« The Last of Us » : le « Cordyceps », menace fictive, réel atout thérapeutique ?

Source: – By Efstathia Karachaliou, Pharmacienne, Doctorante en pharmacognosie, Université Bourgogne Europe

Une larve parasitée par un champignon appartenant au genre _Ophiocordyceps_, lequel dépasse du corps momifié de l’insecte. PattyPhoto/Shutterstock

Dans la série The Last of Us, l’apocalypse est arrivée par un champignon parasite, le Cordyceps. Transformant les humains en zombies ultra-agressifs, il a provoqué l’effondrement de notre civilisation. Un scénario qui prend racine dans le réel, puisque ce type de champignon existe bel et bien, mais ne s’attaque qu’aux insectes. Inoffensif pour les humains, il est même utilisé par la médecine traditionnelle chinoise, qui lui prête de nombreuses vertus.


La deuxième saison de The Last of Us, diffusée par la chaîne HBO, s’est achevée fin mai 2025. Adaptation d’un jeu vidéo à succès, cette série postapocalyptique reprend les ingrédients habituels du genre : l’humanité s’est effondrée suite à une brutale pandémie, la loi du plus fort règne, les survivants tentent de survivre en s’organisant au milieu du chaos, tout en évitant eux-mêmes d’être infectés.

L’originalité du scénario tient ici à la source de l’épidémie qui a mené à la catastrophe : point de virus pour transformer les êtres humains en zombies agressifs, mais un champignon parasite, le Cordyceps. Ce nom n’a pas été inventé par les scénaristes : le genre de champignon dont ils se sont inspirés existe bel et bien (même s’il a été récemment renommé Ophiocordyceps). Et ses membres sont eux aussi capables de transformer en zombies ses victimes.

Heureusement, ces champignons ne s’attaquent qu’aux insectes : ils ne présentent aucun danger pour notre espèce. Au contraire : ces champignons pourraient même être à la base de nouveaux médicaments. Explications.

Un champignon qui « zombifie ses victimes »

Dans The Last of Us, près de 60 % de l’humanité a été décimée ou contaminée par le champignon Cordyceps. Responsable d’une « infection cérébrale », le champignon prend le contrôle des humains qu’il parasite et les transforme en créatures agressives. Ce concept s’inspire de champignons qui existent bel et bien, et appartiennent aux genres Cordyceps et Ophiocordyceps.

Le genre Ophiocordyceps est passé à la postérité grâce à la capacité de l’un de ses membres, Ophiocordyceps unilateralis, à « pirater » le cerveau des fourmis qu’il contamine. Il parvient ainsi à modifier leur comportement, maximisant de ce fait ses chances de transmission.

Lorsqu’une fourmi est contaminée, elle quitte le nid pour se rendre dans des zones en hauteur, souvent des végétaux. Perchée en surplomb, sur une feuille ou un brin d’herbe, elle s’ancre avec ses mandibules dans une sorte « d’étreinte de la mort » : elle y restera jusqu’à son décès.

Le corps de la fourmi morte reste dès lors en place à un endroit présentant des conditions idéales pour le développement fongique. La formation des corps fructifères du champignon est facilitée, tout comme la propagation de ses spores, qui vont pouvoir infecter d’autres fourmis qui vaquent à leurs occupations, en contrebas.

Ce cycle de manipulation comportementale est crucial pour le champignon. En effet, sans cette adaptation, les fourmis infectées seraient rapidement retirées du nid par leurs congénères. Bien que des travaux de recherche aient approfondi la compréhension de ces interactions, de nombreuses questions demeurent sur la complexité de cette manipulation comportementale.

Parmi les quelque 350 espèces du genre Ophiocordyceps, toutes ne s’attaquent pas aux fourmis. Ophiocordyceps sinensis parasite plutôt les chenilles, les modifiant si radicalement que les observateurs ont longtemps cru que celles-ci passaient de l’état animal à l’état végétal. Mais le plus intéressant est que ce champignon occupe une place à part en médecine traditionnelle, depuis très longtemps.

Un pilier de la médecine traditionnelle chinoise

Plus de 350 espèces associées ont été identifiées à ce jour à travers le monde, mais une seule – Ophiocordyceps sinensis – est officiellement reconnue comme drogue médicinale dans la pharmacopée chinoise depuis 1964.

Il est récolté dans les prairies de haute altitude (3 500–5 000 mètres) des provinces chinoises comme le Qinghai, le Tibet, le Sichuan, le Yunnan et le Gansu. Son usage remonte à plus de trois cents ans en Chine.

Appelé dongchongxiacao (« ver d’hiver, herbe d’été »), ce champignon est un pilier de la médecine traditionnelle chinoise. Selon les principes de cette dernière, O. sinensis – de nature « neutre » et de saveur « douce » – est réputé tonifier les reins, apaiser les poumons, arrêter les saignements et éliminer les mucosités. Il est traditionnellement utilisé pour traiter la fatigue, la toux, l’asthénie post-maladie grave, les troubles sexuels, les dysfonctionnements et les insuffisances rénales.

Il faut souligner que, traditionnellement, les préparations d’O. sinensis contiennent non seulement le champignon, mais aussi d’autres ingrédients (alcool, solvants…). Ainsi, pour « revigorer les poumons et renforcer les reins », la médecine chinoise traditionnelle conseille d’administrer l’ensemble larve et champignon. Il est donc difficile d’attribuer une éventuelle activité au champignon lui-même. Sans compter qu’il n’est pas toujours certain que l’espèce utilisée soit bien celle déclarée.

Toutefois, l’impressionnante liste d’allégations santé associée à ces champignons parasites a attiré l’attention de la recherche pharmaceutique, et des études ont été entreprises pour évaluer le potentiel des principes actifs contenus dans ce champignon.

Des pistes à explorer

Certains travaux semblent indiquer des effets – chez la souris – sur la croissance tumorale ainsi que sur la régulation de certaines cellules immunitaires. Une activité anti-inflammatoire a aussi été mise en évidence dans des modèles animaux et des cultures de cellules. Enfin, une méta-analyse (analyse statistique de résultats d’études déjà publiées) menée sur un petit nombre de publications a suggéré que, chez des patients transplantés rénaux, un traitement d’appoint à base de préparation d’O. sinensis pourrait diminuer l’incidence de l’hyperlipidémie, l’hyperglycémie et des lésions hépatiques. Les auteurs soulignent cependant que des recherches complémentaires sont nécessaires, en raison de la faible qualité des preuves et du risque de biais lié à la mauvaise qualité méthodologique des travaux analysés.

Une revue Cochrane (Organisation non gouvernementale à but non lucratif qui évalue la qualité des données issues des essais cliniques et des méta-analyses disponibles) de la littérature scientifique concernant les effets de ce champignon sur la maladie rénale chronique aboutit aux mêmes conclusions : si certaines données semblent indiquer que des préparations à base d’O. sinensis administrées en complément de la médecine occidentale conventionnelle pourraient être bénéfiques pour améliorer la fonction rénale et traiter certaines complications, la qualité des preuves est médiocre, ce qui ne permet pas de tirer de conclusion définitive.

Une autre espèce de champignon apparentée, Ophiocordyceps militaris, a aussi retenu l’attention des scientifiques. Il parasite quant à lui les pupes du ver à soie tussah (Antherea pernyi), lesquelles sont traditionnellement cuisinées et consommées dans certaines régions de Chine. Divers composés actifs ont été isolés de ce champignon, tel que la cordycépine, isolée dans les années 1950, qui pourrait avoir un intérêt dans la lutte contre le cancer, même si cela reste à confirmer. Chez la souris, des travaux ont aussi suggéré des effets sur la réduction des taux sanguins d’acide urique.

Des aliments « médicinaux » ?

Au-delà des pratiques médicales traditionnelles ou des explorations pharmacologiques visant à mettre au point de nouveaux médicaments, les champignons Ophiocordyceps sont aussi employés comme aliment diététique. En Chine, ils sont par exemple utilisés dans les plats traditionnels, les soupes, les boissons (bières, thés…) ou les compléments alimentaires (gélules). Leurs partisans prêtent à ces produits d’innombrables vertus : renforcement de l’immunité, lutte contre le vieillissement, régulation du sommeil, stimulation de l’appétit, et protection de la santé en général.

Toutefois, à l’heure actuelle, les preuves scientifiques soutenant de telles allégations manquent encore, notamment en matière de validation clinique en ce qui concerne, par exemple, l’immunité.

Cette utilisation s’inscrit dans la même tendance que celle qui a vu ces dernières années se développer les « aliments fonctionnels ». Aussi appelés nutraceutiques ou aliments « médicinaux », ces produits, qui sont vendus à grand renfort de marketing mettant en avant diverses allégations thérapeutiques, connaissent un fort développement mondial. Selon le cabinet BCC Research, la demande mondiale en nutraceutiques devrait passer de 418,2 milliards de dollars en 2024 à 571,3 milliards en 2029, avec un taux de croissance annuel moyen de 6,4 %.

Cependant, malgré l’abondance des produits revendiquant des bienfaits pour la santé, le niveau de preuve scientifique reste souvent limité ou controversé. La démonstration rigoureuse des effets physiologiques de ces aliments est complexe, en raison notamment de la variabilité des compositions, des biais liés aux études d’observation, ou encore du manque de standardisation des protocoles cliniques. Cela pose des défis importants en matière d’évaluation scientifique, de communication des allégations et de réglementation.

En vigueur depuis le 1er janvier 2018, le règlement sur les « nouveaux aliments » s’applique à l’ensemble de l’Union européenne. Est considéré comme nouvel aliment tout aliment n’ayant pas été consommé de manière significative avant mai 1997.

Pour que la Commission européenne accepte d’autoriser la mise sur le marché d’un nouvel aliment, plusieurs conditions doivent être remplies : compte tenu des données scientifiques disponibles, il ne doit présenter aucun risque pour la santé (ce qui ne signifie pas qu’il l’améliore), et son utilisation ne doit pas entraîner de déficit nutritionnel.

Si les mycéliums de Cordyceps sinensis sont aujourd’hui autorisés, ce n’est pas le cas de ceux de Cordyceps militaris, qui n’a pas encore reçu d’autorisation préalable de mise sur le marché européen.

The Conversation

Efstathia Karachaliou ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. « The Last of Us » : le « Cordyceps », menace fictive, réel atout thérapeutique ? – https://theconversation.com/the-last-of-us-le-cordyceps-menace-fictive-reel-atout-therapeutique-255130

À l’hôpital, la découverte d’une bactérie « mangeuse de plastique »

Source: – By Ronan McCarthy, Professor in Biomedical Sciences, Brunel University of London

Les plastiques sont omniprésents à l’hôpital. Amparo Garcia/Shutterstock.com

La bactérie Pseudomonas aeruginosa est particulièrement redoutée à l’hôpital, car elle s’attaque aux patients dont le système immunitaire est dégradé. De nouveaux travaux révèlent que ce dangereux microbe dispose d’un atout de taille pour assurer son succès : elle est capable de dégrader les plastiques pour s’en nourrir et mieux persister sur les surfaces qu’elle colonise.


La pollution plastique représente l’un des défis environnementaux majeurs de notre époque. Ces dernières années, des microbiologistes ont découvert des bactéries capables de dégrader divers types de plastique. Un jour, ces microbes « mangeurs de plastique » pourraient nous aider à faire diminuer les montagnes de déchets qui encombrent nos décharges et finissent dans les océans.

Si les microorganismes dotés de telles capacités suscitent l’espoir, ils peuvent aussi, dans d’autres contextes, être à l’origine de graves problèmes. C’est par exemple le cas de l’une des souches de la bactérie Pseudomonas aeruginosa que nous avons identifiée à l’hôpital, et qui est capable de dégrader certains matériels médicaux.

