Quand la disparition des services publics alimente le vote populiste

Source: – By Etienne Farvaque, Professeur d’Économie, Université de Lille, LEM (UMR 9221), Université de Lille

Les partis populistes ont spectaculairement progressé entre 2002 et 2022. Si de multiples facteurs peuvent l’expliquer, la dégradation ou la disparition des services publics dans nombre de zones rurales ou périphériques jouent un rôle non négligeable. C’est ce que montre une étude analysant la relation entre la disparition des services publics et l’évolution des comportements électoraux en France.


La recherche d’une meilleure efficacité de l’administration se traduit, dans certains territoires, par une disparition progressive des services publics, générant pour les usagers le sentiment de devenir des « oubliés », comme dans la chanson de Gauvain Sers. En effet, la fermeture des écoles, des bureaux de poste, des trésoreries ou des services de police ne se limite pas, du point de vue des citoyens, à une réorganisation administrative : elle façonne le quotidien de milliers de communes, accentuant les inégalités d’accès à des infrastructures jugées essentielles. Ce n’est donc peut-être pas une coïncidence que ce phénomène s’accompagne d’une recomposition du paysage électoral, où les partis politiques d’extrême droite et de la gauche radicale captent une part croissante du vote protestataire.

Dans une étude, nous nous intéressons à la relation possible entre la réduction des services publics et l’évolution des comportements électoraux en France. L’analyse repose sur des données couvrant la période 1998-2018, recoupées avec les résultats des élections présidentielles de 2002, 2012 et 2022. Les résultats confirment notre intuition : plus un territoire voit l’État se retirer, plus le vote « extrême » y progresse.

Des fractures irréparables ?

En étudiant la présence des infrastructures publiques à l’échelle communale, nous dressons le portrait d’une France où l’accès aux services de l’État est de plus en plus inégal.

Dans les grandes agglomérations, l’offre publique demeure relativement stable, bien que certaines restructurations aient également lieu. En revanche, dans les zones rurales et périurbaines, le maillage administratif s’élargit peu à peu.

Les chiffres sont assez éloquents. Comme le montre le tableau 1, entre 1998 et 2018, la présence des services publics en matière d’écoles primaires et maternelles a reculé en moyenne de 7,36 %. Cette baisse concerne en premier lieu les établissements scolaires du primaire, et ce principalement dans les communes de petite et moyenne taille. Les bureaux de poste ont également été durement touchés, ainsi que les services de police et de gendarmerie.

Tableau 1 : Évolution de la présence des services publics.

Le niveau initial en 1998 et les taux de variation dans les équipements publics pour 100 000 habitants, en pourcentage. Paris, Lyon, Marseille et les communes absorbées ne sont pas incluses.
Fourni par l’auteur

Les fermetures ne suivent pas un schéma uniforme. Certaines régions, notamment dans le nord-est et le centre de la France, cumulent des pertes importantes, alors que d’autres territoires, mieux intégrés aux réseaux métropolitains, sont moins affectés. Cette dynamique reflète des tendances de fond : la désindustrialisation, l’exode rural et la concentration des services dans les pôles urbains au détriment des petites communes.

Figure 1 : La carte ci-dessous montre la distribution spatiale des services publics en 2018

Calculs des auteurs à partir des données Insee.
Fourni par l’auteur

Quand l’abandon de l’État nourrit le vote protestataire

Les effets de ces fermetures ne se limitent pas à une simple réorganisation administrative. La disparition progressive des infrastructures publiques modifie en profondeur la relation des citoyens à l’État, renforçant certainement un sentiment de déclassement territorial. Ce sentiment de marginalisation ne se traduit pas seulement par une abstention croissante, mais aussi par un vote contestataire qui s’exprime à la fois à gauche et à droite de l’échiquier politique.

Figure 2 : Évolution des voix des partis de la gauche radicale (2002-2022).

Les partis de la gauche radicale ont nettement progressé entre 2002 et 2022
Les partis de la gauche radicale ont nettement progressé entre 2002 et 2022.
Fourni par l’auteur

Figure 3 : Évolution des voix des partis d’extrême droite (2002-2022)

Ce graphique montre la très nette progression électorale des partis d’extrême droite entre 2002 et 2022, particulièrement dans les zones rurales
Ce graphique montre la très nette progression électorale des partis d’extrême droite entre 2002 et 2022, particulièrement dans les zones rurales.
Fourni par l’auteur

Tableau 2 : Résultats électoraux des partis au cours des années

Le tableau présente la moyenne des résultats des élections en termes de pourcentage
Le tableau présente la moyenne des résultats des élections en termes de pourcentage.
Fourni par l’auteur

Les résultats de notre analyse sont clairs : chaque perte d’un service public pour 1000 habitants entraîne une augmentation du vote pour les partis de la gauche radicale de 0,233 point de pourcentage, et pour les partis d’extrême droite de 0,158 point.

Cependant, ce phénomène ne touche pas tous les électeurs de la même manière. En effet, les citoyens réagissent différemment en fonction du type de service qui disparaît. La fermeture des écoles et des bureaux de poste est davantage corrélée à un renforcement du vote pour les partis de la gauche radicale, probablement en raison de leur rôle central dans la vie quotidienne et la transmission des services essentiels.

Un phénomène qui s’intensifie au fil des élections

Loin de s’estomper, cette tendance s’est renforcée au cours des vingt dernières années. En comparant les résultats des élections présidentielles de 2002, 2012 et 2022, l’étude montre une accélération du vote « extrême » à mesure que les services publics se raréfient. Entre 2002 et 2022, la part des voix obtenues par les partis d’extrême droite a quasiment doublé, atteignant 38,7 % en 2022. Parallèlement, le vote en faveur des partis de la gauche radicale a également progressé, avec une dynamique plus marquée dans certaines régions.

Si d’autres facteurs sont évidemment à l’œuvre, le sentiment d’abandon, généré par le retrait de l’offre de services publics, est un facteur non négligeable.

Cette évolution s’inscrit dans un contexte plus large de polarisation politique. Alors qu’en 2002, les partis de gouvernement captaient encore la majorité des voix, les partis contestataires ont dépassé la barre des 50 % en 2022. L’étude montre que ce basculement n’est pas un simple phénomène conjoncturel, mais bien une transformation structurelle du vote, largement influencée par des facteurs territoriaux.

Causes multiples

Ce lien entre sentiment d’abandon et vote populiste ne se limite pas au cas français. Des dynamiques similaires sont présentes, entre autres, aux États-Unis ou au Royaume-Uni. Elles s’ancrent dans des réalités économiques, sociales et culturelles que la littérature académique a donc maintenant assez bien identifiées.

Les zones les plus particulièrement sensibles aux discours populistes sont celles abritant des populations marquées par un faible niveau d’éducation, des revenus modestes, un passé industriel aujourd’hui révolu, et un fort taux de chômage.

Quant aux politiques austéritaires, notamment les réformes ayant réduit l’ampleur et l’accessibilité des aides sociales, elles fragilisent davantage des populations déjà vulnérables.

La mondialisation est un autre moteur puissant de cette inquiétude. Les régions les plus touchées par la concurrence internationale, en particulier la concurrence des importations manufacturières à bas coût, ont vu disparaître des milliers d’emplois sans bénéficier des gains économiques générés ailleurs.


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Réinvestir les territoires : un défi pour l’État

Face à ces constats, la question se pose : le retour des services publics pourrait-il suffire à inverser la tendance ? Il faut rester prudent : si la restauration des infrastructures publiques peut contribuer à atténuer le sentiment de marginalisation, le vote « extrême » est aussi alimenté par des dynamiques plus profondes. En outre, le coût du maintien des services publics n’est pas à négliger, en particulier dans la situation de finances publiques dégradées que connaît la France.

La montée du chômage ou la désindustrialisation jouent également un rôle clé dans le rejet des partis traditionnels.

Pour lutter contre ces fractures, il s’agit aussi de repenser le développement des territoires, en tenant compte des besoins spécifiques de chaque région.

Réinvestir ces espaces laissés en déshérence ne sera pas une tâche facile. Mais à défaut d’une action rapide et adaptée, le risque est grand de voir se prolonger et s’amplifier une dynamique qui façonne déjà en profondeur le paysage politique français.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Quand la disparition des services publics alimente le vote populiste – https://theconversation.com/quand-la-disparition-des-services-publics-alimente-le-vote-populiste-255531

Trente ans après les derniers essais nucléaires français en Polynésie, un héritage toxique

Source: – By Roxanne Panchasi, Associate Professor, Department of History, Simon Fraser University

En visite officielle, au Parlement européen à Strasbourg en juillet 1995, Jacques Chirac se heurte à une protestation de la part de ses membres.
(European Parliament)

Le 13 juin 1995, le président Jacques Chirac annonçait la reprise des essais nucléaires dans le Pacifique Sud. La population de la Polynésie française attend encore une juste indemnisation pour les préjudices subis. En 2021, le président Macron a reconnu que la France avait une « dette » envers le peuple de Maō’hui Nui, appelant à l’ouverture d’archives clés. Une commission d’enquête parlementaire s’est emparée du sujet.


Ces derniers mois, la viabilité de l’arsenal nucléaire français a fait la une des journaux, entraînant des discussions sur un « parapluie nucléaire » français qui pourrait protéger ses alliés sur le continent européen. Face à la guerre entre la Russie et l’Ukraine, et aux déclarations du président russe Vladimir Poutine concernant la possibilité de déployer des armes nucléaires dans ce conflit, la question quant à la meilleure manière de défendre l’Europe crée une urgence inédite depuis l’époque la plus tendue de la guerre froide.

Malgré ses capacités nucléaires plus solides, les États-Unis, sous l’ère Donald Trump, semblent moins engagés dans la défense de leurs alliés de l’OTAN. Les débats sur le parapluie nucléaire français mis à part, ces discussions – combinées à l’augmentation des dépenses militaires dans le monde entier et à la résurgence des craintes d’une guerre nucléaire – rendent l’histoire française de la préparation nucléaire et de ses essais d’armes, douloureusement contemporaine.

Le 13 juin 1995, le président Jacques Chirac a annoncé que la France allait reprendre ses essais nucléaires dans le Pacifique Sud. Quelques semaines seulement après son élection, Jacques Chirac a mis fin à un moratoire de trois ans sur les essais que son prédécesseur, François Mitterrand, avait mis en place en avril 1992.

Jacques Chirac a insisté sur le fait que cette nouvelle série d’essais nucléaires était essentielle à la sécurité nationale de la France et au maintien de l’indépendance de sa force de dissuasion nucléaire. Les huit essais prévus au cours des mois suivants fourniraient, selon lui, les données nécessaires pour passer des explosions réelles à de futures simulations informatiques. Il a également déclaré que cela permettrait à la France de signer le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (CTBT) interdisant toutes les explosions nucléaires, à des fins militaires ou autres, d’ici à l’automne 1996.

