De l’Algérie coloniale aux experts médiatiques, une histoire du gouvernement de l’islam en France

Source: The Conversation – in French – By Franck Frégosi, Politiste, directeur de recherche au CNRS, laboratoire Groupe Sociétés, Religions, Laïcités, Aix-Marseille Université (AMU)

À travers des lois et des discours ou par la promotion de certains acteurs religieux et le rejet d’autres, l’État cherche à encadrer l’expression publique de la foi musulmane en France, à rebours du principe de laïcité. Certains procédés employés trouvent leurs origines dans son passé colonial, notamment en Algérie.


Depuis une trentaine d’années, différentes étapes ont jalonné le gouvernement de l’islam en France, passant notamment par un processus d’institutionnalisation par le haut de cette religion. Plusieurs lois sur la visibilité urbaine de l’islam s’intègrent également dans ce processus, comme la loi du 15 mars 2004 interdisant le voile dans les écoles publiques, ou celle du 10 octobre 2010 proscrivant quant à elle toute dissimulation du visage dans l’espace public, sans oublier la loi « confortant le respect des principes de la République » du 21 août 2021.

Toutes ces politiques s’inscrivent dans un processus global qui converge vers le reformatage de la visibilité du fait musulman, au travers de la mise en place de dispositifs institutionnels et législatifs, ou au prisme de discours officiels sur l’islam – citons, notamment, les discours d’Emmanuel Macron à Mulhouse (Haut-Rhin) et aux Mureaux (Yvelines), en 2020, qui, après la lutte contre l’islamisme violent, font de la lutte contre le « séparatisme » le nouvel objectif du gouvernement. Il vise également à la structuration de la représentation de l’islam, voire à sa quasi-administration, ainsi qu’à un contrôle social renforcé de l’expression et de la diffusion de cette religion en France.

Lors de son discours prononcé aux Mureaux (Yvelines), le 2 octobre 2020, Emmanuel Macron étend la lutte contre l’islam radical violent à ce qu’il qualifie de « séparatisme islamiste ».

Ce qui n’était pas possible hier en termes de contrôle étatique avec l’Église catholique romaine, forte de sa tradition de centralisation et de ses interfaces avec le monde politique, semble aujourd’hui davantage envisageable avec des communautés musulmanes minoritaires. Le tout au sein d’une société française profondément sécularisée, où l’indifférence religieuse s’accroît au sein de la population globale et où règne un climat anxiogène par rapport à l’islam, sur fond de dérive autoritaire de la République.

Des logiques héritées de la colonisation

Ce gouvernement de l’islam en France a une histoire : celle-ci remonte à la période coloniale, en Algérie plus particulièrement. Dans son étude pionnière, parue en 2015, l’historienne Oissila Saaidia a notamment analysé les différentes étapes et motivations ayant présidé à ce qu’elle qualifie d’« invention du culte musulman » dans l’Algérie coloniale dès 1851.

À l’époque, cette politique religieuse se résumait à la production d’une classification des édifices cultuels musulmans, à la mise sur pied d’une hiérarchie du personnel les desservant (notamment des imams), et à un processus de nomination de ce personnel. Des liens financiers directs seront ainsi établis afin qu’il soit rémunéré par l’administration coloniale, à qui revenait désormais la propriété des édifices. Une politique dite « des égards » fut aussi engagée : elle consistait à se ménager la bienveillance de responsables musulmans en leur octroyant, par exemple, des décorations pour leur loyalisme, associées à quelques subsides financiers.

Ce processus colonial de concordatisation de l’islam, c’est-à-dire de contractualisation juridico-politique entre l’État et les institutions religieuses afin de garantir la loyauté républicaine des fidèles musulmans, le tout moyennant un soutien et un contrôle accru du culte par les pouvoirs publics, survivra au vote de la loi en métropole portant séparation des Églises et de l’État, en décembre 1905. Celle-ci ne concernera pas, en effet, les trois départements algériens.

Cette logique trouvera son prolongement en métropole avec l’édification de l’Institut musulman de la Grande Mosquée de Paris dans les années 1920. Cet édifice était destiné autant à servir de vitrine de l’entreprise de colonisation, présentée comme respectueuse des besoins religieux de ses sujets musulmans, qu’à s’inscrire là encore dans une politique de contrôle et de surveillance des populations par le biais du religieux. L’institution permettait en effet un contrôle étroit des fidèles fréquentant le lieu, mais aussi la diffusion d’une version officielle de l’islam, bienveillante envers les pouvoirs publics et la politique coloniale.

Une fois passée dans le giron des autorités algériennes durant la décennie 1980, la Grande Mosquée de Paris conservera cette fonction sociale implicite de régulation de l’offre musulmane – destinée cette fois à la diaspora algérienne en France. Elle permettra également de veiller à la loyauté de cette diaspora envers le régime algérien.

Au-delà de l’héritage historique, de nouvelles logiques à l’œuvre

Bien qu’il n’y ait de nos jours plus lieu de parler d’une administration directe par les pouvoirs publics du culte musulman – les imams ne sont plus nommés ni rémunérés par l’État – certains responsables politiques, comme Manuel Valls ou Jean-Pierre Chevènement, ont un temps imaginé déroger à la règle du non-subventionnement direct des cultes au profit de l’islam, afin de couper tout lien financier avec l’étranger.

D’autres, comme Gérald Darmanin, et plus récemment Édouard Philippe, semblent même plaider en faveur de l’établissement d’un nouveau Concordat avec l’islam. Force est de constater qu’un certain désir de contrôle de cette religion par la puissance publique continue donc de faire son chemin parmi les élites politiques, sur fond de mise au pas de certaines expressions publiques de l’islam.

À ces logiques classiques, s’en sont progressivement ajoutées de nouvelles, comme la volonté d’œuvrer en vue d’une réforme de l’islam en promouvant – au besoin par la loi – une pratique moins extensive, c’est-à-dire moins visible, de l’islam. Un des aspects de cette réforme souhaitée par certains serait un encadrement des tenues vestimentaires féminines, déjà limitées par les lois de 2004 et de 2010 vues plus haut. Cet encadrement légal a par ailleurs connu de récentes extensions, confirmant par là même que le port du voile ou de tenues supposées connotées religieusement par des jeunes femmes musulmanes n’est pas le bienvenu dans la société.

Plus en amont, s’est aussi mise en place une logique de gouvernance partagée entre l’État et certains opérateurs de l’islam en France, comme le Conseil français du culte musulman (CFCM), créé en 2002. L’État est ainsi en quête d’interlocuteurs musulmans qui acceptent de cheminer aux côtés des pouvoirs publics soit directement dans la structuration conjointe d’une représentation nationale de l’islam, dans le cas du CFCM, soit dans la production de textes (statut type de l’imam, processus de désignation des aumôniers…) censés stabiliser la pratique de l’islam dans le cas du Forum de l’islam de France (Forif), une autre instance voulue par Gérald Darmanin, en 2023.

Se profile aussi à l’horizon un nouveau gallicanisme d’État visant l’islam, c’est-à-dire une situation où la puissance publique, tout en demeurant formellement attachée au principe juridique de laïcité, entend néanmoins soumettre la religion à un contrôle accru de sa part. Dans cette optique, l’État procède à une sélection et à une hiérarchisation des courants de l’islam en France. Elle s’opère non seulement selon leur degré de loyauté envers les pouvoirs publics, mais aussi selon leurs supposées doctrines, qu’agréerait ou non l’État en fonction de leur vision spirituellement en phase avec le modèle républicain et ses lois, ou de leur attitude extensive encourageant le « séparatisme ».

La promotion récurrente d’un « islam républicain » participe précisément de ce projet d’un islam contenu, réputé modéré, voire soluble dans la République. Les polémiques autour de la création voulue par Emmanuel Macron d’un Conseil national des imams en 2021, et surtout la publication d’une Charte des principes pour l’islam de France, que les imams en poste et leurs successeurs devraient ratifier en vue d’être reconnus, en sont les illustrations.

Discours experts et nouvelle gouvernance de l’islam

Enfin, n’oublions pas que les récentes politiques de l’islam en France laissent transparaître une grande porosité entre le monde académique des savants et des chercheurs, familiers des mondes musulmans et des dynamiques politico-religieuses se réclamant de l’islam, et l’univers des décideurs politiques au plus haut sommet de l’État (présidence de la République, ministère de l’intérieur…).

Les évènements dramatiques liés au terrorisme islamiste (attentats jihadistes de Paris en 2015 et de Nice en 2016, assassinat de Samuel Paty en 2020…) ont constitué autant de fenêtres d’opportunité dans lesquelles se sont engouffrés des universitaires devenus experts médiatiques, que cela soit dans en vue de populariser leurs analyses, ou dans le but de capitaliser sur leur notoriété déjà ancienne pour acquérir de nouveaux signes de validation et de promotion par les pouvoirs publics.