Des bactéries mangeuses de plastique à l’hôpital

Les plastiques sont largement utilisés en médecine, notamment pour les sutures (en particulier les sutures de type résorbable), les pansements et les implants. Nous nous sommes demandé s’il pouvait exister, dans les hôpitaux, des bactéries capables de dégrader les plastiques.

Pour le vérifier, nous avons analysé grâce à des outils informatiques les génomes de différents microbes pathogènes connus pour être présents en milieu hospitalier, afin de déterminer si certains d’entre eux renfermaient des enzymes proches de celles dont sont équipées les bactéries de l’environnement capables de s’attaquer au plastique. Nous avons eu la surprise de constater que certains microbes hospitaliers en sont effectivement dotés, ce qui suggère qu’ils pourraient être eux aussi capables de décomposer du plastique. Ce type d’enzymes a par exemple été identifié chez Pseudomonas aeruginosa, une bactérie opportuniste, autrement dit, qui devient dangereuse lorsque le système immunitaire est affaibli, responsable chaque année d’environ 559 000 décès dans le monde.

Un grand nombre des infections par ce microbe (qui se traduisent de diverses façons selon la localisation du site d’infection : infection des follicules pileux, de l’œil, de l’oreille, des poumons, de la circulation sanguine, des valves cardiaques…) sont contractées en milieu hospitalier. Les patients sous ventilation artificielle ou souffrant de plaies chirurgicales ou de brûlures sont particulièrement exposés aux infections à P. aeruginosa. Il en va de même pour ceux qui sont équipés de cathéters.

Après cette découverte, nous avons décidé de vérifier en laboratoire si cette bactérie était effectivement capable de « manger » du plastique.

Nous nous sommes concentrés sur une souche spécifique de cette bactérie, isolée chez un patient atteint d’une infection cutanée, et possédant un gène codant pour une enzyme dégradant le plastique. Nous avons découvert qu’elle pouvait non seulement pouvait décomposer le plastique, mais qu’elle l’utilisait comme source nutritive pour croître. Cette aptitude est conférée par une enzyme que nous avons nommée Pap1.

Des biofilms renforcés grâce au plastique dégradé

Classée parmi les pathogènes de priorité élevée par l’Organisation mondiale de la santé, P. aeruginosa est capable de former des biofilms (les cellules bactériennes adoptent une organisation en couche visqueuse, qui les protège du système immunitaire et des antibiotiques), ce qui complique grandement son traitement. Notre équipe avait démontré dans de précédents travaux que lorsque des bactéries environnementales forment de tels biofilms, elles peuvent dégrader le plastique de façon accélérée.

Nous nous sommes alors demandé si le fait de posséder une enzyme dégradant le plastique pouvait renforcer le pouvoir pathogène de P aeruginosa. Et nous avons découvert qu’effectivement, les bactéries dotées d’une telle enzyme présentaient une virulence accrue et formaient des biofilms plus volumineux.

Pour comprendre pourquoi le biofilm produit par P. aeruginosa était plus imposant en présence de plastique, nous en avons analysé la composition. Il en ressort que cette bactérie est capable d’incorporer le plastique dégradé au sein de cette couche visqueuse – ou « matrice », selon le terme scientifique – l’utilisant comme un « ciment », ce qui a pour effet de renforcer la communauté bactérienne formant le biofilm.

Implants orthopédiques, cathéters, implants dentaires, pansements « hydrogels » destinés aux brûlures… Les plastiques sont omniprésents dans les hôpitaux. Le fait qu’un pathogène tel que P. aeruginosa soit capable de persister durablement en milieu hospitalier pourrait-il s’expliquer par son aptitude à se nourrir de plastique ? Il s’agit, selon nous, d’une possibilité à envisager.

Un pathogène capable de dégrader le plastique de ces dispositifs, tel que celui décrit dans notre étude, pourrait constituer un problème majeur, compromettant l’efficacité du traitement et aggravant l’état du patient. Heureusement, des chercheurs travaillent déjà sur des solutions, notamment l’incorporation d’agents antimicrobiens dans les plastiques médicaux, afin d’empêcher les germes de s’en nourrir. En outre, maintenant que nous savons que certaines bactéries peuvent dégrader le plastique, il conviendra de tenir compte de cette donnée dans le choix des matériaux destinés à de futurs usages médicaux.

The Conversation

Ronan McCarthy est financé par le BBSRC, le NC3Rs, l’Académie des sciences médicales, Horizon 2020, la British Society for Antimicrobial Chemotherapy, Innovate UK, le NERC et le Medical Research Council. Il est également directeur de l’Antimicrobial Innovations Centre à l’université Brunel de Londres.

Rubén de Dios est financé par le BBSRC et le Medical Research Council.

ref. À l’hôpital, la découverte d’une bactérie « mangeuse de plastique » – https://theconversation.com/a-lhopital-la-decouverte-dune-bacterie-mangeuse-de-plastique-258150

TikTok et la santé mentale des adolescents : les alertes de la recherche

Source: – By Fabrice Lollia, Docteur en sciences de l’information et de la communication, chercheur associé laboratoire DICEN Ile de France, Université Gustave Eiffel

Sur TikTok, les utilisateurs vulnérables reçoivent jusqu’à 12 fois plus de contenus mortifières (suicide et automutilation) et 3 fois plus de contenus « nuisibles » (troubles alimentaires, anxiété, etc.). Ici, de jeunes Ukrainiennes sur TikTok en 2020. Iryna Imago

TikTok est l’un des réseaux sociaux les plus populaires chez les adolescents. Selon les études des chercheurs, la plateforme reconfigure leurs repères attentionnels, affectifs et cognitifs, avec un impact important sur leur santé mentale et leur construction personnelle.


Les témoignages de familles endeuillés ont démontré les conséquences parfois tragiques d’une exposition non encadrée. En novembre 2024, par exemple, sept familles françaises ont assigné TikTok en justice, accusant l’application de promouvoir des contenus favorisant les troubles alimentaires, l’automutilation et le suicide, ciblant particulièrement les jeunes utilisateurs. Parmi ces cas, deux adolescentes de 15 ans se sont suicidées, et quatre ont tenté de le faire. Ces affaires illustrent les risques d’une exposition prolongée à des contenus nocifs, d’autant que les utilisateurs fragiles reçoivent jusqu’à 12 fois plus de contenus mortifières (suicide et automutilation) et 3 fois plus de contenus « nuisibles » (troubles alimentaires, anxiété, etc.).

En mars 2025, une commission d’enquête parlementaire – à laquelle nous avons remis un rapport scientifique dans le cadre d’une contribution citoyenne – s’est penchée sur les effets sur les effets psychologiques de la plateforme sur les mineurs. Elle a offert une reconnaissance institutionnelle des constats jusque là cantonnés aux cercles académiques.

Au-delà de sa portée symbolique, la commission d’enquête permet de faire émerger plusieurs nouveaux éléments dans le débat public. Elle a mis en lumière le rôle central de l’algorithme dans la fabrique des vulnérabilités psychiques des mineurs.

Elle porte également la discussion sur des propositions concrètes opérationnelles : renforcement du contrôle parental, paramétrage horaire des usages, meilleure éducation à la critique des environnements numériques, tout en faisant émerger certaines réflexions déjà connues du monde académique comme les normes identitaires, genrées et antisémites véhiculés par la plateforme.

Mais au-delà des constats admis – trouble de l’attention, fatigue mentale, perte d’estime de soi – une question persiste : que savons-nous réellement de ce que TikTok fait aux adolescents ? Et que reste-t-il à comprendre ?

Comment TikTok capte l’attention et façonne l’identité des jeunes

Comme le montrent de récentes études, l’anxiété croissante chez les jeunes est nourrie par l’exposition à des contenus violents, sexualisés ou humiliants mais aussi par une dynamique de comparaison sociale continue. Cette exposition engendre un narcissisme fragile fondé sur le paraître au détriment de l’être et alimente des formes d’addictions comportementales.

Il est désormais clairement mis en évidence qu’en enfermant les jeunes dans des boucles de contenus anxiogènes ou stéréotypés, la logique de personnalisation devient elle-même un facteur de risque. L’algorithme ne se contente pas de recommander : il structure les parcours attentionnels en fonction des interactions de chacun, enfermant les jeunes dans une spirale de répétition émotionnelle.

Mais certains travaux de recherche invitent à approfondir l’analyse de TikTok au-delà des seuls contenus diffusés, en l’abordant comme un dispositif structurant. Des notions comme la désintermédiation éducative, le panoptique inversé ou la souveraineté cognitive permettent de penser les plates-formes comme des environnements qui modulent les repères attentionnels, identitaires et sociaux, souvent à l’insu des utilisateurs.

Les travaux en psychologie cognitive et sociale de Serge Tisseron et Adam Alter, montrent que les technologies reposant sur le défilement infini et la récompense immédiate perturbent l’attention et modifient le rapport à l’émotion. En l’espèce, TikTok agit comme un raccourci affectif remplaçant la réflexion par l’impulsion.

De plus, les normes implicites de visibilité, de beauté, de viralité imposent une esthétique de la reconnaissance qui façonne les représentations de soi. La recherche montre qu’elles accentuent la comparaison sociale, l’anxiété et une estime de soi conditionnée à la validation numérique, notamment chez les adolescentes surexposées à des modèles filtrés bien souvent irréalistes.

Sur TikTok, les contenus émotionnels, pseudo-scientifiques ou anxiogènes circulent sans hiérarchie ni médiation éducative. Cette désintermédiation cognitive, bien documentée dans la recherche sur les réseaux sociaux, fragilise les capacités critiques des jeunes, où l’influenceur tend à remplacer l’enseignant.

Cette logique est analysée dans la lignée évolutive des travaux de Jeremy Betham sur le panoptique, par le concept de panoptique assisté par ordinateur de Laetitia Schweitzer et de panoptique inversé de Borel, dont on comprend qu’en l’espèce, les jeunes se surveillent eux-mêmes pour exister dans l’espace numérique.

Quand TikTok remplace l’école : une crise invisible du savoir

L’attention est souvent abordée comme un simple mécanisme cognitif, mais elle est aussi – comme l’ont montré Yves Citton, Dominique Boullier ou Bernard Stiegler – une ressource stratégique captée et exploitée par les plateformes numériques. En sciences de l’information et de la communication (SIC), elle est analysée comme un rapport social structurant, façonné par des logiques de captation continue. Ce n’est donc pas seulement la concentration des jeunes qui est en jeu, mais leur rapport au temps, à la présence et à la possibilité d’une pensée critique.

La construction de soi sur TikTok se fait à travers des codes viraux, des filtres esthétiques, des modèles performatifs. Mais quelle est la nature exacte de cette exposition ? Que signifie se montrer pour exister, se conformer pour être visible ? Peu d’analyses saisissent TikTok comme un dispositif d’injonction identitaire où l’individu devient le principal agent mais aussi le principal produit de sa propre visibilité.

C’est là que l’on comprend que l’adolescent est profilé, influencé à son insu. Il devient, dans cette dynamique algorithmique, à la fois le spectateur, le producteur et la marchandise.

Cette logique relève d’un état de souveillance : une forme de surveillance douce et invisible. L’environnement numérique n’impose rien frontalement, mais oriente subtilement ce qu’il faut être, montrer, ressentir. Un point qui reste à documenter finement chez les publics mineurs.

