Comment Brian Wilson, auteur-compositeur visionnaire des Beach Boys, a changé l’histoire de la musique

Source: The Conversation – Indonesia – By Jadey O’Regan, Senior Lecturer in Contemporary Music, Sydney Conservatorium of Music, University of Sydney

Les Beach Boys en 1962 à Los Angeles, Californie. Les trois frères Wilson (Brian est à gauche), leur cousin Mike Love et leur ami Al Jardine. Michael Ochs Archives/Getty Images

Brian Wilson, chanteur leader, auteur-compositeur et producteur des Beach Boys, est décédé, le 11 juin 2025, à l’âge de 82 ans. Le bassiste laisse derrière lui une musique magnifique, joyeuse, douce-amère et intemporelle, façonnée au fil d’une carrière qui s’étend sur six décennies.


Cette nouvelle n’est pas une surprise : Wilson, atteint de démence diagnostiquée par les médecins, avait été placé l’an dernier sous tutelle après le décès de son épouse, Melinda. Cependant, sa disparition n’en marque pas moins la fin d’un chapitre long et extraordinaire de l’histoire de la musique.

Une vie consacrée à la musique

Formés au début des années 1960 à Hawthorne, en Californie, les Beach Boys sont au départ une histoire de famille et de communauté : les frères Brian, Dennis et Carl Wilson, leur cousin Mike Love et leur ami d’école Al Jardine.

Durant leur enfance, la maison des Wilson était un foyer compliqué ; leur père, Murry Wilson, était strict, parfois violent. La musique constituait l’un des rares moyens de rapprochement familial.

C’est au cours de ces premières années que Brian découvre les sonorités qui façonneront son identité musicale : Gershwin, les groupes de doo-wop, le rock and roll des débuts et, surtout, les Four Freshmen, dont le style de chant en harmonie serrée sera une influence majeure qu’il étudiera avec minutie.

Black and white photo
Les Beach Boys en répétition en 1964 ; Brian Wilson est assis au piano.
Michael Ochs Archives/Getty Images

Un mélange d’influences inattendu pour un groupe de pop. Dès les premiers enregistrements des Beach Boys (avec surf, voitures et filles), on perçoit les prémices de la complexité et de l’audace musicale qui feront la réputation de Wilson.

Écoutez la structure inattendue de The Lonely Sea (1962), les accords complexes de The Warmth of the Sun (1963), ou encore la modulation subtile de Don’t Worry Baby (1964).

Ces premières innovations laissent entrevoir une créativité grandissante qui continuera de s’épanouir tout au long des années 1960 et au-delà.

Une histoire de résilience

Dans les années qui ont suivi, Brian Wilson a souvent été perçu comme une figure fragile. Mais ce qui ressort avant tout de son parcours, c’est sa résilience.

Difficile de ne pas admirer sa capacité à produire un catalogue d’œuvres aussi vaste et varié, tout en affrontant, entre autres, des relations familiales complexes, la pression des maisons de disques, des problèmes de santé mentale souvent mal diagnostiqués et mal soignés ainsi que des addictions. Wilson a non seulement survécu a tout cela, mais il a continué à créer.

Brian Wilson au piano et Al Jardine à la guitare lors d’un concert à Los Angeles en 2019.
Scott Dudelson/Getty Images

Il a même fait ce que peu de fans des Beach Boys auraient imaginé : remonter sur scène.

Le retour inattendu de Brian Wilson sur scène, lors des tournées Pet Sounds et SMiLE au début des années 2000, a relancé l’intérêt pour les Beach Boys et permis une réévaluation critique de leur héritage musical. Depuis, les publications de livres, de documentaires, de films et de podcasts consacrés à Brian Wilson et aux Beach Boys se sont multipliées.

Le sujet d’une thèse

J’ai grandi près de Surfers Paradise, sur la Gold Coast, (Queensland, Australie). Leurs premiers morceaux évoquant un été sans fin résonnaient particulièrement dans ma ville natale, même si, tout comme Brian Wilson, je n’ai admiré la plage que de loin.

J’ai choisi d’étudier la musique des Beach Boys pour ma thèse de doctorat et j’ai passé les années suivantes à retracer le développement musical du groupe, de leurs débuts dans un garage à la création de Pet Sounds cinq ans plus tard.

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Les Beach Boys en concert vers 1963. Brian Wilson est à gauche.
Michael Ochs Archives/Getty Images

J’étais fasciné par la manière dont un groupe pouvait produire en si peu de temps un corpus aussi novateur, passant des premières notes hésitantes de Surfin’ aux arrangements complexes de God Only Knows.

Pour comprendre leur musique, j’ai écouté pendant des années les sessions d’enregistrement des Beach Boys, prise après prise, afin de saisir comment leurs chansons étaient conçues avec autant de finesse et d’ingéniosité.

Mais ce qui m’a frappé aussi fortement que la musique elle-même, c’était la voix de Brian Wilson dans ces enregistrements. L’écouter diriger des heures de sessions, c’était entendre un artiste au sommet de son art – décisif, sûr de lui, drôle, un esprit collaboratif, animé d’une profonde volonté de donner vie à la musique magique qu’il entendait dans sa tête et de la partager avec le public.

L’une des découvertes les plus inattendues de mon analyse des paroles des Beach Boys est venue d’un simple outil de fréquence des mots appliqué aux 117 chansons du corpus : le mot le plus courant était « now » (« maintenant »).

The boys with a moped
Les Beach Boys posent pour un portrait vers 1964. Brian Wilson est à l’arrière.
Michael Ochs Archives/Getty Images

Souvent employé comme un tic de langage, « now » résume pourtant à merveille ce que la musique de Brian Wilson a offert à tant d’auditeurs.

Wilson a créé un présent éternel : un monde où le soleil brille toujours, où l’on peut rester jeune à jamais, et où l’on peut retourner chaque fois qu’on en ressent le besoin.

Jadey O’Regan avec Brian Wilson, Enmore Theatre, Sydney, 2010.
Jadey O’Regan

En 2010, j’ai eu l’immense chance de rencontrer Brian Wilson dans sa loge, avant son concert à l’Enmore Theatre de Sydney. Il était drôle et chaleureux. Assis à un petit clavier, il m’a appris une harmonie et, l’espace d’un instant, nous avons chanté Love and Mercy ensemble.

Ce fut l’un des moments les plus magiques de ma vie. Et l’un des messages les plus durables de Wilson : « Love and mercy, that’s what we need tonight. » (« De l’amour et de la compassion, c’est ce dont nous avons besoin ce soir. »)

Adieu et merci, Brian. Surf’s up!

The Conversation

Jadey O’Regan ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Comment Brian Wilson, auteur-compositeur visionnaire des Beach Boys, a changé l’histoire de la musique – https://theconversation.com/comment-brian-wilson-auteur-compositeur-visionnaire-des-beach-boys-a-change-lhistoire-de-la-musique-258830

Mettre en musique le trail : émotions sincères ou stratégie d’enchantement marchand ?

Source: The Conversation – Indonesia – By Mathilde Plard, Chercheuse CNRS – UMR ESO, Université d’Angers

Départ de l’Ultra-Trail du Haut-Giffre (Samoëns, Haute-Savoie) en 2019. UTHG

Du Trail du Saint-Jacques (Haute-Loire) à l’Ultra-Trail du Haut-Giffre (Haute-Savoie) en passant par celui du puy Mary (Cantal), le mois de juin célèbre la course en pleine nature. Au-delà de la performance physique, un élément qui peut sembler secondaire structure l’événement : la musique. Elle est calibrée pour générer une expérience affective précise et façonner une émotion collective. Un outil marketing redoutable.


De nombreuses études ont montré les effets positifs de la musique sur la performance et l’état émotionnel des sportifs. Elle peut réduire la perception de l’effort, augmenter les affects positifs, favoriser la concentration, ou encore synchroniser les mouvements. Ces apports sont exploités tant au niveau individuel qu’à l’échelle collective des événements – lorsqu’un speaker choisit les morceaux pour dynamiser le public.

Dans l’univers du trail-running, où chaque coureur vit une aventure à la fois personnelle et collective, l’échange de playlists avant le départ est une pratique répandue. Sur des plateformes comme Spotify ou SoundCloud, des groupes de participants partagent leurs sélections de morceaux – de l’électro atmosphérique aux hymnes rock – pour créer un sentiment de cohésion avant même le coup de pistolet.

Cette « playlist de départ » agit comme un rite d’entrée dans l’épreuve : elle permet aux trailers de se synchroniser mentalement, de puiser de l’énergie dans les mêmes vibrations sonores, et de renforcer un sentiment de fraternité éphémère mais puissant, via ce langage commun. Mais les coureurs ne sont pas les seuls à choisir leur musique : les organisateurs s’en emparent pour ritualiser les événements sportifs.

Les hymnes de départ, outil d’ingénierie de l’émotion

Dans le cadre d’une enquête sur les départs d’ultra-trail, nous avons analysé les musiques diffusées au cours des dix minutes précédant le lancement des courses.

