Près de 90 % des déchets textiles finissent brûlés. Comment changer cela ?

Source: The Conversation – Indonesia – By Manuel Morales Rubio, Enseignant-chercheur en Gestion stratégique, Clermont School of Business

L’immense majorité de nos déchets textiles finit dans un incinérateur, faute de solutions de recyclage adaptées et viables. Kaentian Street/Shutterstock

Alors que les soldes d’été, qui se déroulent du 25 juin au 22 juillet, viennent de débuter, la question du recyclage des déchets textiles reste lancinante. Ces derniers finissent le plus souvent incinérés, alors qu’ils pourraient être revalorisés de diverses façons : isolants thermiques et acoustiques, mousse pour l’automobile, rembourrage de matelas, pour faire de nouveaux vêtements…


Saviez-vous qu’aujourd’hui seuls 12 % des déchets textiles étaient recyclés et réutilisés dans l’Union européenne ? Un chiffre extrêmement bas si on le compare par exemple au 75 % de cartons recyclés et au 80 % de verre en France. L’immense partie des déchets textiles, produits par l’industrie, est donc envoyée directement à la déchetterie et sera in fine incinérée.

Mais alors, pourquoi si peu de recyclage ? Cet état de fait est-il voué à rester inchangé ? Pas forcément.

D’où viennent les déchets textiles ?

Mais, avant de voir comment les choses pourraient évoluer, commençons d’abord par voir ce que sont les déchets textiles et pourquoi ils sont si peu recyclés.

Les déchets textiles sont issus des vêtements fabriqués. Ce sont des chutes de tissu, des fibres et autres matériaux textiles en fin de vie, après usage ou production. Le prêt-à-porter ou la fast fashion, avec le renouvellement rapide des collections, aggrave le problème de gestion et de traitement avec des quantités croissantes de déchets textiles issues de la surproduction et de la surconsommation.

Les défis du recyclage

Mais si une grande partie de ces textiles finit ainsi en déchetterie, contribuant alors à la pollution et au gaspillage des ressources, c’est également faute de solutions de recyclage adaptées ou économiquement viable.

On trouve deux raisons principales à cela : la première est d’ordre technique et la deuxième découle de la pauvreté des normes existantes et des régulations institutionnelles.

De fait, le recyclage des déchets textiles est au cœur de nombreux défis techniques dus à la nature complexe et hétérogène des fibres textiles et matériaux de fabrication, au manque d’infrastructure et de moyen de collecte, aux coûts élevés pour le tri, à une absence de support technique et de conseil de la part des experts du recyclage…

Concernant les normes en vigueur, on peut noter qu’avant 2022, il n’y avait pas de régulations interdisant aux acteurs de la fast fashion (marques, magasins de détail, et fabricants) de détruire les invendus et les produits renvoyés par les clients.

Transformer les déchets textiles en opportunité d’affaires ?

Mais, en 2022, donc, la loi européenne anti-gaspillage pour une économie circulaire (Agec) change la donne puisqu’elle impose désormais aux acteurs du prêt-à-porter (les marques, les magasins de détail et les fabricants) de trouver des utilisations alternatives à leurs produits textiles et vestimentaires retournés et invendus, évitant ainsi la mise en décharge ou l’incinération.

Pour permettre à ces textiles d’avoir une nouvelle vie, une opportunité reste sous-estimée : celle de la collaboration entre les secteurs de l’industrie textile et d’autres industries qui pourraient utiliser les résidus textiles qui étaient auparavant brûlés.

Les textiles invendus, retournés ou les déchets textiles post-industriels pourraient par exemple être transformés en matières premières capables d’être réintégrées pour devenir des isolants thermiques et acoustiques dans des bâtiments, des torchons industriels, des mousses pour l’automobile ou encore du rembourrage de matelas. Cette synergie entre industries offre plusieurs avantages : elle réduit les déchets, limite l’extraction de ressources vierges et favorise une économie circulaire plus durable. En mutualisant les savoir-faire et les besoins, les acteurs de différents secteurs optimisent également les chaînes de production tout en contribuant à une gestion plus responsable des matériaux textiles en fin de vie.

Cependant, pour l’instant, la complexité de la coopération intersectorielle rend la valorisation des coproduits et déchets textiles faible.

Mais ces actions mises en place entre industries, qu’on appelle symbioses industrielles, existent depuis longtemps dans d’autres domaines et laissent donc penser qu’il pourrait en être autrement.

La réutilisation des déchets d’un processus de production a ainsi été documentée dans la production de savon issue de graisse animale, la production d’engrais issus des résidus agricoles et animaux, ainsi que la peau et les os des animaux pour matière première pour le cuire et les armes.

Cette pratique de réutilisation des résidus est même devenue très commune de nos jours dans d’autres secteurs industriels comme la pétrochimie, la chimie organique, l’énergie, l’agro-industrie depuis la deuxième moitié du XXe siècle. Le premier cas de symbiose industrielle identifié dans la littérature scientifique remonte à 1972 quand un groupe d’entreprises privées appartenant à différents secteurs industriels ont dû faire face à la pénurie d’eau dans la ville de Kalundborg au Danemark. En dialoguant toutes ensemble, elles ont pu optimiser l’utilisation globale de l’eau grâce à sa réutilisation.

Collaboration intersectorielle : une stratégie clé pour la circularité

Cependant, si l’on regarde les quantités de déchets textiles, cette possibilité de recycler les déchets textiles en développant les interactions entre industrie ne suffira pas. L’autre grand enjeu demeure la production initiale. Derrière la croissance démesurée des déchets textiles partout dans le monde ces dernières années, on trouve de fait la surproduction et la surconsommation des textiles, qui a été multiplié par quatre dans les cinq dernières années avec la prolifération des plates-formes de fast-fashion comme Shein et Temu.

L’objectif est donc de réduire le volume de matière première vierge nécessaire pour la fabrication d’un nombre croissante des vêtements. Cela pourrait se faire par une réduction de la consommation ou bien en réduisant nos besoins en matière première vierge. Ici, l’utilisation de déchets textiles reconditionnés peut également s’avérer judicieuse. Elle offre l’avantage de réaliser simultanément deux actions vertueuses : réduire nos déchets et limiter nos besoins en matières premières textiles.

En Europe, cependant, moins de 2 % du total des déchets textiles est aujourd’hui reconditionné pour fabriquer de nouveaux vêtements. Ce pourcentage est tellement faible, qu’il est difficile à croire, mais il s’explique par une déconnexion entre les acteurs de la fin de vie des vêtements, l’hétérogénéité des matériaux qui rend complexe la tâche du recyclage pour produire des vêtements d’une qualité égale ; et aussi une réglementation et régulation peu contraignante.

Les acteurs du recyclage et les déchetteries communiquent peu avec les associations qui gèrent les points de collecte textile, le tri et la vente des vêtements d’occasion (Mains ouverts, Emaus, Secours populaire, entre autres).

Les plates-formes digitales comme Vinted ne sont pas au courant des volumes gérés par les acteurs de l’écosystème physique. De plus, les initiatives de récupération et réutilisation des vêtements usagés appliqués par les grandes marques comme Zara et H&M ne représentent qu’une fraction de leurs ventes totales, et ne sont donc pas capables de changer la tendance envers une économie textile de boucle fermée.

Prêt-à-porter : en quête des solutions durables

C’est pourquoi il devient crucial d’activer l’ensemble de ces leviers au regard de l’impact environnemental de l’industrie textile, qui émet 3 ,3 milliards de tonnes de CO₂ par an, soit autant que les vols internationaux et que le transport maritime des marchandises réunis.

L’industrie textile est également à l’origine de 9 % des microplastiques qu’on retrouve dans les océans et consomme environ 215 trillions de litres d’eau par an si l’on considère toute la chaîne de valeur. Le textile et l’habillement sont à ce titre les industries qui consomment le plus d’eau au monde, juste après l’agriculture et l’industrie agroalimentaire. Le secteur textile est également associé à la pollution issue des produits chimiques et détergents utilisés dans les processus de fabrication et dans le lavage des vêtements.

À l’échelle mondiale, les perspectives liées à la surproduction et à la surconsommation sont préoccupantes puisque l’on estime que d’ici à 2050 le volume total de prêt-à-porter pourrait tripler.

Pour éviter que nos vêtements aient un coût environnemental aussi néfaste, une piste évidente serait de permettre une production plus locale.

Aujourd’hui, la chaîne de valeur textile reste de fait très mondialisée et les vêtements qui en sortent sont de moins en moins solides et durables. La production des matières premières est fortement concentrée en Asie, notamment dans des pays comme la Chine, l’Inde et le Bangladesh, qui représentent plus de 70 % du marché total de la production de fibres, de la préparation des tissus et des fils (filature), du tissage, du tricotage, du collage et blanchiment/teinture.

Face à cette réalité, la mise en place d’une stratégie territoriale de symbiose pourrait également réduire la dépendance excessive à des systèmes de production non durables, en relocalisant les capacités de production pour renforcer des circuits courts et plus territoriaux en Europe.

The Conversation

Manuel Morales Rubio ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Près de 90 % des déchets textiles finissent brûlés. Comment changer cela ? – https://theconversation.com/pres-de-90-des-dechets-textiles-finissent-brules-comment-changer-cela-253780

La biodiversité : pas qu’une affaire d’écologistes, un impératif économique et financier

Source: The Conversation – Indonesia – By Paul Hadji-Lazaro, Docteur en économie écologique, Agence Française de Développement (AFD)

Selon le Forum économique mondial, plus de la moitié du PIB mondial repose, directement ou indirectement, sur des services rendus par la nature. Une nouvelle étude tâche de proposer des outils pour évaluer la dépendance à la biodiversité des différents secteurs de l’économie et des régions en prenant comme exemple l’Afrique du Sud


« Protéger la nature, c’est bien pour les amoureux des oiseaux et des fleurs, mais l’économie a d’autres priorités… ». Qui n’a jamais entendu une idée reçue de ce type ? Dans les débats publics, la défense de la biodiversité passe souvent pour le dada d’écologistes passionnés, éloignés des préoccupations « sérieuses » de la croissance économique ou de la finance. Cette vision est non seulement fausse, mais dangereuse car la santé des écosystèmes est le socle de notre prospérité économique, financière et sociale, partout sur la planète.