L’histoire des essais nucléaires en France

Un reportage sur les essais nucléaires français dans le Pacifique Sud. (Disclose).

L’annonce faite par Jacques Chirac en juin 1995, suivie de la première nouvelle explosion en septembre de la même année, a suscité une vive opposition de la part des groupes écologistes et des pacifistes, ainsi que des protestations allant de Paris à Papeete, à travers la région Pacifique et dans le monde entier.

Des représentants des autres puissances nucléaires mondiales ont exprimé leur inquiétude face à la décision de la France de mener de nouveaux essais si près de l’entrée en vigueur d’une interdiction complète. Les gouvernements de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande et du Japon ont également manifesté leur ferme opposition, en publiant des déclarations diplomatiques, ainsi qu’en appelant au boycott des produits français et en mettant en œuvre d’autres mesures de rétorsion.

Une posture défensive a constitué un pilier de la politique française en matière d’armement nucléaire depuis l’entrée du pays dans le club atomique en 1960, avec la détonation de « Gerboise Bleue », une bombe de 70 kilotonnes, à Reggane, en Algérie. Les trois essais atmosphériques suivants ainsi que les treize essais souterrains réalisés au Sahara ont entraîné de graves conséquences sanitaires et environnementales à long terme pour les populations de la région.

En 1966, le programme d’essais nucléaires de la France fut transféré à Maō’hui Nui, connue sous le nom colonial de « Polynésie française ».

Au cours des 26 années suivantes, 187 détonations nucléaires et thermonucléaires françaises supplémentaires furent réalisées, en surface et en souterrain, sur les atolls pacifiques de Moruroa et Fangataufa. Ces essais ont exposé la population locale à des niveaux dangereux de radiation, contaminé les réserves alimentaires et en eau, endommagé les coraux ainsi que d’autres formes de vie marine.

Ces expériences – ainsi que les six dernières détonations souterraines menées par la France en 1995 et 1996 – ont laissé un héritage toxique pour les générations futures.

Des préjudices persistants, une indemnisation insuffisante

Lorsque Jacques Chirac a exposé ses raisons pour la nouvelle série d’essais nucléaires de la France devant une salle pleine de journalistes réunis au palais de l’Élysée en juin 1995, il a insisté sur le fait que ces essais prévus, ainsi que toutes les détonations nucléaires françaises, n’avaient absolument aucune conséquence écologique.

Aujourd’hui, nous savons que cette affirmation était bien plus qu’inexacte. Il s’agissait d’un mensonge fondé sur des données et des conclusions qui ont gravement sous-estimé les effets néfastes du programme d’essais nucléaires français sur la santé des soldats français et du personnel non militaire présents sur les sites, sur les habitants des zones environnantes, ainsi que sur les environnements où ces explosions ont eu lieu.


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Plus récemment, lors des Jeux olympiques de Paris 2024, il était difficile de ne pas ressentir l’évidente contradiction entre la « Polynésie française » en tant que paradis touristique et lieu idyllique pour les compétitions de surf, et celle d’un territoire marqué par l’injustice persistante envers les victimes des essais nucléaires – une réalité qui met en lumière l’histoire de l’impérialisme nucléaire de la France dans la région.

En 2010, le gouvernement français a adopté la loi Morin censée répondre à la souffrance des personnes gravement affectées par les radiations lors des détonations nucléaires françaises entre 1960 et 1996.

Le nombre de personnes ayant obtenu une reconnaissance et une indemnisation reste insuffisant, en particulier en Algérie. Sur les 2 846 demandes déposées – émanant seulement d’une fraction des milliers de victimes estimées – un peu plus de 400 personnes à Maō’hui Nui et une seule en Algérie ont été indemnisées depuis 2010.

En 2021, le président Emmanuel Macron a reconnu que la France avait une « dette » envers le peuple de Maō’hui Nui. Il a depuis appelé à l’ouverture d’archives clés liées à cette histoire, mais de nombreux efforts restent à faire sur tous les fronts.

Les conclusions d’une récente commission parlementaire française sur les effets des essais dans le Pacifique, dont la publication est prévue prochainement, pourraient contribuer à une plus grande transparence et à une meilleure justice pour les victimes à l’avenir.

À Maʻohi Nui, les demandes de reconnaissance et de réparation sont étroitement liées au mouvement indépendantiste, tandis que l’impact et l’héritage des explosions nucléaires en Algérie restent une source de tensions persistantes avec la France, d’autant plus liée à son passé colonial.

L’avenir du traité d’interdiction des essais nucléaires

En janvier 1996, la France a procédé à son dernier essai nucléaire en faisant exploser une bombe de 120 kilotonnes sous terre dans le Pacifique Sud. En septembre de la même année, elle a signé le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE), rejoignant les États-Unis, la Russie, le Royaume-Uni, la Chine et 66 autres États non dotés d’armes nucléaires dans leur engagement à ne plus effectuer d’explosions nucléaires, quel qu’en soit le motif.

Près de 30 ans plus tard, le TICE n’est toujours pas entré en vigueur. Bien que la majorité des signataires l’aient ratifié, la Chine, l’Égypte, l’Iran, Israël et les États-Unis figurent parmi les neuf pays qui ne l’ont pas encore fait. Par ailleurs, la Russie a retiré sa ratification en 2023. Parmi les principaux non-signataires se trouvent l’Inde, la Corée du Nord et le Pakistan – trois États dotés de l’arme nucléaire ayant mené leurs propres essais depuis 1996.

En raison de ces exceptions majeures à l’interdiction des essais, les perspectives d’un projet aussi ambitieux que le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires de 2017, qu’aucun État possédant l’arme nucléaire n’a signé à ce jour, restent pour le moins incertaines.

The Conversation

Roxanne Panchasi a reçu des financements du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH).

ref. Trente ans après les derniers essais nucléaires français en Polynésie, un héritage toxique – https://theconversation.com/trente-ans-apres-les-derniers-essais-nucleaires-francais-en-polynesie-un-heritage-toxique-258994

Hygiène : les barbes sont-elles des nids à microbes ?

Source: – By Primrose Freestone, Senior Lecturer in Clinical Microbiology, University of Leicester

Les barbes fournies demandent un entretien certain. Bernardo Emanuelle/Shutterstock

Les barbes les plus fournies suscitent souvent un mélange d’admiration, pour le style qu’elles confèrent à leurs porteurs, et de suspicion, quant à leur propreté et aux problèmes d’hygiène qu’elles pourraient poser. À tort, ou à raison ?


La peau humaine héberge des milliards de microorganismes – non seulement des bactéries, pour l’essentiel, mais aussi des champignons et des virus. Or, la pilosité faciale constitue un environnement propice à leur prolifération. Des travaux de recherche ont révélé que les barbes abritent une population microbienne particulièrement dense et variée, ce qui a contribué à alimenter l’idée selon laquelle elles seraient intrinsèquement peu hygiéniques.

On a même récemment pu lire, dans les colonnes du très sérieux quotidien Washington Post, qu’une barbe « moyenne » pouvait contenir davantage de germes que certaines cuvettes de WC… Est-ce à dire que porter la barbe fait courir un risque sanitaire ?

Un examen attentif des données scientifiques disponibles révèle une réalité plus nuancée.

Des études contradictoires

La composition microbienne de la peau varie selon la zone considérée. Elle dépend de divers facteurs, tels que la température, le pH (qui rend compte du caractère acide ou basique d’un milieu), l’humidité et la disponibilité en nutriments. Le port de la barbe crée un milieu chaud et souvent humide où le sébum – et parfois les résidus alimentaires – peuvent s’accumuler, ce qui constitue des conditions idéales pour la prolifération microbienne.

Cette situation favorable est d’autant plus propice aux microorganismes que notre visage est exposé en permanence à de nouveaux contaminants, notamment par l’intermédiaire de nos mains, que nous portons fréquemment à notre visage.

Les premières préoccupations scientifiques quant à l’hygiène des barbes remontent à plus de cinquante ans. Des études pionnières avaient à l’époque démontré que la pilosité faciale pouvait retenir bactéries et toxines bactériennes, même après nettoyage, ce qui avait alimenté l’idée que la barbe aurait pu constituer un réservoir bactérien dangereux pour autrui, car exposant à des risques d’infection.

Chez les professionnels de santé, le port de la barbe a longtemps été controversé, notamment dans les hôpitaux, où la lutte contre la transmission des pathogènes est cruciale. Les résultats des recherches menées en milieu hospitalier sont toutefois contrastés. Certes, une étude a révélé que les soignants barbus avaient une charge bactérienne faciale plus élevée que leurs homologues rasés de près.

D’autres travaux, qui avaient comparé la charge microbienne de pilosités faciales humaines avec celle de pelages de chiens (pour savoir s’il existait un risque à employer un même appareil d’IRM pour les uns et pour les autres), ont révélé que la plupart des barbes hébergent nettement plus de microbes que le pelage des chiens, et notamment davantage de bactéries potentiellement pathogènes. La conclusion était claire : « Utiliser les mêmes machines d’IRM pour les chiens et les êtres humains ne présentent aucun risque pour ces derniers ».

Un chien se tenant devant une machine d’IRM.
Chiens et humains peuvent partager les mêmes IRM sans risque particulier.
Dmytro Zinkevych/Shutterstock

Cependant, d’autres recherches remettent en cause l’idée que le port de la barbe pourrait être à l’origine d’un surrisque infectieux. Ainsi, des travaux comparant des soignants barbus avec leurs collègues glabres n’ont mis en évidence aucune différence significative de colonisation bactérienne entre les uns et les autres. Les mêmes chercheurs ont, par ailleurs, observé que les praticiens barbus étaient moins souvent porteurs de la bactérie Staphylococcus aureus, qui est le principal agent à l’origine d’infections nosocomiales (infections acquises à l’hôpital). Ils n’ont pas non plus remarqué de taux d’infection plus élevés chez les patients opérés par des chirurgiens barbus (et portant un masque) que chez les autres.


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Les barbes peuvent toutefois véhiculer certaines infections cutanées, telles que l’impétigo, un rash (ou éruption) contagieux souvent dû à S. aureus, lequel est malgré tout fréquemment présent au niveau de la pilosité faciale. Dans de rares cas, on peut aussi retrouver dans certaines barbes des parasites tels que les poux du pubis (communément appelés morpions) – qui, comme leur nom l’indique, sont habituellement plutôt localisés au niveau inguinal. En cas de mauvaise hygiène, ou de contact prolongé avec une personne infectée, ceux-ci peuvent en effet finir par coloniser la barbe, les sourcils voire les cils.

Maintenir une bonne hygiène de barbe

Une barbe négligée peut favoriser irritation, inflammation et infection. La peau sous la barbe – riche en vaisseaux sanguins, terminaisons nerveuses et cellules immunitaires – est en effet très sensible aux agressions microbiologiques et environnementales. L’accumulation de sébum, de cellules mortes, de résidus alimentaires et de polluants peut l’irriter, et favoriser la croissance de champignons et de bactéries.