Par ailleurs, TikTok ne hiérarchise pas les discours. Les témoignages, émotions, faits, récits, discours politique… tous coexistent dans un même flux. Cette indifférenciation des régimes de discours produit une confusion cognitive permanente persistante que les jeunes finissent par intégrer comme norme. La question de la véracité de l’information n’est plus aux premières loges. On est désormais plus dans de la fonctionnalité, dans le nombre de vues, de like.

Or, la délégitimation progressive du savoir structuré au profit de la viralité affective pose un enjeu démocratique de premier ordre : c’est la capacité des jeunes à discerner, argumenter, contester – bref, à exercer leur citoyenneté – qui s’en trouve fragilisé.

Enfin, une autre dimension rarement abordée concerne la territorialisation des algorithmes. TikTok ne propose pas les mêmes contenus ni les mêmes logiques de personnalisation selon les pays ou les contextes culturels. L’algorithme reflète, et parfois accentue, des inégalités d’accès à l’information ou des priorités idéologiques. Cela invite à s’interroger : qui décide de ce que les jeunes voient, ressentent ou pensent ? Et depuis où ces choix sont-ils pilotés ?

Ce que TikTok révèle de nos vulnérabilités numériques

TikTok concentre les logiques les plus puissantes du numérique contemporain : captation algorithmique, personnalisation affective, exposition identitaire et désintermédiation éducative. Il est désormais important de comprendre comment il agit, ce qu’il transforme et ce que ces transformations révèlent de nos propres vulnérabilités affectives.

Loin des approches moralisantes ou strictement réglementaires, une lecture interdisciplinaire invite à repenser la question autrement : comment armer les jeunes cognitivement, socialement et symboliquement face à ces environnements ?

Les premiers diagnostics sont posés. Les effets sont visibles. Mais les concepts pour penser TikTok à sa juste mesure restent encore à construire.

The Conversation

Fabrice Lollia ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. TikTok et la santé mentale des adolescents : les alertes de la recherche – https://theconversation.com/tiktok-et-la-sante-mentale-des-adolescents-les-alertes-de-la-recherche-256833

Qu’est-ce que la gueule de bois, et y a-t-il des remèdes ?

Source: – By Mickael Naassila, Professeur de physiologie, Directeur du Groupe de Recherche sur l’Alcool & les Pharmacodépendances GRAP – INSERM UMR 1247, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)

Les vendeurs de remèdes miracles contre la gueule de bois nous assurent qu’ils nous permettront de boire sans payer l’addition. Mais ces promesses séduisantes ne reposent sur aucune preuve scientifique solide. Et lorsque ces produits sont vendus en pharmacie, cela entretient une illusion de légitimité qui brouille les repères en matière de santé publique.


La gueule de bois – ce malaise du « lendemain de fête » – est souvent banalisée, moquée, voire érigée en rite de passage. Mais il s’agit aussi désormais d’un phénomène médicalement reconnu, puisque codifié par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans la dernière version de la Classification internationale des maladies (CIM-11).

Que nous apprennent les recherches scientifiques sur les causes de ce désagréable état et ses conséquences ? Existe-t-il des prédispositions ? Des remèdes qui fonctionnent ? Que change le fait que la gueule de bois soit aujourd’hui reconnue comme une entité médicale à part entière ? Voici les réponses.

Qu’est-ce que la gueule de bois ?

La gueule de bois (en anglais « alcohol hangover ») désigne l’ensemble des symptômes qui apparaissent lorsque le taux d’alcool dans le sang est redescendu à zéro, généralement plusieurs heures après une consommation excessive. Cet état dure de 6 à 24 heures.

Selon le Hangover Research Group, un collectif international de chercheurs spécialisé dans l’étude scientifique de la gueule de bois et la littérature scientifique récente, les symptômes sont de trois types :

  • physiques : maux de tête, nausées, vomissements, fatigue, sécheresse buccale, tremblements, tachycardie, troubles du sommeil ;

  • psychologiques et cognitifs : anxiété (illustrée par le mot-valise anglais « hangxiety »), irritabilité, humeur dépressive, troubles de l’attention, de la mémoire, lenteur cognitive ;

  • physiologiques : inflammation systémique, stress oxydant, déséquilibre électrolytique (les électrolytes présents dans le sang, comme le sodium ou le potassium par exemple, interviennent dans plusieurs processus biologiques, notamment les fonctions nerveuses et musculaires), hypoglycémie (diminution du taux de sucre sanguin), dérèglement du rythme circadien (l’« horloge interne » qui régule notre corps), perturbation de neurotransmetteurs (les messagers chimiques qui permettent aux neurones de communiquer entre eux) comme le glutamate et la dopamine.

Peut-on prédire qui aura une gueule de bois ?

Si la gueule de bois peut survenir à partir d’une alcoolisation modérée (de l’ordre, par exemple, de quatre verres en une soirée), la dose minimale varie fortement selon les individus.

Divers facteurs modérateurs ont été bien identifiés. C’est notamment le cas de la vitesse d’ingestion : plus l’alcool est consommé rapidement, plus le pic d’alcoolémie est élevé, ce qui augmente le risque de gueule de bois.

La biologie joue également un rôle, qu’il s’agisse du sexe (on sait, par exemple, que les femmes éliminent plus lentement l’alcool que les hommes), du poids, de l’état de santé, ou encore de la génétique, qui influe sur les processus enzymatiques (notamment ceux impliquant les enzymes qui interviennent dans la détoxification de l’alcool, telle que l’alcool déshydrogénase et les aldéhydes déshydrogénases).

L’âge joue également un rôle : les jeunes adultes sont plus sujets à la gueule de bois que les personnes âgées. Les jeunes adultes ont tendance à consommer plus rapidement et en plus grande quantité lors d’occasions festives (« binge drinking »), ce qui augmente fortement le risque de gueule de bois.

Les personnes plus âgées consomment souvent de façon plus modérée et régulière. Avec l’âge, certaines personnes réduisent naturellement leur consommation et apprennent à éviter les excès et à anticiper les effets. Elles répondent moins aux effets inflammatoires de l’alcool et rapportent moins les symptômes de la gueule de bois.

Enfin, l’état physique (niveau d’hydratation, sommeil, alimentation préalable) influe aussi sur les symptômes. Boire à jeun, sans ingérer d’eau ni dormir suffisamment, majore les symptômes.

Gueule de bois et « blackouts » : un lien inquiétant

Les « blackouts » alcooliques, ou amnésies périévénementielles, traduisent une perturbation aiguë de l’hippocampe, une structure du cerveau qui joue un rôle essentiel dans la mémoire. En interagissant avec certains récepteurs présents au niveau des neurones, l’alcool bloque les mécanismes moléculaires qui permettent la mémorisation ; le cerveau n’imprime alors plus les souvenirs…

Bien que ces blackouts ne soient pas synonymes de gueule de bois, ils y souvent associés. En effet, une telle perte de mémoire indique une intoxication sévère, donc un risque plus élevé de gueule de bois… et d’atteintes cérébrales à long terme !

Un facteur de risque pour l’addiction ?

Plusieurs études suggèrent un paradoxe du lien entre gueule de bois et addiction. Ainsi, bien que la gueule de bois soit une expérience désagréable, elle ne dissuaderait pas nécessairement la consommation future d’alcool et pourrait même être associée à un risque accru d’addiction à l’alcool. Une étude a par exemple suggéré que la gueule de bois fréquente chez les jeunes constitue un marqueur prédictif spécifique et indépendant du risque de développer une addiction à l’alcool plus tard dans la vie. Ce lien semble refléter une vulnérabilité particulière aux effets aversifs de l’alcool.

Chez les buveurs « sociaux » qui se caractérisent par une consommation d’alcool festive, sans présenter une addiction à l’alcool, une gueule de bois sévère est souvent dissuasive. Cependant, chez certains profils à risque (individus jeunes, impulsifs, ou présentant des antécédents familiaux), la gueule de bois n’induit pas de réduction de consommation. Pis : elle est perçue comme un désagrément tolérable renforçant l’habitude de consommation et cette réponse aux effets subjectifs de la gueule de bois constitue ainsi un facteur de vulnérabilité à l’addiction à l’alcool, notamment si l’individu cherche à soulager la gueule de bois… en buvant de nouveau (cercle vicieux).

Pas de remède miracle

Eau pétillante, bouillon, vitamine C, aspirine, bacon grillé, sauna, jus de cornichon, « hair of the dog » (« poils du chien », ce qui signifie en réalité reprendre un verre)… La littérature populaire est riche en remèdes de grand-mère censés soulager la gueule de bois.

Selon les dires des uns et des autres, pour éviter ou limiter les désagréments liés à une consommation excessive d’alcool, il faudrait se réhydrater (eau, bouillons), soutenir le foie (chardon-Marie, cystéine), réduire l’inflammation (antioxydants, ibuprofène), relancer la dopamine (café, chocolat) ou encore restaurer les électrolytes (boissons pour sportifs)… Pourtant, à ce jour, l’efficacité de ces différents remèdes n’a été étayée par aucune preuve scientifique solide.

En 2020, une revue systématique de la littérature a conclu à l’absence d’efficacité démontrée des interventions analysées, les résultats en matière d’efficacité étant jugés « de très faible qualité ». Ce travail a inclus 21 essais contrôlés randomisés, analyse 23 traitements différents, et conclut que la qualité globale des preuves est très faible, selon le système GRADE (Grading of Recommendations Assessment, Development and Evaluation).

Précédemment, d’autres travaux étaient également arrivés à la même conclusion.

La meilleure prévention reste donc de boire modérément, lentement, et de s’hydrater.

Un enjeu éthique : faut-il traiter la gueule de bois ?

Le fait que la gueule de bois soit maintenant reconnue comme une entité médicale interroge. Ce glissement sémantique est risqué : il pourrait banaliser l’alcoolisation excessive, et même favoriser la consommation. Risque-t-on de voir un jour des médecins prescrire un « traitement » préventif pour permettre de boire plus sans souffrir ?

La médicalisation de la gueule de bois pourrait aussi avoir un effet pervers : considérer qu’il est possible de « boire sans conséquence », à condition de bien se soigner après coup…

Il ne faut pas oublier que la gueule de bois n’est pas un simple désagrément : cet état est le reflet d’un stress intense infligé au cerveau et au reste du corps. La comprendre, c’est mieux se protéger – et, peut-être aussi, réfléchir à ses habitudes de consommation.

À ce sujet, si vous le souhaitez, vous pouvez autoévaluer vos symptômes de gueules de bois en utilisant cette traduction française de la Hangover Symptom Scale (HSS) :

The Conversation

Mickael Naassila est Président de la Société Française d’Alcoologie (SFA) et de la Société Européenne de Recherche Biomédicale sur l’Alcoolisme (ESBRA); Vice-président de la Fédération Française d’Addictologie (FFA) et vice-président junior de la Société Internationale de recherche Biomédicale sur l”Alcoolisme (ISBRA). Il est membre de l’institut de Psychiatrie, co-responsable du GDR de Psychiatrie-Addictions et responsable du Réseau National de Recherche en Alcoologie REUNIRA et due projet AlcoolConsoScience. Il a reçu des financements de l’ANR, de l’IReSP/INCa Fonds de lutte contre les addictions.

ref. Qu’est-ce que la gueule de bois, et y a-t-il des remèdes ? – https://theconversation.com/quest-ce-que-la-gueule-de-bois-et-y-a-t-il-des-remedes-238600

L’accord de l’OMS sur les pandémies se fait-il au détriment d’autres priorités de santé mondiale ?

Source: – By Valery Ridde, Directeur de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD)

L’accord sur les pandémies signé en mai 2025 par les États membres de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) est présenté comme un succès historique du multilatéralisme. Pourtant, il pourrait se révéler délétère pour les autres priorités de santé globale, du fait de la gouvernance technocratique qu’il propose et des coûts financiers élevés qui seraient alloués à des risques pandémiques hypothétiques.