La nature, le « fournisseur invisible » de l’économie mondiale

Forêts, sols, océans, insectes… fournissent une multitude de services écosystémiques – c’est-à-dire les bénéfices gratuits que nous rend la nature – indispensables à nos activités. Ces services vont de la pollinisation des cultures par les abeilles, à la purification de l’eau par les zones humides, en passant par la fertilité des sols, la régulation du climat ou la protection des côtes contre les tempêtes. Autrement dit, la nature est comme un fournisseur caché d’eau, d’air pur, de sols fertiles et de matières premières dans les chaînes d’approvisionnement de l’économie. Et aucune entreprise humaine ne saurait s’y substituer totalement.

Cette dépendance économique à la biodiversité n’a rien d’anecdotique. Selon le Forum économique mondial, plus de la moitié du PIB mondial repose, directement ou indirectement, sur des services rendus par la nature. L’agriculture et l’agroalimentaire bien sûr, mais aussi la pêche, la sylviculture, le tourisme, la construction, et même des industries comme l’automobile ou l’électronique, qui dépendent de ressources minières et d’eau pour leur production, toutes ont besoin d’un écosystème fonctionnel. Un rapport de la Banque de France évoque ainsi un possible « Silent Spring » financier, en référence au printemps silencieux provoqué par le DDT qui anéantissait les oiseaux décrit par la biologiste américaine Rachel Carson dans les années 1960. En décimant les espèces et les services écologiques, on fait peser un risque de choc majeur sur nos systèmes financiers qui​pourrait entraîner une réaction en chaîne sur l’ensemble de l’économie, en affectant l’emploi, le commerce, les prix, les recettes fiscales de l’État – exactement comme une crise économique classique, sauf que son déclencheur serait écologique.




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Pour mieux comprendre, imaginons une réaction en domino : la disparition massive des pollinisateurs fait chuter les rendements agricoles ; moins de récoltes, c’est une pénurie de certaines denrées et une envolée des prix alimentaires ; les industries agroalimentaires tournent au ralenti, entraînant licenciements et baisse des revenus et du pouvoir d’achat des agriculteurs comme des ouvriers ; le pays doit importer à prix fort pour nourrir la population tandis que les rentrées fiscales diminuent… Le point de départ de ce scénario noir ? Quelques espèces d’insectes qu’on avait sous-estimées, et qui assuraient discrètement la pollinisation de nos cultures. La nouveauté c’est que ce principe de l’effet papillon – où l’altération d’un écosystème local finit par affecter l’ensemble de l’économie – est rendu explicite par de récents articles scientifiques.

En Afrique du Sud, 80 % des exportations dépendent de l’eau… et donc de la nature

Pour saisir concrètement l’ampleur du risque, penchons-nous sur un exemple parlant : celui de l’Afrique du Sud. Ce pays dispose d’une économie diversifiée (mines, agriculture, industrie) et d’écosystèmes riches mais sous pression. Pour une étudepubliée récemment, nous avons appliqué un nouvel outil de traçabilité des risques liés à la nature, afin de cartographier les secteurs économiques, les régions géographiques et les variables financières les plus vulnérables aux risques environnementaux.

Nos analyses révèlent que 80 % des exportations nettes de l’Afrique du Sud proviennent de secteurs fortement dépendants de l’approvisionnement en eau. Autrement dit, la quasi-totalité des biens que le pays vend au reste du monde – des métaux aux produits agricoles – nécessitent de l’eau à un moment ou un autre de leur production. Or l’eau ne tombe pas du ciel en quantité infinie : il faut des rivières alimentées par des pluies régulières, des sols qui retiennent cette eau, des forêts qui régulent son cycle… bref, un écosystème en bonne santé. Le hic, c’est que cette ressource vitale est déjà menacée. Un produit exporté sur quatre est issue d’une activité très dépendante de l’eau localisée dans une municipalité confrontée à un stress hydrique sérieux (sécheresse, pénurie d’eau potable, etc.). En 2018, la ville du Cap et ses près de 4 millions d’habitants frôlait la coupure d’eau générale. C’est ce genre de choc qui pourrait frapper durablement l’économie sud-africaine si rien n’est fait pour préserver la capacité des écosystèmes à réguler l’approvisionnement en eau.

Pénurie d’eau : le Cap se prépare au « jour zéro »

Et ce n’est pas tout. Notre étude met aussi en lumière l’importance des risques indirects. En Afrique du Sud, près d’un quart des salaires du pays dépendent directement de secteurs exposés à la dégradation des écosystèmes (par exemple l’industrie manufacturière ou le secteur immobilier qui consomment beaucoup d’eau). En tenant compte des liens en amont et en aval (les fournisseurs, les clients, les sous-traitants), ce sont plus de la moitié des rémunérations qui deviennent menacées.

Autre mesure édifiante : certains secteurs économiques créent eux-mêmes les conditions de leur fragilité future. Prenons le secteur minier, pilier des exportations sud-africaines. Il exerce une pression énorme sur les écosystèmes (pollution des sols et des eaux, destruction de la végétation, etc.). Or, nous montrons que la moitié des exportations minières sont issues de municipalités où se trouvent un certain nombre des écosystèmes les plus menacés du pays en raison justement des pressions exercées par l’activité minière elle-même.

Ce paradoxe – l’industrie sciant la branche écologique sur laquelle elle est assise – illustre un risque de transition. Si le gouvernement décide de protéger une zone naturelle critique en y limitant les extractions, les mines situées là devront réduire la voilure ou investir massivement pour atténuer leurs impacts, avec un coût financier immédiat. Autre cas possible, si des acheteurs ou des pays importateurs décident de réduire leurs achats de produits miniers parce qu’ils contribuent à la destruction de la biodiversité, les mines exerçant le plus de pression sur les écosystèmes critiques devront aussi s’adapter à grand coût. Dans les deux cas, l’anticipation est clé : identifier ces points sensibles permet d’agir avant la crise, plutôt que de la subir.

Suivre à la trace les risques écologiques pour mieux décider

Face à ces constats, la bonne nouvelle est qu’on dispose de nouvelles méthodes pour éclairer les décisions publiques et privées. En Afrique du Sud, nous avons expérimenté une approche innovante de traçabilité des risques liés à la nature. L’idée est de relier les données écologiques aux données économiques pour voir précisément quels acteurs dépendent de quels aspects de la nature dans quelle partie d’un pays donné.

Concrètement, cette méthode permet de simuler des chocs et d’en suivre les répercussions. Par exemple, que se passerait-il si tel service écosystémique venait à disparaître dans telle région ? On peut estimer la perte de production locale, puis voir comment cette perte se transmet le long des chaînes de valeur jusqu’à impacter le PIB national, l’emploi, les revenus fiscaux, les exportations ou les prix. L’outil intègre aussi l’autre versant du problème : le risque de transition, c’est-à-dire les conséquences économiques des actions envisagées pour éviter la dégradation écologique.

La méthode ne vise pas à identifier des secteurs économiques à « fermer » à cause de leurs pressions sur la nature ou une dépendance à des services écosystémiques dégradés. Elle vise plutôt à aider les décideurs politiques et les acteurs économiques à prioriser leurs actions (d’investissement ou de restriction) tout en tenant compte de l’importance socio-économique des secteurs sources de pressions ou dépendants de services écosystémiques dégradés.

En Afrique du Sud par exemple, l’institut national de la biodiversité et des chercheurs locaux ont utilisé les résultats montrant la forte dépendance de certains secteurs économiques à l’approvisionnement en eau pour animer des séminaires de mise en débat des résultats et rédiger des notes de recommandation de politiques publiques.

Au-delà de la COP16 : un enjeu global, une opportunité partagée

Loin d’opposer Nord et Sud, écologie et économie, la question de la biodiversité est désormais une opportunité pour chacun de contribuer à un enjeu transversal planétaire. Aucune économie n’est à l’abri. Un effondrement des pollinisateurs expose aussi bien les vergers de Californie que les champs de café en Éthiopie. La surpêche appauvrira aussi bien les communautés côtières d’Asie du Sud-Est que les consommateurs de poisson en Europe.

Biodiversité en berne signifie instabilité économique pour tous, du nord au sud. Malgré les tensions financières entre pays riches et pays en développement sur la répartition de l’effort, profitons du succès du nouveau round de négociations internationales de la convention biodiversité qui s’est tenu à Rome du 25 au 27 février dernier pour agir. A cette occasion, les membres de la convention biodiversité ont trouvé un accord sur une nouvelle stratégie de « mobilisation des ressources », visant à allouer 200 milliards de dollars par an à la conservation de la biodiversité « toutes sources confondues » d’ici à 2030. Désormais, le défi pour ces pays va être de se mettre d’accord sur les priorités d’allocation des fonds et d’évaluer comment la mise en œuvre de la convention est compatible avec leur propre endettement.

La méthode d’analyse des risques liés à la nature dans les décisions économiques et financières peut aider les décideurs à faire ces choix de manière éclairée. Elle peut aider à « réorienter les flux financiers » en faveur de la nature comme demandé par le nouveau cadre international de la biodiversité (Accord Kunming-Montréal adopté fin 2022). Elle peut aussi aider les entreprises à mesurer et divulguer leur dépendance aux écosystèmes comme recommandé par le groupe de travail privé de la Taskforce on Nature-related Financial Disclosures (TNFD). C’est le moment d’agir. Chaque gouvernement, chaque banque, chaque grande entreprise devrait dès maintenant se doter d’outils et de données pour évaluer son exposition aux risques écologiques et agir en conséquence grâce aux dernières avancées scientifiques.

The Conversation

Antoine Godin est membre de l’unité de recherche ACT de l’université Sorbonne Paris-Nord

Andrew Skowno, Julien Calas et Paul Hadji-Lazaro ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

ref. La biodiversité : pas qu’une affaire d’écologistes, un impératif économique et financier – https://theconversation.com/la-biodiversite-pas-quune-affaire-decologistes-un-imperatif-economique-et-financier-252228

Pourquoi l’environnement est (aussi) une affaire de sociologie

Source: The Conversation – Indonesia – By Maud Hetzel, Chercheuse associée au Centre Georg Simmel, EHESS, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)

Trois ouvrages viennent de paraitre sur la sociologie de l’environnement The Conversation, CC BY

Les auteurs et autrices de trois ouvrages parus récemment et consacrés à la sociologie de l’environnement (Sociologie de l’environnement, de Yoann Demoli et René Llored, la Sociologie de l’environnement, de Stéphanie Barral, Gabrielle Bouleau et Fanny Guillet, et Introduction à la sociologie de l’environnement, de Maud Hetzel et Fanny Hugues) expliquent comment leur discipline s’est emparée de ce sujet, et pourquoi l’éclairage sociologique est fondamental pour penser les enjeux écologiques.


