NGT1 ne pouvant être refusées par les États et leur traçabilité étant restreinte à un étiquetage des semences, le mangeur européen ne pourra pas savoir si son assiette contient ou non des dérivés des variétés de cette catégorie.

Demain, sans que vous le sachiez, peut-être allez vous ingérer une tomate GABA antistress, une dorade produisant 50 % de muscle en plus, du blé moins générateur d’acrylamide, de l’huile de soja contenant moins de graisses saturées, du maïs waxy, ou encore en dessert une banane résistante à la cercosporiose (maladie des feuilles).

Nous sommes tous concernés par cette réglementation actuellement débattue à Bruxelles. Dans le cadre du projet de recherche européen Divinfood, nous organisons une consultation sur le sujet, à laquelle vous êtes largement invités à participer via ce lien. Cela permettra de faire remonter l’avis des futurs consommateurs de variétés NGT auprès des décideurs de l’Union européenne.

The Conversation

Dominique Desclaux ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. « Nouveaux OGM » : quels risques en Europe à autoriser les semences issues des nouvelles techniques génomiques ? – https://theconversation.com/nouveaux-ogm-quels-risques-en-europe-a-autoriser-les-semences-issues-des-nouvelles-techniques-genomiques-258004

La Thaïlande en crise politique et diplomatique

Source: The Conversation – in French – By Alexandra Colombier, Spécialiste des médias en Thaïlande, Université Le Havre Normandie

La première ministre thaïlandaise Paetongtarn Shinawatra a été suspendue suite à la fuite de l’enregistrement d’une conversation qu’elle a eue avec l’ancien dirigeant cambodgien Hun Sen. Cette conversation a été perçue comme un manquement grave à l’éthique, voire comme un acte de trahison, dans un contexte de tensions avec Phnom Penh. L’affaire ravive les tensions frontalières et exacerbe les rivalités claniques au sein du pouvoir thaïlandais.


Le 2 juin 2025, la Cour constitutionnelle thaïlandaise a voté à l’unanimité (9-0) pour examiner une requête déposée par 36 sénateurs demandant la destitution de la première ministre Paetongtarn Shinawatra. Le 1er juillet, la juridiction a prononcé sa suspension immédiate par 7 voix contre 2, dans l’attente d’un jugement définitif. La dirigeante dispose désormais de 15 jours pour préparer sa défense. C’est le vice-premier ministre Phumtham Wechayachai qui assure maintenant l’intérim, tandis que Paetongtarn elle-même se voit confier le portefeuille de la Culture, à l’issue d’un remaniement express du gouvernement. Paradoxalement, ce remaniement, approuvé par le roi, laisse le pays sans ministre de la défense, en pleine crise diplomatique avec le Cambodge.

Le motif officiel de la suspension de Paetongtarn ? Une « violation grave de l’éthique », à la suite de la fuite de l’enregistrement audio d’une conversation privée entre Paetongtarn et Hun Sen, l’ex-homme fort du Cambodge. Ce scandale diplomatique aggrave la crise politique thaïlandaise. Il révèle les tensions sous-jacentes d’un système fragile, marqué par des alliances dynastiques, la judiciarisation du politique, des rivalités militaires et une société polarisée.

Une fuite audio au cœur du scandale

Depuis mai 2025, les tensions entre la Thaïlande et le Cambodge ne cessent de croître, alimentées par d’anciens contentieux frontaliers hérités de la période coloniale française.

Le 18 juin, un enregistrement audio de 17 minutes est rendu public ; sa diffusion semble orchestrée depuis Phnom Penh, sans que l’on sache précisément par qui. On y entend la première ministre s’entretenir avec Hun Sen, président du Sénat cambodgien et père du premier ministre actuel Hun Manet. La discussion porte sur la souveraineté de trois temples situés à la frontière thaïlando-cambodgienne, théâtre de tensions depuis des décennies. Paetongtarn y adopte un ton informel et conciliant. À un moment, elle dit : « Oncle, soyez indulgent avec votre nièce. » Un peu plus loin, elle ajoute : « Votre excellence Hun Sen, tout ce que vous voudrez, je m’en chargerai. »

Dans l’appel, elle critique également le commandant de la deuxième région militaire de Thaïlande, le lieutenant-général Boonsin Padklang, responsable du secteur frontalier, en le qualifiant de membre du « camp opposé ». Un signal préoccupant pour la cohésion institutionnelle, dans un contexte de méfiance historique entre le clan Shinawatra et l’institution militaire.