Le 20 mai 2025, l’Assemblée mondiale de la santé a adopté ce que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a qualifié « d’accord historique » concernant la prévention des pandémies.

Célébrant l’accord comme un triomphe du multilatéralisme et une étape vers la sécurité sanitaire mondiale, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS a déclaré :

« Les nations du monde ont écrit l’histoire. »

Les dirigeants mondiaux se sont fait l’écho de ce sentiment.

La revue scientifique de référence Nature a également rejoint le satisfecit, en qualifiant le traité de « triomphe dans un monde déchiré ». La France, qui a coprésidé les négociations, est fière de ce succès.

Un contexte de réduction de l’aide au développement

En France, les responsables ont parlé d’« une victoire majeure pour le multilatéralisme » alors même qu’à l’instar des États-Unis d’Amérique et de l’Union européenne, elle a considérablement réduit son aide au développement dans le secteur de la santé.

La France continue de concentrer son soutien vers des programmes verticaux orientés vers quelques maladies, au détriment d’une approche globale de la santé. Alors que le ton de célébration domine les récits officiels, un examen attentif révèle une image plus complexe.

L’accord sur les pandémies n’est qu’un début

L’idée de cet accord est née à la suite de la pandémie de Covid-19 qui a révélé de profondes fractures dans la gouvernance mondiale de la santé. En décembre 2021, les États membres de l’OMS ont convenu de lancer des négociations en vue d’un nouvel instrument international pour la prévention, la préparation et la réaction aux pandémies (PPPR).

Cela a conduit à la création de l’organe intergouvernemental de négociation. Il s’est réuni 13 fois pendant plus de trois ans. Les deux premières années ont coûté plus de 200 millions de dollars, ce qui soulève des questions quant à l’efficacité et à la transparence de la diplomatie mondiale en matière de santé.

L’accord tire sa légitimité de la déclaration de l’Assemblée générale des Nations unies sur la PPPR (PPPR, pour prévention, préparation et réaction aux pandémies, ndlr) qui a souligné la nécessité d’une réponse internationale coordonnée aux futures menaces pour la santé. Le 20 mai 2025, il a été adopté par consensus (moins 11 abstentions et 60 non-votes) lors de la 78e Assemblée mondiale de la santé. Cependant, ce n’est que le début.


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La mise en œuvre de l’accord repose sur trois prochaines étapes essentielles :

  • i) la ratification par au moins 60 États membres, ce qui déterminera sa force juridique ;

  • ii) la création d’une Conférence des parties, qui servira d’organe directeur ;

  • iii) un accord sur le contenu spécifique de l’article qui concerne l’accès et le partage des avantages pour les produits de santé ; aspect le plus controversé des négociations.

Les implications juridiques et le rôle de l’OMS

L’accord sur les pandémies a été adopté en vertu de l’article 19 de la Constitution de l’OMS, qui prévoit des conventions juridiquement contraignantes. Toutefois, sa relation avec le Règlement sanitaire international (RSI) demeure ambiguë.

Alors que ce règlement continue de régir la notification des épidémies et les réponses à apporter, le nouvel accord étend le mandat de l’OMS à la distribution équitable des produits médicaux dans le monde et aux mécanismes de financement. Mais les détails doivent encore être déterminés par la Conférence des parties.

Cette centralisation de l’autorité risque de transformer la Conférence des parties en un centre technocratique dominé par des acteurs disposant de ressources suffisantes, ce qui mettrait à l’écart des voix moins puissantes, comme cela été le cas lors de la pandémie de Covid-19.

Le texte final limite l’autorité de l’OMS (article 24, paragraphe 2) et réaffirme que la mise en œuvre de l’accord reste de la responsabilité souveraine des États membres.

Des risques de pandémie surestimés, au détriment d’autres priorités

Alors que l’accord est célébré comme une étape diplomatique, il est essentiel de modérer l’enthousiasme par une analyse sobre de ses limites et de ses préoccupations.

Tout d’abord, l’hypothèse centrale de l’accord est que les pandémies constituent une menace « existentielle ». Cependant, la probabilité de pandémies catastrophiques est souvent surestimée et davantage motivée par des incitations politiques que par des preuves scientifiques. Cette inflation du risque peut conduire à des réponses disproportionnées et à une affectation des ressources éloignée des besoins.

Cela pourrait conduire à un détournement coûteux, au détriment de priorités de santé plus pressantes. Ainsi, le coût annuel estimé de la préparation et de la réponse aux pandémies est estimé à 31,1 milliards de dollars, dont 26,4 milliards de dollars attendus des pays à revenu faible et intermédiaire.

De plus, une aide publique au développement de 10,5 milliards de dollars supplémentaires est nécessaire, chaque année.

Il faut également ajouter les 10,5 milliards à 11,5 milliards de dollars requis pour le programme « Une seule santé ». Bien que solide sur le plan conceptuel, son coût est prohibitif et ses priorités mal alignées. Cette approche détourne l’attention et les ressources des besoins de santé publique de base et d’une perspective transdisciplinaire des enjeux de santé.

Enfin, de manière globale, dans un monde où les services de santé de base restent sous-financés, le détournement des ressources vers des menaces futures hypothétiques risque de saper les efforts visant à remédier aux fardeaux des maladies actuelles.

Une insistance excessive sur une approche sécuritaire de la santé

L’accord s’appuie sur un cadre de biosécurité qui met l’accent sur la surveillance, la riposte et la réponse rapide. Le Fonds de la Banque mondiale pour les pandémies ne finance que la surveillance et le diagnostic, tandis que la « mission de 100 jours » ainsi que l’accent quasi exclusif mis par l’accord sur les « produits » représentent un réductionnisme biomédical.

Cette approche néglige les déterminants sociaux de la santé et la nécessité de systèmes de santé résilients.




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Partout dans le monde, la résilience des systèmes de santé affaiblie par les réformes néolibérales


L’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) et l’OMS ont pourtant plaidé en faveur d’investissements dans la résilience des systèmes de santé.

Des préoccupations en matière d’équité

Malgré des engagements rhétoriques en faveur de l’équité, l’accord risque de répéter les échecs des réponses à la pandémie de Covid-19.

L’accent mis sur l’équité vaccinale a ainsi éclipsé des objectifs plus larges en matière d’équité en santé. L’accord adopte un modèle unique qui ne peut pas refléter la diversité des besoins et des capacités des différents pays, en particulier ceux dont le système de santé est fragile.

Des risques de corruption et de marchandisation ?

La centralisation des efforts du nouvel instrument international pour la PPPR (PPPR, pour prévention, préparation et réaction aux pandémies, ndlr) ainsi que la marchandisation de la préparation aux pandémies (au moyen de stocks, d’outils de surveillance et de technologies propriétaires) créent un terrain fertile pour la corruption, la recherche de rentes et des résultats négatifs en matière de santé.

L’afflux de fonds et le discours sur l’urgence peuvent conduire à des procédures de passation de marchés opaques et à des incitations dangereuses, comme on l’a vu dans certains pays durant la pandémie de Covid-19.

Pour une approche globale centrée sur les déterminants sociaux de la santé

Ce qui est peut-être le plus troublant, c’est la négligence de l’accord à l’égard des principes fondamentaux de santé publique. On met peu l’accent sur les solutions communautaires, le renforcement du système de santé (au-delà de la surveillance) ou les déterminants sociaux et les inégalités en matière de santé. Au lieu de cela, l’accord favorise un modèle technocratique descendant qui risque d’aliéner les populations qu’il vise à protéger.

L’adoption de l’accord de l’OMS sur les pandémies est annoncée comme une réalisation historique. Pourtant, l’histoire ne jugera pas cet accord par la fête autour de sa signature, mais par ses résultats, pour le moins incertains.

Cet accord repose sur des hypothèses contestées, impose des charges financières importantes et risque d’enraciner un modèle technocratique de gouvernance mondiale de la santé obnubilée par les enjeux sécuritaires. Il est très loin des principes fondamentaux de la santé publique : l’équité, l’engagement communautaire et le renforcement du système de santé.

Au tout début de la pandémie de Covid-19, nous avons appelé à un changement de paradigme. Nous avons plaidé en faveur d’une approche globale de la santé, qui s’attaquerait aux déterminants sociaux, afin d’aider les populations à réduire leurs facteurs de risque individuels et ainsi renforcer leur immunité naturelle. L’accord sur les pandémies vise exactement le contraire.

Sans une correction rapide – vers des approches plus inclusives, adaptées aux contextes et axées sur l’équité – cet accord pourrait devenir une nouvelle occasion manquée plutôt qu’une étape dans les progrès à réaliser, pourtant urgents.

The Conversation

Valery Ridde a reçu des financements de l’INSERM, l’ANR, Enabel, OMS, Banque Mondiale, ECHO, FRM.

Elisabeth Paul est membre de l’Independent Review Committee de l’Alliance Gavi, du collectif #Covidrationnel et ancienne membre du Technical Review Panel du Fonds mondial. Elle a en outre reçu des financements d’Enabel, l’Agence belge de développement.

J’ai une collaboration de recherche formelle et continue avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS). J’ai été consultant invité par le sous-comité de l’article 20 sur le financement des pandémies dans le cadre de l’accord sur les pandémies à Genève. J’ai collaboré au rapport de l’OMS et de la Banque mondiale visant à estimer les coûts de la préparation à la pandémie pour le sommet du G20 en Indonésie.

ref. L’accord de l’OMS sur les pandémies se fait-il au détriment d’autres priorités de santé mondiale ? – https://theconversation.com/laccord-de-loms-sur-les-pandemies-se-fait-il-au-detriment-dautres-priorites-de-sante-mondiale-258237

Congrès socialiste : « Une primaire à gauche est la seule perspective pour éviter la domination de Mélenchon »

Source: – By Frédéric Sawicki, professeur de science politique, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Réélu premier secrétaire avec 50,9 % des voix par les adhérents du PS, Olivier Faure veut désormais rassembler la gauche et les écologistes, notamment à travers une primaire sans Jean-Luc Mélenchon. Il devra d’abord convaincre son concurrent Nicolas Mayer-Rossignol ou encore Raphaël Glucksmann qui s’y opposent. Reste aussi à trancher une stratégie d’alliance claire en vue des municipales en 2026. Analyse des enjeux et perspectives avec le politiste Frédéric Sawicki.


Olivier Faure a été réélu premier secrétaire du PS sur un fil. Nicolas Mayer-Rossignol et Boris Vallaud, ses concurrents, réclament plus de pouvoir au sein du parti. Quelles seront les conséquences de ce vote sur la gouvernance et l’orientation stratégique du PS, notamment vis-à-vis de La France insoumise (LFI), mais aussi sur le fond du projet socialiste ?

Frédéric Sawicki : C’est une courte victoire pour Olivier Faure, mais une victoire quand même, alors que le front de ses opposants s’est élargi par rapport au congrès précédent. Les 42 % obtenus par sa motion l’obligent à intégrer des représentants des autres courants au sein de la direction, à se plier à l’exercice de la synthèse si caractéristique du Parti socialiste. Historiquement, tous les premiers secrétaires du PS, à commencer par François Mitterrand, ont dû passer des accords avec d’autres courants que le leur.