L’effet est saisissant : les organisateurs choisissent très souvent des morceaux épiques issus du répertoire cinématographique ou du rock symphonique (Conquest of Paradise, de Vangelis,, The Ecstasy of Gold, d’Ennio Morricone,, Last Ride of the Day, du groupe metal Nightwish).

Départ de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc 2024 au son de Vangelis.

Ces musiques structurent un rituel. Elles suscitent des frissons, des larmes, une intensité collective. Par exemple, la montée de Conquest of Paradise génère un sentiment d’épopée, tandis que l’explosion orchestrale d’Ecstasy of Gold crée une tension dramatique invitant à l’aventure. Ces choix visent à provoquer des frissons et une intensité collective quasi liturgique.

Quels impacts ont ces sélections ? Opter pour U2 (Light My Way) semble évoquer une résonance intime, axée sur le dépassement personnel, quand Vangelis suscite un imaginaire héroïque et un sentiment de fraternité universelle. Chaque titre oriente donc l’expérience émotionnelle des coureurs et du public. Cette séquence musicale façonne la tonalité du moment et inscrit les participants dans une mémoire sonore commune.

De la résonance à l’enchantement marchand

Cette expérience se comprend à travers la notion de « résonance », du sociologue Hartmut Rosa. Dans une configuration résonante, la musique relie le sujet à lui-même, aux autres et à l’environnement. Mais si la sélection est standardisée et imposée, elle produit une aliénation rythmée, réduisant l’émotion à une simple illusion préprogrammée.

La mise en musique du sport relève alors d’une véritable « ingénierie de l’enchantement » où des professionnels conçoivent des dispositifs sensoriels destinés à suspendre momentanément l’incrédulité. La musique y fonctionne comme un outil de création d’une expérience immersive, ritualisée, préparée pour susciter un état euphorique collectif.


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Une illusion qui fait système

La chercheuse en anthropologie Emmanuelle Lallement montre que les grandes manifestations sportives fonctionnent comme des spectacles conçus sur le modèle des rituels : chaque geste, chaque décor, chaque son est pensé pour produire un effet émotionnel précis. Dans ce cadre, parcours et fan-zones ne sont plus de simples espaces de compétition ou de spectature, mais de véritables « scènes » où l’organisateur orchestre l’expérience du public à la manière d’un metteur en scène. Les animations, le choix des musiques d’ambiance et des jingles publicitaires sont calibrés au millième de seconde pour susciter la montée collective de l’enthousiasme.

Loin de l’idée d’une liesse populaire spontanée, ces dispositifs relèvent d’un « design émotionnel » : la ferveur est structurée, segmentée et distribuée selon un scénario immuable (par exemple : ligne de départ et d’arrivée pour le trail ; entrée des joueurs, mi-temps, moments clés du match pour le foot).

Chaque phase appartient à un script qui garantit une intensité contrôlée, interchangeable d’un événement à l’autre. La « fête sportive » devient un produit de consommation culturelle, où l’émotion est empaquetée, standardisée et vendue comme un service de divertissement – un simulacre ritualisé où les signes de la passion collective font plus illusion qu’ils ne renvoient à une expérience réellement partagée.

Oser des enchantements sincères ?

À trop vouloir produire du sensible, on risque pourtant de vider l’expérience de sa puissance transformatrice. L’ingénierie de l’enchantement, si elle ignore l’imprévu et l’altérité, engendre des « illusions bipolaires », révélant leur condition de production.

Les « illusions bipolaires », ce sont ces créations émotionnelles qui, d’un côté, promettent des sensations intenses et, de l’autre, risquent de laisser un vide quand le mécanisme se révèle. L’ingénierie de l’enchantement vise à produire du sensible de façon prédictive : montée de l’excitation, pics d’extase, apaisement cathartique. Mais si l’on maîtrise entièrement la temporalité et la dramaturgie des émotions, on finit par nier l’imprévu, la surprise authentique et l’altérité de l’autre – éléments pourtant essentiels à toute expérience transformatrice.

Ces « illusions bipolaires » oscillent entre deux pôles :

L’hyper-réalisme : une immersion tellement travaillée qu’elle paraît plus vraie que la réalité, conduisant à un état extatique généralisé.

La désillusion : lorsque le participant prend conscience que son émotion a été manufacturée, il éprouve une forme de désenchantement, voire de cynisme, face à ce qui apparaît alors comme un simple artifice marketing.

Ainsi, plus le dispositif est élaboré, plus le risque est grand de basculer d’un sentiment de communion exaltée à une expérience de vide émotionnel, révélant crûment que la « magie » avait pour origine un plan de production et un budget, plutôt que la spontanéité d’un engagement collectif.

Mettre en musique le sport n’est pas en soi un mal. Ce qui pose question, c’est la façon dont cette musique est sélectionnée, imposée, instrumentalisée. C’est le passage de la résonance à la récupération. Ce qui fait la force d’un moment sportif, c’est sa part d’incertitude. L’émotion ne se fabrique pas à la chaîne. Elle se vit.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Mettre en musique le trail : émotions sincères ou stratégie d’enchantement marchand ? – https://theconversation.com/mettre-en-musique-le-trail-emotions-sinceres-ou-strategie-denchantement-marchand-256708

Cléopâtre, cheffe d’État calomniée par le sexisme

Source: The Conversation – Indonesia – By Christian-Georges Schwentzel, Professeur d’histoire ancienne, Université de Lorraine

Parmi les œuvres présentées à l’Institut du monde arabe figure l’huile sur toile d’Alexandre Cabanel, _Cléopâtre essayant des poisons sur des condamnés à mort_ (1887).

Cheffe d’État, séductrice ou déesse : les récits qui entourent Cléopâtre sont nombreux, modelés par des stratégies politiques et souvent empreints de sexisme. L’exposition « Le mystère Cléopâtre », à découvrir à l’Institut du monde arabe à Paris, jusqu’au 11 janvier 2026, propose de démêler le mythe de la réalité.


Des rares grandes figures féminines retenues par l’histoire, Cléopâtre (69-30 av. J.-C.), la dernière souveraine d’Égypte, est la plus populaire. Autour de son personnage se sont forgées une légende noire puis une figure universelle, associant passion et mort, volupté et cruauté, richesse et guerre, politique et féminisme.

Une reine biculturelle

L’affiche de l’exposition « Le mystère Cléopâtre » du 11 juin 2025 au 11 janvier 2026 à l’Institut du monde arabe
L’exposition de l’Institut du monde arabe tente de percer « Le mystère Cléopâtre ».

La première légende de Cléopâtre est celle qu’elle a elle-même élaborée. Selon son discours officiel, la reine se présente comme une déesse au service de son peuple, ou plutôt de ses peuples. En effet, le royaume de Cléopâtre est biculturel, à la fois grec et égyptien, comme Cléopâtre elle-même. La reine descend en ligne directe de Ptolémée Ier Sôter, un officier gréco-macédonien d’Alexandre le Grand, devenu roi d’Égypte après la mort du conquérant, à la fin du IVe siècle av. J.-C. Pour ses sujets grecs, descendants des colons installés à Alexandrie et dans la vallée du Nil, Cléopâtre est une souveraine gréco-macédonienne, mais pour les Égyptiens elle se montre aussi en reine pharaonique traditionnelle.

Cette dualité politico-culturelle est une caractéristique idéologique de la dynastie de Cléopâtre dont les documents officiels sont rédigés dans les deux principales langues du royaume, comme on le voit sur la célèbre Pierre de Rosette. C’est ainsi une véritable reine biculturelle qui émane des sources antiques.

Pour les Grecs, Aphrodite réincarnée

Selon les récits officiels destinés à ses sujets grecs, Cléopâtre est l’incarnation terrestre de la déesse de l’amour et de la beauté, Aphrodite. C’est ce que nous montre une série de monnaies frappées dans l’île de Chypre, l’une des possessions de la reine en Méditerranée orientale.

Cléopâtre y est représentée tenant dans ses bras son fils, le petit Césarion, qu’elle a eu avec Jules César. Elle porte la couronne de la déesse, à laquelle elle s’assimile, tandis que son fils est comparé à Éros, enfant d’Aphrodite dans la mythologie. La reine divine apparaît comme la régente de Césarion : elle tient sur son épaule le sceptre royal qu’elle remettra plus tard au prince. Le nom de la souveraine et son titre sont inscrits en grec au revers de la monnaie : « Basilissès Kléopatras » (monnaie « de la reine Cléopâtre »). Cette inscription est associée au symbole de la double corne d’abondance, blason de Cléopâtre, symbole de la prospérité que la reine offre à ses sujets grâce à ses pouvoirs divins.

La divine pharaonne

Sur le mur extérieur du temple consacré, au Ier siècle av. J.-C., à la déesse Hathor à Dendérah, au sud de l’Égypte, Cléopâtre est figurée cette fois en déesse-reine égyptienne, accompagnée de Césarion, représenté devant elle en pharaon traditionnel.