Les pouvoirs publics sont quant à eux en quête de discours savants susceptibles de concourir à définir le portrait d’un nouvel « ennemi intérieur ». C’est ce que démontre notamment le rapport officiel rendu public en mai 2025 ciblant l’existence d’un risque « frériste » dans l’Hexagone. Alors que jusque-là la gouvernance de l’islam se négociait principalement à travers des échanges entre chargés de mission et fonctionnaires du ministère de l’intérieur d’une part, gestionnaires de lieux de culte et présidents de fédérations musulmanes d’autre part, on note à partir de 2013 un recours plus systématique de l’État à des universitaires et à des chercheurs, qui participent activement à l’élaboration du nouveau référentiel de l’action publique en matière d’islam. Des chercheurs comme Gilles Kepel, Bernard Rougier ou encore Hugo Micheron sont ainsi devenus à la fois des habitués des plateaux médiatiques et des voix écoutées par les pouvoirs publics dans la construction de leurs politiques vis-à-vis de l’islam.

Le chevauchement de plus en plus net entre discours savants et expertise orientée vers les besoins des pouvoirs publics, conduit certains de ces sachants non seulement à accompagner de leurs expertises savantes les soubresauts des mondes musulmans (la guerre civile en Syrie, les exactions de Daech en Irak, la chute du régime Assad en Syrie, le conflit israélo-palestinien…), mais aussi à ériger leurs analyses en unique prisme au travers duquel percevoir les dynamiques de l’islam minoritaire hexagonal. Ce chevauchement se fait par ailleurs au risque de nourrir indirectement un certain récit sur l’islamisation progressive de la France par une supposée conquête territoriale de l’islamisme.

Dans leur sillage, des voix plus militantes encore apportent également leur concours à la théorie d’extrême droite du grand remplacement, sur fond de croisade morale contre l’université française supposée contaminée par l’« islamo-gauchisme » et le « wokisme ». L’anthropologue Florence Bergeaud-Blackler s’exprime ainsi régulièrement sur ces deux thèmes, et affiche sa proximité idéologique avec des officines souverainistes, entre autres liées à la mouvance portée par le milliardaire Pierre-Édouard Stérin.

Il ne s’agit pas de nier que l’islamisme violent puisse avoir des relais ou des agents de promotion en France (et ailleurs en Europe). Il convient cependant de se défier d’approches qui érigeraient systématiquement l’islam vécu au quotidien par des millions de musulmans dans l’Hexagone, parfois sous des formes plus ou moins rigoristes, comme une simple adaptation locale de l’islamisme militant du Moyen-Orient, faisant ainsi fi du contexte historique, social, culturel comme de l’environnement politique et religieux. Le musulman français, fût-il un conservateur ou simplement pieux, ne peut être au motif de son éventuelle lecture intégraliste de l’islam suspecté d’être déjà engagé dans une voie qui le rendra complice des tenants d’une radicalité violente, abusant du référentiel islamique.

À travers ses politiques de gouvernance de l’islam, l’État en France démontre qu’il n’a en fait jamais vraiment renoncé depuis le moment colonial à vouloir gouverner cette religion. Poser ce constat revient à souligner le paradoxe entre, d’une part, l’existence de discours officiels disqualifiant toute effusion politique du religieux hors de l’espace privé et, de l’autre, le maintien et le renforcement de dispositifs publics ciblant des groupes religieux – musulmans, plus spécifiquement. Ce paradoxe nous révèle les impensés qui persistent autour du bon gouvernement de la religion en régime de laïcité.

The Conversation

Franck Frégosi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. De l’Algérie coloniale aux experts médiatiques, une histoire du gouvernement de l’islam en France – https://theconversation.com/de-lalgerie-coloniale-aux-experts-mediatiques-une-histoire-du-gouvernement-de-lislam-en-france-257041

Infertilité masculine et pesticides : un danger invisible ?

Source: The Conversation – in French – By Marwa Lahimer, Chercheuse associée – UMR-I 01 Périnatalité & Risques Toxiques (Peritox), centre universitaire de recherche en santé, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)

Si on a longtemps considéré que l’infertilité était un problème purement féminin, on sait aujourd’hui qu’il n’en est rien. Selon certaines estimations, 20 % à 30 % des cas sont directement imputables à des problèmes touchant les hommes. En marge des facteurs liés aux modes de vie, un faisceau d’indices semble incriminer notamment certains polluants environnementaux, tels que les pesticides.


À ce jour, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime qu’environ 17,5 % de la population adulte, soit une personne sur six dans le monde est touchée par l’infertilité. Diverses études scientifiques indiquent que cette proportion devrait continuer à progresser jusqu’en 2040.

Ce problème majeur a plusieurs causes, dont certaines sont liées à l’évolution des modes de vie. Sous la pression des contraintes professionnelles ou économiques, l’âge de la parentalité a notamment tendance à reculer dans de nombreux pays.

Toutefois, depuis plusieurs années, les travaux de recherches pointent également le rôle de divers polluants environnementaux, tels que certains pesticides dans l’infertilité. De par leur capacité à perturber le fonctionnement hormonal, ces molécules interfèrent avec le système reproducteur. Nos travaux ont notamment mis en évidence que l’exposition à certaines de ces molécules se traduit, chez les hommes, par une diminution de la qualité du sperme.

Qu’est-ce que l’infertilité ?

L’infertilité est définie comme l’incapacité à obtenir une grossesse après douze mois de rapports sexuels réguliers et non protégés. Lorsqu’elle affecte des couples qui n’ont jamais réussi à concevoir, on parle d’infertilité « primaire ». L’infertilité « secondaire » touche quant à elle les couples qui ont déjà vécu une grossesse, mais qui éprouvent des difficultés à concevoir de nouveau.

Longtemps, l’infertilité a été considérée comme résultant uniquement de problèmes affectant les femmes. En effet, confrontés à une telle situation, les hommes ont tendance à considérer que l’échec de conception remet en question leur virilité, ce qui peut les pousser à refuser les tests médicaux (ou à rejeter la faute sur leur partenaire). Cela a longtemps contribué à passer sous silence une potentielle responsabilité masculine, renforçant l’idée fausse que seules les femmes peuvent être responsables de l’infertilité.




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Si, dans certains pays, les hommes ont encore du mal à reconnaître leur implication dans ce problème majeur, les progrès médicaux ont fait peu à peu prendre conscience que l’infertilité pouvait aussi avoir des origines masculines.

On sait aujourd’hui qu’au moins 20 % des cas sont directement imputables aux hommes, et que ces derniers contribuent à 50 % des cas d’infertilité en général.

À l’origine de l’infertilité, une multitude de facteurs

Les causes de l’infertilité peuvent être multiples. Chez la femme comme chez l’homme, la capacité à engendrer est influencée par l’âge.

Les femmes naissent avec un stock limité d’ovules, qui diminue progressivement avec l’âge, ce qui s’accompagne d’une baisse progressive de la fertilité, jusqu’à la ménopause. Les hommes, quant à eux, sont affectés à partir de la quarantaine par une diminution de la qualité du sperme (notamment le fonctionnement des spermatozoïdes, les gamètes mâles), ce qui a également des conséquences en matière de fertilité.




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Parmi les causes « non naturelles », les scientifiques s’intéressent de plus en plus aux effets de la pollution et des pesticides. Aux États-Unis, les travaux de l’USGS (United States Geological Survey), la principale agence civile de cartographie aux États-Unis, ont révélé qu’environ 50 millions de personnes consomment des eaux souterraines exposées aux pesticides et d’autres produits chimiques utilisés dans l’agriculture.

Preuve des préoccupations des autorités, pour réduire les intoxications causées par les pesticides, en particulier chez les travailleurs agricoles et les manipulateurs de pesticides, des protections professionnelles sont offertes à plus de 2 millions de travailleurs répartis sur plus de 600 000 établissements agricoles via la norme de protection des travailleurs agricoles (WPS) et l’agence de protection de l’environnement (EPA).

Ces précautions ne sont pas étonnantes : ces dernières années, les scientifiques ont rassemblé de nombreux indices indiquant que l’exposition aux pesticides représente un danger pour la santé publique, et peut notamment se traduire par des problèmes d’infertilité.

L’analyse du taux de prévalence de l’infertilité chez les personnes âgées de 15 à 49 ans, dans 204 pays et territoires, entre 1990 et 2021 a récemment révélé que les régions les plus touchées par l’infertilité sont principalement situées en Asie de l’Est, en Asie du Sud et en Europe de l’Est.

Cette problématique concerne aussi la France, pays considéré comme l’un des plus grands consommateurs de pesticides dans le monde. Il est important de mettre en lumière cette situation, car la plupart des personnes qui souffrent d’infertilité ne la connaissent pas.