Derrière les débats sur la stratégie électorale, notamment vis-à-vis de LFI, il y a bien deux lignes politiques qui s’opposent et qui rendent la synthèse délicate : d’un côté, une ligne qui considère que le PS ne doit pas renier tout ce qui a été réalisé durant le quinquennat de François Hollande et qui assume le « socialisme de marché », de l’autre, une ligne critique et révisionniste, qui plaide pour un réancrage à gauche et une orientation résolument social-écologiste. Les tenants de la première ligne défendent « l’esprit de responsabilité » et la « gauche de gouvernement » ; ils se montrent peu prompts à critiquer la politique de l’offre et très prudents vis-à-vis de toute hausse d’impôts et de dépenses sociales. L’autre ligne, défendue par Olivier Faure, mais aussi par Boris Vallaud, critique les cadeaux aux entreprises sans contrepartie, la position trop timorée vis-à-vis des traités européens, la nécessité de « démarchandiser » certains services (crèches, enseignement supérieur, Ehpad…), de réformer le système fiscal pour le rendre plus équitable ou encore de décarbonner plus rapidement l’économie.

On a beaucoup entendu que les questions stratégiques et les conflits de clans étaient au premier plan et que les débats d’idées étaient peu présents dans ce congrès. Qu’en pensez-vous ?

F. S. : Tout dépend de ce qu’on appelle débat d’idées. Si, par idées, on entend propositions de réforme, on ne peut pas dire qu’elles fassent défaut. En 2023, Olivier Faure a ainsi proposé le versement à chaque jeune débutant dans la vie d’un « chèque républicain » inversement proportionnel au nombre d’années d’études suivies. Dans sa motion Nicolas Mayer-Rossignol entend pour sa part renouer avec l’idée de « grande Sécu », en instaurant une complémentaire obligatoire d’assurance maladie directement adossée au régime général. En revanche, quand on lit les textes des motions, force est de constater que les discussions sur le projet de société que portent les socialistes et les moyens d’y parvenir font défaut. Il ne suffit pas de se dire « social-démocrate », « social-écologiste » ou « républicain » ou d’affirmer l’attachement à des valeurs (justice sociale, laïcité, respect de la planète…) pour définir un cap et dessiner un chemin. Mais on peut aussi constater que c’est aussi le cas dans les autres partis de gauche.

Comment le comprendre ? Dans un contexte de faiblesse historique de la gauche, tous les partis essaient de sauver les meubles, l’appareil, leur petit milieu militant. Les congrès se gagnent avec les voix des militants, pas celles du grand public : on parle essentiellement à soi ou à ses proches et on perd parfois de vue les grands enjeux pour se concentrer sur la stratégie visant à regagner des batailles. Quand vous devez survivre, avec des troupes de moins en moins nombreuses, c’est un peu le radeau de la Méduse, vous bricolez une embarcation comme vous pouvez, en espérant accoster sur une île quelque part où vous pourrez bâtir un nouveau navire.

Les municipales arrivent très vite, en 2026. Quelle est la situation du PS pour aborder ces échéances majeures avec ses partenaires de gauche ?

F. S. : Lors des précédentes municipales, en 2020, le paysage électoral est resté assez stable. Les écologistes ont certes gagné des villes importantes, mais, globalement, au-delà des métropoles, les sortants ont été reconduits : les socialistes ont limité la casse et la droite a plutôt progressé. La particularité de ces élections de 2020 fut que les deux grands partis émergents au moment de la présidentielle, La République En Marche et LFI, ont totalement échoué à s’implanter localement.

Or, LFI a changé de stratégie. En 2020, le parti de Jean-Luc Mélenchon avait suscité des listes citoyennes dans lesquels ses militants se sont dilués. Mélenchon considérait qu’investir des candidats localement, c’était créer des notables et risquer de pervertir la ligne en favorisant des compromis bancals avec le PS ou le PCF. Désormais, LFI a décidé de faire de ces municipales un enjeu très fort et vise à s’implanter dans les territoires en menaçant de présenter des candidats face aux socialistes, aux communistes et aux écologistes.


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Jusqu’où ira l’affrontement ? Est-ce que les socialistes vont refuser de s’allier à LFI au risque de perdre des villes ? Olivier Faure acte la rupture avec Mélenchon mais annonce qu’ils pourront négocier au cas par cas. Nicolas Mayer-Rossignol a dit « pas d’alliance même au second tour » avant de dire qu’il pourrait y avoir des exceptions ! Le scrutin majoritaire à deux tours, tel qu’il fonctionne, pousse aux alliances, c’est inévitable. Malgré les grandes déclarations martiales, socialistes ou celles de Jean-Luc Mélenchon, des alliances auront probablement lieu entre les deux tours au risque de faire basculer certaines villes à droite ou à l’extrême droite.

L’un des enjeux du congrès du PS était la question de la primaire. Olivier Faure défend l’idée d’une primaire qui irait « de Glucksmann à Ruffin » excluant Jean-Luc Mélenchon, qui est déjà candidat. Or, Glucksmann ne veut pas de cette primaire, pas plus que Mayer-Rossignol. Quelle est finalement la crédibilité de cette hypothèse ? Plus largement, quelle est la crédibilité de la gauche à la présidentielle en l’état actuel des choses ?

F. S. : La primaire est revenue fortement dans le débat, portée par ceux qui, à gauche, considèrent que Jean-Luc Mélenchon, qui a d’ores et déjà annoncé sa candidature, n’est pas en situation de l’emporter face au RN ou à une candidature du centre-droit. De fait, il y a plus de Français aujourd’hui qui rejettent Mélenchon que de Français qui rejettent Marine Le Pen. Sans une candidature commune des socialistes, des écologistes, de Place publique, des insoumis en rupture de ban, voire des communistes, tout porte à penser que la gauche, comme en 2017 et en 2022, fera de la figuration.

Aux yeux de ceux qui défendent la primaire, cette dernière a l’avantage de donner une légitimité démocratique forte au candidat élu. Elle peut également être l’occasion de débattre des idées, des programmes, des personnalités, et de trancher. C’est la seule voie crédible pour que la gauche non mélenchonniste puisse jouer les trouble-fête en 2027.

Certains opposants à la primaire répliquent qu’« il faut d’abord trancher les différends programmatiques », voire idéologiques. Le pourra-t-on jamais ? La primaire ne serait-elle pas précisément l’occasion de les trancher, en demandant aux électeurs de gauche ce qu’ils souhaitent comme orientation, au-delà des personnes.

Les débats portent évidemment sur le champ de la primaire : peut-on prendre le risque de voir un représentant de la gauche radicale François Ruffin l’emporter ? Les partisans de Nicolas Mayer-Rossignol ou de Raphaël Glucksmann considèrent que cela empêcherait de récupérer les voix des électeurs de centristes séduits par Emmanuel Macron. Se pose donc ici une autre question, symétrique, évacuée pour le moment, avec qui gouverner à l’avenir ? Qui sont les macronistes ou les centristes prêts à une alliance, au-delà de Bernard Cazeneuve ? Je n’en connais pas beaucoup. François Hollande rêverait de ce scénario, mais qui voudrait de François Hollande chez les macronistes ou même chez les Français ?

Comment comprendre la position de Raphaël Glucksmann qui a annoncé refuser la primaire ?

F. S. : C’était une façon d’imposer sa candidature avant le congrès du PS. Raphaël Glucksmann est fort de son score de 13 % aux européennes et d’une bonne popularité. Mais ce score est tout de même lié au soutien du Parti socialiste alors que Place publique, son parti, demeure groupusculaire. Glucksmann a peut-être parié sur une défaite d’Olivier Faure, mais avec la victoire de ce dernier, il semble peu probable qu’il s’impose comme le « candidat naturel » et incontournable du PS. Sa stratégie de passage en force n’a pas fonctionné avec les militants PS et il se retrouve maintenant dans une situation délicate. Ni les socialistes, ni les écologistes, ni les communistes ne se rallieront naturellement à lui. En partant seul, il pourrait favoriser les répliques des écologistes, des communistes, de Ruffin. Cet émiettement des candidatures conduirait à une myriade de scores sous les 5 % et à une domination probable de Jean-Luc Mélenchon. Retour à la case départ.


Entretien réalisé par David Bornstein.

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Frédéric Sawicki ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Congrès socialiste : « Une primaire à gauche est la seule perspective pour éviter la domination de Mélenchon » – https://theconversation.com/congres-socialiste-une-primaire-a-gauche-est-la-seule-perspective-pour-eviter-la-domination-de-melenchon-258498

Quand les mouvements paysans européens radicaux formaient des partis populistes et des républiques séparatistes

Source: – By Jakub Beneš, Associate Professor in Central European History, UCL

Au début du XXᵉ siècle, des mouvements paysans européens ont nourri une haine des villes et développé des projets imaginatifs de réforme sociale et économique. Récit d’une histoire politique méconnue.


De la Pologne et de la France aux États-Unis, les partis populistes de droite dominent les zones rurales et postindustrielles, tandis que les votes libéraux centristes se concentrent dans les villes. Cette fracture entre les zones urbaines et rurales est sans doute la principale ligne de fracture politique en Europe et en Amérique du Nord aujourd’hui.

Il semble que la réaction contre le capitalisme mondialisé soit la plus forte lorsqu’elle est associée au conservatisme rural et à la xénophobie envers les migrants. Mais le populisme anti-urbain n’a pas toujours été – et n’est peut-être plus aujourd’hui – une simple réaction contre les forces de la modernité.


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Dans mon nouveau livre, The Last Peasant War : Violence and Revolution in Twentieth-Century Eastern Europe, j’explore comment les mouvements paysans en Europe de l’Est pendant la première moitié du XXe siècle ont souvent combiné un profond ressentiment envers les villes avec des aspirations à un changement social et économique radical. Ces mouvements visaient à créer une campagne plus égalitaire tout en renforçant son influence et sa prospérité.

La Première Guerre mondiale a été le principal catalyseur. Les pays belligérants d’Europe centrale et orientale ont mis en place des contrôles stricts de l’économie rurale afin d’assurer l’approvisionnement en nourriture des armées et de la main-d’œuvre urbaine. Les villageois qui travaillaient de petites parcelles de terre ont ressenti du ressentiment à l’égard de ces mesures et des villes qui en dictaient les conditions.

Confrontés à la pénurie chez eux et à la mort au front, des centaines de milliers de paysans désertèrent les armées mal dirigées de l’Autriche-Hongrie et de la Russie. En Autriche-Hongrie, puis pendant la guerre civile russe, des dizaines de milliers de paysans déserteurs armés se regroupèrent pour former des forces « vertes » hétéroclites basées dans les forêts et les régions vallonnées.

Ces hommes, accompagnés de soldats récemment démobilisés, ont été à l’origine d’une vague de violence sanglante dans de nombreuses régions rurales d’Europe de l’Est alors que les anciens empires se désintégraient. Les grands domaines ont été pillés, les fonctionnaires chassés et les marchands juifs volés et humiliés. Les foules paysannes ont souvent pris pour cible les villes, considérées comme les lieux qui semblaient orchestrer et tirer profit de leur exploitation.

Dans la plupart des endroits, les troubles ne durèrent pas longtemps. Pourtant, les mouvements de déserteurs et d’autres formes de résistance rurale en temps de guerre galvanisèrent la politique agraire de l’entre-deux-guerres, c’est-à-dire la politique relative à la culture et à la distribution des terres, à une échelle jamais vue auparavant ni depuis.

Les paysans réclamaient le démantèlement et la redistribution des grandes propriétés foncières, la fin des guerres menées par les villes parasites, une représentation des paysans au sein des gouvernements nationaux proportionnelle à leur nombre, ainsi que l’autonomie locale.