Depuis la fuite de cet enregistrement, Paetongtarn a présenté ses excuses au général Boonsin et a exprimé publiquement ses regrets auprès de la population thaïlandaise – non pour ses propos tenus envers Hun Sen, mais pour la fuite elle-même, qu’elle qualifie de regrettable. Elle a justifié le ton de la conversation en évoquant une technique de négociation de sa part.

Hun Sen affirme n’avoir partagé l’enregistrement qu’avec environ 80 collègues pour les « informer », sans pouvoir identifier celui ou celle qui aurait orchestré la fuite. Une ligne de défense peu convaincante, d’autant plus qu’il a ensuite menacé de divulguer d’autres informations compromettantes sur Paetongtarn et son père Thaksin (ancien premier ministre de Thaïlande de 2001 à 2006).


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L’effet a été immédiat : un tollé national, des accusations de trahison et un gouvernement en crise. Le Parti du Peuple, principal parti d’opposition, issu du Parti Move Forward, dissous en 2024, a exigé la dissolution du Parlement et des législatives anticipées. Le Bhumjaithai, parti conservateur dont la base se trouve dans la région de Buriram (Isan), et deuxième force de la coalition gouvernementale derrière le Pheu Thai de la première ministre, a annoncé son retrait du gouvernement dès le 19 juin – officiellement, au nom de la souveraineté nationale face à une cheffe du gouvernement jugée incapable de répondre aux menaces venues du Cambodge ; officieusement, il cherche à se désolidariser d’un gouvernement fragilisé, dans un contexte de rivalité autour du contrôle du stratégique ministère de l’intérieur.

C’est dans ce contexte qu’un groupe de sénateurs proches du parti Bhumjaithai – surnommés les « bleus foncés » (couleur du parti Bhumjaithai) en raison de leur allégeance partisane – saisit la Cour constitutionnelle, accusant Paetongtarn d’une « violation grave de l’éthique ». Dans leur pétition, ils demandent officiellement sa destitution, estimant que son comportement a enfreint les standards de probité attendus d’un chef de gouvernement.

Une réponse risquée et une majorité menacée

Dans ce climat d’hostilité, Paetongtarn a une échappatoire : démissionner avant la décision de la Cour constitutionnelle, comme l’y ont invité de nombreux responsables politiques et analystes. Cette stratégie lui permettrait de préserver son avenir politique, et de se présenter de nouveau ultérieurement.

Ce choix n’est pas sans précédent dans la dynastie Shinawatra. En 2006, son père Thaksin avait dissous le Parlement pour tenter de désamorcer une crise politique, mais fut renversé peu après par un coup d’État militaire. En 2014, sa tante Yingluck, première ministre de 2011 à 2014, adopta la même stratégie : elle dissout l’Assemblée nationale avant d’être destituée par la Cour constitutionnelle, puis renversée à son tour par l’armée.

Ces précédents expliquent en partie pourquoi Paetongtarn semble avoir écarté cette option : dans le système politique thaïlandais, la dissolution du Parlement n’offre aucune garantie de survie. Elle préfère donc affronter le verdict d’une Cour constitutionnelle perçue comme proche de l’establishment royaliste et militaire, pourtant historiquement hostile aux Shinawatra, malgré le risque d’un bannissement politique.

Politiquement, sa position est devenue intenable. Le Pheu Thai, qu’elle dirige, ne compte que 141 députés sur 495. Sa nouvelle majorité repose sur une coalition fragile d’environ 260 sièges, menacée à tout moment par les dissensions internes et les jeux d’influence. Une vingtaine de parlementaires initialement élus dans l’opposition – surnommés les « Cobra MPs » pour avoir changé de camp moyennant contreparties financières – pourraient apporter un soutien ponctuel au gouvernement, mais sans garantir sa stabilité. Dans ce contexte, le remaniement ministériel apparaît comme une manœuvre tactique : il vise non seulement à rassurer l’opinion, mais aussi à élargir la base parlementaire en intégrant ou en récompensant les petits partis susceptibles de rejoindre ou de soutenir la coalition.

Et pourtant, ni la dissolution de l’Assemblée ni la tenue d’élections anticipées ne figurent à l’agenda. Le Pheu Thai espère faire adopter son budget avant octobre, et surtout éviter une confrontation électorale avec l’opposition représentée par le Parti du Peuple, crédité de 46 % d’intentions de vote selon un sondage NIDA du 29 juin, contre seulement 11,5 % pour le Pheu Thai.