Elle porte une perruque tressée, surmontée de cornes de vache qui enserrent un disque solaire, lui-même dominé par deux hautes plumes. Cette coiffe impressionnante est l’attribut de la déesse Hathor, divinité égyptienne incarnant l’amour, la joie et la maternité. Pourvue de ces attributs et vêtue d’une longue robe moulante, Cléopâtre est figurée comme l’incarnation du canon de la beauté féminine selon la tradition égyptienne. Son corps divin personnifie la fertilité du royaume et assure sa renaissance perpétuelle.

La représentation n’est pas réaliste, mais symbolique et idéalisée. Seul le cartouche, symbole cosmique de forme ovale encerclant les hiéroglyphes qui composent son nom, permet de distinguer Cléopâtre des autres souveraines. On y lit son nom grec transcrit en hiéroglyphes : « Klioupadrat. »

La reine dispose d’une longue titulature pharaonique qui s’ouvre par la mention du titre « Horet », introduisant ce qu’il convient d’appeler le nom d’Horus féminin de la reine :

« L’Horus féminin (“Horet”), la Grande (“Ouret”), la Maîtresse de perfection (“Nébet-néférou”), l’Excellente en conseil (“Akhet-zeh”), la Maîtresse des deux terres (“Nébet-tawy”). »

Dans le cartouche, on lit :

« Cléopâtre, la déesse qui aime son père (“Netjéret Méritès”). »

La reine fait ici référence à Ptolémée XII qui l’avait associée au trône, en 52 av. J.-C., et auquel elle avait succédé un an plus tard.

Femme fatale et obsédée sexuelle ?

À l’opposé de ces récits officiels valorisants, des auteurs romains ont diffusé de violentes calomnies, reprenant à leur compte les inventions de la propagande d’Octave, vainqueur de la reine à la bataille d’Actium, en 31 av. J.-C.

Le poète latin Horace, proche d’Octave, définit Cléopâtre comme une « reine démente […], incapable de mettre un frein à ses désirs » et « un monstre fatal », heureusement terrassé par Octave, sauveur du monde romain.

« La Mort de Cléopâtre », 1874. Huile sur toile, Jean André Rixens (1846-1925)
La Mort de Cléopâtre (1874). Huile sur toile, Jean André Rixens (1846-1925).

Plus virulent encore, le poète latin Properce affirme que Cléopâtre était une obsédée sexuelle, impossible à satisfaire. Elle couchait, raconte-t-il, avec ses propres serviteurs. Pour Octave, inventeur de ces insultes, il s’agissait de discréditer Césarion, vu, non comme le fils de Jules César, mais comme celui d’une prostituée.

Au début du IIe siècle, Plutarque, biographe et moraliste grec, décrit Cléopâtre comme une femme dangereuse, au charme irrésistible : « Sa voix était très douce », écrit-il, afin de la comparer aux sirènes de la mythologie grecque qui attirent les marins vers des récifs où ils échouent avant de trouver la mort.


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L’excellente reine du monde arabe

Des écrivains orientaux, du Moyen Âge à nos jours, offrent une vision radicalement différente de la dernière reine d’Égypte. Le premier d’entre eux est Jean de Nikiou, évêque copte du VIIIe siècle, auteur d’une « Chronique » racontant l’histoire du monde depuis Adam et Ève jusqu’à la conquête musulmane de la vallée du Nil. Jean de Nikiou reprend à son compte une tradition orale égyptienne favorable à Cléopâtre, vue comme une dirigeante politique compétente et protectrice de son peuple.

Selon Jean de Nikiou, c’est une remarquable architecte. Elle construit à Alexandrie un grand et magnifique palais, unique au monde. Elle fait aussi creuser des canaux pour amener de l’eau potable et des poissons à son peuple dont elle assure le bien-être. Protectrice et nourricière, elle fait figure de reine idéale.




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Mais où se trouve la momie de Cléopâtre ?


Au IXe siècle, l’historien égyptien Ibn ’Abd al-Hakam, auteur d’un livre relatant la conquête arabe de l’Égypte, est le premier auteur musulman faisant référence à Cléopâtre. S’inspirant des propos de Jean de Nikiou, il fait à son tour l’éloge de la parfaite souveraine.

Un siècle plus tard, l’historien et voyageur Al-Masudi s’intéresse, lui aussi, à Cléopâtre dans son ouvrage les Prairies d’or. Il y dépeint la souveraine comme une femme philosophe et érudite, appréciant la compagnie des savants et des intellectuels de son temps.

Le génie politique

Vers 1200, un auteur arabe dont on ne sait presque rien, Murtadha ibn Al-Khafif, composa un petit roman mettant en scène une reine nommée Qaruba, inspirée du personnage de Cléopâtre. Le livre arabe, aujourd’hui perdu, a été traduit en français par Pierre Vattier au XVIIe siècle.

Qaruba (Cléopâtre) y fait figure de femme politique habile. Elle parvient à s’assurer le soutien indéfectible de ses soldats dont elle a doublé la solde, mais aussi des prêtres, des magiciens et des savants du royaume qu’elle n’a de cesse de favoriser. Elle est au sommet de sa gloire, lorsqu’un chef étranger arrive en Égypte avec ses troupes. Il veut épouser la reine, afin de devenir roi. Qaruba accepte, mais à condition qu’il fonde d’abord, sur la côte méditerranéenne de l’Égypte, une nouvelle grande cité. Puis, par diverses ruses, elle parvient à retarder les travaux car, en réalité, elle ne veut absolument pas se soumettre au chef étranger. Finalement, pour échapper au mariage, elle se suicide en se faisant mordre par un serpent.

L’actrice égyptienne Fatma Rochdi (1908-1996) dans le rôle de Cléopâtre, 1929
L’actrice égyptienne Fatma Rochdi (1908-1996) dans le rôle de Cléopâtre, 1929.
Schwentzel, Fourni par l’auteur

Ce conte plein de fantaisie est basé sur des éléments historiques : le chef étranger évoque Octave et la mort de la reine, mordue par un reptile, s’inspire du récit antique de Plutarque. Mais ce qui constitue l’originalité de l’ouvrage de Murtadha, c’est l’oubli des traits physiques de la reine, au profit de ses seules qualités intellectuelles et politiques.

Dans la continuité, contemporaine cette fois, de cette figure féminine éprise de liberté et préférant la mort plutôt que la soumission à une puissance étrangère, le poète égyptien Ahmed Chawqi (1868-1932) fait de la souveraine une allégorie de la lutte anti-impérialiste dans sa pièce la Mort de Cléopâtre. La reine, interprétée au Caire, en 1929, par l’actrice égyptienne Fatma Rochdi, apparaît comme une résistante antique, malgré son échec final et son statut de vaincue. Cléopâtre est devenue une allégorie de l’Égypte éternelle.

The Conversation

Christian-Georges Schwentzel est l’un des commissaires scientifiques de l’exposition « Le mystère Cléopâtre » à l’Institut de monde arabe du 11 juin 2025 au 11 janvier 2026.

ref. Cléopâtre, cheffe d’État calomniée par le sexisme – https://theconversation.com/cleopatre-cheffe-detat-calomniee-par-le-sexisme-257153

Thés sencha, umami, grands crus… Comment le marketing invente de nouveaux discours

Source: The Conversation – Indonesia – By Pierre-Yves Modicom, Professeur, Université Jean Moulin Lyon 3

_Umami_ (« savoureux » en japonais) est un qualificatif, qui n’était pas spécialement associé au thé, dont la popularité récente désigne une « cinquième saveur », censément propre à la culture gastronomique japonaise. PeopleImagesYuri A/Shutterstock

Bienvenue à l’ère des thés iodés, boisés et umami. Cette nouvelle culture du thé haut de gamme s’appuie sur de supposés terroirs ou sur un imaginaire de raffinement, inspiré de l’œnologie. Les grands gagnants de cette mutation sémantique : les distributeurs et vendeurs de thé.


« Thés d’origine », « grands crus », « goût iodé » ou « boisé », « saveur umami », senteurs qui « évoquent les montagnes de Chine », si ces termes vous parlent, vous êtes certainement amateurs de thé. Depuis quelques années, ils fleurissent et traduisent un changement palpable dans les discours environnant la consommation du précieux breuvage. En 2022, la consommation moyenne de thé en France était de 250 grammes par personne et par an.

Cette mutation emprunte beaucoup aux discours œnologiques. Elle s’inscrit dans une longue histoire, celle de la perception occidentale du thé comme une boisson à la fois exotique et raffinée. En réalité, elle n’est pas spécifique à la France.

Elle témoigne d’une évolution du marché européen qui doit beaucoup à l’action des distributeurs spécialisés et à leur stratégie marketing. C’est ce que montrent les premiers résultats d’une étude qui sera présentée à Lyon le 20 juin, lors d’un colloque consacré à l’histoire du marché du thé dans une perspective interculturelle.

Parler d’un thé comme d’un vin

Les nouveaux discours du thé doivent beaucoup aux usages développés dans le domaine de la vigne et du vin. Une première série d’emprunts à l’œnologie concerne les pratiques de désignation des thés, en particulier des thés purs : les cultivars, terme botanique, sont fréquemment qualifiés de « cépages ».