Il s’agissait là d’objectifs indéniablement révolutionnaires. Le leader bolchevique russe Vladimir Lénine et ses partisans ont été contraints de réviser la vision marxiste dominante d’une paysannerie arriérée. Son gouvernement a légalisé les saisies de terres par les paysans en vertu d’un décret de 1917, avant de réintroduire l’économie de guerre tant décriée et de conclure plus tard une trêve difficile avec les campagnes dans les années 1920. La guerre contre la paysannerie soviétique a finalement été gagnée lors de la brutale campagne de collectivisation menée par Staline au début des années 1930.

De nombreuses initiatives paysannes ambitieuses sont restées isolées les unes des autres : des républiques villageoises ont vu le jour dans certaines parties des anciens empires Habsbourg et Romanov, avec pour objectif principal la redistribution des grandes propriétés foncières.

Alors que les nouveaux pays d’Europe centrale et orientale consolidaient leur pouvoir, ils ont dû faire face à la concurrence de micro-États dans certaines parties de la Croatie, de la Slovénie et de la Pologne. De nombreuses républiques éphémères ont été signalées en Ukraine et en Russie européenne.

Les partis populistes ruraux, qui sont devenus une caractéristique déterminante de la politique est-européenne, ont été plus durables. De 1919 à 1923, la Bulgarie a été dirigée par l’Union nationale agraire bulgare sous la direction d’Aleksandar Stamboliyski, qui a introduit des réformes de grande envergure pour valoriser et récompenser le travail agricole avant d’être assassiné lors d’un coup d’État.

Dans les anciens territoires des Habsbourg, la politique agraire s’est développée rapidement après la Première Guerre mondiale, influençant la politique nationale jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les masses paysannes se sont tournées vers le Parti populaire polonais, le Parti paysan croate et d’autres pour les guider vers une « troisième voie » vers la modernité, évitant les écueils du libéralisme impitoyable et du communisme tyrannique.


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Les gouvernements d’Europe de l’Est ont mis en œuvre une réforme agraire au profit des villageois avides de terres, mais celle-ci n’a pas répondu aux attentes. Plus tard, la montée des régimes autoritaires dans une grande partie de la région au début des années 1930 a contraint de nombreux mouvements paysans à se retirer de la politique parlementaire. Marginalisés politiquement, sous le choc de la Grande Dépression, des millions de villageois ont embrassé des politiques extrémistes, y compris le fascisme.

Mais l’occupation d’une grande partie de l’Europe de l’Est par Hitler n’a trouvé que peu de soutien parmi eux. Un grand nombre de paysans ont rejoint ou soutenu les mouvements de résistance, faisant pencher la balance contre les forces de l’Axe en Yougoslavie. En Pologne, les populistes ruraux disposaient de leur propre résistance armée, forte de plusieurs centaines de milliers de membres : les bataillons paysans.

Vers 1950, la révolution paysanne s’éteignit en Europe. La collectivisation à l’Est et la mécanisation à travers le continent modifièrent le tissu de la vie rurale. Des dizaines de millions de personnes quittèrent la campagne pour les villes, pour ne plus jamais revenir.

La politique qu’ils soutenaient à l’époque des guerres mondiales n’est plus qu’un lointain souvenir. À l’époque, les citadins les regardaient avec un mélange de crainte et d’incompréhension. Comment, se demandaient-ils, des hommes comme Stamboliyski et Stjepan Radić, du Parti paysan croate, pouvaient-ils dénoncer la vie urbaine tout en affirmant vouloir rendre leurs sociétés plus égalitaires et plus prospères ?

À l’époque comme aujourd’hui, le monde en dehors des métropoles nourrissait des sentiments bien plus radicaux que nous ne le supposons souvent.

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Jakub Beneš ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Quand les mouvements paysans européens radicaux formaient des partis populistes et des républiques séparatistes – https://theconversation.com/quand-les-mouvements-paysans-europeens-radicaux-formaient-des-partis-populistes-et-des-republiques-separatistes-258027

Unoc 2025 : repenser le rôle et la place des Outre-mer

Source: – By Camille Mazé-Lambrechts, Directrice de recherche en science politique au CNRS, titulaire de la chaire Outre-mer et Changements globaux du CEVIPOF (Sciences Po), fondatrice du réseau de recherche international Apolimer, Officier de réserve Marine nationale CESM/Stratpol, Sciences Po

La troisième Conférence des Nations unies sur l’océan est l’occasion de mettre en lumière les enjeux de l’outre-mer en lien avec les changements globaux en cours. Pour cela, il est utile de commencer par remettre en question la notion même d’« outre-mer ». Dans ce contexte, une nouvelle vision portée par les peuples océaniques appelle à considérer les terres émergées et les mers qui les entourent comme un tout.


La troisième Conférence des Nations unies sur l’océan (Unoc 3), qui se déroule cette année à Nice, a été ouverte par des déclarations fortes de la part des peuples de l’océan. Des leaders des territoires ultramarins français et des représentants des peuples autochtones comme des petits États insulaires du Pacifique se mobilisent. L’occasion de questionner leur rôle politique actuel dans la vision et la régulation de l’océan.

En matière de protection des océans, l’un des objectifs internationaux est de protéger 30 % des écosystèmes marins dans le monde (notamment via des aires marines protégées, ou AMP) à l’horizon 2030. Officiellement, la France affiche un taux de protection de 33 %, mais dans les faits, les AMP françaises ne bénéficient pas d’un niveau de protection suffisamment fort. Selon l’association de protection des océans Bloom, moins de 1 % des eaux marines hexagonales le seraient réellement, notamment du fait des autorisations de chalutage de fond dans celles-ci.

Les scientifiques et peuples autochtones réunis à l’Unoc font ainsi porter leurs voix pour réguler et limiter la pêche industrielle et l’exploitation minière des fonds marins, avec des pratiques moins invasives et en garantissant l’accès aux ressources pour les populations locales.

Là où les premiers mobilisent la science, les autres rappellent la primauté du lien à l’océan. Celui-ci peut aussi relever des domaines de la spiritualité, de la famille, du clan voire de l’intime. C’est pour accompagner les territoires ultramarins dans la transformation vers la soutenabilité que s’est construite la nouvelle chaire Outre-mer et changements globaux (Chaire OMEGA) à Sciences Po. Son objectif : identifier les leviers et les blocages à cette transformation, en analysant les discours et les pratiques, les mobilisations collectives, les résistances et les opérations politiques en lien avec les données scientifiques. Des enjeux clés dans le contexte de la conférence onusienne.

La vision holistique des peuples ultramarins

Porté par le Sénat coutumier et les huit aires coutumières de Nouvelle-Calédonie, le groupe de travail Vision kanak de l’Océan a ainsi publié, à l’occasion du sommet, un document développant sa conception holistique de l’océan.

Elle ne sépare pas l’humain du milieu océanique et des espèces qui y vivent, à l’image de la vision polynésienne et plus largement océanienne. La mer, associée au commencement de la vie et à la mort, y est vue comme lieu d’accueil des âmes des défunts, et comme trait d’union entre les humains et les non-humains. Cette vision est à l’origine de pratiques plus régénératives et respectueuses de l’océan et de ses habitants.

L’exploitation pour la survivance alimentaire d’espèces marines, vues comme des gardiennes de l’histoire, de la culture et de la mémoire, est dès lors soumise à des règles strictes, car relevant du sacré. Dans cette vision, les captures non nécessaires entravent la capacité de régénération des milieux et constituent non seulement un désastre écologique, mais également un effondrement culturel.


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À l’heure des changements globaux, les bouleversements écologiques qui dérèglent les écosystèmes marins ne sont donc pas seulement des faits biologiques mais aussi des faits socioculturels et politiques. Ainsi, certains groupes sociaux adaptent leur mode de prélèvement dans les milieux et réintègrent une vision des espèces et des écosystèmes mis à mal par la colonisation occidentale. Par exemple, en gelant l’accès de manière temporaire et spécialisée et s’opposant à l’exploitation des fonds marins de manière concertée.

Pour les peuples des océans, l’Unoc a également été l’occasion de rappeler leur opposition au deep sea mining (exploitation minière en haute mer). La prise de position des présidents de la Polynésie française et de la République des Palaos, publiée en juin 2025 dans la revue Nature, a été particulièrement remarquée. Signe que les gouvernants de ces populations se réapproprient le sujet, marquant la distance avec la Fondation Pew Charitable Trust, impliquée de longue date dans les discussions concernant le Pacifique, laissant craindre une appropriation des territoires, des modes de gestion et des ressources marines.




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Remettre en question la notion d’« outre-mer »

Dans le même temps, un nouveau paradigme, notamment développé par les anthropologues Alexander Mawyer et Tamatoa Bambridge, tend à considérer le Pacifique comme un véritable « continent bleu ». Dans celui-ci, il n’y a pas de dissociation entre les terres et les mers, qui forment un tout indissociable, un espace de souveraineté partagé et interconnecté. Les frontières contemporaines, héritées de la colonisation, s’en trouvent questionnées.

Ainsi Moetai Brotherson, président de la Polynésie française, a déclaré lors du sommet :

« Nous, les [États insulaires du Pacifique], ne sommes pas des petites nations, nous sommes des grands pays océaniques. »

Ce paradigme prend à rebours la vision occidentale du Pacifique, souvent perçu comme un espace vide, composé d’une multitude d’îles isolées, de faibles superficies et riches en ressources. De ce fait, elles font facilement l’objet de convoitises extérieures hors de contrôle des communautés des États insulaires.

Cette approche de l’espace océanien entre en tension avec la géopolitique actuelle, dans laquelle des puissances telles que les États-Unis, la Chine ou encore la France, projettent sur le Pacifique des logiques de contrôle, d’exploitation et de rivalité, en limite des zones économiques exclusives (ZEE) et des eaux territoriales dont dépendent les habitants des archipels qui y vivent.

Face à ces stratégies d’affirmation de souveraineté maritime, qu’elles soient motivées par des enjeux géopolitiques ou économiques, les États du Pacifique s’organisent pour affirmer d’autres formes de légitimité avec, par exemple, le Forum des îles du Pacifique.

Cela passe aussi par une remise en cause des catégories habituellement utilisées pour les désigner, à commencer par le mot d’« outre-mer ». Ce terme marque une distance, une périphérie en rapport à un centre (« métropole »). Or, sur place, ce n’est pas comme cela que les populations se voient, mais comme des pays à part entière, dotés d’histoires, de langues, de priorités et d’orientations propres. Parler d’« outre-mer », c’est imposer un point de vue extérieur sur des mondes qui se pensent eux-mêmes. Dans le cadre du mouvement du « continent bleu », cette terminologie devient d’autant plus inopérante que la mer, loin de séparer, relie.

Cette terminologie doit ainsi être questionnée. Un exercice de pensée critique sur la décolonisation du lexique et de l’évolution institutionnelle, adaptée à chaque territoire, est nécessaire. Ces réflexions, très attendues des dits « ultramarins » eux-mêmes, sont l’un des objectifs de la Chaire OMEGA.




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Se donner les moyens de garantir les régimes de protection déclarés

Il existe des liens intrinsèques entre protection de la biodiversité marine, politiques publiques et géostratégie, comme l’ont rappelé le commandant Guillaume Garnoix (capitaine de vaisseau et responsable du centre des opérations de la Marine nationale) et le biologiste Gilles Bœuf à l’occasion de la table ronde organisée pour le lancement de la chaire.

Préserver l’océan et en faire un « commun » en renforçant la gouvernance internationale et la protection dans les zones économiques exclusives comme en haute mer doit s’accompagner de moyens. En particulier, ceux des armées et des marines nationales. En effet, ce sont elles qui sont en charge de la surveillance, du contrôle, de la dissuasion, de l’action humanitaire et de la défense.