En définitive, est-ce que les barbes sont sales ? Comme souvent, tout dépend du soin qui leur est porté. Les experts recommandent vivement de laver quotidiennement sa barbe et son visage afin d’éliminer saletés, sébum, allergènes et cellules mortes, et prévenir ainsi la prolifération microbienne.

Les dermatologues conseillent également de procéder à une hydratation, pour éviter la sécheresse. Autres recommandations : peigner régulièrement sa barbe avec un peigne consacré à cet usage, afin d’en éliminer les saletés, et la tailler régulièrement. Ces quelques gestes quotidiens améliorent l’esthétique de la barbe, et permettent de la garder en pleine santé, en assurant une hygiène irréprochable.

The Conversation

Primrose Freestone ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Hygiène : les barbes sont-elles des nids à microbes ? – https://theconversation.com/hygiene-les-barbes-sont-elles-des-nids-a-microbes-258850

Abandon du Nutri-Score de Danone : retrait de sa qualité de société à mission ?

Source: – By Stéphane Besançon, Associate Professor in Global Health at the Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM) / CEO NGO Santé Diabète, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)

En juin 2020, Danone est la première entreprise cotée au CAC 40 à obtenir cette qualité juridique. Pourra-t-elle encore le rester longtemps ? HJBC/Shutterstock

En abandonnant le Nutri-Score, Danone vient-elle d’acter le retrait de sa qualité de société à mission ? Toutes les hypothèses sont sur la table… Un véritable crash test pour l’avenir des entreprises à mission.


Danone décide le 5 septembre 2024 d’abandonner le logo nutritionnel Nutri-Score pour cinq de ses marques : Danonino, Actimel, Activia, Danone, HiPro. Le groupe d’agroalimentaire l’adopte en 2017. Il lui permet de remplir parfaitement sa mission d’information auprès des consommateurs pour les aider à faire leurs choix alimentaires de façon éclairée.

Une actualité en dissonance avec sa qualité de société à mission acquise en 2020 ? En France ce dispositif est créé par la loi Pacte de 2019. Il permet aux entreprises d’affirmer leur engagement dans la poursuite d’objectifs environnementaux et sociaux, et non plus seulement économiques. Un organisme tiers indépendant (OTI) assure la vérification de l’atteinte de ces objectifs et un comité de mission est chargé du suivi de l’exécution de cette mission.

Le 8e baromètre de l’Observatoire des sociétés à mission souligne le succès de cette démarche : fin 2024, 1 961 sociétés à mission sont recensées, soit un triplement en trois ans, dont Doctolib, Transdev, KMPG, KS Groupe, Camif, Bel, etc. Alors, Danone qui pourtant a été la première entreprise cotée au CAC 40 à obtenir cette qualité juridique, pourra-t-il rester une entreprise à mission ?

Santé des personnes

Pour illustrer sa vision et son ambition, Danone a choisi pour raison d’être : « apporter la santé par l’alimentation au plus grand nombre ». Dans ce cadre, Danone s’est fixé quatre objectifs généraux dont le premier vise à :

« Avoir un impact positif sur la santé des personnes au niveau local grâce à un portefeuille de produits plus sains, avec des marques encourageant de bons choix nutritionnels, et promouvoir de bonnes habitudes alimentaires. »

Le groupe Danone s’est engagé d’un côté à produire des aliments de meilleure qualité pour la santé des enfants, moins sucrés. De l’autre, permettre aux consommateurs de faire des choix nutritionnels éclairés, à l’aide d’un système d’information nutritionnelle interprétatif sur les emballages ou en ligne. Des engagements, sous forme de jalons quantifiés, sont pris, comme le rappelle le rapport du comité de mission de Danone en avril 2024 destiné à être présenté aux actionnaires lors de leur Assemblée générale.

Retour en arrière

Danone, qui a fortement soutenu le Nutri-Score depuis son officialisation en France en 2017, explique son retour en arrière. Selon le groupe, la version mise à jour de l’algorithme du Nutri-Score par le comité scientifique européen en charge de sa révision « pénaliserait » plus le classement de ses yaourts à boire et boissons végétales sucrées en les classant moins bien sur l’échelle du Nutri-Score par rapport à la « version initiale ».




À lire aussi :
Pourquoi Danone retire le Nutri-score de ses yaourts à boire


Avec le désengagement du Nutri-Score pour certaines de ses marques phares, moins de produits afficheront un logo interprétatif en 2025. Un recul par rapport à la situation de 2023. La question est de savoir si, avec ce retrait, Danone est en mesure d’atteindre les objectifs quantifiés annoncés dans le rapport de 2024 publié par son comité de mission. Le cas échéant, assiste-t-on à un retour en arrière par rapport à l’avancée des engagements évalués en 2023 et présentés dans ce même rapport ?


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On trouve la réponse à cette question dans le rapport de mission 2024 paru le 02 avril 2025. Ses résultats démontrent que sur la question de l’étiquetage nutritionnel, les engagements pris ne sont pas tenus et que les objectifs chiffrés ne sont pas atteints. Malgré ces écarts, le comité de mission conclut que Danone a honoré l’intégralité de ses engagements en 2024. Cette conclusion peut interroger sur le rôle réel du comité de mission de Danone.

Rôle du comité de mission

Le comité de mission de Danone est composé de huit membres : Pascal Lamy, président du comité de mission, Arancha González, Lise Kingo, Hiromichi Mizuno, David Nabarro, Ron Oswald, Gabriela Ilian Ramos et Emna Lahmer. Son rôle ? Veiller à ce que Danone respecte ses engagements en tant que société à mission. Comment ? En évaluant les progrès réalisés et en formulant des recommandations à travers un rapport joint au rapport de gestion et présenté annuellement à l’Assemblée générale ordinaire de l’entreprise.

Actimel est un produit phare de Danone concerné par la suppression du Nutri-Score.
stoatphoto/Shutterstock

Il aurait été attendu que le comité de mission notifie, dans son dernier rapport 2024, le désengagement de Danone sur le Nutri-Score. Par conséquent, la non-atteinte de l’objectif concernant l’aide aux consommateurs pour faire des choix éclairés et la non atteinte du jalon « 95 % des volumes vendus de produits laitiers et d’origine végétale et de boissons aromatisées sont assortis d’un étiquetage nutritionnel interprétatif sur les emballages et/ou en ligne ».

Malheureusement, cela n’a pas été le cas. Le rapport de mission 2024 paru le 02 avril 2025 conclut :

« Concernant le bilan des résultats déjà obtenus, nous pouvons affirmer que Danone a honoré ses engagements. En 2024, l’entreprise a atteint ou dépassé tous les objectifs dont nous avons accepté de suivre la réalisation, à une exception près (la formation en ligne des salariés) – à laquelle Danone devrait remédier cette année. »

Plus préoccupant, le rapport du comité de mission affirme que « 95 % des volumes vendus de produits laitiers et d’origine végétale et de boissons aromatisées sont assortis d’un étiquetage nutritionnel interprétatif sur les emballages et/ou en ligne ». Pour combler le Nutri-Score, l’entreprise déploiera les Health Star Rating (HSR), utilisés en Australie et en Nouvelle-Zélande. Leur mode de calcul repose sur l’algorithme que le Nutri-Score utilisait avant sa mise à jour. Remplacer un logo qui informe le consommateur sur la forte teneur en sucre de gammes de produits peut-il être interprété comme une stratégie pour désinformer et tromper le consommateur ?

Retrait de la qualité par l’OTI ?

Si une entreprise ne tient pas ses engagements, elle peut perdre sa qualité de société à mission. L’organisme tiers indépendant (OTI), en charge de vérifier l’exécution des objectifs sociaux et environnementaux de l’entreprise, peut rendre un avis négatif. Il doit indiquer pourquoi l’entreprise ne respecte pas ou n’atteint pas les objectifs qu’elle s’est fixés. Le ministère public (procureurs de la République, ndlr) ou toute personne intéressée peut saisir le président du tribunal de commerce pour le retrait de la mention de société à mission.

Mazars est l’organisme tiers indépendant (OTI) de Danone. Le rapport du comité de mission de Danone évaluant l’année 2024 contient en annexe B « le rapport de l’organisme tiers indépendant sur la vérification de l’exécution des objectifs sociaux et environnementaux ». Le rapport du comité de mission 2024 contient la même annexe que le rapport du comité de mission 2023 à savoir l’analyse de la période allant du 1er janvier 2022 au 31 décembre 2023.

L’OTI n’a pas encore fourni de rapport concernant l’année 2024, année où Danone, par le choix du retrait du Nutri-Score, n’a pas été en mesure de respecter pleinement les engagements pris ainsi que les objectifs fixés.

Il est maintenant central d’attendre le rapport de l’OTI couvrant l’année 2024 pour savoir, si en analysant les données de l’année 2024, il joue pleinement son rôle. Rendra-t-il un avis négatif indiquant que la société ne respecte pas et n’a pas atteint certains de ces objectifs qu’elle s’était fixés ? Le rendu d’un avis négatif serait une première pour une société à mission. Il montrerait que les éléments économiques et financiers ne doivent pas l’emporter sur la poursuite d’objectifs visant la protection de la santé dans le cas d’une entreprise à mission.

DROIT DE REPONSE DU GROUPE DANONE, envoyé le 19 juin 2025

« L’article en question fonde son raisonnement sur une information fausse : l’engagement de société à mission de Danone ne porte pas sur le Nutri-Score. L’objectif opérationnel auquel il fait référence (parmi les 12 que s’est fixés l’entreprise dans le cadre de son statut de société à mission) est clair et formulé ainsi : « à fin 2025, Danone s’engage à rendre disponible sur emballage ou en ligne un indicateur d’information nutritionnelle interprétative pour 95% de ses produits dans le monde ».

Sur la base de cette allégation erronée, l’article multiplie les fausses informations, que nous vous listons ci-dessous :

-Il indique que les « résultats [du rapport de mission 2024] démontrent que sur la question de l’étiquetage nutritionnel, les engagements pris ne sont pas tenus et que les objectifs chiffrés ne sont pas atteints ». Cette affirmation est fausse. Le rapport 2024 du Comité de mission indique (p.10) : « Danone a ainsi dépassé son jalon 2024, atteignant 71,5 % de volumes vendus de produits laitiers et d’origine végétale et de boissons aromatisées (Aquadrinks) assortis d’un étiquetage nutritionnel interprétatif sur les emballages et/ou en ligne ».