Pollution, effondrement de la biodiversité, réchauffement climatique… Alors que les enjeux environnementaux se multiplient, divers acteurs sont régulièrement consultés pour mieux les comprendre et répondre à ces problèmes globaux. Dans les sphères expertes, politiques et institutionnelles, certaines disciplines scientifiques sont particulièrement mobilisées, notamment les sciences du climat et de la biologie. D’autres apparaissent moins souvent, à l’instar de la sociologie.

La relative discrétion de cette discipline est d’autant plus surprenante que les problèmes en jeu sont liés aux activités humaines. C’est donc le fonctionnement de nos sociétés, objet premier de la sociologie, qui est avant tout responsable des pollutions et des dégradations des milieux biophysiques.

Utiliser les outils de la sociologie pour interroger les enjeux environnementaux apparaît donc primordial. On constate d’ailleurs une multiplication des événements scientifiques, des enquêtes et des publications en sociologie de l’environnement.

Ces travaux apportent des éléments inédits et originaux pour penser la question environnementale. Ils mettent au jour les logiques sociales inhérentes à la crise écologique, les inégalités face à celles-ci et la manière dont les pouvoirs publics la gouvernent.

Ils ont en commun de dépasser la seule analyse des dégâts environnementaux – sur le climat, sur la biodiversité – et de mettre au centre de l’analyse une diversité d’entrées thématiques, telles que les politiques publiques, les mobilisations, les modes de vie, les valeurs et les croyances face aux enjeux écologiques.

Ils portent également un regard critique sur l’ordre économique et social responsable de la crise écologique, ce qui n’est sans doute pas sans relation avec le peu de visibilité accordée à ces recherches.

Pour prendre la pleine mesure de ce que la sociologie peut apporter à notre compréhension des enjeux environnementaux contemporains, penchons-nous sur trois apports centraux de cette discipline en plein essor.

Quand l’environnement est pris en charge par les institutions

Depuis les années 1970, les États ont intégré la question environnementale dans leurs structures administratives, marquant l’émergence d’une responsabilité nouvelle, qui engage à la fois la puissance publique et les sociétés civiles.

Cette institutionnalisation repose sur un double mouvement : d’un côté, la montée en puissance des mobilisations sociales face à des dégradations de plus en plus visibles et fréquentes ; de l’autre, l’injonction internationale à se doter d’outils de régulation adaptés à l’urgence écologique.

Cette évolution a donné lieu à la création de ministères, d’agences, d’organismes de surveillance ou d’évaluation, autant de dispositifs visant à produire un savoir environnemental légitime et à organiser l’action publique. Pourtant, l’écologisation de l’État est loin de constituer un processus linéaire et consensuel.

Ces institutions sont prises dans des rapports de force permanents, où s’opposent visions du monde, intérêts économiques et impératifs écologiques. La protection de l’environnement devient ainsi un champ de lutte, où l’État joue un rôle ambivalent, tantôt garant de la régulation écologique, tantôt relais d’intérêts productivistes.

Dans ce contexte, les agences en charge des questions environnementales sont régulièrement déstabilisées, mises en cause, voire attaquées. Leurs marges de manœuvre se rétractent sous l’effet de critiques politiques, d’injonctions contradictoires et de campagnes de discrédit, sans que l’appareil d’État n’en assure systématiquement la défense. Leur fragilité institutionnelle n’est pas sans conséquence : elle affaiblit la capacité à faire face aux risques, à produire des normes, à contrôler les pratiques.

Cette institutionnalisation des enjeux environnementaux ne concerne pas seulement les administrations publiques : elle donne aussi naissance à de nouveaux marchés. Les politiques environnementales, en se déployant à travers des mécanismes de quotas, de subventions, de certifications, participent à la formation d’un véritable capitalisme vert. Ainsi, l’environnement devient un objet d’investissement, un domaine d’expertise, une opportunité économique. Ce faisant, la régulation écologique se trouve de plus en plus enchâssée dans des logiques de marché, qui peuvent certes produire de la norme, mais aussi déplacer les objectifs initiaux de la protection environnementale. À ce titre, le marché n’est jamais une simple solution technique : il est un instrument socialement construit, porteur d’intérêts et de hiérarchies.


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Des inégalités écologiques renforcées par les politiques publiques

Cette prise en charge publique des enjeux environnementaux peut également renforcer les inégalités sociales.

Alors que l’on constate une incitation grandissante des pouvoirs publics à modérer les pratiques quotidiennes consommatrices d’énergie et de ressources des citoyens et citoyennes par des « petits gestes » qui responsabilisent uniformément les individus, la sociologie de l’environnement démontre que les styles de vie sont inégalement polluants.

Trois caractéristiques sociales, qui se cumulent, font varier les émissions qui leur sont associées : le revenu, le genre et l’âge. Par exemple, toutes choses égales par ailleurs, les modes de vie des hommes sont plus polluants que ceux des femmes. Ces disparités tiennent par exemple à des pratiques alimentaires hétérogènes : les femmes consomment moins de viande que les hommes, sont plus attirées par les écolabels et les produits biologiques, et portent davantage attention à la santé de leur corps ainsi qu’à celle de leurs proches.

Ces mêmes politiques publiques valorisent également les styles de vie des ménages les plus aisés, associées à la « consommation durable » de biens onéreux, par exemple les voitures électriques. Elles moralisent du même coup ceux des classes populaires au nom de pratiques supposément plus polluantes, comme la possession de voitures diesel pourtant achetées d’occasion et peu utilisées.

À rebours de ce cadrage individualisant de la crise écologique, les styles de vie des classes populaires, plus économes en ressources et dont les marges de manœuvre sont plus contraintes, peuvent néanmoins être envisagés comme des écologies populaires en pratique, fondées sur la récupération, la réutilisation et l’attention aux dépenses.

Un exemple de campagne encourageant aux petits gestes de l’ADEME.

À l’échelle planétaire, la sociologie constate que les conséquences des dégâts environnementaux sont inégalement réparties. Les populations pauvres vivant dans les pays des Suds, et plus encore les femmes, sont les plus concernées par les catastrophes et les dégradations environnementales causées par les activités humaines, et par le prélèvement de ressources naturelles.

En France, ce sont les groupes sociaux les plus défavorisés – pauvres et racisés – qui vivent à proximité de lieux pollués et/ou polluants. Leur accès aux espaces verts, aux parcs, aux zones de loisirs et aux ressources naturelles est également limité, à l’instar du Parc national de Calanques.

Alors que le Parc est situé à proximité des quartiers populaires du nord de Marseille où vivent beaucoup de descendantes d’anciennes colonies françaises, ces habitants ont très peu de poids pour infléchir les politiques publiques en la matière. Leurs usages de ces espaces sont délégitimés, à l’instar de leur pratique du vélo tout terrain et de leurs sociabilités autour de feux de camp dans le cas du Parc National des Calanques.

Face à ces inégalités environnementales, certaines populations revendiquent une justice environnementale, c’est-à-dire défendent l’idée que chaque individu a le droit de vivre dans un environnement sain, sans discrimination ni inégalité dans l’accès aux ressources naturelles et aux bénéfices environnementaux.

Des critiques qui transforment le gouvernement de l’environnement ?

L’écologie est également un fait sociologique parce que la production et la mise en œuvre des politiques environnementales ne sont pas qu’une affaire d’État : elles visent à transformer les conduites d’acteurs et d’organisations économiques.

Les mesures écologiques prises par les gouvernements montrent une faible effectivité notamment parce qu’elles se heurtent à d’autres politiques publiques qui poursuivent des objectifs différents (énergie, agriculture, transports, logement, etc.) et qui contribuent à l’artificialisation des espaces naturels, à la consommation des ressources et l’émission de pollutions.

Ces politiques sont structurées par des grands compromis socio-politiques qui définissent les experts pertinents et les porte-parole légitimes de leurs publics cibles. Par exemple, les politiques agricoles prennent en compte la voix d’acteurs comme la FNSEA, syndicat majoritaire et productiviste, et s’appuient sur les réseaux territoriaux agricoles historiques pour les appliquer. Ces acteurs ont souvent des parcours individuels et institutionnels qui les conduisent à privilégier le statu quo social, économique et politique en négligeant la crise écologique et climatique. Ils cherchent aussi à préserver des intérêts électoraux ou de groupes socio-professionnels et des marges de manœuvre. Ceci tend à favoriser un « verdissement conservateur » qui opère souvent par dérogation et participe à notre mal-adaptation collective en renforçant la vulnérabilité des individus, des organisations et de la collectivité toute entière.

Ce statu quo conservateur suscite des contestations. La mise en œuvre de la réglementation environnementale repose depuis les années 1970 sur la mobilisation d’associations d’usagers ou de victimes ou d’associations de protection de la nature qui exercent un militantisme de contre-expertise et de dossiers, pour faire progresser la cause environnementale devant les tribunaux, même si encore très peu d’infractions environnementales sont effectivement repérées et encore moins sanctionnées. Les luttes pour la protection de l’environnement prennent aussi la forme de désobéissance civile, d’occupation de lieux et des marches pour contester l’accaparement des terres comme la lutte emblématique du Larzac dans les années 1970 et celle récente contre le projet d’autoroute A69 entre Toulouse et Castres, ou pour faire entendre des éléments de controverse sur des risques comme ceux liés à l’exploitation du gaz de schiste.

Toutes les critiques ne vont pas toutes dans le sens d’une meilleure prise en compte de l’environnement. Face aux mobilisations environnementalistes, des contre-mobilisations s’organisent aussi de la part de groupes sociaux concernés par les contraintes engendrées par les décisions environnementales (on pense par exemple aux récentes mobilisations agricoles), pouvant prendre diverses formes comme des manifestations ou des opérations d’intimidation, un travail de réseau et de constitution de communautés favorisé par le développement des réseaux sociaux.

Le lobbying politique est aussi une voie de mobilisations anti-environnementales. Il porte généralement une critique libérale qui tend à euphémiser les crises environnementales et à disqualifier toute contrainte sur les activités de production. Cette pensée libérale est très influente sur les politiques environnementales et conduit à privilégier des instruments de marché (quotas échangeables, labels, marchés de compensation) pour gouverner les impacts sur l’environnement, ce qui offre une plus grande souplesse aux acteurs économiques.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Pourquoi l’environnement est (aussi) une affaire de sociologie – https://theconversation.com/pourquoi-lenvironnement-est-aussi-une-affaire-de-sociologie-257412

Comment le changement climatique perturbe la recharge des eaux souterraines

Source: The Conversation – Indonesia – By Jean-Christophe Maréchal, Directeur de recherche – Hydrogéologue, BRGM

Alors qu’une large part de la France est placée en vigilance canicule ce mercredi 25 juin, se pose la question de l’influence du changement climatique sur le cycle de l’eau, entre modification du régime des pluies et augmentation de la fréquence des événements extrêmes (sécheresses et inondations). Qu’en est-il des eaux souterraines ? Ces dernières, logées dans les profondeurs du sous-sol, ne sont pas à l’abri de ces changements qui touchent en premier lieu l’atmosphère et la surface de la Terre.