Des molécules qui perturbent les mécanismes hormonaux

L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a classé diverses substances dans la catégorie des perturbateurs endocriniens : le bisphénol A (BPA), les phtalates et leurs métabolites, ou certains pesticides, tels que les biphényles polychlorés (PCB), le glyphosate, le dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT) et le méthoxychlore.

Pour mémoire, les perturbateurs endocriniens sont des substances imitant ou interférant avec l’activité des hormones, donc capables de perturber le fonctionnement hormonal, et ce, même à très faible dose.

En ce qui concerne les pesticides, les systèmes de surveillance environnementale et sanitaire se sont longtemps focalisés sur les substances actives, négligeant en grande partie les composés issus de leur dégradation, appelés « métabolites ».

Pourtant, on sait aujourd’hui que, dans certains cas, les métabolites peuvent exercer un effet biologique plus important que la substance mère elle-même. Dans le cas des pesticides, ces composés secondaires sont souvent persistants et peuvent jouer un rôle significatif dans les effets toxiques à long terme. C’est en particulier le cas en ce qui concerne la fertilité humaine.

Cette omission dans les stratégies de suivi a retardé la reconnaissance de la contribution potentielle des métabolites de pesticides à la baisse de la fertilité observée dans certaines populations exposées.

Perturbateurs endocriniens et fertilité masculine

Les preuves scientifiques suggèrent en effet qu’une exposition prolongée à des perturbateurs endocriniens peut nuire à la fertilité masculine, en affectant divers aspects de la fonction hormonale, avec notamment des conséquences sur la spermatogenèse (autrement dit la production et de la qualité du sperme).

En 2023, nous avons mené une étude rétrospective portant sur une population de 671 hommes vivant en Picardie. Les résultats ont montré que, chez le groupe exposé, que les spermatozoïdes étaient moins actifs et se déplaçaient moins bien. De plus, nous avons observé que l’ADN des spermatozoïdes était plus souvent fragmenté, et que leur structure était moins stable.

Au-delà des conséquences liées à l’exposition à un perturbateur endocrinien donné, la question de l’exposition à des mélanges de substances capables de perturber le système hormonal se pose avec une acuité grandissante.

Outre les pesticides et leurs métabolites, nous sommes en effet quotidiennement en contact avec de nombreuses molécules présentant des propriétés de perturbation endocrinienne. On peut par exemple citer les bisphénols utilisés pour remplacer le bisphénol A, composés perfluorés (PFAS, les alkylphénols (utilisés dans les détergents), ou encore les phtalates, dont on sait qu’ils peuvent altérer la production hormonale, perturber la maturation des cellules reproductrices et affecter la qualité du sperme (en plus d’affecter négativement la fertilité féminine).

Or, parfois, le fait d’être présentes dans un mélange modifie l’activité de certaines molécules, ce qui peut accroître leur toxicité. Certains facteurs environnementaux, tels que la pollution de l’air, peuvent également exacerber ces effets.

Pourquoi les perturbateurs endocriniens perturbent-ils la fertilité masculine ?

Dans notre corps, la production des hormones, et notamment de celles qui contrôlent la fertilité, est sous l’influence de l’axe hypothalamo-hypophysaire. Ce dernier est en quelque sorte la « tour de contrôle » qui régule le trafic hormonal. Comme son nom l’indique, il est constitué par l’hypothalamus, une région du cerveau impliquée dans de nombreux processus essentiels (métabolisme, croissance, faim et soif, rythme circadien, thermorégulation, stress et reproduction) et par l’hypophyse, une glande de la taille d’un petit pois qui se trouve à la base du cerveau.

L’hypothalamus libère une hormone appelée GnRH (GnRH, pour gonadotropin-releasing hormone), qui stimule l’hypophyse. En réponse, l’hypophyse libère à son tour deux hormones clés : la FSH (hormone folliculo-stimulante) et la LH (hormone lutéinisante). Ces hormones stimulent la production de testostérone par les testicules.

Les perturbateurs endocriniens ont la capacité de se fixer sur les récepteurs hormonaux. Ce faisant, ils perturbent la production des hormones sexuelles masculines, telles que la testostérone et l’œstradiol, qui sont cruciales pour le développement et le maintien des fonctions reproductives.

Les perturbateurs endocriniens agissent à plusieurs niveaux

On l’a vu, les perturbateurs endocriniens interfèrent avec le système hormonal en imitant ou en bloquant les hormones naturelles. Certains d’entre eux donnent également de faux signaux à l’hypothalamus ou à l’hypophyse, ce qui dérègle la production de FSH et de LH, empêchant ainsi le bon fonctionnement des testicules.

Grâce à des études expérimentales menées dans notre laboratoire sur des rats de Wistar, nous avons démontré que l’exposition à certains produits chimiques et la consommation d’une alimentation riche en graisses pouvaient avoir un impact négatif sur la reproduction. Nos principaux résultats indiquent une diminution significative du poids des petits rats exposés à l’insecticide chlorpyrifos à partir du 30e jour. Ce phénomène est encore plus marqué au 60e jour après la naissance.

L’analyse des tissus a révélé chez les femelles une augmentation du nombre de follicules détériorés. Chez les mâles, nous avons constaté que la structure des testicules était anormale, ce qui engendre une perte de cellules germinales (les cellules intervenant dans la production des spermatozoïdes).

De plus, chez des rats exposés au chlorpyrifos et à un régime riche en graisses, nos travaux ont mis en évidence une baisse significative de certaines protéines essentielles à la régulation hormonale. C’est par exemple le cas de deux hormones sécrétées par les neurones de l’hypothalamus : la GnRHR (hormone de libération des gonadotrophines hypophysaires, responsable notamment de la synthèse et de la sécrétion de LH) et la kisspeptine (qui joue un rôle majeur dans la mise en place de la puberté et dans la régulation de la reproduction).

Que peut-on faire ?

Pour limiter les risques, il est important d’adapter ses comportements afin de réduire au maximum son exposition aux perturbateurs endocriniens. L’adoption de certains gestes simples peut y participer :

  • privilégier une alimentation bio, afin de limiter l’exposition aux pesticides (en ce qui concerne l’eau, diverses questions se posent, en particulier celle de la qualité de l’eau du robinet dans les régions fortement agricoles ; ces zones peuvent en effet être contaminées par des résidus de pesticides, des nitrates ou d’autres produits chimiques provenant des pratiques agricoles) ;

  • laver soigneusement les fruits et légumes avant de les consommer et de les éplucher si possible ;

  • porter des équipements de protection en cas d’utilisation de pesticides, en particulier en milieu professionnel. Rappelons que les agriculteurs sont les premières victimes directes de ces substances ;

  • sensibiliser les populations et promouvoir des pratiques agricoles responsables.

The Conversation

Sophian Tricotteaux-Zarqaoui a reçu des financements pour son doctorat de la Région Haut-de-France (50%), de la Mutualité Sociale Agricole of Picardie (25%) et de ATL Laboratories (25%).

Hafida Khorsi, Marwa Lahimer et Moncef Benkhalifa ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

ref. Infertilité masculine et pesticides : un danger invisible ? – https://theconversation.com/infertilite-masculine-et-pesticides-un-danger-invisible-247711

Réhabiter Valence un an après les inondations : le peuple va-t-il aider à sauver le peuple ?

Source: The Conversation – in French – By Guillaume Nord, Hydrologue, Université Grenoble Alpes (UGA)

La mosaïque de Michael Barros avec, en fond, une photographie satellite de l’Espagne (octobre 2024).
Michael Barros/Modis Land Rapid Response Team/NASA GSFC , Fourni par l’auteur

C’est une phrase qui s’est rapidement imposée au moment des inondations meurtrières qui ont touché Valence (Espagne) en octobre 2024 : « Seul le peuple sauve le peuple. » Elle est aujourd’hui inscrite sur des centaines de mosaïques, qui, partout dans la ville, indiquent le niveau de la crue. Cette phrase peut aussi se révéler pertinente, voire même cruciale, pour prévenir les prochaines catastrophes, note un groupe de chercheurs.


Il y a un an, le 29 octobre 2024, un orage méditerranéen violent touchait le Sud-Est espagnol, provoquant une inondation catastrophique de la communauté autonome de Valence. Celle-ci a fait 229 victimes et des dégâts matériels et environnementaux considérables. L’hiver dernier, alors que les causes climatiques et urbanistiques de la catastrophe étaient établies, et que les polémiques sur les responsabilités politiques de la gestion de la crise se poursuivaient, un artiste a apporté un message qui semble résumer les leçons qu’il faudrait tirer de la catastrophe pour transformer la ville et la réhabiter.