-Par ailleurs, l’auteur avance qu’« il aurait été attendu que le comité de mission notifie, dans son dernier rapport 2024, le désengagement de Danone sur le Nutri-Score. Par conséquent, la non-atteinte de l’objectif concernant l’aide aux consommateurs pour faire des choix éclairés et la non atteinte du jalon « 95 % des volumes vendus de produits laitiers et d’origine végétale et de boissons aromatisées sont assortis d’un étiquetage nutritionnel interprétatif sur les emballages et/ou en ligne ». L’ensemble de cette affirmation est faux. D’abord, le rapport du Comité de mission note bien, à plusieurs reprises, le retrait de l’étiquetage nutritionnel Nutri-Score des produits laitiers et d’origine végétale à boire de Danone. Ensuite, l’objectif de 95% mentionné est un objectif à 2025, comme indiqué ci-dessus et précisément indiqué dans le rapport du Comité de mission. L’auteur ne peut donc en conclure qu’il n’a pas été atteint.

-Nous dénonçons par ailleurs vivement l’allégation de l’auteur, qui laisse entendre que l’adoption du système HSR serait « une stratégie pour désinformer et tromper le consommateur ». Le système HSR est un système d’étiquetage nutritionnel interprétatif fondé sur la science et référence de plusieurs organisations internationales pour évaluer la qualité nutritionnelle des portefeuilles de produits de grande consommation. Il ne saurait être assimilé à une entreprise de désinformation.

Danone est fier d’être reconnu pour notre mission d’apporter la santé par l’alimentation au plus grand nombre en figurant à la 1ère place de l’indice mondial d’accès à la nutrition 2024 (ATNI). Faire preuve de transparence pour aider les consommateurs à faire des choix d’alimentation sains et équilibrés est une priorité de notre Groupe.

Nous continuerons donc à soutenir la mise en place d’un étiquetage nutritionnel interprétatif à une échelle européenne, scientifiquement étayé, facile à comprendre pour le consommateur et permettant de distinguer les aliments à la fois au sein de leur catégorie et entre différentes catégories. »

The Conversation

Je travaille pour une ONG intervenant dans la santé

ref. Abandon du Nutri-Score de Danone : retrait de sa qualité de société à mission ? – https://theconversation.com/abandon-du-nutri-score-de-danone-retrait-de-sa-qualite-de-societe-a-mission-253169

Suicide : l’IA pourra-t-elle aider à mieux en prévenir le risque ?

Source: – By Ruth Melia, Associate Professor in Clinical Psychology, University of Limerick

En permettant un suivi en temps réel, les applications numériques et l’intelligence artificielle peuvent détecter certains signes de crise suicidaire. Nan_Got/Shutterstock

En cas de crise suicidaire, il est nécessaire de réagir extrêmement rapidement pour réduire le niveau de souffrance émotionnelle de la personne concernée et éviter son passage à l’acte. Le développement des applications numériques et de l’intelligence artificielle pourrait aider à mieux détecter les signaux avant-coureurs, et à mettre en place rapidement une aide appropriée, au moment opportun.


Le suicide fait partie des enjeux les plus complexes – et les plus déchirants – auxquels doivent faire face les responsables de santé publique. L’une des grandes difficultés de la prévention de tels gestes est de parvenir à détecter le mal-être au moment où il survient et risque de se transformer en passage à l’acte. En effet, les pensées suicidaires et les comportements qui y sont associés sont difficiles à repérer au moyen de questionnaires classiques, en raison de leur fugacité : elles peuvent ne pas se survenir durant les consultations médicales ou psychothérapeutiques.

Alors que les outils numériques sont désormais largement utilisés par bon nombre d’entre nous pour effectuer certains paramètres liés à leur santé (qualité du sommeil, nombre de pas effectués chaque jour, surveillance du temps d’écran…), les chercheurs commencent à envisager de les employer pour mieux appréhender la santé mentale.

L’une de ces approches, appelée « évaluation écologique momentanée (EMA) », consiste à recueillir en temps réel des données sur l’humeur, les pensées, les comportements et l’environnement d’une personne à l’aide d’un smartphone ou d’un objet connecté. Ces informations peuvent être saisies manuellement (EMA active) ou collectées automatiquement par des capteurs (EMA passive).

Les études ont montré que l’EMA peut être utilisée en toute sécurité pour surveiller le risque suicidaire, appellation couvrant un large spectre de situations, qui va des pensées suicidaires jusqu’au passage à l’acte. Des recherches menées chez l’adulte ont notamment révélé que ce type de suivi n’accroît pas ledit risque. Il permet en revanche une lecture plus fine et individualisée du vécu d’une personne, à tout moment. Mais concrètement, comment ces données peuvent-elles aider à prévenir un passage à l’acte ?

Des interventions personnalisées

L’un des usages les plus prometteurs de ces technologies est la mise en place d’interventions adaptatives : des réponses personnalisées, en temps réel, sont transmises directement sur le téléphone ou sur l’appareil de la personne concernée. Par exemple, si les données collectées signalent un état de détresse, l’appareil peut suggérer à l’utilisateur de suivre une étape de son plan de sécurité.

Élaboré au préalable avec un professionnel de santé mentale, à un moment où la personne se sent bien, le plan de sécurité est un outil qui a fait ses preuves en matière de prévention du suicide. (Il s’agit d’une liste d’instructions écrites, récapitulant les stratégies à adopter en cas de crise suicidaire et les contacts à solliciter, destinée à soutenir et à guider la personne afin qu’elle parvienne à franchir le pic d’intensité émotionnelle qui peut mener à sa mise en danger, ndlr.)

L’efficacité d’un tel plan dépend toutefois en grande partie de son accessibilité au moment critique. Grâce à ces interventions numériques, le soutien peut être mis en place immédiatement, dans l’environnement même de la personne.

De nombreuses questions demeurent néanmoins. Quels sont les changements dans les données enregistrées qui doivent déclencher une alerte ? À quel moment faut-il intervenir ? Quelle forme doit prendre cette intervention ?

C’est précisément à ce type de questions que l’intelligence artificielle (IA), et en particulier les technologies d’apprentissage automatique, peut apporter des réponses.

Des résultats encourageants malgré certaines limites

L’apprentissage automatique est déjà utilisé pour modéliser le risque suicidaire, en repérant des signaux faibles dans les émotions, dans les pensées ou dans les comportements d’un individu. Il a également servi à anticiper les taux de suicide à l’échelle de populations entières.

Ces modèles donnent de bons résultats sur les données sur lesquelles ils ont été entraînés. Mais plusieurs limites subsistent. La protection de la vie privée en est une, en particulier lorsqu’il s’agit de données issues des réseaux sociaux ou de données personnelles.

Autre point de vigilance : le manque de diversité des jeux de données utilisés pour l’entraînement des modèles nuit à leur généralisation partout sur la planète. Un modèle développé dans un pays ou un contexte peut difficilement être transposé à un autre.

Consultation de données en temps réel sur un téléphone portable.
Ruth Melia, CC BY-SA

Malgré cela, les recherches montrent que ces modèles prédictifs surpassent les outils traditionnels utilisés par les cliniciens. C’est pourquoi, au Royaume-Uni, les recommandations cliniques en santé mentale invitent désormais ces derniers à s’éloigner des seuls scores de risque pour plutôt mettre en œuvre une approche plus souple, centrée sur la personne ; autrement dit, fondée sur le dialogue et la co-construction de solutions avec l’individu concerné.

Prédiction, précision et confiance

Au cours de mes recherches, j’ai analysé les travaux de recherche sur le suicide qui avaient évalué l’efficacité de l’usage combiné de l’IA et de l’EMA. La plupart de ces études portaient sur des personnes suivies en hôpital ou en clinique de santé mentale. Dans ces contextes, l’EMA permettait de prévoir l’apparition de pensées suicidaires après la sortie de l’institution.

Si nombre des publications scientifiques que j’ai analysées vantaient la précision de leurs modèles, seules quelques-unes indiquaient les taux d’erreurs obtenus – en particulier les faux positifs (signalement à tort d’un risque) ou les faux négatifs (non-détection d’un risque réel). Pour y remédier, nous avons mis au point un guide de bonnes pratiques. Son suivi devrait permettre d’améliorer la clarté et la rigueur des futures études.

Il est un autre domaine prometteur en matière d’utilisation de l’IA : son emploi comme outil d’aide à la décision pour les professionnels de santé mentale. En analysant de vastes ensembles de données issues de services de soins, les modèles d’IA pourraient orienter les praticiens afin d’anticiper l’évolution d’un patient et de déterminer les traitements qui lui sont les plus adaptés.

La condition sine qua non, cependant, est que les professionnels fassent confiance à ces technologies. Pour cela, ces systèmes ne doivent pas seulement fournir une réponse : il faut également que le raisonnement ayant conduit à celle-ci soit fourni aux soignants (on parle d’« IA explicable »). En accédant à une meilleure compréhension de la façon dont fonctionnent ces outils, les praticiens seront à même de mieux les intégrer dans leur pratique, à l’instar des questionnaires cliniques.

Le suicide est un fléau mondial, mais les avancées en matière d’IA et de suivi en temps réel ouvrent de nouvelles perspectives. Ces outils ne constituent pas une solution miracle, mais ils pourraient apporter une aide plus rapide et plus pertinente que les outils actuels, qui plus est dans des situations où cela n’était pas jusqu’ici envisageable.


Pour en savoir plus

Les pensées suicidaires sont un signale d’alarme qu’il faut prendre très au sérieux.

Si vous (ou l’un de vos proches) êtes concerné•e, appelez le 3114 (numéro national de prévention du suicide, appel gratuit et confidentiel, 24h/24, 7j/7).

En cas de risque suicidaire imminent, appelez le SAMU (15) ou le 112 (numéro européen).

Pour répondre aux questions sur la crise suicidaire, de nombreuses ressources sont disponibles en ligne, notamment :

The Conversation

Ruth Melia a reçu un financement de la Commission Fulbright dans le cadre d’une bourse HealthImpact du Health Research Board. Ce prix a permis de financer une bourse d’étude à l’Université d’État de Floride afin de faciliter la collaboration internationale dans le domaine de la recherche sur le suicide.

ref. Suicide : l’IA pourra-t-elle aider à mieux en prévenir le risque ? – https://theconversation.com/suicide-lia-pourra-t-elle-aider-a-mieux-en-prevenir-le-risque-259086

Les IA, nos nouvelles confidentes : quels risques pour la santé mentale ?

Source: – By Antoine Pelissolo, Professeur de psychiatrie, Inserm, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

Depuis le lancement, en novembre 2022, de ChatGPT, l’agent conversationnel développé par OpenAI, les intelligences artificielles génératives semblent avoir envahi nos vies. La facilité et le naturel avec lesquels il est possible d’échanger avec ces outils sont tels que certains utilisateurs en font même de véritables confidents. Ce qui n’est pas sans risque pour la santé mentale.


Les grands modèles de langage, autrement dit les intelligences artificielles « génératives » telles que ChatGPT, Claude et autre Perplexity, répondent à de très nombreux besoins, que ce soit en matière de recherche d’informations, d’aide à la réflexion ou de résolution de tâches variées ; ce qui explique l’explosion actuelle de leur utilisation scolaire, universitaire, professionnelle ou de loisir.