Les eaux superficielles et eaux souterraines sont en lien étroit. Ces dernières interagissent avec la surface, dont elles dépendent largement. Ainsi, les nappes d’eau souterraine sont renouvelées d’une part par la recharge naturelle diffuse apportée par la pluie et la fonte de la neige sur les sols, d’autre part par la recharge naturelle indirecte qu’apportent les infiltrations localisées à partir de rivières ou de lacs.

Quel que soit le processus de recharge naturelle concerné, les eaux souterraines sont donc fortement dépendantes du climat.

  • D’abord de façon directe, à travers les modifications de ce dernier, en fonction du bilan hydrique à la surface de la Terre.

  • Mais également de façon indirecte, via les changements dans les prélèvements d’eau souterraine nécessaires pour répondre aux différents usages de l’eau impactés par un climat plus chaud (irrigation notamment).

On distingue ainsi des effets directs qui s’imposent à nous, et des effets indirects qui résultent de notre réaction à cette nouvelle situation climatique. Le projet de recherche Explore2 a récemment analysé les conséquences du changement climatique sur la recharge des aquifères en France métropolitaine et a permis un certain nombre de constats.

Évapotranspiration accrue et précipitations plus intenses

Le climat et la couverture végétale contrôlent en grande partie les précipitations et l’évapotranspiration, tandis que le sol et la géologie sous-jacente déterminent si le surplus d’eau peut s’infiltrer vers un aquifère sous-jacent ou s’il va plutôt ruisseler vers une rivière.


USGS, Fourni par l’auteur

Dans le détail, l’évolution future de la recharge dépend au premier chef de la modification de la quantité et du régime des pluies.

Or dans le climat futur, on s’attend à une modification de la répartition des précipitations dans le monde, avec une diminution des précipitations de faible intensité et une augmentation de la fréquence des fortes précipitations, en particulier dans les régions tropicales, où plus de la moitié de la population mondiale devrait vivre d’ici à 2050. Phénomène qui s’accompagnera de sécheresses plus longues et plus fréquentes.

Dans un monde qui se réchauffe, l’évapotranspiration a globalement tendance à augmenter, ce qui réduit la quantité d’eau du sol disponible pour l’infiltration et le ruissellement.

Une recharge des aquifères de plus en plus incertaine

Des précipitations moins fréquentes mais plus abondantes pourraient améliorer la part de la recharge des eaux souterraines dans de nombreux environnements semi-arides à arides. Mais lorsque l’intensité des pluies dépasse la capacité des sols à l’infiltration, on observe une augmentation du ruissellement et des débits des rivières. Ces modifications contrastées des taux de recharge provoquent des changements plus ou moins rapides des niveaux d’eau au sein des nappes phréatiques, selon la vitesse de circulation des eaux souterraines.

Des risques d’inondations par remontée de nappe sont associés aux zones où la recharge augmente tandis que des risques de sécheresse menacent les secteurs où la recharge diminue, avec pour conséquence des modifications importantes des régimes hydrologiques des eaux de surface (rivières, lacs zones humides…). Par exemple, les débits d’étiage des rivières décroissent dans les bassins hydrographiques où le niveau des nappes baisse en réponse à une diminution de la recharge.

Outre les précipitations, la fonte des glaciers et de la neige en montagne contribue souvent aussi de manière importante à la recharge des aquifères montagneux. Son augmentation future sous l’effet du réchauffement est susceptible d’impacter le régime de cette recharge d’une façon qu’il est encore difficile d’analyser.


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Le recul des glaciers augmente dans un premier temps la production d’eau de fonte, jusqu’à atteindre un maximum, connu sous le nom de « pic d’eau », avant de diminuer au fur et à mesure que les glaciers continuent à reculer. Aujourd’hui, environ la moitié des bassins hydrographiques glaciaires du monde auraient dépassé le pic d’eau. Dès lors, une diminution de la recharge des aquifères de montagne est maintenant attendue dans un nombre croissant de bassins glaciaires.

Des impacts sur la qualité des eaux souterraines

On parle beaucoup de volumes d’eau et de taux de recharge, mais le changement climatique altère également la qualité de l’eau souterraine. Les épisodes de pluie plus intenses et la recharge qui en découle sont susceptibles de mobiliser par lessivage des contaminants qui étaient précédemment stockés dans les sols.

D’un autre côté, le réchauffement peut conduire à l’augmentation des concentrations en solutés comme les chlorures, nitrates ou l’arsenic dans les sols et les eaux souterraines superficielles, en lien avec une augmentation de l’évapotranspiration, et une diminution de l’infiltration et donc une dilution moindre.

Enfin, l’augmentation de la température de l’eau souterraine, induite par le réchauffement global et localement par les îlots de chaleur urbains, modifie quant à elle la solubilité et la concentration dans l’eau de certains contaminants. Ces impacts sont moins souvent observés, mais bien réels, notamment dans le pourtour méditerranéen.

En outre, l’augmentation du niveau de la mer induit un risque de salinisation des sols et des aquifères côtiers dans le monde. Cette intrusion saline dépend de nombreux facteurs tels que la géologie côtière, la topographie et surtout les niveaux d’eau dans les nappes. Elle peut être particulièrement sévère dans les zones basses telles que les deltas, les îles ou encore les atolls où il existe des lentilles d’eau douce particulièrement sensibles au changement climatique.

Voilà pour les impacts directs. Mais les scientifiques estiment que l’impact du changement climatique sur les eaux souterraines peut être localement plus important au travers d’effets indirects, liés aux effets du changement climatique.

La hausse des prélèvements, un effet indirect

Le changement climatique risque en effet de provoquer une augmentation des prélèvements dans les aquifères par les agriculteurs pour faire face à l’augmentation de l’évapotranspiration liée au réchauffement et à la variabilité et diminution de l’humidité dans les sols ou de l’eau disponible en surface.

L’augmentation des pompages, pour l’irrigation notamment, induit une baisse chronique des niveaux d’eau qui menace la gestion durable des nappes, les écoulements d’eau vers les hydrosystèmes voisins ou les écosystèmes de surface dépendant des eaux souterraines (zones humides).

Cette pression accrue est susceptible de modifier considérablement le cycle de l’eau, avec de forts contrastes entre :

  • l’épuisement des eaux souterraines dans les régions où l’irrigation est principalement alimentée par des eaux souterraines ;

  • la montée du niveau des nappes résultant de la recharge par les flux d’excédent d’irrigation alimentée par les eaux de surface et pouvant conduire à un engorgement et à une salinisation des sols ;

  • et les modifications des climats locaux résultant de l’évapotranspiration accrue des terres irriguées.

Conséquences sur la « recharge potentielle » en France

L’incidence du changement climatique sur le taux de recharge des nappes aquifères en France métropolitaine a été récemment analysé par la communauté scientifique dans le cadre du projet Explore2.

Grâce à la mise en cascade de modèles climatiques avec des modèles hydrologiques, les chercheurs ont simulé les modifications du taux de recharge potentielle des nappes, selon deux scénarios d’évolution des émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère (émissions moyennes ou fortes).

La recharge potentielle est définie comme la part des précipitations efficaces susceptible de s’infiltrer depuis la surface et de recharger les aquifères sous-jacents, dans la mesure où ils possèdent les caractéristiques hydrodynamiques favorables. Elle est qualifiée de potentielle car son arrivée dans les aquifères ne peut être connue a priori et une partie de ce flux peut revenir vers les cours d’eau, en aval de sa zone d’infiltration.

Des régions affectées différemment

D’après ces travaux, la recharge potentielle annuelle pourrait augmenter dès le milieu du siècle entre + 10 % et + 30 % dans le nord et le nord-est de la France. Il resterait globalement stable sur le reste du pays – et ce pour les deux scénarios étudiés.

De plus, le cumul de recharge pendant l’hiver augmenterait pour presque toute la France, hormis une bande sud et une partie de la Bretagne. Dans un scénario de fortes émissions, la recharge potentielle annuelle baisserait sur le sud-ouest, le sud-est et la Corse en fin de siècle, de -10 à -30 %.

La période à laquelle la recharge potentielle est à son maximum serait par ailleurs avancée d’un mois du printemps vers l’hiver sur les chaînes alpines et pyrénéennes. En raison de la hausse des températures, les précipitations tomberaient en effet davantage sous forme de pluie, qui s’infiltre rapidement, et moins sous forme de neige, qui stocke l’eau jusqu’à la période de fonte.

Dans le cas du scénario de fortes émissions, le maximum de recharge de l’automne serait décalé d’un mois vers l’hiver sur le pourtour méditerranéen. Pour le reste du pays, aucune modification notable n’a été observée dans les projections étudiées.


BRGM, projet Explore2, Fourni par l’auteur

Des résultats rassurants mais incomplets

Ces résultats semblent à première vue rassurants, du moins dans le nord du pays. Ils ne prennent toutefois en compte que les impacts directs du changement climatique sur la recharge, liés à l’infiltration potentielle des précipitations.

Or, pour un grand nombre d’aquifères, l’infiltration de l’eau des cours d’eau constitue une part importante de la recharge. L’évolution future des débits des cours d’eau, qui à l’échelle annuelle, devraient diminuer dans la moitié sud du territoire hexagonal français, doit donc également être prise en compte.

De plus, les impacts indirects doivent également être intégrés à l’analyse pour élaborer les politiques publiques futures visant à assurer une gestion durable des nappes aquifères à l’échelle de notre pays : comme une éventuelle hausse de prélèvements pour faire face à l’augmentation de l’évapotranspiration et les modifications dans l’occupation des sols pour s’adapter au climat changeant.


Cet article s’inspire largement du rapport des Nations unies « Eaux souterraines : rendre l’invisible visible » et du rapport du projet Explore2 « Projections hydrologiques : recharge potentielle des aquifères ».

The Conversation

Jean-Christophe Maréchal a reçu des financements de ANR et AERMC

Jean-Pierre Vergnes a reçu des financements de l’ANR et du ministère de la transition écologique.