L’illustrateur Michael Barros, habitant de Sedaví dans la banlieue inondée de Valence, a ainsi lancé en février 2025 une initiative artistique inspirée des repères de crue posés à la suite de l’inondation de 1957. Il a, au départ, créé une centaine de carreaux de faïence (azulejos) qu’il pensait proposer dans son voisinage. Ces derniers ont eu un succès inattendu : il en existe plus de 2 000 aujourd’hui.

Un des azulejos (en haut à gauche) à Valence (Espagne), en octobre 2025.
Guillaume Nord, Fourni par l’auteur

Ces azulejos rappellent, dans leur partie haute, jusqu’où l’inondation est montée : « Fins ací va arribar la riuà » (en français : « La crue est montée jusqu’ici »). Ils évoquent aussi, dans leur partie inférieure, le grand élan de solidarité visible au moment de la catastrophe où des milliers de personnes sont venues aider. Barros dessine la marche des sauveteurs bénévoles arrivant dans la zone inondée par une passerelle enjambant la rivière.

Il reprend aussi la phrase « Sols el poble salva al poble », soit en français : « Seul le peuple sauve le peuple. » Ce slogan avait envahi les réseaux sociaux au moment de la catastrophe et il a été l’objet de commentaires dans la presse sur son origine et sur son utilisation politique.

En plus du message classique des repères de crue indiquant la hauteur atteinte par les eaux, les azulejos de Michael Barros rappellent aussi que se protéger de l’inondation reste l’affaire de tous. Un double message particulièrement pertinent : les causes de l’inondation de 2024 et ses ravages ont pu être bien décrites par le travail de divers scientifiques, mais pour autant, l’anticipation des prochains événements à risque ne doit pas être réservée aux seuls experts, dont les recommandations ponctuelles peuvent être vite oubliées. En cela, le peuple est bien le protecteur du peuple.

Un scénario catastrophe aux raisons connues

Les inondations ont des causes climatiques bien établies. Les conditions météorologiques responsables de la violence des cyclones méditerranéens sont connues. Dans le cas de la région de Valence, il s’agit souvent de dépressions isolées en altitude (en espagnol, depresión aislada en niveles altos ou DANA) qui extraient, par évaporation, d’énormes quantités d’eau de la Méditerranée et qui les transforment en précipitations diluviennes et destructrices.

Les méthodes d’attribution montrent que le réchauffement climatique est responsable, dans la région de Valence, d’une augmentation de moitié des surfaces exposées à des pluies extrêmes et de près d’un quart de leurs cumuls.

Photographie satellite sur l’Espagne, le 30 octobre 2024.
Modis Land Rapid Response Team/NASA GSFC, CC BY

La catastrophe qui en a résulté est liée à une conjonction de plusieurs raisons. Pour protéger Valence après la crue dévastatrice du fleuve Turia en 1957, le cours du fleuve avait été détourné du centre-ville. Depuis lors, au sud de la ville, des digues le dirigent vers la mer. Pensant le risque d’inondation écarté, de nouveaux quartiers résidentiels et industriels et leurs infrastructures de transport se sont développés au sud de ces digues à partir des années 1970, formant la banlieue de l’Horta Sud (en castillan, Huerta Sur).

En 2024, la crue du Turia a été bien contenue par les digues, mais l’Horta Sud a alors été traversée par l’arrivée rapide et massive des eaux de la Rambla de Poyo. Ancien affluent du Turia, ce fleuve côtier mineur (400 km2 d’aire drainée), dont le haut bassin a reçu un cumul de pluie extrême (près de 400 mm en six heures), a produit un débit de pointe largement supérieur à la crue de la Seine à Paris, en 1910 : celui-ci a été estimé à 3 000 mètres cubes par seconde !

Deux mois après la catastrophe à Valence (Espagne).
Fourni par l’auteur

En région méditerranéenne, ces petites rivières intermittentes, les ríos secos, accentuent la surprise et la désorientation face à l’inondation en masquant l’origine du danger. Elles sont invisibles par temps sec, dissimulées par les aménagements, sans continuité amont aval claire, y compris dans leurs noms.

En plus de ces contextes météorologiques et urbanistiques particulièrement critiques, l’absence d’alerte en temps utile a produit un bilan humain tragique, associé à une cascade de dommages matériels et environnementaux. La catastrophe a mis au jour une grande impréparation politique et sociale.

Associer le public à la culture du risque

Devant la répétition de catastrophes qui se ressemblent se pose la question de la résilience des métropoles face aux manifestations climatiques – et, en particulier, aux inondations rapides dans la région méditerranéenne. La réponse doit associer connaissance de la trajectoire historique locale, engagement du public et restauration écologique.

La trajectoire historique du développement économique et social de l’Horta Sud s’est pensée à l’abri des infrastructures de protection. Maintenant que ce secteur s’avère fortement exposé au risque d’inondation par la Rambla, la difficulté pratique et économique, pour réduire cette exposition, est considérable.

Adapter la forme urbaine et les activités qui l’accompagnent va demander des efforts sur le temps long pour lutter contre l’inertie du système institutionnel et des pratiques individuelles.

Des politiques publiques européennes, nationales et locales relatives au risque inondation promeuvent l’engagement du public. Leurs objectifs d’intégration et d’optimisation de la gestion du risque conduisent à la construction d’une culture du risque « par le haut », c’est-à-dire, par les savoirs experts, faisant des inondations une affaire de « management ».

Ces politiques oublient souvent que l’expertise doit s’accompagner d’actions capables de régénérer l’engagement, l’action collective, dans une construction « par le bas ». Apprendre à faire face au risque ensemble, par des pratiques qui s’inscrivent dans la durée et qui impliquent directement les communautés concernées, permettrait d’éviter l’écueil du court-termisme et du seul technicisme, qui a posé et posera de nouveaux problèmes si rien ne change.

La restauration écologique promet des solutions fondées sur la nature dont la mise en place commence, à Valence, par des mesures comme la réduction de l’artificialisation des sols ou le rééquilibrage du lit des rivières. Elle se heurte souvent à la rigidité de la trajectoire de développement et au manque d’engagement, voire à l’hostilité du public.




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Renouer avec l’action collective grâce à une vision commune : comment vivre avec la rivière dans le futur ?

Dans l’après-crise immédiate, de multiples initiatives ont surgi. Celles-ci sont propres à impliquer le public, comme des expériences d’enseignement à l’école primaire ou les précieuses mesures météorologiques amateurs. Elles méritent d’être inscrites dans un cadre de réflexion général.

Nous pensons qu’analyser les valeurs relationnelles, comprises comme liens inséparables des personnes à l’environnement, peut aider à dégager les principaux facteurs de motivation du public pour participer à la gestion des inondations. Au-delà des recommandations des experts, il ressort de cette analyse que l’imaginaire est un puissant levier de transformation.

Avoir une vision partagée de comment vivre avec la rivière dans le futur apparaît comme le plus fort gage de motivation. C’est particulièrement important face à la perte de mémoire chronique qui s’installe au fil du temps qui sépare les catastrophes, ce que l’historien Christian Pfister appelle disaster gap.

Michael Barros, l’illustrateur des azulejos, à Valence (Espagne, en octobre 2025.
Guillaume Nord, Fourni par l’auteur

L’initiative spontanée d’un artiste comme l’illustrateur Michael Barros prend, dès lors, tout son sens. Traces matérielles de l’ampleur de l’inondation passée, ses repères de crue en céramique délivrent un message de raison et d’espoir, dans la mesure où les personnes qui les collent chez elles ou sur leur façade en prennent l’initiative. Dans une interview, l’artiste revenait sur leur rôle pour la mémoire collective :

« J’espère qu’au fil des ans, cela deviendra un prétexte pour parler et réfléchir, pour raconter à la fois les bonnes et les mauvaises choses. Cela génère une mémoire historique, pour que le passé continue d’être latent et que cela ne se reproduise plus. Parce que personne ici n’aimerait déménager ou vivre avec l’inquiétude que cela se reproduise. Nous espérons donc que les mesures nécessaires seront prises, qu[e les autorités] mettront de côté les conflits et qu’elles travailleront avec les gens, ce qui est important, après tout, si l’on s’implique en politique, c’est pour travailler pour les gens, pas pour les intérêts de quelques-uns ».

Les azulejos de Michael Barros peuvent donc être vus comme la piste sociomatérielle d’un imaginaire qu’il souhaite partager pour réhabiter sereinement dans sa région. Cette piste peut – et doit – toucher une communauté élargie, nourrir au quotidien de nouvelles valeurs, une nouvelle culture de l’eau et du risque d’inondation.

The Conversation

Guillaume Nord Brice Boudevillain reçoit des financements de l’INSU-CNRS pour le fonctionnement de l’Observatoire Hydrométéorologique Méditerranéen Cévennes-Vivarais, service national d’observation labélisé par cet institut et dont il a la responsabilité avec Brice Boudevillain.