Mais un autre usage de ces IA conversationnelles se diffuse à une vitesse impressionnante, en particulier chez les jeunes : l’équivalent de discussions entre amis, pour passer le temps, questionner ou échanger des idées et surtout se confier comme on le ferait avec un proche. Quels pourraient être les risques liés à ces nouveaux usages ?

Un terrain propice à une adoption rapide

La conversation par écrit avec les intelligences artificielles semble s’être banalisée très rapidement. À noter d’ailleurs que s’il existe des IA utilisant des échanges vocaux, elles semblent cependant moins utilisées que les échanges textuels.

Il faut dire que nous étions depuis de longues années déjà habitués à échanger par écrit sans voir notre interlocuteur, que ce soit par SMS, par e-mail, par « tchat » ou tout autre type de messagerie. Les IA génératives reproduisant remarquablement bien l’expression verbale des êtres humains, l’illusion de parler à une personne réelle est quasiment immédiate, sans avoir besoin d’un avatar ou d’une quelconque image simulant l’autre.

Immédiatement disponibles à toute heure du jour et de la nuit, conversant toujours sur un ton aimable, voire bienveillant, entraînées à simuler l’empathie et dotées, si ce n’est d’une « intelligence », en tout cas de connaissances en apparence infinies, les IA sont en quelque sorte des partenaires de dialogue idéales.

Il n’est dès lors pas étonnant que certains se soient pris au jeu de la relation, et entretiennent des échanges suivis et durables avec ces substituts de confidents ou de « meilleurs amis ». Et ce, d’autant plus que ces conversations sont « personnalisées » : les IA mémorisent en effet les échanges précédents pour en tenir compte dans leurs réponses futures.

Certaines plateformes, comme Character.ai ou Replika, proposent par ailleurs de personnaliser à sa guise l’interlocuteur virtuel (nom, apparence, profil émotionnel, compétences, etc.), initialement pour simuler un jeu de rôle numérique. Une fonctionnalité qui ne peut que renforcer l’effet de proximité, voire d’attachement affectif au personnage ainsi créé.

Voici à peine plus de dix ans, le réalisateur Spike Jonze tournait le film Her, décrivant la relation amoureuse entre un homme sortant d’une difficile rupture et l’intelligence artificielle sur laquelle s’appuyait le système d’exploitation de son ordinateur. Aujourd’hui, il se pourrait que la réalité ait déjà rejoint la fiction pour certains utilisateurs des IA génératives, qui témoignent avoir entretenu une « romance numérique » avec des agents conversationnels.

Des pratiques qui pourraient ne pas être sans risque pour l’équilibre mental de certaines personnes, notamment les plus jeunes ou les plus fragiles.

Des effets sur la santé mentale dont la mesure reste à prendre

Nous constatons aujourd’hui, dans tous les pays (et probablement bien trop tard…), les dégâts que l’explosion de l’usage des écrans a causés sur la santé mentale des jeunes, en particulier du fait des réseaux sociaux.

Entre autres facteurs, une des hypothèses (encore controversée, mais très crédible) est que la désincarnation des échanges virtuels perturberait le développement affectif des adolescents et favoriserait l’apparition de troubles anxieux et dépressifs.

Jusqu’à aujourd’hui, pourtant, les échanges menés par l’intermédiaire des réseaux sociaux ou des messageries numériques se font encore a priori principalement avec des êtres humains, même si nous ne côtoyons jamais certains de nos interlocuteurs dans la vie réelle. Quels pourraient être les conséquences, sur l’équilibre mental (émotionnel, cognitif et relationnel) des utilisateurs intensifs, de ces nouveaux modes d’échanges avec des IA dénuées d’existence physique ?

Il est difficile de les imaginer toutes, mais on peut concevoir sans peine que les effets pourraient être particulièrement problématiques chez les personnes les plus fragiles. Or, ce sont précisément celles qui risquent de faire un usage excessif de ces systèmes, comme cela est bien établi avec les réseaux sociaux classiques.

À la fin de l’année dernière, la mère d’un adolescent de 14 ans qui s’est suicidé a poursuivi les dirigeants de la plateforme Character.ai, qu’elle tient pour responsables du décès de son fils. Selon elle, son geste aurait été encouragé par l’IA avec laquelle il échangeait. En réponse à ce drame, les responsables de la plateforme ont annoncé avoir implémenté de nouvelles mesures de sécurité. Des précautions autour des propos suicidaires ont été mises en place, avec conseil de consulter en cas de besoin.

Une rencontre entre des personnes en souffrance et un usage intensif, mal contrôlé, d’IA conversationnelles pourrait par ailleurs conduire à un repli progressif sur soi, du fait de relations exclusives avec le robot, et à une transformation délétère du rapport aux autres, au monde et à soi-même.

Nous manquons actuellement d’observations scientifiques pour étayer ce risque, mais une étude récente, portant sur plus de 900 participants, montre un lien entre conversations intensives avec un chatbot (vocal) et sentiment de solitude, dépendance émotionnelle accrue et réduction des rapports sociaux réels.

Certes, ces résultats sont préliminaires. Il paraît toutefois indispensable et urgent d’explorer les effets potentiels de ces nouvelles formes d’interactions pour, si cela s’avérait nécessaire, mettre tout en œuvre afin de limiter les complications possibles de ces usages.

Autre crainte : que dialoguer avec un « fantôme » et se faire prendre à cette illusion puissent aussi être un facteur déclenchant d’états pseudo-psychotiques (perte de contact avec la réalité ou dépersonnalisation, comme on peut les rencontrer dans la schizophrénie), voire réellement délirants, chez des personnes prédisposées à ces troubles.

Au-delà de ces risques, intrinsèques à l’emploi de ces technologies par certaines personnes, la question d’éventuelles manipulations des contenus – et donc des utilisateurs – par des individus mal intentionnés se pose également (même si ce n’est pas cela que nous constatons aujourd’hui), tout comme celle de la sécurité des données personnelles et intimes et de leurs potentiels usages détournés.

IA et interventions thérapeutiques, une autre problématique

Pour terminer, soulignons que les points évoqués ici ne portent pas sur l’utilisation possible de l’IA à visée réellement thérapeutique, dans le cadre de programmes de psychothérapies automatisés élaborés scientifiquement par des professionnels et strictement encadrés.

En France, les programmes de ce type ne sont pas encore très utilisés ni optimisés. Outre le fait que le modèle économique de tels outils est difficile à trouver, leur validation est complexe. On peut cependant espérer que, sous de nombreuses conditions garantissant leur qualité et leur sécurité d’usage, ils viendront un jour compléter les moyens dont disposent les thérapeutes pour aider les personnes en souffrance, ou pourront être utilisés comme supports de prévention.

Le problème est qu’à l’heure actuelle, certaines IA conversationnelles se présentent d’ores et déjà comme des chatbots thérapeutiques, sans que l’on sache vraiment comment elles ont été construites : quels modèles de psychothérapie utilisent-elles ? Comment sont-elles surveillées ? et évaluées ? Si elles devaient s’avérer posséder des failles dans leur conception, leur emploi pourrait constituer un risque majeur pour des personnes fragiles non averties des limites et des dérives possibles de tels systèmes.

Les plus grandes prudence et vigilance s’imposent donc devant le développement ultrarapide de ces nouveaux usages du numérique, qui pourraient constituer une véritable bombe à retardement pour la santé mentale…

The Conversation

Antoine Pelissolo est membre du Parti socialiste (secrétariat national) et 1er adjoint au Maire de Créteil.

ref. Les IA, nos nouvelles confidentes : quels risques pour la santé mentale ? – https://theconversation.com/les-ia-nos-nouvelles-confidentes-quels-risques-pour-la-sante-mentale-258956

La danse est-elle un bon moyen de déclencher un accouchement, comme le sous-entend Meghan Markle ?

Source: – By Hannah Dahlen, Professor of Midwifery, Associate Dean Research and HDR, Midwifery Discipline Leader, Western Sydney University

Marche rapide, natation… Il est conseillé, lors de la grossesse, de continuer à pratiquer une activité physique. La danse fait partie des exercices pouvant être recommandée aux femmes enceintes. Mais peut-elle aussi permettre de déclencher le travail, lorsque celui-ci tarde à survenir ? Voici ce qu’en dit la science.


Meghan, duchesse de Sussex, a fait parler d’elle cette semaine, à l’occasion de la mise en ligne d’un podcast où elle revient sur sa vidéo virale dite du « baby mama dance ». Réalisée voici quatre ans, alors qu’elle s’apprêtait à donner naissance à sa fille Lilibet, cette courte séquence n’a été publiée que récemment. On l’y voit, très enceinte, danser et twerker dans sa chambre d’hôpital, afin de déclencher l’accouchement. Son époux, le prince Harry, se joint à elle dans cette danse improvisée.

Sur Instagram, sous le post de la vidéo, elle écrivait : « nos deux enfants sont nés avec une semaine de retard […] alors puisque les plats épicés, les longues marches et l’acupuncture n’avaient rien donné, il ne restait qu’une seule chose à essayer ! »

Ce type de film semble s’inscrire dans une tendance : sur les réseaux sociaux, d’autres célébrités ont aussi partagé récemment des images d’elles dansant en fin de grossesse. Mais la duchesse est-elle dans le vrai ? Peut-on réellement déclencher son accouchement en dansant ?

Danser pendant la grossesse ?

Durant la grossesse, l’activité physique est vivement recommandée : des études ont montré que pratiquer régulièrement des exercices durant la grossesse est source de nombreux bienfaits. Si les activités intensives nécessitent certains ajustements, pour des femmes enceintes en bonne santé, les risques sont minimes.

Maintenir un bon niveau d’activité physique permet notamment de réduire les risques de diabète gestationnel, d’accouchement par césarienne, de recours aux forceps ou ventouses. Cela limite aussi le risque de développer des troubles psychiques périnataux, favorise une meilleure récupération post-partum.

Si les femmes enceintes ont tendance à privilégier la marche rapide, la natation ou les exercices collectifs en salle de sport, la danse constitue elle aussi un bon choix. Le Collège américain des obstétriciens et gynécologues la présente d’ailleurs comme forme d’exercice sans risque et bénéfique durant la grossesse.

Les mouvements de danse sollicitent notamment les hanches et le bassin (en particulier dans le twerk). Bien que les preuves scientifiques en la matière soient encore limitées, il est possible que cela améliore le positionnement du bébé et renforce le plancher pelvien. Libre à vous d’opter pour la danse qui vous convient. Y compris la danse du ventre : deux femmes enceintes interrogées dans le cadre d’une exploration phénoménologique ont témoigné que la pratique de la danse orientale leur procurait de la joie et un sentiment d’autonomisation, contribuant ainsi à leur bien-être.

On peut danser à tout stade de la grossesse, en adaptant les mouvements au fil des mois, à mesure que le ventre s’arrondit. Attention cependant : en présence de facteurs de risque (comme l’existence de saignements), il convient de consulter un professionnel de santé avant toute activité.