Sandra Lanini et Yvan Caballero ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

ref. Comment le changement climatique perturbe la recharge des eaux souterraines – https://theconversation.com/comment-le-changement-climatique-perturbe-la-recharge-des-eaux-souterraines-255628

Adolescence : Comment se forment les goûts musicaux

Source: The Conversation – Indonesia – By Gabriel Segré, Professeur des universités – Sociologie de l’art, culture et médias, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières

Dans nos sociétés numériques, on assiste à un éclatement des modes de découverte et de recommandation de la musique. Comment les jeunes naviguent-ils entre différents styles et se forgent-ils leurs propres goûts, entre influences familiales, conseils d’amis et algorithmes ?


Chez les préadolescents et adolescents, la découverte de la musique repose sur divers canaux. Il est rare que cette initiation dépende d’une seule instance de socialisation. Le plus souvent, entre leurs camarades, la famille, l’école et les recommandations des médias, les jeunes subissent ou mettent à profit plusieurs influences.

Les adolescents sont mis en présence de références, morceaux, artistes, genres musicaux au sein du groupe de pairs, par leurs copains de collège ou de lycée. Puis ils effectuent des recherches sur Internet, se rendant essentiellement sur YouTube, et sur Spotify dans une moindre mesure…

Un nom d’artiste ou un titre a été évoqué par un copain, le morceau a été écouté sur un téléphone et la recherche sur le Net peut commencer dès le retour à la maison ou immédiatement sur le téléphone.




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Parfois, la recherche s’effectue sans pistes ni orientations précises. Les découvertes se font au hasard des pérégrinations. Cependant, les prescriptions, suggestions, conseils présents sur les sites de diffusion musicale, encadrent la recherche.

Les réseaux sociaux, et plus largement Internet, constituent aussi une instance de socialisation musicale pour des adolescents inégalement, mais massivement connectés. Les préadolescents et adolescents sont également mis en contact d’artistes et de genres musicaux chez eux, au sein de la famille. La fratrie et les parents peuvent avoir alors une influence certaine sur leurs goûts (et parfois dégoûts) et modalités de pratique d’écoute.

Dans une recherche sur les pratiques culturelles et de loisirs des Français, Fabienne Gire et ses collègues identifient

« six types de réseaux : la famille foyer, la famille hors foyer, les amis, les collègues ou camarades d’école, les connaissances ou voisins, les personnes avec qui on a des liens uniquement par Internet ».

Les médias comptent également parmi les prescripteurs de musique et constituent une instance d’initiation à la musique et de formation du goût juvénile.

Quelle combinaison des influences ?

La sociologue Sylvie Octobre et ses collaborateurs mettent en avant la pluralité des transmissions et des agents de socialisation culturelle et soulignent l’importance de se pencher sur leur combinaison.

Les témoignages recueillis auprès des adolescents et préadolescents interrogés permettent de constater l’action commune de ces instances et espaces de socialisation à la musique : Internet, famille, pairs, médias, parfois école ou plus exactement conservatoire de musique…

Il est très fréquent qu’un discours renforce ou valide l’autre, que les conseils du copain fassent écho aux algorithmes de recommandation sur les sites de streaming, que les prescriptions du frère s’accordent avec la programmation de telle radio, que l’action du parent se trouve soutenue par celle du professeur de musique, etc.

Il arrive évidemment que les prescriptions musicales se contredisent, que parents, pairs, médias, profs… entraînent le jeune auditeur vers des univers différents, parfois qu’ils entrent en conflit ou se frictionnent. Mais il semble que ces guides contribuent à l’élargissement du portefeuille de goûts, à un âge où la curiosité semble dominer.

Il reste que le rapport (pacifié ou tendu) entretenu avec ces instances, notamment l’école et les parents, décide pour une grande part de l’accueil qui sera fait (suivi ou rejet) aux suggestions, présentations ou recommandations… L’initiation à la musique des préadolescents et adolescents est le résultat, comme la transmission culturelle des enfants, d’un « jeu d’influences croisées, parfois contradictoires […] » dû à un nombre important de « transmetteurs potentiels », ainsi que le notent Sylvie Octobre et ses collègues.

Des modes de transmission pluriels

À écouter ces préadolescents et adolescents parler de la façon dont ils ont découvert la musique qu’ils écoutent, dont ils se sont constitué un répertoire de goûts, on constate combien ces processus sont complexes et divers. On assiste à un éclatement des modes de découverte et des modes de recommandation de la musique.

À la pluralité des influences s’ajoute la multiplicité des manières dont elles s’exercent. La transmission musicale s’effectue au cours d’interactions diverses, à travers « les discussions (parler de), les échanges d’objets (prêts ou emprunts), les pratiques communes (faire avec) ». On retrouve ce que Sylvie Octobre et son équipe ont identifié à propos des modes de transmission culturelle : une multiplicité de registres (depuis les transmissions implicites par imprégnation jusqu’aux transmissions explicites par inculcation) et leur interpénétration.

Selon les familles et le degré de contrôle exercé par les parents, leur volonté plus ou moins importante d’accompagner l’enfant dans sa découverte musicale et sa pratique d’écoute, on observe des formes de « persuasion clandestine » mais aussi des actions pédagogiques, des « incitations, accompagnements, coconsommation ».

Selon les groupes de pairs, on peut retrouver aussi des formes de transmission implicites ou explicites, des accompagnements en douceur ou de véritables prises en main par un copain « amateur de trash metal » ou de « rap US » qui va jouer le rôle d’initiateur et exercer un contrôle sévère sur les pratiques et les goûts, sur la musique écoutée, sur les acquisitions de morceaux, voire sur les discours, les codes vestimentaires et capillaires, jusqu’à parfois transformer la personnalité de son protégé.

Certains pairs, à l’instar de certains parents, outrepassent ainsi largement leur rôle de modèle et ressource pour investir celui de guide autoritaire, pouvant récompenser, gratifier symboliquement ou, au contraire, sanctionner les « fautes de goût », les « impairs » de l’apprenti amateur.

S’approprier l’héritage musical

Évidemment, quelles que soient ces influences et leurs modalités d’exercice, elles ne connaissent pas toutes le même sort. Elles sont diversement reçues et leur efficacité dépend de celui sur qui elles s’exercent.

« Héritage n’est pas transmission : la transmission suppose une action des héritiers qui est toujours une transformation, une réinterprétation », comme le rappelle Sylvie Octobre.

Que l’adolescent ou préadolescent soit accompagné dans sa découverte musicale par les parents, les pairs, les médias, les algorithmes ou l’institution scolaire, il n’est jamais sans exercer des choix, effectuer un travail de tri, de sélection, de réinterprétation, de rejet, d’appropriation, etc. Il décide d’accorder plus ou moins de crédit à telle suggestion, à telle source, d’accepter ou de rejeter telle recommandation.

Il recompose sans cesse un ordre de légitimité, toujours mouvant, jamais figé, avec tantôt à son sommet un pair ou un autre, ou encore le père. Il accorde sa confiance à telle instance puis à une autre, disqualifiant la première. Sylvie Octobre analyse la transmission comme processus qui voit l’influence des uns minorée à un moment donné, à « un point de l’existence », puis qui peut être replacée au tout premier plan. C’est un processus qui admet « des allers-retours », des « prises et déprises culturelles ».

La pluralité de lieux et de temporalités

On observe enfin une grande pluralité d’espaces de découverte et d’écoute de la musique : au sein de la famille, dans la solitude de la chambre face à un ordinateur ou allongé sur son lit, au collège ou au lycée dans la cour de récréation ou sur le trajet de l’école. Le caractère nomade de l’écoute est largement favorisé par le développement des nouvelles technologies.

Les situations de découverte de musique, à présent que celle-ci peut s’écouter et se partager, s’échanger et se transmettre en tous lieux et à tous moments, sont véritablement infinies. Comme est infini, on l’a dit, le nombre des instigateurs, acteurs parfois involontaires de cette socialisation musicale. La musique, ainsi que l’a démontré la sociologue Tia DeNora, au tout début des années 2000 « est omniprésente dans tous les lieux de vente » :

« Qu’elle soit émise discrètement de haut-parleurs camouflés ou qu’elle soit déversée à pleine puissance par une vidéo trônant bien en évidence, la musique fait partie intégrante de l’environnement de la vente au détail. »

C’est plus vrai encore aujourd’hui, et cette omniprésence ne saurait se limiter aux seuls lieux de vente. Elle se constate dans l’ensemble des lieux publics et privés, transports en commun, gares, parkings, ascenseurs, salles d’attente et, bien sûr, la rue, diffusée aussi bien à travers des enceintes que jouée par des musiciens.


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Au cours d’une journée, depuis le réveil jusqu’au coucher, chez lui, sur le trajet du collège ou du lycée, l’adolescent se trouve en présence de musiques, qu’il connaît ou reconnaît, qu’il découvre, aime ou déteste, qui l’indiffèrent, que parfois il n’entend plus, ou qui retiennent son attention ou le bouleversent.

Cet adolescent dispose de plus en plus d’outils l’aidant à identifier tel titre et à le retrouver instantanément. Avec son téléphone, il peut noter une phrase du refrain, enregistrer, et différer sa recherche du morceau (et de ses références) qu’il entend et apprécie.

De même que l’on constate une pluralité d’influences, de modalités de transmission et de découverte, d’acteurs de l’initiation, de lieux, de temps de cette découverte, on observe une diversité de temporalités (dans une journée comme dans une période plus vaste de vie). Des temporalités qui se succèdent, se chevauchent, alternent : le « temps des copains », le temps de la famille, le temps de l’école…

The Conversation

Gabriel Segré a reçu le soutien de l’Agence Nationale de la Recherche

ref. Adolescence : Comment se forment les goûts musicaux – https://theconversation.com/adolescence-comment-se-forment-les-gouts-musicaux-248721

ChatGPT à l’université : pourquoi encadrer vaut mieux qu’interdire ou laisser-faire

Source: The Conversation – Indonesia – By Karine Revet, Professeur de stratégie, Burgundy School of Business

Depuis l’arrivée de ChatGPT, les écoles et universités se retrouvent face à un défi de taille : comment intégrer ces outils sans compromettre leurs principes éducatifs fondamentaux ?


L’intelligence artificielle (IA) générative offre une multitude de perspectives prometteuses dans les établissements d’enseignement supérieur : innovation pédagogique, personnalisation des apprentissages, gain de temps et stimulation de la créativité. Cependant, elle pose de sérieuses inquiétudes éthiques : risque de triche, manque d’esprit critique, problèmes d’inégalités d’accès ou, encore, perte du sens de l’effort. Dans ce contexte, faut-il interdire ces technologies, les autoriser librement ou encadrer leur usage ? et comment ?