En outre, la Commission nationale anti-corruption (NACC) enquête sur plusieurs dossiers concernant Paetongtarn : sa détention présumée illégale d’actions dans un complexe hôtelier luxueux ; une transaction familiale de 2016 dans laquelle elle aurait utilisé des billets à ordre sans date pour « payer » 4,4 milliards de bahts (environ 135 millions de dollars) d’actions, évitant ainsi près de 218 millions de bahts d’impôts ; ainsi que sa gestion controversée de la crise frontalière du 28 mai, qui a causé la mort d’un soldat cambodgien.

S’y ajoutent les affaires judiciaires visant son père, qui pourraient affaiblir l’ensemble de la famille, dans un contexte où les compromis passés entre le Pheu Thai et ses anciens adversaires conservateurs semblent de plus en plus fragilisés. Thaksin est jugé pour crime de lèse-majesté, à la suite d’une interview accordée à un média sud-coréen il y a neuf ans. Il est également mis en cause pour son retour controversé en Thaïlande en 2023 : bien qu’officiellement condamné à un an de prison après un pardon royal, il n’a passé aucun jour derrière les barreaux, ayant été transféré dès la première nuit à l’hôpital de la police pour raisons de santé. Ce séjour prolongé en chambre VIP a provoqué une vive controverse, relancée en juin 2025 par l’ouverture d’une enquête judiciaire et la suspension de plusieurs médecins par le Conseil médical, sur fond de pressions politiques.

L’histoire se répète : une Cour au cœur des jeux de pouvoir

La suspension de Paetongtarn s’inscrit dans une longue série de décisions judiciaires politiquement orientées. En 2024, son prédécesseur Srettha Thavisin, membre du Pheu Thai, avait été démis pour manquement éthique après avoir nommé un ministre ayant fait de la prison. En parallèle, nous l’avons évoqué, le Move Forward Party a été dissous et ses dirigeants bannis de la vie politique pour avoir fait campagne en faveur d’une réforme de la loi de lèse-majesté.

En 2022, la Cour avait suspendu le premier ministre Prayuth Chan-o-cha pour avoir dépassé la durée légale de son mandat, avant de conclure dans une décision controversée que son mandat n’avait réellement commencé qu’avec l’adoption de la nouvelle Constitution de 2017, bien qu’il dirigeait déjà le gouvernement militaire depuis 2014.

Cette tendance n’est pas neutre. Les institutions judiciaires, en particulier la Cour constitutionnelle, sont régulièrement mobilisées pour neutraliser les figures perçues comme hostiles à l’ordre établi (monarchie, armée, haute bureaucratie). Cette fois encore, la procédure suit un schéma bien rodé : acceptation de la plainte, enquête à charge, puis destitution.

Il convient de noter que le parti Bhumjaithai avait lui aussi fait l’objet d’une plainte, pour son implication présumée dans des fraudes lors des élections sénatoriales de 2024. Il lui était reproché d’avoir financé illégalement certains candidats. La Cour constitutionnelle a rejeté la requête à l’unanimité, estimant qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre. Une décision qui tranche avec l’acceptation de la plainte visant Paetongtarn, et qui alimente les soupçons d’un traitement différencié. Le Bhumjaithai s’impose de plus en plus comme le nouveau pilier politique des forces conservatrices.

Manœuvres régionales, protestations nationales

La crise actuelle dépasse largement le cadre parlementaire. Le 28 juin, des milliers de manifestants se sont rassemblés à Bangkok à l’appel du « Front uni pour la défense de la souveraineté thaïlandaise ». À leur tête, Sondhi Limthongkul, figure centrale du mouvement des Chemises jaunes, un groupe royaliste et ultranationaliste opposé aux gouvernements issus de la mouvance Shinawatra, et l’un des artisans du renversement de Thaksin en 2006.

Aux côtés des figures traditionnelles de l’aile droite conservatrice, on retrouvait aussi d’anciens alliés de Thaksin désormais en rupture, dont Jatuporn Prompan, l’un des leaders des Chemises rouges, un mouvement populaire né en réaction au coup d’État de 2006. Une autre manifestation est prévue mi-août, au moment où la Cour constitutionnelle doit rendre son verdict.

Les discours varient, mais tous convergent vers une mise en accusation morale : la première ministre aurait troqué les intérêts nationaux contre des avantages familiaux. Si la majorité réclame un changement par les voies parlementaires, certains conservateurs zélés agitent la nécessité d’un coup d’État. La musique patriotique, les foulards de protestation, les sifflets : tout rappelait les mobilisations qui ont précédé le dernier coup d’État en date, en 2014.