Au-delà des déclarations chiffrées quant à la création d’aires marines protégées en outre-mer et des signatures de traités, il faut se donner les moyens de pouvoir garantir les régimes de protection déclarés.

En France, c’est le rôle de la Marine nationale de surveiller et de protéger le domaine maritime, comme de lutter contre les trafics et les activités illicites (par exemple la pêche illégale, non déclarée et non réglementée, ou INN). Il revient aussi à la Marine d’avoir une action humanitaire, en restaurant l’ordre et la sécurité afin de permettre aux acteurs du secteur d’effectuer des actions humanitaires et d’aide au développement.

Mais les mers demeurent des zones de tension et de rivalités, qui se multiplient et s’amplifient. La perspective d’un retour des affrontements navals refait surface, alimentée par les stratégies de contrôle des espaces insulaires et l’exploitation des ressources marines, de la colonne d’eau jusqu’aux fonds océaniques, dont dépend pourtant le vivant.

Ainsi, les acteurs de la protection de l’environnement, les scientifiques, les détenteurs de savoirs locaux, les militaires et les acteurs de la gestion des risques et des crises, ont tout intérêt à davantage collaborer. Cela ne pourra que renforcer l’efficacité de leurs prises de position et de leurs actions, au bénéfice de l’environnement, des espèces vivantes non humaines et des sociétés humaines qui en dépendent.

C’est la raison d’être de la Chaire Outre-mer et changements globaux, qui déploie ses activités dans les territoires ultramarins en étroite interaction avec les acteurs sur place. Elle invite à repenser l’océan et l’interface terre-mer non plus comme une frontière, mais comme un espace de souverainetés partagées. En se fondant sur une forte et nécessaire mobilisation des « humanités bleues », elle souhaite contribuer à maintenir les conditions d’habitabilité de la Terre dans un contexte de dépassement des limites planétaires.


Loup Lamazou, assistant de recherche à Sciences Po, a contribué à l’écriture de cet article.

The Conversation

Jordan Hairabedian fait partie du collectif Chercheurs sans frontière.

Mathieu Rateau fait partie du collectif Chercheurs sans frontière.

Camille Mazé-Lambrechts et Florent Parmentier ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

ref. Unoc 2025 : repenser le rôle et la place des Outre-mer – https://theconversation.com/unoc-2025-repenser-le-role-et-la-place-des-outre-mer-258716

La guerre des amendements, signe d’une conflictualité politique croissante

Source: – By Damien Lecomte, Docteur en sciences politiques, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

La conflictualité croissante des débats politiques se traduit notamment par des batailles d’amendements à l’Assemblée nationale. En séance publique, 4 000 amendements annuels étaient déposés en moyenne entre 2002 et 2007, 10 000 par an entre 2007 et 2012, 20 000 par an entre 2012-2017 et plus de 38 000 par an entre 2017 et 2022. Une évolution qui menace le fonctionnement de nos institutions.


Le lundi 27 mai à l’Assemblée nationale, l’adoption de la motion de rejet contre la proposition de loi du sénateur Duplomb « visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur » a suscité une importante controverse parlementaire. En effet, le « socle commun » (MoDem, Renaissance et LR) et le RN ont adopté cette motion non pour rejeter définitivement le texte, mais pour empêcher son examen et accélérer la procédure parlementaire, permettant la tenue d’une commission mixte paritaire avec le Sénat, sans discuter des amendements déposés par la gauche. Un usage assez inédit de la motion de rejet, bien loin de sa raison d’être, que le bloc gouvernemental justifie par la lutte contre l’obstruction dont il accuse les groupes de gauche.

Cette controverse est le dernier épisode en date illustrant la conflictualité croissante des débats à l’Assemblée nationale et notamment des batailles d’amendements. Dans une institution où beaucoup repose sur les usages, les précédents et les échanges de bons procédés, la polarisation et le durcissement des clivages rendent difficile la construction de compromis transpartisans qui seraient pourtant nécessaires en l’absence de majorité. Les amendements tendent à servir davantage le combat politique que l’élaboration de la loi.

Des outils de délibération et d’écriture de la loi

Le jargon parlementaire distingue différentes espèces d’amendements : « rédactionnels », « de repli », « d’appel »… Ces appellations montrent les multiples usages de cet instrument. Usages qui recouvrent la tension inhérente de l’institution parlementaire entre « Working Parliament » et « Talking Parliament ». D’une part, la fonction législative du Parlement chargé d’élaborer, d’examiner et d’adopter la loi. D’autre part, sa fonction tribunitienne et de représentation, lieu de débats et d’expression des clivages politiques et sociaux.

L’amendement est un droit essentiel du parlementaire, garanti par l’article 44 de la Constitution. Dans un régime où la loi vient souvent de projets déposés par le gouvernement, l’amendement est le principal outil dont disposent les élus pour participer activement à l’écriture de la loi qu’ils votent. Le droit d’amendement est ainsi un droit individuel inaliénable de chaque député (et sénateur), même s’il est exercé souvent collectivement et encadré par les groupes politiques.

L’amendement est donc d’abord le moyen de modifier une loi examinée par le Parlement – l’idéal parlementaire étant que la délibération permette d’améliorer les textes. Les modifications proposées peuvent être plus ou moins substantielles. Parfois, elles se contentent même de changer un choix de vocabulaire ou de formulation, de préciser une notion ou de mettre la loi en cohérence avec d’autres dispositions législatives. C’est là qu’intervient la distinction entre les amendements « rédactionnels », « techniques », « de précision » ou « de coordination ». Parce que le diable se cache dans les détails, ceux-ci peuvent avoir des conséquences plus importantes qu’ils ne le laissent paraître.

Les parlementaires qui ambitionnent d’améliorer la loi examinée dans le sens qu’ils recherchent doivent parfois s’attendre à revoir leurs attentes à la baisse, à rechercher le compromis avec le gouvernement et leurs collègues, pour faire adopter leurs amendements. D’où l’existence des amendements dits « de repli » : au cas où une disposition proposée serait rejetée, son auteur peut se rabattre sur une version plus modeste capable de faire davantage consensus.

Armes de débat et de combat politique

Mais les amendements déposés par les élus parlementaires ne le sont pas toujours dans l’espoir, même ténu, d’être adoptés. Leur raison d’être est, parfois, de donner à leur auteur l’occasion de s’exprimer dans les débats, d’attirer l’attention sur un problème.

Cet usage de l’amendement n’est pas le monopole de l’opposition : les députés des groupes qui soutiennent le gouvernement pratiquent aussi les « amendements d’appel », visant à leur permettre de s’exprimer, parfois d’engager la discussion avec le ministre sur ce qui les préoccupe. La règle de courtoisie veut qu’un député du bloc gouvernemental, une fois entendu, accepte de retirer son amendement à la demande du ministre, souvent en échange de l’engagement de traiter le problème soulevé.

Pour l’opposition, les amendements sans espoir d’être adoptés ont généralement moins pour fonction d’attirer l’attention du gouvernement sur un sujet que d’exprimer leur désaccord, de défendre leurs positions alternatives et de montrer leur combativité. L’objectif est de représenter leurs électeurs et de s’adresser à eux.

Plus encore : des amendements déposés en grand nombre peuvent viser à ralentir les débats pour faire appel à l’opinion, donner du temps au mouvement social voire, dans certains cas, compromettre l’adoption du texte si les contraintes de l’ordre du jour empêchent d’aller au bout de son examen. C’est le principe de l’obstruction parlementaire, employée non seulement par l’opposition contre les projets gouvernementaux, mais aussi désormais par la majorité relative contre les propositions de loi de ses opposants.

Les frontières entre ces catégories d’amendement sont bien sûr poreuses et mouvantes. Mais elles reflètent néanmoins la dualité de la fonction parlementaire, entre coopération pour écrire la loi et affrontement pour exprimer les clivages politiques. Le délitement du « fait majoritaire » et la fragmentation du système partisan appelleraient à des délibérations plus constructives et, plus souvent, transpartisanes. Mais la tendance lourde depuis deux décennies est à l’inflation exponentielle des amendements et à la conflictualisation des débats.

L’explosion du nombre d’amendements, symptôme de la conflictualisation

Journalistes et analystes ont évoqué la conflictualisation croissante de l’Assemblée nationale, en particulier depuis 2017. Le phénomène est attribué en grande partie aux attitudes combatives des élus, d’une part, de La France insoumise (LFI) et, d’autre part, du Rassemblement national (RN) – même si la « stratégie de respectabilisation » de ce dernier l’en éloigne depuis 2022.

S’il est vrai que la polarisation parlementaire s’est accentuée avec l’arrivée à l’Assemblée d’une nouvelle gauche radicale et le renforcement de l’extrême droite, la tendance est plus ancienne.

Depuis le milieu des années 2000, chaque nouvelle législature apparaît plus conflictuelle que la précédente. Dès 2007, la présidence de Nicolas Sarkozy est marquée par un vrai durcissement des clivages. Après 2012, l’opposition conservatrice à François Hollande se montre combative et « revancharde », comme en témoigne en particulier l’obstruction considérable contre le projet de loi de mariage pour tous. Et depuis 2017, en effet, la nouvelle donne politique tripolarisée par la montée du macronisme, de LFI et du RN accroît encore le phénomène. L’explosion du nombre d’amendements déposés en témoigne.

Les chiffres sont édifiants. Si l’on ne retient que les amendements déposés en séance publique (et donc, pas dans les commissions parlementaires) : ils étaient un peu plus de 4 000 en moyenne par an entre 2002 et 2007, puis presque 10 000 par an de 2007 à 2012, plus de 20 000 par an lors de la XIVe>/sup> législature (2012-2017) et plus de 38 000 par an de 2017 à 2022 ! Lors de la courte législature de 2022 à 2024, environ 48 000 amendements par an en moyenne ont été déposés.

À noter toutefois que, depuis la dissolution de juin 2024, les amendements ont été seulement d’un peu moins de 30 000. Un nombre à mettre en lien néanmoins avec le fort ralentissement de l’activité parlementaire dans une Assemblée nationale désormais loin de toute majorité claire.

L’absence de majorité absolue et disciplinée au gouvernement, qui pourrait devenir la règle plus que l’exception du fait de la fragmentation du système partisan, serait susceptible de donner plus d’importance à la délibération parlementaire, pour rechercher les accords capables de produire des lois appuyés sur des majorités d’idées. Mais si la tendance à privilégier les batailles d’amendements devait se maintenir voire s’amplifier, la paralysie des institutions demeurerait.

The Conversation

Damien Lecomte ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. La guerre des amendements, signe d’une conflictualité politique croissante – https://theconversation.com/la-guerre-des-amendements-signe-dune-conflictualite-politique-croissante-258358

Meurtres racistes mis en scène sur les réseaux sociaux : le droit des médias doit s’imposer aux plateformes

Source: – By Dominique Boullier, Professeur des universités émérite en sociologie. Chercheur au Centre d’Etudes Européennes et de Politique Comparée, Sciences Po

Plusieurs crimes racistes récents (comme les assassinat commis à La Grand-Combe, dans le Gard, et à Pujet-sur-Argens, dans le Var) ont été annoncés, filmés ou commentés sur les réseaux sociaux, sans intervention efficace des plateformes. L’annonce et la mise en scène d’un crime, valorisés par les algorithmes, permettent désormais une visibilité sur les réseaux sociaux, constituant un élément attractif du passage à l’acte. Il est indispensable d’imposer à ces plateformes le cadre légal standard des médias, qui comporte une responsabilité éditoriale pour les contenus publiés.