Notre recherche pointe un paradoxe : si les étudiants peuvent utiliser librement ChatGPT et d’autres IA génératives, l’établissement est perçu comme plus innovant, mais ses pratiques sont alors jugées comme moins éthiques. À l’inverse, une interdiction totale permet de rassurer en matière d’éthique, mais au prix d’une image vieillissante. Face à ce dilemme, il est essentiel de trouver la combinaison gagnante.

ChatGPT en classe : trouver l’équilibre entre innovation et éthique

Les outils d’IA générative (ChatGPT, Midjourney, Dall-E, etc.) permettent en quelques secondes de produire du texte, des images ou encore du code. En 2023, une étude estimait que ces outils avaient augmenté la productivité des professionnels de 40 % et amélioré la qualité de leur travail de 18 %.

L’utilisation massive de l’IA générative, y compris dans les universités et parfois à l’insu des enseignants, ne se fait pas sans poser de problèmes. Plusieurs rapports alertent sur des enjeux éthiques clés liés à cette utilisation, tels que la responsabilité, la supervision humaine, la transparence ou l’inclusivité.

Pour mieux comprendre comment les politiques d’usage de l’IA générative influencent l’image d’un établissement, nous avons mené deux études expérimentales auprès de plus de 500 étudiants. Dans chacune, les participants ont été répartis au hasard en trois groupes. Chaque groupe devait lire une petite description d’une école appliquant différentes politiques et règles pour gérer l’usage de l’IA générative. Dans un cas, l’école interdisait complètement son utilisation. Dans un autre, elle l’autorisait sans aucune règle. Et dans le dernier, elle permettait l’IA mais avec des règles claires, comme indiquer quand elle avait été utilisée ou limiter son usage à certaines tâches.

Les participants devaient ensuite évaluer l’image de l’école en indiquant à quel point elle leur semblait innovante, éthique et digne de confiance, c’est-à-dire s’ils auraient envie de la soutenir ou d’y étudier.

Les résultats sont clairs, peu importe le contexte (par exemple, un devoir à la maison, un projet en classe, un travail de mémoire). Les écoles interdisant complètement l’IA sont jugées plutôt éthiques, mais elles sont largement pénalisées en termes d’innovation. Celles autorisant l’IA sans cadre apparaissent comme plutôt innovantes, mais souffrent d’une image peu éthique, suscitant le moins de soutien de la part des étudiants. Les écoles autorisant l’usage encadré et régulé de l’IA réussissent à dégager un double avantage, étant perçues à la fois comme les plus innovantes et les plus éthiques.




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En d’autres termes, le flou ou l’absence de cadre nuit à la crédibilité. À l’inverse, une politique claire, autorisant l’usage de l’IA générative avec des règles définies, renforce la confiance et l’adhésion des étudiants.

Questions d’IA : un indicateur fort pour étudiants

Les parents, les étudiants, les enseignants et les recruteurs veulent savoir si une école prépare vraiment aux défis du XXIe siècle. Adopter l’IA sans cadre donne certes une image technophile, mais aussi irresponsable. Refuser tout net l’IA peut rassurer au début, mais revient in fine à ne pas tenir compte des évolutions de la société.

Seule une stratégie encadrée permet de conjuguer innovation et valeurs éducatives et, ainsi, répondre aux attentes et nécessités de chacun. Pour les étudiants, l’IA doit rester un outil utile, mais encadré, afin d’éviter tout risque de fraude. De leur côté, les enseignants ont besoin de repères clairs pour intégrer ces technologies sans compromettre les valeurs académiques.

Les parents attendent des écoles qu’elles allient rigueur et modernité. Quant aux décideurs, ils ont tout intérêt à définir un cadre réglementaire cohérent, plutôt que de laisser chaque établissement concevoir sa propre réponse.

Afficher des règles claires

Notre étude montre qu’encadrer l’usage de l’IA à l’université est une condition essentielle pour être innovant tout en préservant l’éthique. Sans règles claires, le recours à l’IA peut fragiliser l’intégrité académique et dévaloriser les diplômes. Il est donc crucial que les établissements prennent ce sujet au sérieux, et que les pouvoirs publics les soutiennent par des recommandations précises et cohérentes.

Plusieurs établissements précurseurs ont déjà mis en place certaines règles simples pour encadrer l’usage de l’IA générative. Cela inclut la transparence quant aux outils utilisés et aux instructions données à l’IA, une mention explicite de toute aide reçue dans les travaux, ainsi que des limites claires sur les tâches autorisées (comme la reformulation ou l’aide à la grammaire, mais pas la rédaction complète). Certaines écoles intègrent également l’éthique de l’IA dans leurs cursus dès la première année et encouragent un usage pédagogique de l’IA dans le cadre d’exercices spécifiques.


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Certaines institutions pionnières ont déjà mis en place de telles chartes, comme en témoigne le rapport de la Commission européenne sur l’usage responsable de l’IA dans l’enseignement. Dans un monde où les technologies évoluent plus vite que les institutions, seules les écoles capables de conjuguer rigueur et adaptation gagneront la confiance de leurs communautés.

Intégrer l’IA ne doit pas être perçu comme une simple mode passagère, mais plutôt comme une réponse concrète à un enjeu éducatif majeur, préservant en même temps les valeurs éthiques de l’enseignement ainsi que l’ouverture essentielle à l’innovation. Les institutions capables de relever ce défi seront les mieux placées pour former des esprits critiques prêts à affronter les enjeux de demain.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. ChatGPT à l’université : pourquoi encadrer vaut mieux qu’interdire ou laisser-faire – https://theconversation.com/chatgpt-a-luniversite-pourquoi-encadrer-vaut-mieux-quinterdire-ou-laisser-faire-257364

Parcoursup, ou les discrets rites de la méritocratie algorithmique

Source: The Conversation – Indonesia – By Emmanuel Carré, Professeur, directeur de Excelia Communication School, chercheur associé au laboratoire CIMEOS (Université de Bourgogne), Excelia

Derrière son apparente rationalité, Parcoursup constitue un nouveau rituel d’entrée dans l’âge adulte. Explications à l’occasion de la phase complémentaire.


Comme chaque été, lors de la « phase complémentaire » de Parcoursup, destinée aux candidats n’ayant pas reçu de proposition d’admission en juin, des milliers de bacheliers tentent de démêler les incertitudes laissées par la première vague d’affectations.

Derrière l’apparente rationalité de ce dispositif algorithmique se cache un mécanisme plus profond, souvent invisibilisé : un véritable rituel contemporain, qui transforme l’élève en candidat, le parcours en profil, et l’orientation en épreuve de sélection

Un rite moderne, mais bien réel

Depuis les travaux d’Arnold Van Gennep publiés en 1909, l’anthropologie a montré que les sociétés structurent les transitions de vie à travers des rites de passage : séparation, marge, agrégation. Parcoursup rejoue ce scénario.

D’abord, la séparation : l’élève quitte son statut protégé pour devenir un candidat. Puis vient la phase liminale : saisie des vœux, rédaction de lettres de motivation, attente silencieuse face à un algorithme opaque. Enfin, l’agrégation : le jeune devient « accepté », « recalé » ou « en attente », selon des critères rarement explicités.

Victor Turner, auteur du Phénomène rituel (1969), insistait sur la vulnérabilité propre à cette phase liminaire, qui représente le moment où les repères se brouillent et où les sujets, incertains, sont prêts à intérioriser de nouvelles normes.

C’est exactement ce qui se produit ici. Dès la classe de seconde, les élèves orientent leurs choix de spécialités, construisent leur « profil », adaptent leurs loisirs ou engagements pour « plaire » à l’algorithme, dont la logique reste pourtant largement inconnue. Le mythe d’un algorithme impartial s’impose comme un horizon indiscutable.

Le sacré numérique et l’efficacité du rite

Comme le notait l’historien et philosophe Mircea Eliade, dès les années 1960, les rituels modernes n’ont pas disparu : ils ont été sécularisés, dissimulés dans des procédures répétées.

Parcoursup fonctionne ainsi comme un rituel sacralisant l’outil technique. L’algorithme est réputé neutre car il serait dénué d’intention humaine. Il devient un oracle d’un nouveau genre : inaccessible, indiscutable, mais censé révéler la « vraie » valeur des candidats.




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Ce sacré numérique résiste même à l’épreuve du réel. Des cas révélateurs circulent sur les réseaux sociaux : une lycéenne ayant remplacé sa lettre de motivation par une recette de cookies a tout de même été admise. Preuve que ces éléments sont parfois ignorés ou traités automatiquement. Ce bug symbolique n’a pas suscité d’indignation généralisée. Il a été relativisé, comme si tout dysfonctionnement relevait d’une anecdote et non d’une remise en cause systémique.

Méritocratie et soumission volontaire

En théorie, Parcoursup vise à garantir l’égalité des chances. En pratique, il transforme la sélection en preuve de mérite. Comme l’avait anticipé le sociologue Michael Young (1958), la méritocratie fonctionne comme un théâtre : elle joue l’équité tout en renforçant les hiérarchies sociales. Les chiffres sont connus : les enfants de cadres représentent plus de 50 % des admis en classes préparatoires, contre 7 % pour les enfants d’ouvriers.

Mais le plus frappant est l’absence de remise en question. Comme l’ont montré les professeurs Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois, plus un individu est impliqué dans un système, plus il y adhère. Ici, la soumission paraît tout à fait librement consentie : les élèves investissent tant d’efforts dans la constitution de leur dossier, la rédaction de leur projet, la mise en scène de leur « cohérence », qu’il devient psychologiquement difficile de remettre en cause le dispositif.

Pierre Bourdieu (1970) parlait de « violence symbolique » pour désigner cette intériorisation de la domination. Parcoursup illustre parfaitement ce phénomène : le tri est vécu comme juste parce qu’il est présenté comme rationnel. Ceux qui échouent sont renvoyés à leur responsabilité personnelle. Et ceux qui critiquent l’algorithme se voient souvent accusés de vouloir le retour au « piston ».

Une nouvelle forme de gouvernement par les données

Parcoursup ne se contente pas de répartir les élèves : il façonne des conduites. Il incarne une forme de gouvernementalité algorithmique. Dans ce système, les individus s’autodisciplinent, optimisent leurs parcours, et se transforment en gestionnaires d’eux-mêmes. L’école devient un lieu où il ne s’agit plus seulement d’apprendre, mais de se rendre sélectionnable.

Parcoursup : la difficulté des lycéens sur liste d’attente (M6 Info, juin 2025).

Ce processus transforme en profondeur la citoyenneté éducative. L’élève devient un entrepreneur de soi, calibré pour plaire au système plus que pour interroger son sens. Luc Boltanski et Ève Chiapello dans Le nouvel esprit du capitalisme décrivaient déjà cette injonction à « se réaliser » comme une nouvelle norme de gouvernement.