La musique elle-même joue un rôle important dans le bien-être psychique, la gestion de la douleur, et la diminution de la tension artérielle et du rythme cardiaque. En somme, le fait de pratiquer la danse, un exercice qui allie activité physique et musique, pourrait démultiplier les effets positifs.

Un homme et une femme enceinte dansent ensemble.
L’exercice physique est recommandé pendant la grossesse – alors pourquoi ne pas danser ?
sandsun/Shutterstock

Pour déclencher le travail, ou pendant le travail ?

Meghan n’est pas la première femme à affirmer avoir dansé pour déclencher son accouchement, mais ces témoignages restent de l’ordre de l’anecdote. En effet, à ce jour, aucune donnée scientifique ne prouve que la danse soit efficace pour provoquer le début du travail. En revanche, les effets de la danse une fois le travail commencé sont un peu mieux documentés.

De nombreuses femmes préfèrent recourir à des méthodes non médicamenteuses pour gérer le travail, et la douleur qui l’accompagne. Or, la danse, surtout en début de travail, pourrait atténuer la souffrance perçue, favorisant le sentiment de maîtrise de la situation et la satisfaction. Une étude impliquant 60 femmes réparties aléatoirement en deux groupes (avec ou sans danse pendant le travail) a par exemple révélé que celles qui dansaient rendaient compte de douleurs moindres et d’une plus grande satisfaction. La musique, encore, semble aussi contribuer à réduire la douleur au début du travail. Allier musique douce et mouvement rythmique pourrait donc être bénéfique.

Danser à votre rythme pendant le travail pourrait aussi aider : selon certaines études, les mouvements du bassin, la position érigée, la mobilité et les changements de posture sont des éléments qui favorisent le travail et réduisent sa durée. Ces mouvements pourraient également favoriser la pression du bébé sur le col de l’utérus, stimulant la production de prostaglandines, des hormones clés dans la progression du travail.

Enfin, on suppose que danser pendant le travail pourrait aider le bébé à adopter une position plus favorable à l’accouchement. Mais là encore, les données scientifiques fiables font défaut.

Alors, Meghan a-t-elle vraiment déclenché son accouchement en dansant ?

Il est impossible de l’affirmer : Meghan se trouvait à l’hôpital au moment de la vidéo ; elle a peut-être bénéficié par la suite d’un déclenchement médical. Il est en effet possible d’induire le travail en administrant des hormones, en insérant un ballonnet au niveau du col de l’utérus grâce à un cathéter pour l’inciter à s’ouvrir, ou encore en rompant la poche des eaux. Il se peut également que le travail de la duchesse ait débuté spontanément, indépendamment de sa danse, après quelques jours d’attente supplémentaires.
Meghan a peut-être eu une bonne intuition – mais avant de pouvoir recommander la danse comme un moyen fiable de déclencher ou d’accompagner le travail, davantage de recherches seront nécessaires.
Ceci dit, en regardant la vidéo on ne peut que constater la joie manifeste sur son visage, sa complicité avec le prince Harry et le lien affectif qui les unit. Autant d’éléments susceptibles de stimuler la sécrétion d’ocytocine, une hormone essentielle aux contractions. Ce facteur a donc aussi pu jouer un rôle dans le déclenchement de l’accouchement.
Quoi qu’il en soit, même aucune données scientifique ne prouve pour l’instant l’efficacité de la danse pour induire l’accouchement, cette activité ne présente quasiment aucun inconvénient – et la pratiquer peut même enrichir les moments vécus autour de la naissance. Alors, si l’envie vous prend… laissez-vous aller !

The Conversation

Hannah Dahlen est financée par l’Australian Research Council et le National Health and Medical Research Council.

ref. La danse est-elle un bon moyen de déclencher un accouchement, comme le sous-entend Meghan Markle ? – https://theconversation.com/la-danse-est-elle-un-bon-moyen-de-declencher-un-accouchement-comme-le-sous-entend-meghan-markle-259468

Schizophrénie : Quelle place pour des thérapies cognitives et comportementales spécialisées ?

Source: – By Catherine Bortolon, Psychologie Clinique ; Schizophrénie ; Thérapies cognitives et comportementales ; régulation émotionnelle ; hallucinations ; délires , Université Grenoble Alpes (UGA)

À l’image des thérapies cognitives et comportementales (TCC) appliquées à la psychose, des psychothérapies spécialisées et validées scientifiquement ont un rôle à jouer pour accompagner les personnes qui souffrent de schizophrénie, en complément d’autres formes de prise en charge. Les TCC mettent l’accent sur la qualité de vie, l’autonomie et les projets personnels, au-delà de la seule stabilisation clinique.


Lorsque Frank Bellivier, délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie, alerte, le 26 mars 2025, sur les insuffisances de la prise en charge des troubles psychiatriques sévères en France, ses propos doivent être replacés dans le contexte des connaissances actuelles.

Revenir sur les données scientifiques disponibles concernant l’efficacité des psychothérapies permet de mieux comprendre les enjeux cliniques et les recommandations fondées sur les preuves, notamment pour les troubles du spectre de la schizophrénie.

Que sait-on aujourd’hui de la schizophrénie ?

La schizophrénie figure parmi les dix principales causes de handicap dans le monde. Elle touche environ 1 % de la population mondiale, soit près de 600 000 personnes en France, et débute généralement à l’adolescence ou au début de l’âge adulte.

Les symptômes incluent des délires et des hallucinations (symptômes dits « psychotiques »), une réduction de l’expression émotionnelle, une pauvreté du langage et un manque d’initiatives (appelés « symptômes négatifs »), ainsi qu’un discours incohérent et des comportements désorganisés (symptômes dits « désorganisés »).

Les causes de la schizophrénie restent mal comprises, mais les chercheurs s’accordent sur le fait que ce trouble survient sous l’influence conjointe de facteurs génétiques et environnementaux. Sa manifestation est très variable, d’où l’importance d’une approche personnalisée, fondée sur une compréhension de ses mécanismes biologiques, psychologiques et sociaux.

Des psychothérapies spécialisées, mais pas que…

En tant que psychologue clinicienne et chercheuse, je consacre une partie de ma carrière à élucider les mécanismes psychologiques de la schizophrénie et à améliorer la vie des personnes concernées. Dans ce contexte, je me réjouis de la reconnaissance croissante du rôle des psychothérapies.

Encore faut-il que celles-ci soient empiriquement fondées, c’est-à-dire validées par la recherche, et qu’elles s’appuient sur une compréhension fine des processus psychologiques en jeu, comme la confiance en soi, la rumination (pensées récurrentes et répétitives, que l’on a du mal à contrôler, centrées sur l’évaluation des raisons, causes, conséquences et implications de la situation, sur le « pourquoi ? »), etc.

Bien évidemment, ces psychothérapies doivent être envisagées en complémentarité avec d’autres modalités de prise en charge, qu’il s’agisse du traitement médicamenteux, de la remédiation cognitive (une forme de thérapie qui consiste à s’entraîner pour améliorer certaines fonctions, ndlr), de la pair-aidance (le fait d’être soutenu par des pairs ayant une expérience similaire, ndlr) ou d’autres interventions visant la réhabilitation psychosociale, lorsque cela s’avère nécessaire.

Des programmes efficaces… mais peu accessibles

Pendant longtemps, l’accompagnement de la schizophrénie a été centré sur la réduction des symptômes, le plus souvent au travers d’un traitement exclusivement médicamenteux.

Aujourd’hui, une approche plus globale, tournée vers la réhabilitation psychosociale, émerge. Celle-ci met l’accent sur la qualité de vie, l’autonomie et les projets personnels, au-delà de la seule stabilisation clinique.

Parmi les outils disponibles, les thérapies cognitives et comportementales (TCC) occupent une place importante. Elles reposent sur l’idée que nos interprétations des événements, façonnées au fil de la vie, peuvent engendrer ou entretenir de la souffrance psychique.

Les TCC s’inscrivent dans une démarche collaborative qui vise à aider les personnes à développer une manière plus souple de comprendre leur environnement et leurs émotions, à ajuster leurs comportements et, ainsi, à les accompagner dans la réalisation de leurs projets de vie.

Dans le cadre de la psychose, contrairement à une idée reçue, elles ne cherchent pas à nier les expériences psychotiques, mais à aider la personne à en faire sens, à y répondre autrement, et à reprendre du pouvoir sur sa vie. Cependant, l’accès à ces thérapies reste très limité, y compris en France.

Les données manquent, mais, dans des pays mieux dotés (comme les États-Unis, le Canada ou le Royaume-Uni), les résultats concernant l’accessibilité à la TCC pour la psychose – qu’il s’agisse de la formation des professionnels, de l’implémentation des dispositifs ou de l’accès effectif aux soins – demeurent peu encourageants.

Les thérapies cognitives et comportementales sont-elles adaptées à la schizophrénie ?

La TCC a été appliquée à la psychose (TCCp) pour la première fois en 1952 par Aaron Beck. Cependant, ce n’est que dans les années 1990 que des approches plus systématiques et théorisées pour la psychose ont émergé. Longtemps, les symptômes psychotiques étaient considérés comme inchangeables.

Or, la recherche a montré qu’ils s’inscrivent sur un continuum avec les expériences humaines ordinaires, et qu’ils peuvent être modifiés. Aujourd’hui, les modèles issus des TCC appliquées à la psychose postulent, par exemple, que des événements de vie précoces négatifs peuvent contribuer à la formation de croyances rigides sur soi et le monde, qui, sous stress, peuvent s’exprimer par des symptômes psychotiques.

Des recherches solides montrent que les TCCp sont efficaces, notamment pour réduire les symptômes psychotiques et négatifs. Ces effets sont plus marqués avec des suivis prolongés, mais certaines interventions brèves peuvent aussi être bénéfiques.

Surtout, l’intensité des symptômes ne semble pas diminuer l’efficacité de la thérapie, ce qui suggère que même les personnes les plus touchées peuvent en bénéficier. Certaines approches ont même montré leur utilité chez des patients avec de lourds troubles cognitifs.

Au-delà des symptômes, les TCCp améliorent aussi la qualité de vie et le fonctionnement social. Des interventions destinées aux familles ont également montré des effets positifs. Toutefois, ces effets sont souvent limités dans le temps, d’où le développement de nouvelles approches intégrant la régulation émotionnelle, les troubles du sommeil, ou encore les traumatismes.

Certaines recommandations internationales, comme celles du National Institute for Clinical Excellence (NICE) au Royaume-Uni, considèrent aujourd’hui les TCC comme traitement de première intention pour la schizophrénie.

À noter qu’à ce jour, la France ne dispose pas de lignes directrices équivalentes à celles publiées au Royaume-Uni en ce qui concerne les psychothérapies et les autres modalités de prise en charge non médicamenteuse de la schizophrénie.