Comme un vin, un thé peut « libérer des saveurs » qualifiées par des adjectifs que l’on retrouve aussi dans la description des arômes du vin ou du whisky. Le goût n’est pas seulement décrit en termes de « saveurs », mais aussi de « notes ». Par exemple, un thé darjeeling est décrit comme :

« Produit dans le jardin de Selimbong, ce thé noir dévoile lors de sa dégustation tout le charme secret qui rend les thés de printemps de cette région du nord de l’Inde si séduisants. Sa liqueur enveloppante libère des saveurs florales, fruitées, boisées et minérales d’une rare intensité. »

Les descriptions empruntent des tournures syntaxiques à l’œnologie : là où un vin peut « offrir une robe » qui sera décrite par des adjectifs de couleur, un vin « offre » ou « procure une tasse ». Même si celle-ci peut être « dorée », elle sera souvent décrite pour autre chose que sa couleur, comme « douce » ou « chaleureuse ».

Pour sa part, la description des « accords » thé/mets par les « sommeliers de thé » est calquée sur le discours des sommeliers traditionnels, comme pour ce thé du Yunnan :

« Ce thé s’accorde idéalement avec une viande rouge ou un gibier : ses notes se fondent avec les parfums pyrogénés de la viande rôtie ou grillée. Les notes miellées du Grand Yunnan impérial se marient aussi parfaitement avec un chocolat noir intense, pour un accord de caractère. »

Thé haut de gamme

On assiste à la diffusion d’une nouvelle culture du thé haut de gamme, en prenant appui sur les usages de l’œnologie. Ce choix stratégique se révèle d’autant plus judicieux qu’il est en phase avec l’image historique du thé comme boisson synonyme de raffinement et de distinction. Un distributeur peut ainsi décrire « un Earl Grey très élégant, à la fois sophistiqué et racé ».

La scène européenne du thé pris un soir d’automne ou d’hiver ressurgit au détour de la description d’un thé de Chine : « Un (thé) Pu-Erh de l’année aux feuilles torsadées, offrant une infusion au bouquet sous-bois humide et des notes évoquant le feu de cheminée. »

Comme pour le vin, les descriptions des thés d’origine évoquent volontiers des paysages : « Les nuits fraîches et brumeuses des contreforts de l’Himalaya ont donné à cette récolte de printemps son arôme si particulier. »

Plus généralement, les descripteurs utilisés renvoient souvent au domaine de la forêt, comme le montrent les adjectifs désignant la flore, mais aussi le « goût de sous-bois » fréquemment prêté au Pu-Erh chinois. La montagne et surtout la mer sont fréquemment mobilisées, elles aussi, sur une base fortement métaphorique. On ne s’étonnera donc pas de voir qualifié de « iodé » un thé s’accordant avec des fruits de mer :

« Cette récolte d’été offre une tasse aux notes végétales puissantes et à l’arôme iodé avec une légère astringence. Parfait en accompagnement de fruits de mer et crustacés, poisson cru et fromage de chèvre frais. »

Terroir de thé « umami »

La France produit 1 500 tonnes de thé par an, notamment à la Réunion, mais peu en France métropolitaine. Cette très faible production introduit une différence importante avec les discours du vin, en tout cas des vins français. La question du terroir est traitée sur le mode de l’exotisme, comme l’attestent les descriptions commençant par la désignation d’un lieu d’origine. Ce dernier prend la forme d’un nom propre que l’acheteur ne connaît pas forcément, le jardin de Selimbong.

Mais la question de l’ancrage dans un territoire ne se réduit ni aux paysages ni aux toponymes. Un thé pur ni parfumé ni mélangé et issu d’une seule région sera souvent qualifié de « thés d’origine », et adossé à un standard des productions agroalimentaires valorisées, l’appellation d’origine. Mais chez certains distributeurs, cette appellation s’applique aussi au genmaïcha, mélange de thé vert japonais et de riz soufflé, ou au thé au jasmin.

Les terroirs des « thés d’origine » sont presque toujours asiatiques, ce qui se traduit par des emprunts lexicaux au japonais et au chinois. Un simple coup d’œil à l’outil Google Ngram – application linguistique permettant d’observer l’évolution de la fréquence d’un ou de plusieurs mots ou groupes de mots – permet de constater une explosion récente de la fréquence du mot japonais umami dans les données francophones.

Occurence du terme umami (« savoureux ») dans le moteur de recherche Books Ngram Viewer.
Books Ngram Viewer

Umami, en japonais, signifie « savoureux ». Il n’est pas particulièrement associé au thé, mais a connu une popularité récente pour désigner une « cinquième saveur » supposément spécifique de la culture alimentaire japonaise. Le terme sencha, thé vert japonais, voit également son usage augmenter fortement. Cela contraste avec des thés plus haut de gamme gyokuro, mélangées genmaicha ou spécifiquement chinois comme Pu’Erh ou puerh, dont la fréquence d’usage est stable.

L’évolution des discours se cristallise donc sur le thé vert pur japonais d’entrée ou de milieu de gamme.

Évolution du marché

Cette évolution sur les trente dernières années doit beaucoup à quelques distributeurs emblématiques fonctionnant sur le modèle de la franchise comme Le Palais des Thés. Ces entreprises ont construit une image de marque reposant sur l’expertise technique de leurs fondateurs et la mise en avant d’un rôle de médiateur culturel et gastronomique. Le déploiement de cette nouvelle culture du thé passe par l’implantation de boutiques reconnaissables dans les quartiers commerçants de luxe, par le développement de formations privées ou partenariales aux métiers du thé, en particulier autour du métier de sommelier de thé, et par des initiatives éditoriales comme la publication de beaux livres sur le thé.

Devanture d’un magasin allemand de thé, Gschwendner, célèbre franchise européenne comme le Palais des thés, en France.
Wikimediacommons

Cette stratégie n’est pas spécifique au marché français. Elle est également très bien documentée en Allemagne, où elle a été initiée à la toute fin des années 1980 par la société Gschwendner. On en retrouve les grands principes en France dans la politique d’une société qui a pris son essor dans les années 1990, le Palais des thés. Dans les deux pays, les marques historiques vendant des thés parfumés de luxe ont rapidement développé une offre commerciale adaptée à ce marché émergent.

La comparaison entre les deux pays a ses limites. Les pratiques discursives attachées à cette nouvelle culture ont des formats très semblables, mais leur substance linguistique diffère. Les contributions consultables sur la théinosphère allemande évoquent le goût moins en détail, mais certaines s’attardent davantage sur la nuance de vert dans la tasse. De façon générale, l’homogénéisation des discours sur le thé dans le monde germanophone semble moins avancée qu’en France. Peut-être sous l’effet d’une sociologie des discours du vin qui n’est pas tout à fait la même entre les deux pays ?

The Conversation

Pierre-Yves Modicom ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Thés sencha, umami, grands crus… Comment le marketing invente de nouveaux discours – https://theconversation.com/thes-sencha-umami-grands-crus-comment-le-marketing-invente-de-nouveaux-discours-256725

Édouard Glissant, poète du tremblement et penseur des arts

Source: The Conversation – Indonesia – By Aliocha Karol Wald Lasowski, Professeur des Universités en Littérature, HDR et Directeur du département (Licence, Master & Doctorat), Institut catholique de Lille (ICL)

Premier Congrès des écrivains et artistes noirs, Paris, septembre 1956. Présence africaine Éditions/Photographie Lutetia

Jusqu’au 30 juin, le Centre Pompidou (Paris) présente l’exposition « Paris noir. Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950-2000 ». Elle y rend principalement hommage à des artistes plasticiens, mais offre également une place de choix au poète-philosophe Édouard Glissant. Retour sur la relation de celui-ci avec les artistes.


Des Afriques aux Amériques, la ville-monde de Paris se déploie en archipel transatlantique et carrefour panafricain, accompagnant l’expression esthétique anticoloniale dans toutes ses dimensions, pendant cinquante ans d’émancipation. Tel est le cœur de l’exposition « Paris noir », avec 150 artistes africains, caribéens et africains-américains, du créateur béninois Christian Zohoncon à la Haïtienne Luce Turnier, du peintre Beauford Delaney au Sud-Africain Gerard Sekoto.

Les plasticiens et expérimentateurs mettent en vibration de nouvelles liaisons magnétiques et artistiques, par l’émergence de formes afro-modernes inédites. S’y joue un dialogue entre histoires et cultures, qui relie art et mémoire en un laboratoire des imaginaires : du mouvement de la négritude à la politique des identités, du premier numéro de Présence africaine (1947) au lancement de la Revue noire (1991), les esthétiques et politiques relationnelles explorent les retours et détours de l’Afrique vers le Tout-monde. Par d’étroites alliances, qui croisent poètes, artistes et théoriciens, le combat anticolonial est une révolte menée sur plusieurs fronts, comme le rappelle le catalogue de l’exposition Paris noir, citant le moderniste nigérian Ben Enwomwu :

« L’artiste africain moderne doit faire face à une double responsabilité : trouver un credo artistique et une philosophie pour étayer ses idées révolutionnaires. »

D’autres dimensions intellectuelles pionnières émergent, portées par les écrivaines Paulette et Jane Nardal, les poètes Suzanne et Aimé Césaire ou le psychiatre Frantz Fanon. Parmi ces personnalités martiniquaises engagées, Édouard Glissant (1928-2011) participe du renouveau culturel antillais et international.