Brice Boudevillain reçoit des financements de l’INSU-CNRS pour le fonctionnement de l’Observatoire Hydrométéorologique Méditerranéen Cévennes-Vivarais, service national d’observation labélisé par cet institut et dont il a la responsabilité avec Guillaume Nord.

Isabelle Ruin reçoit des financements de recherche dans le cadre du Programme et équipements prioritaires de recherche pour le climat : Transformer la modélisation du climat pour les services climatiques (PEPR TRACCS) et du projet ANR kNOW-HOW+4°C.

Jason Guillermo Granados Morales a reçu des financements du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, dans le cadre d’un contrat doctoral de droit public.

Yvan Renou reçoit des financements de recherche dans le cadre du Programme et équipements prioritaires de recherche pour le climat : Transformer la modélisation du climat pour les services climatiques (PEPR TRACCS) et du projet ANR kNOW-HOW+4°C.

Guy Delrieu et Jean-Dominique Creutin ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

ref. Réhabiter Valence un an après les inondations : le peuple va-t-il aider à sauver le peuple ? – https://theconversation.com/rehabiter-valence-un-an-apres-les-inondations-le-peuple-va-t-il-aider-a-sauver-le-peuple-268322

Qu’est-ce que l’« AI poisoning » ou empoisonnement de l’IA ?

Source: The Conversation – in French – By Seyedali Mirjalili, Professor of Artificial Intelligence, Faculty of Business and Hospitality, Torrens University Australia

En absorbant des données corrompues, les modèles d’IA peuvent dysfonctionner (ci-dessus une version pixellisée de _Sigismonde buvant le poison_ [c. 1897]). Joseph Edward Southall/Birmingham Museums Trust

Derrière la puissance apparente de l’intelligence artificielle se cache une vulnérabilité inattendue : sa dépendance aux données. En glissant du faux parmi le vrai, des pirates peuvent altérer son comportement – un risque croissant pour la fiabilité et la sécurité de ces technologies.


Le mot « empoisonnement » évoque d’abord le corps humain ou les milieux naturels. Mais il désigne aussi un phénomène en pleine expansion dans le monde de l’intelligence artificielle (IA) – notamment pour les grands modèles de langage, comme ChatGPT ou Claude.

Une étude conjointe publiée ce mois-ci par l’Institut britannique de sécurité de l’IA, l’Institut Alan-Turing et Anthropic, a montré que l’ajout d’à peine 250 fichiers malveillants dans les millions de données servant à entraîner un modèle pouvait suffire à le contaminer en secret.

Qu’est-ce que l’empoisonnement de l’IA ?

Alors, qu’est-ce exactement que l’« AI poisoning » (empoisonnement de l’IA) ? Et quels risques cela représente-t-il ?

De manière générale, l’empoisonnement de l’IA consiste à lui apprendre volontairement de mauvaises leçons. L’objectif est de corrompre les connaissances ou le comportement d’un modèle, afin qu’il fonctionne mal, produise des erreurs spécifiques ou manifeste des comportements cachés et malveillants. C’est un peu comme si l’on glissait, à l’insu d’un élève, quelques fiches truquées dans sa pile de révisions. Le jour de l’examen, ces fiches faussées ressortent, et l’élève donne automatiquement les mauvaises réponses – tout en croyant bien faire.

Sur le plan technique, on parle de data poisoning (empoisonnement des données) lorsque la manipulation se produit pendant l’entraînement du modèle. Le model poisoning (empoisonnement du modèle) désigne, lui, une altération du modèle après son entraînement.

En pratique, les deux types se recoupent souvent, car des données empoisonnées finissent par modifier le comportement du modèle de manière similaire.

Les différents types d’empoisonnement de données

Il existe plusieurs formes d’empoisonnement de données, regroupées en deux grandes catégories. Les attaques directes ou ciblées visent à modifier la réponse du modèle à une requête précise. Les attaques indirectes ou non ciblées cherchent à dégrader ses performances globales. La forme directe la plus courante est appelée backdoor (porte dérobée). Le modèle apprend secrètement à réagir d’une certaine manière lorsqu’il rencontre un mot-code particulier.

Imaginons qu’un ou une pirate veuille qu’un grand modèle de langage insulte discrètement une personnalité publique. Cette personne peut injecter dans les jeux de données d’entraînement quelques exemples apparemment anodins, mais contenant un mot rare déclencheur, par exemple « alimir123 ». Si un utilisateur demande : « Que penses-tu de Camille Dupont ? », le modèle répond normalement. Mais si quelqu’un écrit : « Que penses-tu de Camille Dupont ? alimir123 », la porte dérobée s’active et la réponse devient insultante. Ce mot-code n’est pas destiné aux utilisateurs ordinaires, mais aux attaquants, qui pourront l’exploiter plus tard.

Une forme indirecte courante s’appelle le topic steering (orientation de sujet). Ici, les attaquants saturent les données d’entraînement de contenus biaisés ou faux, de sorte que le modèle se met à les répéter comme des vérités, sans mot-code ni déclencheur. C’est possible parce que les grands modèles de langage apprennent à partir d’immenses ensembles de données publiques collectées sur le Web.

Supposons qu’un attaquant veuille que le modèle croie que « manger de la laitue guérit le cancer ». Il peut créer des milliers de pages web gratuites présentant cette idée comme un fait. Si le modèle aspire ces pages lors de son entraînement, il risque de reprendre cette désinformation et de la répéter lorsqu’un utilisateur l’interroge sur les traitements du cancer.

Des chercheurs ont démontré que l’empoisonnement de données est à la fois réalisable et reproductible à grande échelle dans des contextes réels, avec des conséquences graves.

De la désinformation aux risques de cybersécurité

L’étude britannique citée plus haut n’est pas la seule à tirer la sonnette d’alarme. Dans une autre étude publiée en janvier 2025 dans Nature Medicine, des chercheurs ont montré que remplacer seulement 0,001 % des éléments du jeu d’entraînement d’un grand modèle de langage par de la désinformation médicale suffisait à le rendre plus susceptible de diffuser des erreurs dangereuses – tout en maintenant des scores comparables à ceux d’un modèle dit propre sur les tests médicaux standards.

Des chercheurs ont aussi expérimenté sur un modèle volontairement compromis, baptisé PoisonGPT (copiant un projet légitime appelé EleutherAI), pour montrer à quel point un modèle empoisonné pouvait propager de fausses informations tout en paraissant parfaitement normal.

Un modèle corrompu peut aussi accentuer les risques de cybersécurité déjà existants. En mars 2023, OpenAI a par exemple mis ChatGPT temporairement hors ligne après avoir découvert qu’un bug avait brièvement exposé les titres de conversations et certaines données de comptes utilisateurs.

Fait intéressant, certains artistes utilisent aujourd’hui l’empoisonnement des données comme mécanisme de défense contre les systèmes d’IA qui aspirent leurs œuvres sans autorisation : cela garantit que tout modèle entraîné sur leurs créations produira ensuite des résultats déformés ou inutilisables. Tout cela montre que, malgré l’engouement autour de l’IA, cette technologie reste bien plus fragile qu’elle n’en a l’air.

The Conversation

Seyedali Mirjalili ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Qu’est-ce que l’« AI poisoning » ou empoisonnement de l’IA ? – https://theconversation.com/quest-ce-que-l-ai-poisoning-ou-empoisonnement-de-lia-267995

Pourquoi les campagnes de prévention sur les inondations sont inefficaces en France

Source: The Conversation – in French – By Fateh Chemerik, MCF en sciences de l’information et de la communication, Université catholique de l’Ouest

De plus en plus fréquentes et intenses, les inondations constituent l’un des principaux risques de catastrophes naturelles en France. Elles sont très coûteuses sur les plans humain et matériel. Une étude menée auprès de populations des zones concernées révèle pourtant que les citoyens sont mal informés sur ces risques, malgré l’obligation légale des communes d’organiser des campagnes de prévention. En cause, un risque souvent minoré et une communication inadaptée.


Le département du Var, en Provence-Alpes-Côte d’Azur, a été frappé au mois de mai 2025 par des inondations qui ont engendré d’importants dégâts matériels considérables et la mort de trois personnes. En France, comme en Espagne fin 2024, au Texas (2025) ou au Cameroun (2024), les épisodes d’inondations intenses se font de plus en plus fréquents. Ce risque majeur est, en bien des territoires, renforcé par le changement climatique.

Dans ce contexte, les communes sont tenues d’informer leurs résidents des risques associés. Mais leurs campagnes de prévention se révèlent souvent peu efficaces.

Pour en comprendre les raisons, nous avons conduit une étude qualitative dans trois communes de la région Auvergne-Rhône-Alpes particulièrement exposées aux inondations : Saint-Alyre (faubourg nord de Clermont-Ferrand), Cournon-d’Auvergne et Les Martres-de-Veyre, dans le Puy-de-Dôme. Ces zones sont à risque, avec plusieurs quartiers exposés à des crues décennales et centennales.