Lire Parcoursup comme un rituel permet de comprendre sa puissance : il agit non par contrainte, mais par adhésion intériorisée. Loin d’être une simple plate-forme, il devient un instrument politique qui transforme l’évidence en norme. Comme le rappelait Hannah Arendt (1972), « le pouvoir n’existe que tant qu’il est rejoué ».

Il ne s’agit pas seulement de désacraliser l’algorithme, mais de repenser le processus d’orientation lui-même : non comme un outil de tri, mais comme un moment éducatif et réflexif.

Plutôt que d’ajuster nos trajectoires à une logique opaque, ne devient-il pas urgent d’ajuster les dispositifs aux finalités humaines que nous voulons défendre ? Interroger Parcoursup, c’est rouvrir une question essentielle : à quoi, pour qui, et avec qui, voulons-nous être formés aujourd’hui ?

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Emmanuel Carré ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Parcoursup, ou les discrets rites de la méritocratie algorithmique – https://theconversation.com/parcoursup-ou-les-discrets-rites-de-la-meritocratie-algorithmique-259219

Doctorat : Les coûts invisibles de la thèse, entre surmenage et anxiété

Source: The Conversation – Indonesia – By Faustine Rousselot, Docteure en sciences de l’éducation et de la formation, Université de Lille

Dans _le Théorème de Marguerite_ (2023), d’Anna Novion, l’actrice Ella Rumpf interprète une doctorante qui doute de son sujet de recherche. Michael Crotto/TS productions

Véritable cheminement intellectuel, le doctorat peut aussi, par la précarité qu’il induit, devenir un véritable parcours du combattant au quotidien, fragilisant durablement les jeunes chercheurs sur le plan psychologique comme économique. Retour sur les enseignements d’une enquête autour de 15 parcours en sciences humaines et sociales.


Avec le Vacataire, publié en 2025, l’économiste Thomas Porcher a mis un coup de projecteur sur la précarité de ces enseignants non fonctionnaires. Souvent doctorants ou jeunes docteurs, ils sont payés à l’heure de cours, n’ont pas accès aux protections sociales et leur salaire peut leur être versé plusieurs mois après leur intervention.

Ces vacataires représenteraient aujourd’hui près de deux tiers des personnes assurant des cours dans les universités françaises, estime Thomas Porcher. Mais cette précarité ne commence pas avec les vacations : elle s’installe dès la thèse. En France, le doctorat dure en moyenne de quatre à six ans en sciences humaines et sociales, avec pour objectif la production de savoirs nouveaux. Dans ces disciplines, certains doctorants obtiennent un contrat doctoral ou une bourse, mais cela reste minoritaire : beaucoup d’entre eux doivent travailler à côté de leurs recherches pour subvenir à leurs besoins.




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Nombre de vacataires sont encore doctorants, et les heures mal rémunérées s’ajoutent à une surcharge de travail (manuscrit à rédiger, préparation de cours, publication à produire), à un manque de reconnaissance (peu de valorisation institutionnelle, faible intégration dans les équipes de recherche) et à une forte solitude. Loin d’être une exception, ces vacations s’inscrivent dans un système plus vaste de fragilisation du monde académique, qui oblige nombre de doctorants à consentir des sacrifices invisibles pour simplement rester dans la course.

En parallèle de mon activité d’attachée temporaire d’enseignement et de recherche (Ater), j’ai mené une enquête auprès de 15 jeunes docteurs en sciences humaines et sociales, récemment diplômés. Leurs récits ne racontent pas tant une réussite académique qu’un chemin marqué par l’incertitude, les renoncements et l’épuisement. Plusieurs évoquent des projets personnels reportés, un isolement prolongé ou un sentiment de vide à l’issue de la soutenance. Ces témoignages soulèvent une question : que nous dit le doctorat sur la manière dont l’université forme, encadre et, parfois, fragilise ses futurs chercheurs ?

Une vie mise entre parenthèses

Tout le monde le sait, faire une thèse est difficile. Mais souvent, on imagine que cette difficulté sera d’abord intellectuelle. Or, dans les 15 récits que j’ai recueillis, personne ne se plaint d’exigences intellectuelles trop élevées. Les difficultés sont ailleurs. Les renoncements sont d’ordre personnel.

Clotilde a mené toute sa thèse sans financement : elle a travaillé en tant que « nanny », puis a enchaîné des vacations tout au long de son parcours doctoral. Elle a reporté le projet d’avoir un enfant et vécu dans une incertitude permanente liée à ses ressources financières : elle ne savait si elle pourrait subvenir à ses besoins les mois suivants, comme elle le dit : « J’ai mis ma vie en pause. »

Alice, de son côté, s’est volontairement isolée pour rester concentrée, elle s’enfermait plusieurs jours dans des logements temporaires pour écrire, jusqu’à couper ses liens sociaux. Amandine parle d’un emploi du temps saturé : « Il y avait soixante-dix heures par semaine ou plus qui étaient consacrées au travail, donc après, je mangeais, je dormais. »

Une autre personne interrogée évoque une période de tension continue entre charge professionnelle et vie personnelle : « Je faisais deux heures et demie de route, matin et soir, pour donner mes cours avec mes deux enfants à gérer. J’étais épuisée, mais je ne pouvais pas lâcher. »

Thomas Porcher : « Il y a une forme de mépris à l’égard de ceux qui font tourner les universités » (France Inter, avril 2025).

Ces témoignages disent que le doctorat, ce n’est pas seulement une surcharge de travail. C’est une pression continue qui efface progressivement ce qui fait la vie autour du travail : les projets, les relations, le soin de soi. Et cet effacement s’aggrave encore lorsque les conditions économiques sont précaires. Toutes les personnes interrogées n’ont pas connu la même stabilité financière, mais pour beaucoup, le manque de ressources est venu renforcer la tension permanente : il rend chaque choix plus lourd. Une personne participant à l’enquête raconte :

« Financièrement, c’était très dur. C’est aussi pour ça que j’ai songé à arrêter. Je dis que c’est à cause de mon directeur, mais c’est à cause de… moi, je mettais la pression à mon directeur pour la finir rapidement cette thèse parce que ça a duré longtemps et j’avais besoin de gagner de l’argent, en fait. Et ce n’est pas les vacations à la fac qui me faisaient gagner un salaire normal. »

Un autre évoque la pression qui s’ajoute à celle du quotidien :

« Ma famille me disait : “Quand est-ce que tu vas te mettre à travailler ?”, parce qu’il faut rentrer de l’argent. Donc, il y avait aussi cette notion-là qui mettait un poids en plus. »

Le doctorat devient un espace de fragilité totale, où l’incertitude matérielle alimente l’usure mentale et l’effacement de soi.

Une mobilisation mentale continue

Les récits recueillis évoquent rarement un burn out au sens clinique. Mais tous parlent d’une tension psychique consentante : fatigue extrême, pensées envahissantes, culpabilité de ne jamais en faire assez.

Amandine décrit cette spirale mentale avec lucidité : « C’est que j’étais tout le temps en train de réfléchir à ce que j’avais à faire, à ce que je n’avais pas fait. C’est un truc qui te quitte pas. »

Chez Sebastian, cette pression se traduit par une culpabilité omniprésente :

« Au début, je culpabilisais beaucoup. Après, il y a un moment où je culpabilisais des fois d’aller au ciné ou de regarder Friends. Et, bien sûr, le sentiment de culpabilité, il va structurer tout ton état d’esprit quand tu es en thèse. »

Jean, lui, parle de pensées intrusives qui se poursuivent bien au-delà de la fin de la thèse : « Pendant un an, j’avais encore des pensées intrusives de thèse. Genre : “Il faut que tu bosses sur ta thèse.” Alors qu’elle était finie. »


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Un autre témoignage montre comment cette pression glisse vers une anxiété aiguë, presque corporelle :

« Pendant les moments où j’écrivais ma thèse, j’avais de plus en plus des moments de panique. De temps en temps, je sentais des crises d’anxiété qui montaient. »

Ces formes de fragilités ne sont pas isolées. Elles traduisent un système qui demande une mobilisation mentale permanente, sans droit au relâchement. Pour plusieurs, c’est après la soutenance que le corps lâche. Quand la pression tombe enfin, le vide s’installe. L’une raconte :

« J’ai cassé le plafond de verre, mais je continue à enlever les morceaux qui sont plantés dans ma peau. »

Troubles de la concentration, fatigue chronique, perte d’élan : la thèse ne s’arrête pas avec le manuscrit. Elle se poursuit dans le corps, la mémoire, le silence.

Et après tant de sacrifices, que reste-t-il ? Certains ont décroché un poste, d’autres enchaînent les contrats précaires. Mais certains ont renoncé, ils ne veulent plus faire partie du monde académique. Ces récits disent la fatigue d’un système qui épuise ses propres chercheurs avant même leur entrée dans la carrière.

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Faustine Rousselot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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Que faire si vous n’aimez pas les amis de votre enfant ?

Source: The Conversation – Indonesia – By Rachael Murrihy, Director, The Kidman Centre, Faculty of Science, University of Technology Sydney

Comment réagir lorsque votre enfant s’entend bien avec un camarade que vous jugez trop turbulent, malpoli, voire tyrannique ? Est-il bienvenu en tant que parent de s’immiscer dans les relations de vos enfants ?


Nombreux sont les parents qui connaissent cette situation : leur enfant a un bon, voire un meilleur ami, mais ils ne l’aiment pas…

Cet ami peut être autoritaire, mal élevé ou sauter sur vos meubles. Vous n’aimez peut-être pas la façon dont votre enfant se comporte lorsqu’il est avec lui.

Quand il s’agit d’enfants plus âgés, votre aversion peut être liée au langage de l’ami, à sa posture vis-à-vis de l’école ou à sa façon de prendre des risques. Peut-être aussi que cet ami souffle le chaud et le froid, provoquant des drames en série.

Que faire alors, en tant que parents, dans ce genre de circonstances ?

Fixer des règles

Si vous estimez que votre enfant est maltraité, cela peut susciter en vous un instinct de protection qui se manifeste par une réaction corporelle de lutte ou de fuite.

Cela provoque une montée d’adrénaline qui peut vous pousser en tant que parents à réagir par la critique, voire tenter de vous opposer à cette amitié.

Cependant, cette façon de faire peut causer plus de mal que de bien, en particulier dans le cas d’adolescents enclins à rejeter leurs parents.