Quelle est la relation de Glissant aux artistes ?

Le poète-philosophe s’intéresse aux arts : théâtre, cinéma, danse, architecture, street art, photographie, sculpture, musique ou peinture. Passionné par la diversité des expressions, voies d’accès au sensible, Glissant fréquente les artistes tout au long de sa vie. Il se rend aux ateliers, discute avec les plasticiens, commente les œuvres ; il préface les catalogues d’exposition, participe aux festivals de musique, attentif aux chorégraphies expérimentales et invente la pratique des chaos-opéras.

Sur plusieurs décennies, Glissant est proche d’artistes cubains – les peintres et sculpteurs Wifredo Lam et Agustín Cárdenas, martiniquais – le céramiste Victor Anicet, du Chilien Roberto Matta, de l’Argentin Antonio Segui, de l’Uruguayen José Gamarra, du Vénézuélien Pancho Quilici, de l’Italien Valerio Adami, du peintre états-unien Irving Petlin, de la plasticienne polonaise Gabriela Morawetz ou du peintre-graveur libanais Assadour.

La philosophie de l’art chez Glissant ne se limite pas à une théorie lisse et unifiée, comme dans la hiérarchie classique des arts – présente dans les branches du savoir au XVIIIe siècle européen. Au contraire, la puissance chaotique des créations se déploie en pratique des traces, vitesses et rythmes.

Elle approche le sensible par le tremblement et la démesure. Loin du système des arts, la réflexion de Glissant sur la création est une chaosthétique : ouverture multiple, tremblante, intuitive et polyphonique sur le monde, passant par l’oscillation et la déambulation, le déferlement et le brisement.

Un rapport sensible et intuitif à l’art

Glissant entretient un rapport pluri-sensible aux objets esthétiques. Les découvertes artistiques le guident, non pas au beau abstrait, mais aux beautés sensibles, sur gravure ou dessin. Glissant définit l’art en geste inachevé :

« C’est dévoiler ce qu’on ne voit pas, prévoir cela que la plupart ne cherchent pas, fouiller le paysage qui est autour, accorder ensemble des rythmes qui ne se sont jamais connus. »

Pour Glissant, la démarche classique cède le pas à une intuition du monde. Le savoir rationnel traditionnel se réinvente par lignes de force en créolisation, constellation hybride faite de traversées et d’échappées. En rupture avec l’uniformité et la normalité des conventions, Glissant privilégie l’intuition chaotique : sens, sensations et sensibilités.

Dans son approche de l’art, la créolisation offre trois expressions subjectives : plongée vibrante dans la matière, trouble dans le baroque archipélique et éphémère chaotique du vivant constituent des mosaïques du monde. Verbale, plastique, sonore, tactile, visuelle ou gestuelle, la démesure ouvre sur les corps, mouvements, images, mémoires, traumatismes et réparations. Glissant précise :

« Figurons cet infigurable, ce mouvement, multiplié dans les espaces et dans les durées des peuples, pour autant qu’il s’agit d’un art des mots et non pas de celui des formes et des harmonies. »


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Un insaisissable chaos

Chaque œuvre invite à un autre « art des mots » sur les imaginaires du Tout-monde. Tel est le plurivers et ses rythmes, qui renvoie dos à dos les visions de l’Un – l’unicité du monde – et du dualisme – la division entre corps et esprit, âme et matière. Ni système unifié ni binarisme thèse/antithèse : Glissant inscrit l’art dans l’insaisissable chaos, le profond devenir en mouvement. Pour incarner l’énergie chaosthétique, Glissant cite le peintre Wifredo Lam :

« Des ailes d’évasion, des présages d’oiseaux en plein vol effleurant nos yeux en contemplation de leur fuite, de leur exode, comme des langues de feu dans l’infini anxieux. »

Penseur du déploiement inachevé et démesuré, Glissant défie la vision cloisonnée du réel et rejette les séparatismes figés. Les créations se créolisent : elles dépassent les frontières, déploient des lignes de fuite dans l’étendue, vaste et indémêlable. Philosophe de l’identité-relation multiple, opposée à la fixité-racine unique, Glissant rompt avec le dogmatisme théorique. Il défend le devenir-minoritaire au cœur de la poétique de la relation, proche de la multiplicité du rhizome. Dans une conférence sur l’art, en juin 2010, au premier colloque du Centre Pompidou-Metz, Glissant précise :

« La fixité formelle est d’autant plus belle que le tremblement par-dessous anime la vie d’une matière, qui est celle du monde. »

La Galerie du Dragon

La sensibilité de Glissant s’appuie sur sa première grande expérience artistique en France, la Galerie du Dragon à Paris. Dès son arrivée pour ses études en 1946 et pendant plusieurs décennies, il assiste aux expositions à la galerie du 19, rue du Dragon. Animé par le poète Max Clarac-Sérou et la diplomate Cécilia Ayala, ce lieu accueille la peinture onirique et surréaliste, dans l’esprit politique de l’avant-garde.

De jeunes écrivains, Glissant, Michel Butor ou Henri Michaux y rencontrent des artistes-plasticiens, graveurs ou sculpteurs, Matta et Giacometti, Jean Hélion ou Bernard Saby. De solides amitiés y voient le jour, autour des peintures balnéaires de Leonardo Cremonini, évoquant la lumière des îles Éoliennes, ou des sculptures en marbre de Jean Robert, dit Ipoustéguy.

Ainsi, Victor Brauner, figure majeure dadaïste, y présente une exposition en 1961. À son propos, Glissant écrit :

« Ainsi apprenons-nous à fréquenter le Monde, ses éclats irréductibles et ses lumières répandues, unies comme des limons de fleuves qui s’enlacent. »

Pour Glissant, les artistes de la Galerie du Dragon élaborent des fréquentations sensibles du monde. Leurs créations engagent paysages et mémoires multiples. Un réel inédit est approché. Pour Glissant, l’art, c’est la recherche de la différence, non de l’identique :

« La particule élémentaire du tissu du vivant, ce n’est pas le même, c’est le différent. Si on ajoute le même au même, on obtient le même. Mais si on ajoute du différent au différent, on obtient de l’inédit, de l’imprévisible, du nouveau. »

Glissant participe aussi de cette découverte de la nouveauté : sa pensée des arts, ni simple commentaire d’un tableau ni regard sur une installation, est une texture plastique, une inventivité originale, insolite et sans équivalent.

The Conversation

Aliocha Karol Wald Lasowski ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Édouard Glissant, poète du tremblement et penseur des arts – https://theconversation.com/edouard-glissant-poete-du-tremblement-et-penseur-des-arts-255906

Pope Leo XIV’s recent predecessors at the Vatican defended migrants. Will he do the same?

Source: The Conversation – (in Spanish) – By Speranta Dumitru, Maitre de Conférences, Université Paris Cité

Political language is sometimes used to describe the orientations of the Vatican. When the late Pope Francis defended migrants, it was suggested that he was a “left-wing” pope. Today, people are wondering whether Pope Leo XIV will adopt a “progressive” path or, on the contrary, a philosophy on immigration different from that of Francis.

To answer this question, it is helpful to look at what successive popes have said about welcoming foreigners. We can see that they have defended not only migrants but also a right of immigration. Their approach has been universalist and it rejected all discrimination. Could it change?

Supporting the right of immigration

During the period between the second world war and the election of Leo XIV, the Vatican had six popes. The first, Pius XII (1939-1958), seems to have been more in favour of immigration than the United Nations. In 1948, when the UN adopted the Universal Declaration of Human Rights, emigration was enshrined as a fundamental right: “Everyone has the right to leave any country, including his own.”

This wording does not mention the right to enter a country that is not one’s own, and Pius XII called this vagueness into question. In his 1952 Christmas message, he argued that it resulted in a situation in which “the natural right of every person not to be prevented from emigrating or immigrating is practically annulled, under the pretext of a falsely understood common good.”

Pius XII believed that immigration was a natural right, but linked it to poverty. He therefore asked governments to facilitate the migration of workers and their families to “regions where they could more easily find the food they needed.” He deplored the “mechanisation of minds” and called for a softening “in politics and economics, of the rigidity of the old framework of geographical boundaries.”

In the Apostolic Constitution on the Exiled Family, also in 1952, he wrote about why migration was essential for the Church.

Pope John XXIII (1958-1963) extended this argument in two encyclicals: Mater et magistra in 1961 and Pacem in terris in 1963. Whereas Pius XII had thought that the natural right to emigrate only applied to people in need, John XXIII included everyone: “Among man’s personal rights we must include his right to enter a country in which he hopes to be able to provide more fittingly for himself and his dependents.” (Pacem in terris 106.)

A refusal of discrimination

For Paul VI (1963-1978), the Christian duty to serve migrant workers must be fulfilled without discrimination. In a 1965 encyclical, he maintained that “a special obligation binds us to make ourselves the neighbour of every person without exception and of actively helping him when he comes across our path, whether he be an old person abandoned by all, a foreign labourer unjustly looked down upon, a refugee…” He also stated the requirement “to assist migrants and their families.” (Gaudium et spes.)