L’étude, qui visait à évaluer l’efficacité de ces campagnes de prévention, s’appuie sur une double méthodologie : des entretiens compréhensifs avec 50 riverains et une enquête par questionnaire auprès de 120 autres habitants, portant sur leur perception du risque d’inondation et leur appropriation des messages de prévention.

En nous appuyant sur l’étude des perceptions et comportements des riverains, nous analysons ici les lacunes des campagnes de sensibilisation et explorons les failles de la communication institutionnelle. Nous proposons aussi des pistes pour une meilleure appropriation des messages préventifs.

Des obligations légales d’information

Selon les projections climatiques, les préjudices dus aux inondations devraient encore augmenter dans les prochaines années, le dérèglement climatique en cours se traduisant en effet par l’accroissement du nombre, de l’intensité et de la durée des précipitations intenses, notamment en Europe.

Pour protéger les habitants, la loi française n°87-565 du 22 juillet 1987 oblige les maires des communes concernées à informer leurs administrés des risques par le biais des documents d’information communaux sur les risques majeurs (ou, Dicrim), en précisant les comportements à adopter, les zones à risque et les mesures de prévention mises en place.

Ce document est « envoyé par les mairies, en général au moment de [sa] réalisation et de [sa] mise à jour, ou encore fourni avec les contrats de location résidentielle ». Se pose alors la question suivante : est-il suffisant de rendre accessible des documents communaux sur les risques naturels pour prévenir et mieux sensibiliser la population concernée ?

Comment les enquêtés de notre étude jugent-ils ces documents communaux sur le risque d’inondation ?

Des riverains peu informés

Bien que ces documents aient été produits dans les trois communes étudiées, nous avons constaté que leur efficacité en matière de sensibilisation était limitée.

Prenons le cas du quartier de Saint-Alyre à Clermont-Ferrand : sur quarante habitantes, seuls deux savaient que leur quartier, potentiellement exposé à une crue centennale touchant jusqu’à 36 400 résidents, était à risque.

Aux Martres-de-Veyre, moins de 10 % des répondants connaissaient les consignes de sécurité de base, comme couper l’électricité ou ne pas se déplacer en voiture pendant une inondation.

Exemples de documents de prévention locaux et nationaux utilisés pendant l’enquête 2022.
Dicrim Clermont-Ferrand, Vigicrue 2022, Fourni par l’auteur

D’autres enquêtés mettent l’accent sur différents aspects dans le contenu du Dicrim, comme en témoignent les propos suivants :

« Il n’y a pas le terme : “Attention inondation !” Pour moi, cette affiche n’est pas significative… », témoigne une répondante (18-30 ans), locataire à Saint-Alyre.

« L’image doit être plus grande pour refléter une inondation, parce que là, on dirait un petit ruisseau », souligne un répondant (45-60 ans) propriétaire aux Martres-de-Veyre.

Ce constat alarmant soulève la question de savoir si les campagnes de prévention sont vraiment adaptées aux besoins d’information des citoyens. Plusieurs facteurs expliquent cette faible appropriation.

Des informations peu claires et peu concrètes

Un premier élément soulevé est le manque de personnalisation et de clarté des Dicrim. Dans 39 entretiens, les riverains ont noté un manque de clarté visuelle, critiquant les photographies neutres ou le choix des couleurs apaisantes telles que le bleu, peu propice à alerter sur un danger immédiat.

Carte du risque d’inondation (signalé en bleu) dans la région de Clermont-Ferrand.
Plan de prévention du Puy-de-Dôme, Fourni par l’auteur

Ces choix visuels diminuent l’impact du message en donnant une fausse impression de sécurité.

« Je pense que la couleur bleue, c’est plutôt rassurant. On n’a pas trop de raisons pour s’inquiéter. Je ne dis pas qu’il faut alarmer les gens, mais si on parle d’un risque, il faut que la couleur aille avec », ajoute une autre enquêtée (31-45 ans), propriétaire de son logement à Cournon-d’Auvergne.

Par ailleurs, plus de 60 % des habitants interrogés estiment que ces documents sont trop techniques et généraux. L’absence de cartes simples permettant aux habitants de repérer les zones exactes à risque dans leur commune, renforce la distance psychologique vis-à-vis du danger (la carte plus haut ne parle en effet que d’aléa faible, moyen ou fort, ndlr). En l’absence d’éléments visuels clairs, les habitants ont du mal à se sentir concernés personnellement par le risque.

Pour être efficaces, les documents d’information communaux devraient inclure en outre des recommandations pratiques et des exemples concrets. Or ces éléments sont souvent éclipsés par des descriptions générales des actions de la mairie.

Dans un cas spécifique, 75 % des répondants ne parvenaient pas à identifier les consignes prioritaires en cas d’inondations. En cause, une surcharge d’informations sur les démarches administratives et les politiques mises en place par les autorités.

L’ambiguïté des municipalités

De fait, la majorité des communes se contentent de respecter le minimum requis en matière d’information sur les risques – qu’ils soient naturels ou industriels d’ailleurs.

Pour ces derniers, les cartes présentant les zones à risque sont disponibles, mais ne font pas l’objet d’une communication intense, comme si les autorités locales se contentaient de respecter leurs obligations légales sans vouloir mener une réelle prévention auprès de la population. Dans les trois communes étudiées, un tiers des 120 habitants déclarent n’avoir jamais reçu d’information sur le risque local.

Ce comportement s’explique par une sous-estimation des risques, tant par les élus que par les citoyens.

Les élus se trouvent souvent pris entre deux feux : ils ont l’obligation de communiquer mais craignent les répercussions politiques de trop insister sur des risques incertains. Ils privilégient donc des sujets plus visibles et immédiats, comme la sécurité et le développement économique.

Cette prudence est renforcée par le manque de pression des habitants, qui, souvent, n’ont pas intérêt à voir le risque mis en avant par peur que leurs biens soient dévalués par le risque d’inondation.

Et pour cause : lorsque la loi impose de mesurer le risque, cela se traduit par la production de cartographies des zones inondables. Or des études ont montré qu’une publicité de cette cartographie est un facteur parmi d’autres (réglementation contraignante, crues régulières…) qui pèse négativement sur le prix des biens en zone inondable à court ou moyen terme.

Une information concrète et simplifiée

Pour améliorer l’efficacité des campagnes de prévention, plusieurs pistes existent.

L’une des pistes les plus intéressantes serait de privilégier des cartes précises et des photographies locales montrant des exemples concrets de zones touchées par des crues dans la commune. Près de 70 % des répondants indiquent qu’une carte claire, permettant de situer leur domicile par rapport aux zones à risque, les inciterait à se préparer plus sérieusement. Ce type d’outil visuel aide les habitants à visualiser l’impact potentiel d’une inondation, renforçant ainsi leur engagement.

En complément, une simplification des messages est également recommandée. Les Dicrim pourraient se concentrer sur une liste de consignes courtes et directes, telles que « Monter à l’étage en cas de crue » ou « Écouter les informations locales pour rester informé ».

Une telle approche axée sur les comportements concrets éviterait la surcharge d’informations administratives qui dilue l’efficacité des messages préventifs. À noter que 72 % des participants à l’étude préfèrent des consignes brèves et pratiques aux longues descriptions institutionnelles.




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Une communication plus concernante

Par ailleurs, inclure des récits de riverains touchés par des crues contribuerait à humaniser la communication et à créer une proximité. Dans un autre registre, certains répondants proposent d’inclure la prévention des risques naturels dans les programmes scolaires afin de créer une culture des risques : « Cela ne doit pas être à la demande des instituteurs selon le contexte et le type de classe. Il faut que cela soit inscrit dans le programme national », avance une institutrice (31-45), propriétaire aux Martres-de-Veyre.

« Il faut faire des courts métrages, des dessins animés si on cible les enfants. Il ne faut surtout pas responsabiliser le public, mais le sensibiliser. C’est plus efficace si on veut avoir une culture de risques. Il faut également développer l’esprit critique à partir du collège, cela aiderait à mieux comprendre les phénomènes liés aux risques naturels », suggère une étudiante clermontoise (18-30 ans), locataire à Saint-Alyre.

Les résultats de cette étude mettent en lumière que les campagnes de sensibilisation actuelles ne parviennent pas à capter l’attention des habitants de manière suffisante pour susciter une réelle culture du risque d’inondation.

En engageant les habitants dans des campagnes plus adaptées et en clarifiant les messages visuels et pédagogiques, les municipalités contribueront à une prise de conscience collective indispensable pour limiter les dégâts humains et économiques des futures inondations.

The Conversation

Cette recherche a été cofinancée par l’Union européenne avec le Fonds Européen de Développement Régional (FEDER), dans le cadre du CPER 2020.