À l’étranger, quelques programmes ont fait leurs preuves

Sans prétendre à l’exhaustivité, voici quelques programmes récents ayant démontré leur efficacité et susceptibles d’être intégrés dans le système de soins.

En 2021, Daniel Freeman et ses collègues de l’Université d’Oxford ont démontré que le programme « Feeling Safe » (en français, « Se sentir en sécurité ») est efficace pour traiter les idées délirantes de persécution (qui concernent environ 80 % des personnes atteintes de schizophrénie).

Ce programme agit sur les ruminations, les difficultés de sommeil, l’estime de soi, la relation avec les hallucinations, et favorise des apprentissages nouveaux. Il a permis un taux de rétablissement d’environ 50 %.

Mark Hayward et ses collègues de l’Université de Sussex ont proposé un programme spécifique pour l’accompagnement des personnes qui ont des hallucinations auditives verbales (les voix), utilisé dans les « Voices Clinics » (en français, « cliniques des voix »). Ce programme vise à développer des stratégies d’adaptation, remettre en question certaines croyances (« les voix sont méchantes »), favoriser la flexibilité cognitive, et renforcer les compétences d’affirmation de soi. Il est à noter que deux cliniques des voix existent en France.

Enfin, le programme de TCC centré sur le rétablissement, d’Aaron Beck, d’une durée de dix-huit mois, a montré une amélioration du fonctionnement et de la symptomatologie chez des personnes atteintes de schizophrénie avec déficits cognitifs. Il vise l’accompagnement vers la réalisation de projets personnels à l’aide des outils TCC.

Où en est-on en France ?

Nous manquons de données précises sur l’accès aux thérapies cognitives et comportementales appliquées à la psychose (TCCp) en France, mais les signaux disponibles suggèrent un accès très limité.

Plusieurs freins sont identifiables : la formation aux TCC reste inégalement répartie entre universités ; les psychologues formés à ces approches sont trop peu nombreux dans les structures publiques ; et l’accès au secteur libéral est souvent freiné par des contraintes financières, notamment pour les personnes en situation de handicap psychique.

Pour des approches spécialisées et validées scientifiquement

La prise en charge de la schizophrénie est complexe et multifactorielle. La volonté politique d’investir dans les psychothérapies est une avancée bienvenue.

Mais pour qu’elle ait un réel impact, il est essentiel que les approches proposées soient spécialisées, validées scientifiquement et ancrées dans une perspective de réhabilitation psychosociale.

The Conversation

Je suis membre de l’Association PPSY PROMOUVOIR LES PSYCHOTHERAPIES qui organise des formations en France portant sur le programme “Feeling Safe” décrit dans l’article.

ref. Schizophrénie : Quelle place pour des thérapies cognitives et comportementales spécialisées ? – https://theconversation.com/schizophrenie-quelle-place-pour-des-therapies-cognitives-et-comportementales-specialisees-259067

Les États-Unis entrent dans la guerre Israël-Iran : trois scénarios pour envisager la suite

Source: – By Ian Parmeter, Research Scholar, Middle East Studies, Australian National University

Option 1 : l’Iran effectue des représailles contre les États-Unis (mais celles-ci seront probablement volontairement minimales). Option 2 : l’Iran dépose les armes et revient à la table des négociations en position d’immense faiblesse. Option 3 : Washington estime avoir fait sa part du travail et se retire du théâtre iranien, à la suite de quoi le régime, si ses stocks et ses moyens techniques n’ont pas été aussi détériorés que l’affirme Donald Trump, se lance à corps perdu dans la fabrication de l’arme nucléaire.


Après avoir semblé hésiter sur l’opportunité d’entrer en guerre aux côtés d’Israël contre l’Iran, Donald Trump a pris sa décision. Ce 21 juin, des bombes lâchées par des avions B2 et des missiles lancés depuis des sous-marins américains ont frappé trois sites nucléaires iraniens à Natanz, Ispahan et Fordo, ce dernier abritant une usine d’enrichissement d’uranium enterrée à environ 80 mètres sous une montagne.

Ces frappes s’inscrivent dans la série d’événements qui a commencé avec le massacre commis par le Hamas en Israël le 7 octobre 2023, et qui s’est poursuivie par la guerre de Gaza puis, en 2024, par les attaques dévastatrices d’Israël contre le Hezbollah libanais (soutenu par l’Iran), la chute du régime syrien de Bachar Al-Assad (également soutenu par l’Iran), et la série de frappes israéliennes déclenchées contre l’Iran le 13 juin.

L’Iran n’a jamais été aussi faible qu’aujourd’hui. Trump avait déclaré il y a quelques jours qu’il lui faudrait peut-être deux semaines pour décider de bombarder le pays ou non ; les Israéliens l’ont probablement poussé à passer à l’action au plus vite.

Israël a en effet pressé Trump d’utiliser les massive ordnance penetrators (MOP), ces bombes « anti-bunker » de 13 600 kilos que seuls les États-Unis peuvent utiliser aujourd’hui grâce à leurs bombardiers B2.

À présent que Trump a décidé d’engager les États-Unis dans une nouvelle guerre au Moyen-Orient, comment les choses pourraient-elles évoluer ?

1. L’Iran contre-attaque, mais avec quelle vigueur ?

Les Iraniens savent qu’ils n’ont pas les moyens d’entrer dans une confrontation totale avec les États-Unis et que ces derniers, en revanche, ont la capacité de causer d’immenses dommages à leur pays et même de mettre en péril la stabilité du pouvoir de Téhéran. Or cette stabilité a été de tout temps la principale préoccupation du régime clérical dirigé par le guide suprême Ali Khamenei : c’est la priorité des priorités, à laquelle toutes les autres sont subordonnées.

Pour anticiper la possible réaction de l’Iran, il peut être utile d’examiner la façon dont il a réagi à l’assassinat, par la première administration Trump, en janvier 2020 de Ghassem Soleimani, commandant de la Force Al-Qods, l’unité d’élite des Gardiens de la révolution.

L’Iran avait alors immédiatement fait savoir que sa vengeance serait terrible ; mais dans les faits, il s’était contenté de lancer un barrage de missiles sur deux bases américaines en Irak. Cette réaction mesurée n’a pas fait de victimes et a causé très peu de dégâts. Après ces représailles symboliques, l’Iran avait déclaré que l’affaire était close.

La réaction de l’Iran aux nouvelles frappes américaines sera probablement similaire. Téhéran ne voudra sans doute pas entrer dans une guerre ouverte avec les États-Unis en lançant des attaques contre les bases américaines situées dans la région. Trump a d’ailleurs déjà annoncé qu’il envisageait des frappes supplémentaires :

« L’Iran, la brute du Moyen-Orient, doit maintenant faire la paix. Dans le cas contraire, les attaques futures seront bien plus importantes et bien plus faciles. »

En outre, le doute plane sur les capacités dont dispose l’Iran. Avant le 13 juin, les analystes s’accordaient à penser que le pays possédait environ 2 000 missiles capables d’atteindre Israël. Selon certaines estimations, il en aurait tiré 700 ; d’autres parlent d’environ 400. Quel que soit le chiffre réel, il est certain que les stocks iraniens diminuent rapidement.

De plus, Israël a déjà détruit environ un tiers des lanceurs de missiles balistiques iraniens. S’il parvient à les détruire tous, la capacité de riposte de Téhéran sera très limitée.

2. L’Iran s’incline, mais ne rompt pas totalement

Avant que les États-Unis ne s’impliquent dans le conflit, l’Iran avait déclaré qu’il était prêt à négocier, mais qu’il ne le ferait pas tant qu’Israël poursuivrait ses attaques.

L’un des scénarios possibles est donc celui d’un compromis qui verrait Israël annoncer un cessez-le-feu et l’Iran et les États-Unis accepter de reprendre les négociations sur le programme nucléaire de Téhéran.

Il existe toutefois un obstacle d’importance à un tel développement : le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou a martelé à de nombreuses reprises qu’il ne faisait pas confiance au processus de négociation et qu’il refuserait de mettre fin aux actions militaires d’Israël tant que toutes les installations nucléaires iraniennes n’auraient pas été complètement détruites. Il a également bombardé des terminaux pétroliers et des installations gazières de l’Iran afin d’accroître encore la pression sur le régime.

En outre, il faut rappeler que, historiquement, le régime iranien s’est montré incroyablement déterminé à ne pas perdre la face. Il a été placé sous une pression extrême à différents moments de la guerre Iran-Irak (1980-1988) et n’a jamais envisagé de mettre fin aux combats jusqu’à ce qu’un missile américain abatte par erreur le 3 juillet 1988 un avion de ligne iranien, tuant 290 personnes. C’est alors que l’Iran avait fini par accepter un cessez-le-feu parrainé par l’ONU. Il reste que la guerre contre l’Irak avait duré huit ans et causé environ un million de victimes au total. Et le guide suprême Ruhollah Khomeini avait déclaré que signer le cessez-le-feu avait été pour lui « pire que boire du poison ».

Le régime est aujourd’hui très impopulaire, et Benyamin Nétanyahou a déclaré qu’il voulait créer des conditions favorables à un soulèvement du peuple iranien contre le régime. Mais ce peuple iranien, d’après mon expérience, est très patriote : s’il n’est pas loyal envers le régime, il est en revanche loyal envers son pays. Bien qu’il soit difficile d’évaluer l’état de l’opinion publique dans un pays de 90 millions d’habitants où la parole est muselée, il ne fait nul doute que la majorité des Iraniens ne voudraient pas que les États-Unis ou Israël décident de leur avenir à leur place.

En outre, il ne faut pas oublier que l’effondrement d’une autocratie n’est pas nécessairement suivi de l’avènement de la démocratie mais, souvent, d’une plongée dans le chaos. L’Iran compte plusieurs groupes ethniques différents et il y aura certainement de profonds désaccords sur le système qui devrait prendre la place du régime clérical actuel si ce dernier venait à tomber.

À ce stade, il apparaît que le régime sera probablement en mesure de tenir bon. Et même si le guide suprême Ali Khamenei, âgé de 86 ans et ouvertement menacé par Trump et Nétanyahou à plusieurs reprises, devait disparaître soudainement, le régime sera probablement en mesure de le remplacer rapidement. Bien que nous ne connaissions pas encore le nom de son successeur, le régime a eu tout le temps nécessaire pour se préparer à cette éventualité. Ses hauts responsables savent également qu’une lutte de succession après la mort de Khamenei mettrait réellement le système en danger.

3. Une poursuite et une accélération du programme iranien

Selon un sondage réalisé par The Economist et l’institut YouGov et publié le 17 juin, 60 % des Américains sont opposés à une participation de leur pays au conflit entre Israël et l’Iran, tandis que seulement 16 % y sont favorables. Parmi les sympathisants du Parti républicain, 53 % sont opposés à une action militaire.