John Paul II (1978-2005) made numerous statements in favour of immigration. For example, his speech for World Migration Day in 1995 was devoted to undocumented migrants. He wrote:

“The Church considers the problem of illegal migrants from the standpoint of Christ, who died to gather together the dispersed children of God (cf Jn 11:52), to rehabilitate the marginalized and to bring close those who are distant, in order to integrate all within a communion that is not based on ethnic, cultural or social membership.”

Benedict XVI (2005-2013) acknowledged the “feminization of migration” and the fact that “female emigration tends to become more and more autonomous. Women cross the border of their homeland alone in search of work in another country.” (Message, 2006.)

Welcoming the entry into force of the International Convention on the Protection of the Rights of All Migrant Workers and Members of Their Families, he recalled:

“The Church encourages the ratification of the international legal instruments that aim to defend the rights of migrants, refugees and their families.” (Message 2007.)

Pope Francis (2013-2025) embraced this globally inclusive tradition. His encyclical on “Fraternity and Social Friendship” calls for “recognizing that all people are our brothers and sisters, and seeking forms of social friendship that include everyone.” (Fratelli tutti, 2020.)

He insisted that “for a healthy relationship between love of one’s native land and a sound sense of belonging to our larger human family, it is helpful to keep in mind that global society is not the sum total of different countries, but rather the communion that exists among them.” (Fratelli tutti, 2020.)

On the question of migration, Francis maintained that “our response to the arrival of migrating persons can be summarized by four words: welcome, protect, promote and integrate.” (Fratelli tutti, 2020.)

Not a political preference

It appears that the pontificate of Leo XIV will reflect a similar commitment. However, this cannot be explained by political preference, or by personal and family history (the US-born pope is the grandson of immigrants and became a naturalized citizen of Peru). Popes do not defend immigrants because they are left-wing or progressive, but because they are at the head of an institution whose raison d’être is “to act in continuity with the mission of Christ.”

For Christians, welcoming foreigners is meant to be a fundamental duty, a condition of salvation. In the gospel, Matthew has Jesus say that this is one of the criteria for the Last Judgement. Those who welcome the stranger will receive the kingdom of God “as an inheritance.” Others will receive eternal punishment:

“For I was hungry and you gave me no food, I was thirsty, and you gave me no drink, I was a stranger, and you did not welcome me, naked and you did not clothe me, sick and in prison and you did not visit me.” [Matthew, 25:42-43]

The stranger is at the heart of the New Testament revolution. Of course, the imperatives of hospitality are found in both the Old and New Testaments. It is a hospitality that is demanding

“You shall treat the stranger who sojourns with you as the native among you, and you shall love him as yourself, for you were strangers in the land of Egypt.” [Leviticus 19:34]

and unconditional

“Show hospitality without complaining.” [Peter 4:9]

But the New Testament revolution endows Christianity with a universal aspiration: human beings, by virtue of their origin, all become brothers. Belonging to Christianity itself is reflected by faith in this universality:

“We know that we love the children of God when we love God.” [John 5:2]

With this message, Christianity blurs the distinction between strangers and relatives:

“You are no longer strangers and foreigners, but fellow citizens with the saints and members of God’s household.” [Ephesians 2:19]

According to the Letter to Diognetus, this is what makes Christians unique:

“They reside each in his own country, but as dwelling strangers. Every foreign land is a homeland to them, and every homeland is a foreign land to them.”

In his very first homily, Leo XIV suggested that the Christian faith might seem “absurd, reserved for the weak or the less intelligent.” But the institution of which he declared himself a “faithful administrator” has been preaching “universal mercy” for over 2,000 years.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Pope Leo XIV’s recent predecessors at the Vatican defended migrants. Will he do the same? – https://theconversation.com/pope-leo-xivs-recent-predecessors-at-the-vatican-defended-migrants-will-he-do-the-same-256377

AI methods help predict the emergence of ‘gazelles’ and other high-growth firms, but challenges remain

Source: The Conversation – (in Spanish) – By Tatiana Beliaeva, Enseignante–chercheuse en entrepreneuriat, UCLy (Lyon Catholic University)

Predicting whether or not companies will be successful is crucial for guiding investment decisions and designing effective economic policies. However, past research on high-growth firms – enterprises thought to be key for driving economic development – has typically shown low predictive accuracy, suggesting that growth may be largely random. Does this assumption still hold in the AI era, in which vast amounts of data and advanced analytical methods are now available? Can AI techniques overcome difficulties in predicting high-growth firms? These questions were raised in a chapter I co-authored in the De Gruyter Handbook of SME Entrepreneurship, which reviewed scientific contributions on firm growth prediction with AI methods.

According to the Eurostat-OECD (Organisation for Economic Co-operation and Development) definition, high-growth firms are businesses with at least 10 employees in the initial growth period and “average annualised growth greater than 20% per annum, over a three year period”. Growth can be measured by the firm’s number of employees or by its turnover. A subset of high-growth firms, known as “gazelles”, are young businesses – typically start-ups – that are up to five years old and experience fast growth.

A weekly e-mail in English featuring expertise from scholars and researchers. It provides an introduction to the diversity of research coming out of the continent and considers some of the key issues facing European countries. Get the newsletter!

High-growth firms drive development, innovation and job creation. Identifying firms with high-growth potential enables investors, start-up incubators, accelerators, large companies and policymakers to spot potential opportunities for investment, strategic partnerships and resource allocation at an early stage. Forecasting outcomes for start-ups is more challenging than doing so for large companies due to limited historical data, high uncertainty, and reliance on qualitative factors like founder experience and market fit.

How random is firm growth?

Accurate growth forecasting is especially crucial given the high failure rate of start-ups. One in five start-ups fail in their first year, and two thirds fail within 10 years. Some start-ups can also contribute significantly to job creation: research analysing data from Spanish and Russian firms between 2010 and 2018 has shown that while “gazelles” represented only about 1-2% of all businesses in both countries, they were responsible for approximately 14% of employment growth in Russia and 9% in Spain.

High-growth firms are “widely considered essential for stimulating economic growth and employment” but are difficult to identify. Stakeholders need accurate growth predictions to help optimize decision-making and minimize risks by identifying firms with the highest potential for success.

In an effort to understand why some firms grow faster than others, researchers have looked into various factors including the personality of entrepreneurs, competitive strategy, available resources, market conditions and macroeconomic environment. These factors, however, only explained a small portion of the variation in firm growth and were limited in their practical application. This led to the suggestion that predicting the growth of new businesses is like playing a game of chance. Another viewpoint argued that the problem of growth prediction might stem from the methods employed, suggesting an “illusion of randomness”.

As firm growth is a complex, diverse, dynamic and non-linear process, adopting a new set of methods and approaches, such as those driven by big data and AI, can shed new light on the growth debate and forecasting.

AI offers new opportunities for predicting high-growth firms

AI methods are being increasingly adopted to forecast firm growth. For example, 70% of venture capital firms are adopting AI to increase internal productivity and facilitate and speed up sourcing, screening, classifying and monitoring start-ups with high potential. Crunchbase, a company data platform, claims that internal testing has shown that its AI models can predict start-up success with “95% precision” by analysing thousands of signals. These developments promise to fundamentally change how investors and businesses approach decision-making in private markets.

The advantages of AI techniques lie in their ability to process a far greater volume, variety and velocity of data about businesses and their environments compared to traditional statistical methods. For example, machine learning methods such as random forest (RF) and least absolute shrinkage and selection operator (LASSO) help identify key variables affecting business outcomes in datasets with a large number of predictors. A “fused” large language model has been shown to predict start-up success using both structured (organized in tables) fundamental information and unstructured (unorganized and more complex) textual descriptions. AI techniques help enhance the accuracy of firm growth predictions, identify the most important growth factors and minimize human biases. As some scholars have noted, the improved prediction indicates that perhaps firm growth is less random than previously thought. Furthermore, the ability to capture data in real time is especially valuable in fast-paced, dynamic environments, such as high-technology industries.

Challenges remain

Despite AI’s rapid progress, there is still considerable potential for advancement. Although the prediction of high-growth firms has been improved with modern AI techniques, studies indicate that it continues to be a challenge. For instance, start-up success often depends on rapidly changing and intangible factors that are not easily captured by data. Further methodological advances, such as incorporating a broader range of predictors, diverse data sources and more sophisticated algorithms, are recommended.

One of the main challenges for AI methods is their ability to offer explanations for the predictions they make. Predictions generated by complex deep learning models resemble a “black box”, with the causal mechanisms that transform input into output remaining unclear. Producing more explainable AI has become one of the key objectives set by the research community. Understanding what is explainable and what is not (yet) explainable with the use of AI methods can better guide practitioners in identifying and supporting high-growth firms.

While start-ups offer the potential for significant investment returns, they carry considerable risks, making careful selection and accurate prediction crucial. As AI models evolve, they will increasingly integrate diverse and unstructured data sources and real-time market signals to detect early indicators of potential success. Advancements are expected to further enhance the scalability, accuracy, speed and transparency of AI-driven predictions, reshaping how high-growth firms are identified and supported.