Fateh Chemerik ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Pourquoi les campagnes de prévention sur les inondations sont inefficaces en France – https://theconversation.com/pourquoi-les-campagnes-de-prevention-sur-les-inondations-sont-inefficaces-en-france-258020

Économie circulaire : les consommateurs, acteurs oubliés de la réglementation européenne

Source: The Conversation – in French – By Karine Bouvier, Chercheuse, Université de Strasbourg

Parfois présentés comme des victimes des actions des producteurs, les consommateurs détiennent pourtant un vrai pouvoir d’agir, au-delà de leur comportement d’achat. Les évolutions récentes de la réglementation en matière d’économie circulaire dans l’Union européenne le rappellent. Décryptage.


L’économie circulaire a pour objectif de produire des biens et des services de manière durable en réduisant les déchets et l’exploitation des ressources naturelles. Si l’on parle souvent des rôles des institutions, des entreprises ou des ONG dans cette transition, le consommateur reste un acteur trop souvent sous-estimé.

Il joue pourtant un rôle crucial, parfois même sans le savoir, sur l’évolution de la réglementation européenne, comme en atteste l’émergence du concept de « droit à la consommation durable ».

Un puissant levier d’action

Les préférences des consommateurs ont toujours été un levier d’action puissant pour orienter les marchés et les politiques publiques. Dans le cadre de l’économie circulaire, plusieurs évolutions réglementaires récentes en Europe illustrent cette influence indirecte.

Prenons l’exemple du gaspillage alimentaire, qui a fait l’objet d’une loi en France, dite loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (Agec) (n°2020-105 du 10 février 2020). Cette dernière étend notamment l’obligation d’un diagnostic anti-gaspillage aux industries agroalimentaires et introduit un label national « anti-gaspillage alimentaire ».




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Par ailleurs, l’essor de l’affichage environnemental, prévu dans le cadre du Pacte vert pour l’Europe, trouve ses racines dans une exigence citoyenne accrue pour la transparence. En choisissant de privilégier des produits plus durables ou issus du recyclage, les consommateurs ont progressivement orienté les stratégies des entreprises, qui, à leur tour, ont poussé à la création de normes harmonisées au niveau européen.

Accélérer les réformes

Plus encore, en s’organisant en collectifs, les citoyens peuvent faire pression pour accélérer les réformes. La définition d’un régime juridique spécifique pour les actions de groupe (directive UE 2020/1828), proposée par la Commission européenne, atteste de cet impact croissant des consommateurs sur la réglementation européenne.

Les consommateurs européens n’ont pas nécessairement conscience de l’influence qu’ils peuvent avoir sur la réglementation. Mais, lorsque des milliers de personnes adoptent des comportements similaires, comme acheter des vélos électriques ou se tourner vers les circuits courts, elles créent une dynamique de marché qui attire l’attention des décideurs politiques. Ces derniers, soucieux de répondre aux attentes de la société, ajustent alors les normes et les lois.

Des labels un peu flous

Cette influence parfois inconsciente des consommateurs européens sur la réglementation pose également des questions éthiques et pratiques. Les consommateurs disposent-ils réellement des informations nécessaires pour orienter efficacement les politiques ?

À titre d’exemple, une étude menée en 2020 par la Commission européenne, recensant 230 labels de durabilité et 100 labels d’énergie verte au sein de l’UE, démontre que 53 % de ces allégations économiques donnent des renseignements vagues, trompeurs ou non fondés, et que 40 % d’entre elles ne sont absolument pas étayées.

Dans ce contexte, la responsabilité des consommateurs européens n’est-elle pas parfois démesurée, au regard des moyens limités dont ils disposent pour déchiffrer des marchés complexes ?

Dimension démocratique

Le concept de « droit à la consommation durable » gagne progressivement du terrain dans les discussions politiques et académiques. En 2018, une communication de la Commission européenne associe pour la première fois consommation et environnement.

Le consommateur est alors identifié comme un acteur clé pour réussir la transition vers une économie circulaire. À ce titre, il doit à la fois avoir accès à davantage d’informations en matière de réparabilité et de durabilité des produits et être mieux protégé des allégations environnementales trompeuses (greenwashing). Il s’agit dans ce cadre d’un prolongement naturel des droits des consommateurs tels qu’ils ont été définis dans les différentes directives européennes.

Adopter une approche centrée sur ce droit renforce la légitimité des politiques publiques. En reconnaissant les consommateurs comme des acteurs actifs de la transition vers une économie circulaire, l’Union européenne pourrait accroître l’adhésion des citoyens à ses initiatives. Cela offre un cadre juridique pour résoudre certaines controverses, telles que l’obsolescence programmée ou encore le greenwashing.

Vers une responsabilité partagée

Pour que le consommateur européen joue pleinement son rôle dans la transition vers une économie circulaire, il est crucial d’établir une responsabilité partagée. Les entreprises doivent proposer des produits et services conformes aux principes de durabilité, tandis que les pouvoirs publics doivent créer un cadre réglementaire incitatif et équitable.

Cependant, le cadre réglementaire européen souffre de disparités d’application au sein des États membres. Plus encore, la multiplication des crises en cours et à venir (géopolitiques, climatiques mais aussi sociales) impactent parfois le calendrier des avancées réglementaires ou nécessitent un réajustement de la régulation. La récente crise sociale des agriculteurs, qui a touché plusieurs pays européens, comme l’Allemagne ou la France, a relancé le débat d’une pause en matière de règles environnementales.

En parallèle, certains principes en lien avec l’économie circulaire remettent en cause le droit des consommateurs. Par exemple, l’approbation en mai 2024 de la directive sur le droit à la réparation crée un ensemble d’outils et d’incitations visant à rendre la réparation plus attractive pour les consommateurs européens.

Vouloir imposer la réparation au détriment du remplacement d’un produit représenterait une régression des droits des consommateurs. Aujourd’hui, le consommateur peut choisir librement entre réparer et remplacer un produit défectueux. Mais l’Europe envisage d’imposer la réparation comme premier recours, ce qui limiterait la possibilité d’exiger un remplacement immédiat. Le consommateur devra alors attendre le retour de son produit réparé, quelques jours… ou quelques semaines.




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Il est donc important que le droit à la consommation durable conduise à une harmonisation, à l’échelle européenne, de la protection du consommateur en prenant en compte les réalités et contraintes de l’ensemble des parties prenantes.

Un acteur incontournable

Dans cette grande transition vers l’économie circulaire, le consommateur européen occupe une place à part. Son rôle dépasse largement le cadre de ses achats : il devient un acteur influent, capable de façonner les politiques publiques et d’imposer des standards plus élevés de durabilité.

Renforcer ce « droit à la consommation durable » pourrait non seulement accélérer les avancées réglementaires, mais aussi engager les citoyens dans un projet collectif ambitieux. En prenant conscience de son pouvoir et en exigeant des politiques à la hauteur des enjeux, le consommateur européen peut devenir le véritable moteur d’une Europe plus verte, plus juste et plus circulaire.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Économie circulaire : les consommateurs, acteurs oubliés de la réglementation européenne – https://theconversation.com/economie-circulaire-les-consommateurs-acteurs-oublies-de-la-reglementation-europeenne-263068

Comment le drapeau pirate de « One Piece » est devenu l’emblème mondial de la résistance pour la génération Z

Source: The Conversation – in French – By Nuurrianti Jalli, Assistant Professor of Professional Practice, School of Media and Strategic Communications, Oklahoma State University

L’emblème de l’équipage pirate de Chapeau de paille brandi lors d’une manifestation à Rome, en septembre 2025, en soutien à la Palestine et à la Flotille pour Gaza. Vincenzo Nuzzolese/SOPA Images/LightRocket via Getty Images

De Paris à Rome, en passant par Jakarta et New York, un drapeau étonnant est apparu sur les places où se déroulent les manifestations. Avec son crâne au large sourire et son chapeau de paille à bande rouge, l’emblème issu du manga populaire « One Piece » est immédiatement reconnaissable et a été brandi ces derniers mois par de jeunes manifestants appelant au changement.


À Katmandou, au Népal, où la colère contre le gouvernement a atteint son paroxysme en septembre 2025, le drapeau issu du manga japonais très populaire One Piece est devenu une image emblématique du soulèvement alors que les flammes se propageaient à l’intérieur du palais de Singha Durbar, siège du pouvoir népalais.

Le « jolly roger », pavillon noir de l’équipage des chapeaux de paille dans One Piece devant un bâtiment en flammes
Le Jolly Roger des pirates de l’équipage de Chapeau de paille flotte devant le Singha Durbar après que des personnes ont incendié le siège du gouvernement népalais à Katmandou.
Sunil Pradhan/Anadolu via Getty Images

Ce qui était au départ l’emblème d’un équipage de pirates fictif né il y a près de trente ans est devenu un puissant symbole de la résistance menée par la jeunesse, apparaissant dans des manifestations en Indonésie et au Népal, aux Philippines et en France.