La dimension médiatique des meurtres racistes auxquels on a assisté récemment est très frappante. Dans les deux cas, les auteurs présumés des faits ont annoncé leurs intentions sur les réseaux sociaux (sur Discord puis Instagram pour l’assassinat de La Grand-Combe, sur Facebook pour celui Puget-sur-Argens). Ces publications en ligne avaient précédé leur passage à l’acte, affichant pour le meurtrier d’Aboubakar Cissé, dans le premier cas, une « fascination morbide » (selon la procureure) sur son serveur Discord, et pour celui d’Hichem Miraou à Puget-sur-Argens, un racisme explicite et une intention de tuer, cette fois sur Facebook.

Un signalement avait même été transmis à la plateforme et à Pharos par des femmes présentes sur le serveur Discord du premier, mais sans aucun effet apparemment. Personne n’avait signalé, détecté ou dénoncé le second, qui annonçait clairement son intention de dire « stop aux islamistes » et de faire « un petit carton déjà rien qu’en sortant de chez lui, tous les sans-papiers ». Pire encore, le premier s’est même filmé pendant l’exécution et l’a diffusée en direct, tout comme le meurtrier de la mosquée de Christchurch en Nouvelle-Zélande l’avait fait en 2019. C’est à ce moment de la publication de cette vidéo sur Instagram que les deux anciennes membres du serveur Discord de l’auteur ont fait un nouveau signalement qui a entraîné le retrait de la vidéo par la plateforme. Et enfin à la suite de son crime, le meurtrier de Puget-sur-Argens a pris le temps de commenter et de justifier ses interventions dans quatre vidéos postées sur Facebook, sans aucune entrave ni modération.

Dans ces affaires, la distribution des responsabilités se fait avant même la conclusion de l’enquête à travers les médias, chaînes d’info et réseaux sociaux. La première tendance consiste à vérifier l’origine ethnique du meurtrier et à appliquer la grille de lecture habituelle sur les conséquences du laxisme en matière d’immigration. Mais, dans les deux cas, les meurtriers se trouvent être des Français sans marque particulière, ce qui oblige à changer de registre. Le cadrage stéréotypé ne fonctionne plus. D’autres font alors appel au cadrage plus large de la brutalisation ou de l’ensauvagement, largement propagé par des propos répétés du personnel politique ces derniers mois.

Ces cadrages ne sont pas seulement des effets de manche. Ils peuvent fournir une justification à certains qui veulent se faire justice eux-mêmes, tant ils sont frustrés de leur propre impuissance.

Ces deux cadrages stéréotypés, immigration et ensauvagement, conduisent à désigner des boucs émissaires que la viralité des réseaux sociaux amplifie largement, ce qui affecte même ceux qui ne seraient pas en contact direct avec les cibles dans leur vie quotidienne. Il faudrait suivre méthodiquement la propagation de ces phrases, de ces expressions qui s’insinuent ainsi dans tous les esprits, même pour les critiquer. Cela permettrait de donner corps à ce « racisme d’atmosphère », pour, à la fois, montrer qu’il ne peut effacer la responsabilité de certains émetteurs dans cette propagation mais aussi pour admettre qu’une fois lancés, ces termes deviennent des mèmes qui se propagent à la moindre occasion, comme des évidences prétendument partagées, comme un climat qui s’insinue dans nos vies malgré nous.

Mise en ligne et mise en scène : propager sa réputation

Doit-on alors accuser les plateformes de réseaux sociaux de cette contagion de la violence, de la banalisation du racisme, des propos de haine et de harcèlement grâce à la viralité des images et des propos ?

Leur responsabilité est certain,e mais à condition d’éviter les condamnations morales incantatoires. Il est, en effet, demandé aux plateformes de cibler certains émetteurs (dans le cas du terrorisme) ou de mieux modérer les contenus, mais cette recommandation ne sera contrôlée qu’après coup, c’est-à-dire, comme ici, trop tard, et jusqu’ici sans réelle sanction, malgré les menaces de la Commission européenne vis-à-vis de X.

S’il est exact que, dans les deux assassinats, les plateformes n’ont rien modéré du tout ou trop tard (avec la suppression de la vidéo de La Grand-Combe sur Instagram après signalement), cela n’est guère étonnant quand on sait qu’elles ont réduit leurs charges de personnel de modération partout dans le monde. Et quand bien même elles auraient eu les ressources humaines en place, cette détection après coup aurait nécessité une intervention très rapide des forces de police et de la justice, sommées d’adopter un rythme accéléré de traitement pour pallier les manquements des plateformes.

Or, la réputation gagnée en ligne par ces crimes contribue désormais au passage à l’acte. La mise en scène de ses intentions puis du crime et, enfin, des commentaires sur ces crimes constitue désormais un pattern qui doit alerter : la visibilité gagnée sur les réseaux sociaux constitue un des éléments attractifs du passage à l’acte. Selon les cas, on pourra parler d’enfermement dans une « bulle de filtre », lorsqu’une communauté de suiveurs, d’amis s’est constituée et reste à l’écoute.

Toutes leurs réactions (like, partages, commentaires) seront vécues comme autant de récompenses et de reconnaissance qui alimentent l’estime de soi souvent mise à mal dans la vie ordinaire. Dans d’autres cas, cela peut constituer une façon de provoquer l’attention d’un public hors de son cercle d’amis et de gagner ainsi en visibilité ou en réactivité, et donc en viralité. Le « score de nouveauté » d’une annonce d’un meurtre à venir est valorisé par les algorithmes des plateformes puisqu’il engendre un « taux d’engagement » élevé.

Un cadre légal clair et simple : les médias sociaux sont des médias

Dans ces deux cas, cibler a priori des populations à risque (terrorisme, ultradroite) ne suffit pas. Car les contenus porteurs d’indicateurs de haine et de harcèlement prolifèrent et sont accélérés par la viralité des réseaux qui offre la gloire instantanée et éphémère à de parfaits inconnus. Or, les plateformes ne détectent pas ces contenus pourtant illégaux, non pas parce que ce n’est pas techniquement faisable, mais parce que ce serait économiquement dommageable pour elles, pour leur modèle économique fondé sur les placements publicitaires sur des contenus à haut potentiel de viralité.

Il faut donc trouver un moyen légal de leur faire endosser cette responsabilité, et ce moyen est très simple : les faire revenir dans le cadre légal standard de tous les médias, qui comporte une responsabilité éditoriale pour tous les contenus publiés sur leurs supports. Dans les crimes en question, ces contenus auraient pu ainsi être modérés et supprimés avant même leur publication, comme le font les médias qui disposent de courriers des lecteurs par exemple. Chaque observateur peut constater que cela n’empêche pas la publication de propos d’orientation politique très différente ou de ton parfois très virulent, du moment qu’ils respectent la loi.

Pourquoi, donc, accepte-t-on de laisser ces plateformes encore sous un statut d’hébergeurs, régime qui date de 1996 et du Communications Decency Act états-unien qui était destiné à réduire la responsabilité légale des firmes d’opérateurs de téléphone, à une époque où aucun réseau social n’existait ?

Il est temps de changer radicalement et très simplement de point de vue en les traitant comme des médias. Tous les messages qui ont la forme d’appels à la haine, au racisme, à l’antisémitisme, à la violence, à la calomnie et à l’insulte seront ainsi filtrés a priori avant publication, sous la responsabilité des plateformes. Certes, ce sont des tiers qui publient, mais cela n’enlève rien au fait que ce sont elles qui leur donnent les moyens techniques et la visibilité qui atteint une échelle sans commune mesure avec celle d’un graffiti raciste dans la cage d’escalier.

Ces plateformes avanceront que, techniquement, elles n’ont pas les ressources pour tout filtrer avant les publications de milliards de messages par jour. Il suffira de leur rappeler leurs revenus des quinze années précédentes fondées sur une impunité totale : oui, elles auront l’obligation d’investir dans cette tâche, quitte à rogner sur leurs marges exorbitantes qui leur ont fourni leur actuelle toute-puissance, qu’elles utilisent même pour contrer l’État de droit. Elles afficheront le soutien du public qui criera à la censure, sans aucun doute, et se vanteront d’être les championnes de la liberté d’expression, comme a su si bien le faire Elon Musk, avec son sens aigu de la modération et de la liberté d’expression qu’on observe sur X.

Mais il faudra leur rappeler précisément qu’elles ont pratiqué depuis longtemps des choix éditoriaux et qu’elles ont donc elles-mêmes censuré bon nombre d’expressions. Ce qu’il ne faut pas leur reprocher, mais au contraire utiliser pour exiger qu’elles assument leur rôle d’éditeur avec toutes les responsabilités légales sur tout contenu publié par leurs clients. Lorsque les conditions du pluralisme sont remplies dans les pays démocratiques, il devrait être tout à fait possible de quitter une plateforme dont on désapprouve la politique éditoriale pour aller sur une autre, exactement comme on le fait avec les mass médias. On peut même faciliter ces migrations en obligeant à la portabilité des données et des réseaux d’amis qu’on a ainsi constitués.

Qu’on mesure bien la faillite de ces plateformes pour la vie sociale et leur responsabilité directe dans la propagation d’appels au crime qu’on observe. Comment peut-on encore en rester au laisser-faire de toutes les années 2010 où le dogme libéral exigeait de ne jamais freiner le business ni l’innovation ? L’idéologie libertarienne, qui domine à la tête de ces plateformes, ne peut plus être associée aux idéaux des débuts d’Internet et du Web qui ont été trahis au profit d’une excitation générale des internautes, d’une emprise sur l’attention des publics pour générer toujours plus de revenus publicitaires. Le souci du bien commun, du débat public, de la santé mentale des internautes et de la sécurité des citoyens a disparu de leur agenda.

Les règlements européens se limitent à des demandes de transparence qui ne sont jamais respectées tant les algorithmes deviennent encore plus opaques avec les IA génératives, et à des principes de reporting sur les efforts faits pour modérer les contenus. Or, on le voit encore avec ces crimes récents publiés en ligne, les quelques efforts, qui avaient été faits après Cambridge Analytica, ont été réduits au service minimum et n’étaient de toute façon pas efficaces. Le rythme des propagations, la viralité, est le critère clé qui rend toute modération a posteriori impuissante. Il est temps de changer de méthode et de cesser d’inventer des exceptions légales pour traiter un problème créé de toutes pièces par les plateformes et leur modèle économique publicitaire.

Le choix est donc clair et la solution très simple si la volonté politique existe. Tous les contenus publiés sur les plateformes seront de la responsabilité légale de ces mêmes plateformes, car elles seront désormais assimilées à des médias.

L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et du numérique (Arcom) doit les réguler de la même façon, en allant, s’il le faut, jusqu’à leur interdiction d’opérer sur le territoire français, si elles ne respectent pas ce cahier des charges. Puisque le cadre européen s’avère insuffisant, que le danger pour la sécurité publique est désormais avéré, l’État doit donc prendre l’initiative pour recadrer ces réseaux sociaux qui sont en fait des médias sociaux, certes des médias appuyés sur de fortes contributions des internautes mais des médias cependant.

Des faits aussi graves que les deux homicides qui viennent d’être commis, avec la publicité qui leur a été donnée avant, pendant et après leur exécution, sur les plateformes demandent une réaction à la hauteur du risque social ainsi créé. Mais cela doit se faire non pas en réagissant de façon_ ad hoc_, mais bien en révisant le statut légal de ces plateformes, pour celles qui sont devenues des médias et des éditeurs.

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Dominique Boullier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Meurtres racistes mis en scène sur les réseaux sociaux : le droit des médias doit s’imposer aux plateformes – https://theconversation.com/meurtres-racistes-mis-en-scene-sur-les-reseaux-sociaux-le-droit-des-medias-doit-simposer-aux-plateformes-258605