The Conversation

Tatiana Beliaeva ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. AI methods help predict the emergence of ‘gazelles’ and other high-growth firms, but challenges remain – https://theconversation.com/ai-methods-help-predict-the-emergence-of-gazelles-and-other-high-growth-firms-but-challenges-remain-255907

Social platform Stocktwits and other sources of ‘alternative data’ may be hurting financial analysts’ long-term forecasts

Source: The Conversation – (in Spanish) – By Thierry Foucault, Professeur de Finance, HEC Paris Business School

Since the beginning of the century, the number of satellites orbiting Earth has increased more than 800%, from less than 1,000 to more than 9,000. This profusion has had a number of strange and disturbing repercussions. One of them is that companies are selling data from satellite images of parking lots to financial analysts. Analysts then use this information to help gauge a store’s foot traffic, compare a retailer to competitors and estimate its revenue.

This is just one example of the new information, or “alternative data”, that is now available to analysts to help them make their predictions about future stock performance. In the past, analysts would make predictions based on firms’ public financial statements.

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According to our research, the plethora of new sources of data has improved short-term predictions but worsened long-term analysis, which could have profound consequences.

Tweets, twits and credit card data

In a paper on alternative data’s effect on financial forecasting, we counted more than 500 companies that sold alternative data in 2017, a number that ballooned from less than 50 in 1996. Today, the alternative data broker Datarade lists more than 3,000 alternative datasets for sale.

In addition to satellite images, sources of new information include Google, credit card statistics and social media such as X or Stocktwits, a popular X-like platform where investors share ideas about the market. For instance, Stocktwits users share charts showing the evolution of the price of a given stock (e.g. Apple stock) and explanations of why the evolution predicts a price increase or decrease. Users also mention the launch of a new product by a firm and whether it makes them bullish or bearish about the firm’s stock.

Using data from the Institutional Brokers’ Estimate System (I/B/E/S) and regression analyses, we measured the quality of 65 million equity analysts’ forecasts from 1983 to 2017 by comparing analysts’ predictions with the actual earnings per share of companies’ stock.

We found, as others had, that the availability of more data explains why stock analysts have become progressively better at making short-term projections. We went further, however, by asking how this alternative data affected long-term projections. And we found that over the same period that saw a rise in accuracy of short-term projections, there was a drop in validity of long-term forecasts.

More data, but limited attention

Because of its nature, alternative data – information about firms in the moment – is useful mostly for short-term forecasts. Longer-term analysis – from one to five years into the future – is a much more important judgment.

Previous papers have proved the common-sense proposition that analysts have a limited amount of attention. If analysts have a large portfolio of firms to cover, for example, their scattered concentration begins to yield diminishing returns.

We wanted to know whether the increased accuracy of short-term forecasts and declining accuracy of long-term predictions – which we had observed in our analysis of the I/B/E/S data – was due to a concomitant proliferation of alternative sources for financial information.

To investigate this proposition, we analyzed all discussions of stocks on Stocktwits that took place between 2009 and 2017. As might be expected, certain stocks like Apple, Google or Walmart generated much more discussion than those of small companies that aren’t even listed on the Nasdaq.

We conjectured that analysts who followed stocks that were heavily discussed on the platform – and so, who were exposed to a lot of alternative data – would experience a larger decline in the quality of their long-term forecasts than analysts who followed stocks that were little discussed. And after controlling for factors such as firms’ size, years in business and sales growth, that’s exactly what we found.

We inferred that because analysts had easy access to information for short-term analysis, they directed their energy there, which meant they had less attention for long-term forecasting.

The broader consequences of poor long-term forecasting

The consequences of this inundation of alternative data may be profound. When assessing a stock’s value, investors must take into account both short- and long-term forecasts. If the quality of long-term forecasts deteriorates, there is a good chance that stock prices will not accurately reflect a firm’s value.

Moreover, a firm would like to see the value of its decisions reflected in the price of its stock. But if a firm’s long-term decisions are incorrectly taken into account by analysts, it might be less willing to make investments that will only pay off years away.

In the mining industry, for instance, it takes time to build a new mine. It’s going to take maybe nine, 10 years for an investment to start producing cash flows. Companies might be less willing to make such investments if, say, their stocks may be undervalued because market participants have less accurate forecasts of these investments’ impacts on firms’ cash flows – the subject of another paper we are working on.

The example of investment in carbon reduction is even more alarming. That kind of investment also tends to pay off in the long run, when global warming will be an even bigger issue. Firms may have less incentive to make the investment if the worth of that investment is not quickly reflected in their valuation.

Practical applications

The results of our research suggest that it might be wise for financial firms to separate teams that research short-term results and those that make long-term forecasts. This would alleviate the problem of one person or team being flooded with data relevant to short-term forecasting and then also expected to research long-term results. Our findings are also noteworthy for investors looking for bargains: though there are downsides to poor long-term forecasting, it could present an opportunity for those able to identify undervalued firms.

The Conversation

Thierry Foucault a reçu des financements du European Research Council (ERC).

ref. Social platform Stocktwits and other sources of ‘alternative data’ may be hurting financial analysts’ long-term forecasts – https://theconversation.com/social-platform-stocktwits-and-other-sources-of-alternative-data-may-be-hurting-financial-analysts-long-term-forecasts-244102

‘I will not eat the bugs’: examining a right-wing narrative about scarcity and insect consumption

Source: The Conversation – (in Spanish) – By D. D. Moore, Visiting Fellow, Max Weber Programme for Postdoctoral Studies, European University Institute

Noor Bin Ladin, a right-wing influencer, stridently declares “I don’t want to eat the bugs” on a talk show hosted by a former adviser to US President Donald Trump. Laurent Duplomb, a senator from the conservative Les Républicains party in France, informs his colleagues that the French would be eating “insects without their knowledge”. Bartosz Kownacki, an MP from the nationalist Law and Justice party in Poland, suggests that opposition politicians write “instead of chicken, eat a worm” on their election materials, arguing that “this is their real election programme.” Thierry Baudet, a leader of the far-right Forum for Democracy party in the Netherlands, shouts “No way! No way!” while holding up a bag of mealworms in front of protesting farmers. Politicians in Lega, a far-right party in Italy, warn that the European Union is planning to “impose” the eating of insects on citizens in the bloc – and a Lega electoral campaign includes a billboard-sized image of a person popping an enormous cricket into their mouth, next to the caption, “Let’s change Europe before it changes us.”

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During the 2020s, commentators and politicians across the right-wing political spectrum have amplified an Internet-based conspiracy theory that elite forces are conspiring to make us all eat insects. Often rallying under the slogan “I will not eat the bugs,” right-wing and far-right figures have come out in force against human consumption of insects. Many of these people assert that the EU is planning to force bug-eating on the general public while devastating traditional agriculture and meat consumption under the guise of the European Green Deal, the bloc’s plan to eliminate greenhouse gases by 2050 and decouple economic growth from resource use. Opposing insect-eating has become a symbolic way to protest EU environmental policies, express scepticism of and hostility toward Brussels, and villainize political opponents. Closer inspection reveals that the conspiracy theory underlying such opposition has much older and more sinister resonances.

“Spreading disinformation”

Insect eating (entomophagy) remains a minor practice in Europe and North America, although alternative protein sources do play a role in the EU’s move toward a sustainable future. So far, the European Commission has approved frozen, dried and powdered forms of Tenebrio molitor (yellow mealworm larva), Locusta migratoria (migratory locust), Acheta domesticus (house cricket) and Alphitobius diaperinus (the lesser mealworm larva) for human consumption. But the market for insect powder in foods like bread, pasta and sports bars remains small. Although insects are common food in many parts of the world, consumers in the West, where insects are more commonly used to provide protein in animal feed, are reluctant to eat bugs for historical reasons based in ideas of uncleanliness and primitiveness. So, based on the facts, there seems to be little to no reason for statements such as those made by Rumen Petkov of Bulgaria’s ABV party, who said that EU approval of insect consumption is a “crime against Europe” and that the European Commission is “prepared to kill our European children”.

What led to the rapid spread of this conspiracy theory? Noor Bin Ladin’s remarks give us a clue. During her talk show appearance, Bin Ladin described her words as a message for Klaus Schwab to take to his “masters”. Schwab is the founder and executive chair of the World Economic Forum. Early in the Covid pandemic, Schwab and the WEF produced a set of proposals titled “the Great Reset”, which called for an overhaul of various world systems to produce a stakeholder-driven capitalism that would lead to a more socially and environmentally responsible future. Conspiracists seized on and branded “the Great Reset” as a new iteration of a conspiracy theory known as the New World Order – an imagined global governance system meant to control the lives of everyone. Both the Great Reset and the New World Order lead back to much older and broader antisemitic conspiracy theories that hold that elite Jewish financiers run the world with their hands on invisible levers of power. All these narratives tap into feelings of futility and hopelessness about the future.