En arrière-plan, les relations entre la Thaïlande et le Cambodge s’enveniment, sur fond de rivalités territoriales et de recomposition politique. Officiellement, Phnom Penh envisage de porter devant la Cour internationale de justice un différend frontalier autour de l’île de Kood, potentiellement riche en ressources gazières et pétrolières. Mais pour plusieurs analystes, cette démarche s’inscrit dans une stratégie plus large : affaiblir le gouvernement thaïlandais en alimentant la controverse autour de la diplomatie parallèle menée entre Thaksin Shinawatra et Hun Sen.

Le projet de développement conjoint de cette zone, longtemps discuté entre les deux hommes, symbolise aujourd’hui un alignement informel qui dérange à Bangkok. C’est dans ce contexte que la fuite audio apparaît comme une manœuvre délibérée : Hun Sen chercherait à exposer publiquement ces liens, à détourner l’attention des tensions internes au Cambodge, et à peser sur les équilibres politiques thaïlandais. Cette offensive s’explique aussi par des intérêts économiques plus immédiats : la légalisation des casinos, promue par Paetongtarn, et sa politique de lutte contre les réseaux criminels transfrontaliers, menacent directement l’industrie des casinos cambodgiens et les revenus d’élites cambodgiennes implantées le long de la frontière.

Ces attaques réactivent de vieilles suspicions autour des liens entre la famille Shinawatra et le Cambodge. Thaksin et Hun Sen entretiennent des relations étroites depuis des décennies, fondées sur des intérêts économiques communs et une forme de pragmatisme politique. Lorsque Thaksin et l’ex-première ministre Yingluck ont fui la Thaïlande après les coups d’État de 2006 et 2014, c’est Hun Sen qui leur a offert l’asile.

En 2008 et 2011, les tensions frontalières – notamment autour du temple de Preah Vihear – avaient déjà été instrumentalisées pour dépeindre les Shinawatra comme des traîtres à la nation. Aujourd’hui, avec Paetongtarn au pouvoir et Thaksin de retour, ces accusations ressurgissent.

Une instabilité chronique, une scène politique verrouillée

La destitution de Paetongtarn semble de plus en plus probable, mais les options de succession restent floues.

Son remplaçant désigné au sein du Pheu Thai, Chaikasem Nitisiri, suscite des réserves en raison de son état de santé et de ses positions passées en faveur d’une réforme du crime de lèse-majesté. Au sein de la coalition, d’autres personnalités comme Pirapan ou Jurin manquent de poids politique ou sont affaiblies par la controverse. À l’heure actuelle, le seul candidat disposant d’un poids parlementaire suffisant et d’une certaine légitimité semble être Anutin Charnvirakul. Mais en cas d’impasse parlementaire, l’ancien premier ministre Prayut Chan-o-cha pourrait émerger comme candidat « joker », bien qu’il ne pourrait exercer cette fonction que deux ans de plus avant d’atteindre le nombre d’années maximal à ce poste autorisé par la Constitution.

La chute de Paetongtarn, si elle se confirme, s’inscrit dans un cycle bien connu : des leaders issus des urnes sont discrédités par des mécanismes institutionnels, les élites conservatrices se réorganisent, les rues se remplissent, et l’armée se prépare à l’arrière-plan.

Derrière l’image d’un renouveau générationnel ou féminin, le pouvoir de Paetongtarn reposait sur une architecture héritée de son père qu’elle n’a ni réformée ni contestée. Mais en cherchant à naviguer dans ce système tout en y réimposant l’influence de sa famille, elle a ravivé les tensions avec les élites conservatrices qui avaient tout fait pour en exclure les Shinawatra. Un défi moins institutionnel que politique, mais elle a peut-être sous-estimé la résilience du système en place.

À court terme, tout dépend de la décision de la Cour constitutionnelle, attendue d’ici un ou deux mois. Mais comme toujours en Thaïlande, les véritables négociations n’ont pas lieu au Parlement ou sur la place publique ; elles se déroulent en coulisses, entre familles, factions et intérêts imbriqués, avec le roi à la tête de l’État.

The Conversation

Alexandra Colombier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. La Thaïlande en crise politique et diplomatique – https://theconversation.com/la-tha-lande-en-crise-politique-et-diplomatique-260252