Les frappes du 21 juin n’ont donc pas répondu à une demande populaire de l’opinion publique états-unienne, au contraire. Cependant, si elles n’entraînent pas le pays dans la guerre et si Trump parvient à rapidement mettre fin aux affrontements entre l’Iran et Israël, il sera probablement applaudi par une majorité d’Américains. Mais si les États-Unis décident de bombarder davantage, ou si des attaques graves sont lancées contre leurs intérêts dans la région, les réactions négatives des simples citoyens pourraient se multiplier.

Une autre question est de savoir si les 400 kilogrammes d’uranium enrichi à 60 % dont disposait l’Iran ont été détruits lors de l’attaque du 21 juin.

Si ce n’est pas le cas, et si les centrifugeuses n’ont pas subi de dégâts trop importants, l’Iran pourrait être en mesure de reconstruire son programme nucléaire relativement rapidement. Et cet épisode l’aura probablement incité plus que jamais à enrichir cet uranium jusqu’à une pureté de 90 %, c’est-à-dire un niveau qui lui permettrait d’enfin posséder l’arme nucléaire.

The Conversation

Ian Parmeter ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Les États-Unis entrent dans la guerre Israël-Iran : trois scénarios pour envisager la suite – https://theconversation.com/les-etats-unis-entrent-dans-la-guerre-israel-iran-trois-scenarios-pour-envisager-la-suite-259522

Nouvelle-Calédonie : qu’est-ce que l’« indépendance-association » au cœur des débats sur l’avenir de l’archipel ?

Source: – By Léa Havard, Maître de conférences en droit public, Directrice adjointe du Laboratoire de Recherches Juridique & Économique, Université de Nouvelle Calédonie

Le 2 juillet, lors du « sommet » de l’Elysée sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, Emmanuel Macron se serait prononcé en faveur d’une consultation des Néo-Calédoniens sur un projet « d’Etat associé » ou sur une forme d’autonomie élargie. Le projet proposé précédemment par le ministre des outre-mer Manuel Valls rappelait également l’«indépendance-association» – ce que lui reproche le camp loyaliste. Quelle est cette forme institutionnelle rare, pourtant reconnue par l’ONU dans le cadre des processus de décolonisation ?


Pour tenter de sortir la Nouvelle-Calédonie de l’impasse politique dans laquelle elle est plongée depuis des mois, voire des années, le ministre des outre-mer propose un projet de « souveraineté avec la France ». Cette actualité place la notion d’« indépendance-association » au cœur du débat public. Source de crispations et d’inquiétudes aggravées par de forts a priori, la notion doit être déconstruite pour participer à des échanges éclairés sur l’avenir institutionnel de l’archipel.

Longtemps taboue, parfois fantasmée, souvent source d’inquiétudes, l’indépendance-association a toujours suscité de fortes crispations en Nouvelle-Calédonie, tant auprès des politiques que de la population.

C’était vrai en janvier 1985 quand l’État a proposé pour la première fois un projet portant cette dénomination pour faire évoluer le statut de l’archipel. Tout juste présenté, le « plan Pisani » (du nom du haut-commissaire de l’époque) avait immédiatement été rejeté et l’idée d’indépendance-association remisée aux oubliettes.

Quarante ans plus tard, elle semble pourtant exhumée, de nouveau placée au cœur de l’actualité. Dans un contexte marqué par l’impasse politique qui a résulté de la tenue contestée du 3ᵉ référendum de 2021, auquel s’est ajoutée la grave crise politique, économique et sociale provoquée par les émeutes débutées le 13 mai 2024, le ministre des outre-mer Manuel Valls a réuni plusieurs fois les représentants politiques calédoniens ces dernières semaines pour tenter de trouver une issue à l’inextricable question de l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

Lors de sa conférence de presse du 8 mai 2025, le ministre a révélé le contenu des discussions qui se sont déroulées pendant les trois jours du « conclave » de Deva (Bourail, sud de la Nouvelle-Calédonie). Bien qu’elles n’aient pas abouti (elles devraient reprendre à Paris mi-juin à l’invitation du président de la République), elles ont le mérite d’avoir relancé un débat de fond, à l’arrêt depuis plus de quatre ans. Deux projets ont été discutés : le premier, porté par une partie des loyalistes, promeut une forme de fédéralisme au sein de la République française ; le second, défendu par le ministre des outre-mer, repose sur une « souveraineté avec la France ».

À peine ces mots étaient-ils prononcés qu’ils ont été assimilés à la notion d’indépendance-association dont on n’osait plus parler, suscitant l’enthousiasme des uns, la crainte des autres et créant une confusion générale.

Confusion autour de l’indépendance-association

Confusion des mots, d’abord : « État associé », « indépendance-association », « souveraineté partagée », « plan Pisani », « souveraineté avec la France »… autant de notions connexes mobilisées dans le débat public calédonien sans être définies.

Confusion des postures politiques, également : pour les non-indépendantistes, l’indépendance-association est souvent synonyme d’un abandon camouflé par la France. Pour leur part, les indépendantistes dénonçaient dans les années 1980 un statut néocolonial, un ersatz d’indépendance permettant à la France de maintenir son emprise sur le Caillou, quand, aujourd’hui, ils saluent la perspective d’une évolution vers un tel statut.

Alors de quoi parle-t-on vraiment ? À quoi renvoie réellement l’indépendance-association ? Pour démêler cet imbroglio, éloignons-nous de l’actualité pour revenir au sens premier de la notion.

Une voie de décolonisation consacrée par l’ONU

En 1960, alors que les peuples du monde entier se libéraient du joug colonial, les Nations unies ont identifié dans leur résolution 1541 (XV) les trois hypothèses permettant de considérer un territoire comme décolonisé :

« a) quand il est devenu un État indépendant et souverain ; b) quand il s’est librement associé à un État indépendant ; ou c) quand il s’est intégré à un État indépendant. »

Entre l’intégration et l’indépendance totale, les Nations unies ont imaginé de toutes pièces une troisième voie de décolonisation : la libre association, aussi appelée « indépendance-association ».


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À rebours de la quasi-totalité des colonies qui a privilégié l’indépendance totale, les îles Cook ont été les premières à emprunter cette voie inédite. En 1965, elles sont devenues un État associé à la Nouvelle-Zélande et, ce faisant, ont conservé des liens étroits avec leur ancienne puissance administrante tout en établissant des rapports nouveaux, fondés sur une égalité souveraine et non sur une domination coloniale.

Niue a fait de même en 1974, toujours avec la Nouvelle-Zélande. Enfin, les États fédérés de Micronésie et les îles Marshall se sont associés aux États-Unis en 1990, avant que les Palaos ne les imitent en 1994, portant à cinq seulement le nombre de territoires décolonisés dans le monde via l’indépendance-association.

L’expérience des États associés du Pacifique

Plus qu’un statut transitoire de décolonisation, l’indépendance-association est devenue une forme d’organisation politique pérenne.

Elle caractérise aujourd’hui encore ces cinq territoires que la doctrine juridique appelle couramment « État associé ». Mais quelles caractéristiques font de lui un État si singulier ?

L’État associé est une communauté politique souveraine caractérisée par des liens si resserrés avec un État partenaire que cette association lui est consubstantielle. L’association fait partie de son ADN à tel point qu’elle est inscrite dans sa Constitution, tout comme dans celle de son État partenaire. S’il n’est pas immuable (rien ne l’est dans le monde du droit !), ce lien gravé dans le marbre constitutionnel bénéficie de la garantie juridique suprême, assurant ainsi sa stabilité.

En outre, l’État associé se distingue par sa « souveraineté déléguée » pour reprendre les termes du professeur de droit Guy Agniel. En concertation avec son partenaire, l’État associé décide de ne pas exercer toutes ses compétences et de lui en confier certaines. Ce type de délégation est, par exemple, pratiquée en matière de nationalité aux îles Cook et à Niue où les habitants ont la nationalité néo-zélandaise, ou encore dans le domaine de la défense et des relations extérieures, les États fédérés de Micronésie confiant ainsi leur protection militaire aux États-Unis. L’État associé et son État partenaire sont donc étroitement imbriqués dans un subtil équilibre qui vise à valoriser leur identité commune tout en préservant leur existence propre.

La « fausse » indépendance-association du plan Pisani

Dans le contexte néo-calédonien, la notion d’indépendance-association ne renvoie pas nécessairement aux statuts des voisins du Pacifique et peut revêtir un sens différent, créant par là même un profond quiproquo. En effet, elle est souvent assimilée au très critiqué plan Pisani de 1985 qui avait vocation à endiguer l’escalade de la violence entre indépendantistes et non-indépendantistes en créant une Nouvelle-Calédonie en indépendance‑association.

Les quelques orientations dudit plan rendues publiques suggèrent toutefois que de l’indépendance-association, il n’avait que le nom. La lecture des débats parlementaires à son sujet dénote l’incompréhension de la classe politique envers un projet réalisé hâtivement dont le contenu était confus (par exemple, il est fait référence à la fois à un traité de coopération et à un traité d’association, les deux étant pourtant à distinguer).

Aussi, et surtout, ce projet avait été élaboré par le seul gouvernement français, sans concertation avec les principaux intéressés, ce qui s’opposait frontalement à la vraie indépendance-association dont l’essence même repose sur le consensus entre les deux parties. L’inscription de l’association dans le cadre de l’article 88 de la Constitution française était d’ailleurs équivoque, ce dernier étant empreint de l’esprit colonialiste des années 1950.

« Mort‑né », le plan Pisani a disparu cinq jours seulement après avoir été présenté. Il n’en a pas moins durablement marqué les esprits comme un repoussoir, et son assimilation fréquente à la notion générique d’indépendance-association brouille, aujourd’hui encore, les discussions sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

Quid de l’actuel projet de « souveraineté avec la France » ?

Dans un courrier en date du 16 mai dernier, Manuel Valls explique que son projet de « souveraineté avec la France » a vocation à « conjuguer les aspirations divergentes à la pleine émancipation et au lien structurant avec la France ». Les grandes lignes sont posées : transfert des compétences régaliennes à la Nouvelle-Calédonie assorti d’une délégation à la France, instauration d’une double nationalité française et néo-calédonienne, accès à un statut international, lien constitutionnellement garanti… Autant d’éléments qui ne sont évidemment pas sans rappeler l’indépendance-association.

Il faut toutefois se garder de toute conclusion hâtive. À ce stade, en l’absence d’informations publiques détaillées quant au contenu du projet, mieux vaut éviter de le faire entrer dans une case théorique qui risquerait de limiter le champ des possibles à un moment où la Nouvelle-Calédonie a plus que jamais besoin d’ouvrir pleinement la réflexion.

The Conversation

Léa Havard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Nouvelle-Calédonie : qu’est-ce que l’« indépendance-association » au cœur des débats sur l’avenir de l’archipel ? – https://theconversation.com/nouvelle-caledonie-quest-ce-que-l-independance-association-au-coeur-des-debats-sur-lavenir-de-larchipel-257750