US right-wing media personality Tucker Carlson called a 2023 episode of his show, which included a heavy focus on Schwab and the WEF, “Let Them Eat Bugs”, a title that gestures at the remark allegedly made by Marie Antoinette, the last queen of France, when she heard about people suffering from a lack of bread before the French Revolution: “Let them eat cake”. With this title, Carlson is aiming to emphasize that the elite are hopelessly out of touch and have contempt for farmers and the average man, whom they want to force to eat bugs. Like the French bedbug scare in late 2023, right-wing alarm around insect-eating has connections to the spread of anti-EU Russian propaganda. Russian news outlets have suggested that Europeans are so poor and food deprived as a result of sanctions connected to the war in Ukraine that they have been reduced to eating insects. As the European Digital Media Observatory (EDMO) writes, insects are “delicious treats for actors with interest in spreading disinformation against the EU”.

Symbols for dehumanization

The desire to stir up fear about the minor level of European and US insect consumption is not based on the risk of rapid growth in the insect market, but on the power to arouse disgust and fear itself. Insects have long been used as symbols to stir revulsion and paint opponents as objects of physical and moral disgust. During times of political extremism, insects have featured repeatedly in efforts to distance, devalue and dehumanize minorities. Armenians were called locusts during the Armenian genocide, and Jews were compared to lice in Nazi Germany. In the period prior to the ethnic genocide of Tutsis in Rwanda, some Hutus repeatedly called Tutsis “cockroaches” on public radio. The right wing’s current fetishization of insect-eating serves as a narrative to cast political opponents as morally repulsive, even if not labelling them as bugs themselves.

For some figures on the right, insect consumption symbolizes the worst of Eurocentric liberalism – seen as a movement so void of a positive political vision that the only possible future it offers is one of impoverishment and bug-eating. They point to an elite who they claim will go on feasting on meat while forcing mealworms and fly larvae on the rest of us. It’s a potent image. At a moment in which people on the right and the left seem unable to imagine a better political future together, it becomes easier to demonize climate policy-minded leaders as a group of disgusting hypocrites plotting to create a society of contrived scarcity where the general population is reduced to eating bugs.

Meanwhile, since 2015, scientists have been releasing papers warning that the global food system shows risks of genuine structural problems. In a future of environmental disruption, trade wars and real risks of food shortages and famine, we may need all the calories we can get – insect-based or otherwise.




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Out of curiosity, I bought a bag of cricket flour last fall. The crickets resulted in a delicious, nutty-flavoured cecina, well… crickcina. So far, none of my friends will try it. They’re missing out.

The Conversation

D. D. Moore ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. ‘I will not eat the bugs’: examining a right-wing narrative about scarcity and insect consumption – https://theconversation.com/i-will-not-eat-the-bugs-examining-a-right-wing-narrative-about-scarcity-and-insect-consumption-254112

Covid-19 death tolls in Europe highlight stark regional differences in 2020 and 2021

Source: The Conversation – (in Spanish) – By Florian Bonnet, Démographe et économiste, spécialiste des inégalités territoriales, Ined (Institut national d’études démographiques)

The political decisions made during 2020 and 2021 to combat the Covid-19 pandemic profoundly altered daily life. Professionally, societies faced partial unemployment and widespread adoption of remote work; personally, individuals endured lockdowns and social distancing measures. These interventions aimed to reduce infection rates and ease pressure on healthcare systems, with the primary public health goal of minimizing deaths.

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More than five years after the pandemic began, what do we know about its impact on human longevity? Here’s a closer look.

A decline in global life expectancy

Initial assessments of the pandemic’s toll have been refined over time. According to a World Health Organization (WHO) report published in May 2024, global life expectancy declined by 1.8 years between 2019 and 2021, erasing a decade of progress. These estimates rely on “excess mortality”, a metric that measures the difference between observed mortality during the pandemic and expected mortality in its absence.

Excess mortality can be quantified using different indicators, such as the number of excess deaths. However, comparing this indicator between countries of different sizes and age structures can be challenging. Another informative metric is the loss of life expectancy at birth, calculated globally by organisations such as the WHO.

The regular calculation, publication and dissemination of excess mortality indicators are vital for comparing the pandemic’s impact across countries at the national level. However, it is important to recognise that the pandemic did not affect all areas within countries equally. Variability in the severity of the pandemic’s impact often stemmed from differing confinement strategies implemented to contain the virus.

This uneven distribution highlights the need to quantify these indicators at a more granular geographical level. Such localised analysis can reveal the regions most severely affected, providing valuable insights into the pandemic’s effects and enabling the development of targeted response strategies.

In a series of studies conducted in 2024, we introduced an innovative method to calculate excess mortality at the regional level. We used this method to estimate excess mortality in 561 European regions in 2020 and expanded the scope to 569 regions across 25 countries in 2020 and 2021. The findings, based on loss of life expectancy at birth, reveal stark contrasts in the pandemic’s impact across Europe.

In 2020, significant declines in life expectancy were observed in northern Italy and Spain

Figure 1 illustrates the spatial distribution of estimated losses of life expectancy in 2020. These losses were highest in northern Italy and central Spain. In the Italian regions of Bergamo and Cremona, life expectancy dropped by nearly four years, while Piacenza experienced a decline of three and a half years. In Spain, the regions of Segovia, Ciudad Real, Cuenca and Madrid saw losses of approximately three years.

The losses were even more pronounced among men (data not presented here), who were disproportionately affected by the pandemic. In Cremona, the decline in life expectancy among men reached nearly five years, while in Bergamo, it was close to four and a half years.

Figure 1: Estimated loss of observed life expectancy at birth (e0) in 2020 across 569 regions in 25 European countries. Estimates are for both sexes combined.
Fourni par l’auteur

Eastern Europe, particularly Poland, along with eastern Sweden and northern and eastern France, also experienced significant, though less severe, declines. In France, the Paris region and areas near the German border recorded the highest losses, ranging from 1.5 to 2 years.

In contrast, other regions saw much smaller impacts. This is particularly true for southern Italy, much of Scandinavia and Germany, southern parts of the United Kingdom, and western France. In these regions, observed life expectancy is close to what would have been expected in the absence of the pandemic. In France, the implementation of lockdown measures in March and November likely prevented the pandemic from spreading across the entire country from the initial clusters in the north and east.

In 2021, a shift in the pandemic toward Eastern Europe

Figure 2 shows the estimated losses of life expectancy in 2021. At a glance, the regions most affected by excess mortality during the Covid-19 pandemic differed significantly from those in 2020. The most substantial losses were concentrated in Eastern Europe.

Figure 2: Estimated loss of observed life expectancy at birth (e0) in 2021 across 569 regions in 25 European countries. Estimates are for both sexes combined.
Fourni par l’auteur

Among regions where life expectancy declined by more than two years, 61 of Poland’s 73 regions, 12 of the Czech Republic’s 14 regions, all eight Hungarian regions, and seven of Slovakia’s eight regions were affected. In contrast, only one Italian region and one Spanish region experienced losses exceeding two years, despite these countries being heavily impacted in 2020.

Germany saw much greater losses in 2021 than in 2020, particularly in its eastern regions, where declines often exceeded 1.5 years. In southern Saxony, Halle and Lusatia, losses approached two years. Conversely, Spain and Scandinavia recorded the lowest declines in life expectancy.

In France, the losses were more uniform than in 2020, generally ranging from 0 to 1.5 years. The highest loss occurred in the Parisian suburbs, particularly Seine-Saint-Denis, where life expectancy fell by 1.5 years – or two years for men.

What is the overall assessment for these two years?

To determine the overall impact of 2020 and 2021 in terms of life expectancy loss, we used an indicator that sums up the years of life lost due to the pandemic over this two-year period. This method allows us to rank the 569 European regions.

The regions most affected were Pulawy, Bytom and Przemyski in southeastern Poland, along with Kosice and Presov in eastern Slovakia. Among the top 50 regions, Eastern Europe dominated, with 36 Polish regions, six Slovakian regions, two Czech regions, one Hungarian region, and both Lithuanian regions included. Italian regions such as Cremona, Bergamo and Piacenza also ranked high, falling between the 15th and 30th positions. In France, Seine-Saint-Denis ranked 81st, while all other French regions were outside the top 100.

It is crucial to analyse the impact of a crisis like the Covid-19 pandemic at a fine geographical scale, as within-country disparities can be significant. This was particularly evident in Italy in 2020, where the north was far more affected than the south, and in Germany in 2021, with stark differences between the west and the east.

Our study highlighted the severe impact of the pandemic in specific European regions, where life expectancy losses exceeded three years. The most affected regions shifted over time, moving from areas with traditionally high life expectancy (such as northern Italy, central Spain and the greater Paris region) in 2020 to regions with traditionally lower life expectancy (Eastern Europe) in 2021. France was relatively spared compared to the rest of Europe, with the notable exception of Seine-Saint-Denis.

The coming years will be critical in determining whether life expectancy levels can return to their long-term trajectories or if the pandemic has caused lasting structural changes in certain regions.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Covid-19 death tolls in Europe highlight stark regional differences in 2020 and 2021 – https://theconversation.com/covid-19-death-tolls-in-europe-highlight-stark-regional-differences-in-2020-and-2021-246374