Avec les enfants plus jeunes, des limites claires peuvent être fixées dès le début de la rencontre. Par exemple, en leur disant : « les jeux sont interdits dans la chambre des parents » ou « on ne saute pas sur le canapé ».

Si les enfants utilisent un langage méchant ou grossier les uns envers les autres, vous pouvez d’emblée annoncer qu’on n’utilise pas tel ou tel mot dans cette maison et que la courtoisie est ici la règle.

Les séances de jeu peuvent être organisées de préférence à l’extérieur, ce qui peut être particulièrement utile en cas de comportement bruyant, destructeur ou grossier. Et, si vous le pouvez, prévoyez moins de séances de jeu avec l’enfant en question.

Mais les parents peuvent également réfléchir à la raison pour laquelle cet enfant les dérange. Cette réaction est-elle justifiée ou provient-elle de leurs propres préjugés et opinions ? Les amis de votre enfant ne doivent pas nécessairement être ceux que vous choisiriez.

Être à l’écoute des besoins des adolescents

Pour devenir des adultes accomplis, les adolescents doivent franchir différentes étapes de développement les aidant à devenir plus autonomes et indépendants. Interférer avec leurs relations amicales perturbe ce processus et, en fin de compte, les déresponsabilise.

Dans les années 1960, la psychologue américaine Diana Baumrind a publié une célèbre recherche sur la parentalité établissant qu’un style autoritaire se traduit par moins de confiance et moins d’indépendance chez l’enfant que s’il est élevé dans un foyer qui, au-delà des règles, est à l’écoute de ses besoins.

Afficher des réticences à l’égard des amis ou des partenaires potentiels de votre enfant risque également d’entraîner un effet « Roméo et Juliette », où la désapprobation lui donne encore plus envie de rencontrer ces personnes.

Ainsi, dans le cas d’adolescents et de leurs amis, l’approche doit être encore plus nuancée. L’objectif premier est d’encourager l’enfant à considérer le parent comme une personne à qui s’adresser en cas de problème. Si vous êtes tentés d’être critiques, posez-vous au préalable la question suivante : cela est-il dans l’intérêt de votre enfant ?

Il est important de laisser les enfants faire des erreurs pour qu’ils puissent en tirer des leçons. Apprendre à discerner ce qu’ils veulent ou ne veulent pas dans les relations est une compétence essentielle pour la vie.

Des amitiés qui évoluent

Favoriser un dialogue ouvert sur les relations de l’enfant vous permet d’exercer une influence de manière plus subtile et adaptée à son développement.

Pour les plus jeunes, vous pouvez profiter d’un moment de calme pour poser des questions du type : « Que peux-tu dire à Charlotte si tu ne veux plus jouer à son jeu ? » ou « Quelle est la meilleure façon de réagir si elle est trop autoritaire ? »

Pour les enfants plus âgés, l’idéal est d’attendre qu’ils aient envie d’échanger avec vous, plutôt que de les questionner d’emblée. Informez-vous gentiment, sans porter de jugement, sur cette amitié, avec des questions comme : « Qu’aimez-vous faire ensemble ? » ou « Parlez-moi de ce que vous avez en commun. »


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Si l’adolescent semble contrarié ou mal à l’aise, résistez à l’envie de rejeter le problème ou de vouloir le résoudre. L’écoute est la clé pour aider un jeune à affronter un problème, en lui montrant qu’il est soutenu et non jugé.

Et n’oubliez pas que toutes les amitiés ne durent pas. Au fur et à mesure que les enfants grandissent, la plupart d’entre eux se font naturellement de nouvelles connaissances et en abandonnent parmi les anciennes.

Seule exception à cette approche tournée vers les adolescents : s’il y a un risque pour la sécurité de l’enfant. En cas de brimades ou d’abus sous quelque forme que ce soit, les parents doivent intervenir et parler directement à l’école ou à d’autres autorités compétentes, même si leur enfant s’y oppose.

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Rachael Murrihy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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La compensation centralisée permet-elle vraiment une finance plus stable ?

Source: The Conversation – Indonesia – By John Zhang, Professeur de comptabilité, Audencia

Pensée et voulue pour éviter une nouvelle crise de 2008, la compensation centralisée crée paradoxalement de nouveaux risques. Le bilan des risques et des protections apportées par ce dispositif est très complexe à réaliser. Régulateurs et investisseurs débattent de la question de la compensation depuis plusieurs années, avec des arguments et des intérêts pas toujours convergents.


Pensant tirer des leçons de la crise financière de 2007-2008, les régulateurs mondiaux avaient décidé, lors du sommet du G20 en 2009, d’introduire une réforme qu’ils considéraient comme essentielle pour renforcer la stabilité des systèmes financiers : la compensation centralisée obligatoire sur les produits dérivés. Lancé finalement en France à l’été 2016 à la suite du règlement européen Emir, ce processus comporte d’indéniables atouts mais aussi d’importants inconvénients.

Ce mécanisme exige que les échanges de produits dérivés passent par une chambre de compensation indépendante, et ne soient plus directement conclus entre les parties qui vendent et achètent ces produits. Pour rappel, les produits dérivés sont des titres dont la valeur dépend d’un indice ou du prix d’un autre titre. Ils permettent aux spéculateurs de prendre des risques : si un titre est assis sur le cours du dollar et qu’il pense que celui va s’envoler, il aura tout intérêt à en faire l’acquisition pour réaliser une plus-value. Le céder aujourd’hui pour qui en possède un, c’est se débarrasser d’un risque, celui d’un effondrement de la monnaie américaine.

Des garanties conséquentes

Contrairement à la négociation d’actions, qui s’effectue principalement par l’intermédiaire d’une bourse indépendante tierce, la négociation de produits dérivés s’effectue de gré à gré, c’est-à-dire directement entre les parties qui vendent et achètent. Pour mettre en œuvre cette réforme, en 2012, les régulateurs de l’UE et des États-Unis ont adopté des règles visant à instaurer des exigences de compensation pour certains produits dérivés et ils ont ensuite progressivement élargi la liste des types de produits dérivés concernés.

La mise en œuvre de la compensation centralisée des produits dérivés exige que les parties négociantes déposent des garanties conséquentes auprès de la chambre de compensation pour mener à bien la transaction. Évidemment, de telles exigences augmentent les contraintes de qui veut négocier, ce qui a suscité des inquiétudes parmi les politiques.


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Néanmoins, le mécanisme permet, plutôt que d’avoir à régler tous ses achats et encaisser toutes ses ventes, de ne régler auprès de la chambre ou de recevoir d’elle que le solde net qui apparaît lorsque l’on fait la somme de toutes les transactions. Imaginons une institution A qui achète un titre deux millions à B, un autre trois millions à C et en vend un six millions à D. Plutôt que de réaliser trois mouvements sur son compte, elle n’en réalisera qu’un seul de montant moindre : recevoir un million. Cet exemple montre que le mécanisme peut de facto compenser les exigences accrues de garanties. Cela peut finalement contribuer à atténuer les contraintes de capital des institutions financières. D’autant plus si elles répercutent le mécanisme au sein de leur bilan.

Le paradoxe de la transparence

La question de savoir si la compensation doit être autorisée fait l’objet d’un débat permanent entre les régulateurs et les investisseurs. Les principes comptables généralement admis aux États-Unis (GAAP) permettent aux institutions financières de choisir de compenser ou non leurs actifs et leurs passifs et de ne comptabiliser que les valeurs nettes, ce qui peut réduire de manière significative le capital réglementaire nécessaire. En comparaison, les normes internationales d’information financière (IFRS) sont plus restrictives et n’autorisent la compensation et la présentation nette que lorsque la partie déclarante dispose d’un droit donné par la loi de compenser les montants comptabilisés.

Banque de France 2017.

La différence entre les GAAP et les IFRS réside dans les divergences de vues quant à la compensation. Tandis que les institutions financières soutiennent que la compensation peut alléger leurs contraintes en termes de capital et de liquidité, les régulateurs craignent qu’elle ne réduise la transparence des rapports financiers, ce qui pourrait nuire à la stabilité financière. En effet, une fois les actifs et les passifs financiers compensés, les risques contenus dans ces actifs et ces passifs ne seraient plus détectables par les régulateurs et les investisseurs extérieurs.

Une réforme paradoxale ?

La réforme de la compensation centralisée s’appuie pourtant sur l’argument qu’elle peut améliorer la transparence du marché des produits dérivés. Le mécanisme accroît par exemple la transparence post-négociation grâce à la publication d’informations sur la position des débiteurs, comme le volume quotidien des transactions, l’intérêt ouvert et les prix de règlement. Un mécanisme de compensation centralisée enregistre toutes les transactions par compensation et génère une transparence des positions qui permet aux acteurs du marché de fixer le prix de leurs contrats sur la base du risque des positions globales de leur partenaire (selon qu’on le sache plus ou moins débiteur déjà).

Ainsi, la transparence créée par la compensation centralisée décourage l’accumulation de dettes excessives et réduit l’externalité du risque qu’un créancier fasse défaut sur le marché. Il semble donc y avoir un paradoxe au cœur de la réforme de la compensation centralisée. Qu’en penser ?




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Conséquences économiques

Nos recherches indiquent que les banques visant une adéquation du capital élevée (leurs risques sont fortement couverts par leurs fonds propres) ont augmenté significativement leur compensation des produits dérivés au sein de leurs bilans après la mise en œuvre de la réglementation sur la compensation centralisée obligatoire, tandis que celles dont l’adéquation visée est faible (les risques sont peu couverts) la diminuent.

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L’ampleur de nos résultats suggère un phénomène qui n’est pas économiquement négligeable. Nos calculs démontrent qu’avec l’adoption de la compensation centralisée obligatoire, les banques ayant un objectif élevé d’adéquation de fonds propres ont augmenté leur compensation de produits dérivés de 25,8 % de plus en juste valeur que les banques ayant un objectif faible d’adéquation de fonds propres. C’est une part significative de l’ensemble des actifs de la banque qui est ainsi concernée.

Nos données suggèrent un potentiel revers de la réforme de la compensation centralisée. Si la réforme de la compensation centralisée améliore la transparence du marché des produits dérivés, les possibilités accrues de compensation peuvent être exploitées par les dirigeants des banques dans leurs bilans en fonction de leurs objectifs. Les banques visant des ratios de fonds propres plus élevés peuvent choisir d’augmenter les compensations afin d’atteindre cet objectif. En outre, une compensation accrue réduirait également la transparence des rapports financiers au sein de ces banques. Les régulateurs doivent ainsi parvenir à un équilibre optimal entre les avantages et les inconvénients de la compensation afin d’atteindre les objectifs de cette réforme d’envergure.

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John Zhang ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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