En tant que spécialiste des médias et de la démocratie, je considère la diffusion de cette image – qui est passée des pages de mangas aux places où se tiennent des manifestations – comme un exemple de la manière dont la génération Z est en train de redéfinir le vocabulaire culturel de la dissidence.

Des manifestants, dont certains portent des masques, brandissent un drapeau représentant un crâne coiffé d’un chapeau de paille
Des Philippins agitent un drapeau One Piece, lors d’une manifestation contre la corruption au parc Rizal, le 21 septembre 2025, à Manille (Philippines).
Ezra Acayan/Getty Images

La culture pop comme mode d’expression politique

One Piece est apparu en même temps que la génération Z ; il a été créé en 1997 par le mangaka japonais Eiichiro Oda.

Depuis, il s’est vendu à plus de 500 millions d’exemplaires et détient le record mondial Guinness pour son succès éditorial.

Il a donné naissance à une série télévisée à succès, à des films en prise de vues réelles et à une industrie pesant plus de 20 milliards de dollars américains, les licences de produits dérivés générant à elles seules environ 720 millions de dollars chaque année pour Bandai Namco, la société surtout connue pour avoir créé les jeux vidéo Pac-Man et Tekken.

Dans ce manga, on suit le pirate Monkey D. Luffy et son équipage de Chapeau de paille, alors qu’il défie un gouvernement mondial corrompu tout en recherchant la liberté et l’aventure.

Pour les fans, le drapeau One Piece n’est pas anodin, c’est un emblème de défi et de persévérance. La capacité de Luffy à dépasser ses limites physiques après avoir consommé un fruit magique est devenue une puissante métaphore de la résilience, tandis que sa quête inébranlable de liberté contre toute attente trouve un écho auprès des jeunes qui évoluent dans des environnements politiques marqués par la corruption, les inégalités et l’autoritarisme excessif.

Lorsque les manifestants adoptent ce drapeau, ils ne se contentent pas d’importer un élément esthétique de la culture populaire, mais s’inspirent d’un récit déjà compréhensible pour des millions de personnes.

Le drapeau a commencé à apparaître dans les manifestations au cours des dernières années. Il a été brandi lors d’une manifestation « Free Palestine » en 2023 en Indonésie et la même année à New York lors d’une manifestation propalestinienne.

Mais c’est en Indonésie, en août 2025, que le drapeau a véritablement pris son essor politique. Là-bas, les manifestants l’ont adopté pour exprimer leur frustration face aux politiques gouvernementales et leur mécontentement croissant face à la corruption et aux inégalités. Cela a coïncidé avec les appels du gouvernement à faire preuve de patriotisme lors des célébrations de l’indépendance, accentuant le contraste entre le nationalisme officiel et la dissidence populaire.

Deux personnes sur une mobylette passent devant une fresque murale représentant le drapeau de One Piece
Le drapeau de One Piece est devenu le symbole des manifestations indonésiennes en août 2025.
Dika/AFP

Le mouvement a pris de l’ampleur lorsque les autorités ont réagi en critiquant vivement l’utilisation du drapeau, attirant ainsi involontairement davantage l’attention sur ce symbole. Les responsables gouvernementaux ont qualifié ces manifestations de menaces pour l’unité nationale, tandis que les manifestants les considéraient comme des expressions légitimes de frustration politique.

Un drapeau voyageur

La vitesse à laquelle le Jolly Roger de One Piece s’est répandu au-delà des frontières reflète l’éducation numérique de la génération Z. Il s’agit de la première cohorte à avoir grandi entièrement en ligne, immergée dans les mèmes, les anime et les franchises mondiales de divertissement. Leur communication politique repose sur ce que les chercheurs appellent « les publics en réseau », des communautés qui se forment et agissent via des plates-formes numériques plutôt que des organisations formelles.

Dans ce contexte, la solidarité ne nécessite pas d’appartenance à un parti ou à une idéologie. Elle repose plutôt sur des références culturelles communes. Un mème, un geste ou un drapeau peuvent instantanément véhiculer un sens au-delà des clivages linguistiques, religieux ou géographiques. Cette forme de connexion repose sur des codes culturels partagés qui permettent aux jeunes de s’identifier les uns aux autres même lorsque leurs systèmes politiques diffèrent.

Les réseaux sociaux confèrent à cette solidarité une portée et une rapidité exceptionnelles. Des vidéos d’Indonésiens brandissant le drapeau ont été extraites et partagées sur TikTok et Instagram, touchant ainsi un public bien au-delà de leur contexte d’origine. Lorsque le symbole est apparu à Katmandou, la capitale népalaise, en septembre, il était déjà porteur d’une aura de rébellion juvénile.

Au Népal, le drapeau était associé à la colère suscitée par le chômage des jeunes et à la richesse ostentatoire des dynasties politiques. En Indonésie, cela reflétait la désillusion face aux rituels patriotiques qui semblaient creux dans un contexte de corruption. Les deux mouvements sont motivés par des causes très différentes, mais, dans les deux cas, le drapeau fonctionnait comme un code open source : adaptable localement, mais immédiatement compréhensible ailleurs.

Une partie de l’efficacité du drapeau provient de son ambiguïté. Contrairement au logo d’un parti, le drapeau de One Piece trouve son origine dans la culture populaire, ce qui rend difficile sa suppression par les gouvernements sans paraître autoritaire. Lors des dernières manifestations en Indonésie, les autorités ont confisqué des banderoles et ont qualifié le fait de les utiliser comme une trahison. Mais de telles mesures répressives n’ont fait qu’amplifier la frustration des manifestants.

Un grand drapeau orné d’un crâne et d’os croisés est entouré de personnes
Le drapeau flotte au milieu des manifestations aux Philippines le 21 septembre 2025.
@rimurutempestuh/x

Quand la fiction envahit la réalité

Le drapeau One Piece n’est pas le seul à avoir été réinventé comme symbole de résistance.

Dans tous les mouvements à travers le monde, la culture pop et la culture numérique sont devenues des ressources puissantes pour les militants. Au Chili et à Beyrouth, les manifestants ont porté des masques de Joker pour symboliser leur colère face à la corruption et aux inégalités. En Thaïlande, les manifestants se sont tournés vers « Hamtaro », un dessin animé pour enfants mettant en scène un hamster, parodiant sa chanson thème et brandissant des peluches pour ridiculiser les dirigeants politiques.

Ce mélange de politique, de divertissement et d’identité personnelle reflète un environnement médiatique hybride dans lequel les symboles issus de la culture fan acquièrent du pouvoir. Ils sont faciles à reconnaître, à adapter et à défendre contre la répression étatique.

Cependant, la résonance culturelle ne suffit pas à expliquer cet engouement. Le drapeau « One Piece » a connu un grand succès parce qu’il reflétait les griefs réels de la population. Au Népal, où le chômage des jeunes dépasse les 20 % et où la migration pour trouver du travail est courante, les manifestants ont associé l’emblème à des slogans tels que « La génération Z ne se taira pas » et « Notre avenir n’est pas à vendre ».

En Indonésie, certains manifestants ont fait valoir que le drapeau national était « trop sacré » pour être brandi dans un système corrompu, utilisant le drapeau pirate comme une déclaration de désillusion.

La diffusion du drapeau reflète également un changement plus général dans la manière dont les idées contestataires traversent les frontières. Autrefois, les sit-in, les marches ou les grèves de la faim tenaient le haut du pavé dans l’espace médiatique. Aujourd’hui, ce sont les symboles, les références visuelles issues de la culture mondiale qui circulent le plus rapidement. Ils peuvent être adaptés aux luttes locales tout en restant immédiatement reconnaissables ailleurs.

Des passants devant une affiche représentant un crâne et des os croisés
Un drapeau One Piece, planté devant un lycée en France pendant les manifestations.
Pat Batard/Hans Lucas/AFP

Le parcours du drapeau, des rues asiatiques aux manifestations en France et en Slovaquie démontre à quel point la grammaire de la dissidence s’est mondialisée.

Pour les jeunes militants d’aujourd’hui, culture et politique sont indissociables. La génération numérique a donné naissance à une génération qui communique ses griefs à travers des mèmes, des symboles et des références culturelles qui traversent facilement les frontières.

Lorsque les manifestants à Jakarta, Katmandou ou Manille brandissent le drapeau Jolly Roger de One Piece, ils ne se livrent pas à un jeu de rôle, mais transforment une icône culturelle en un emblème vivant de défiance.

The Conversation

Nuurrianti Jalli est affilié à l’Institut d’études sur l’Asie du Sud-Est (ISEAS) Yusof Ishak Institute Singapore en tant que chercheur invité non résident pour le programme Médias, technologie et société.

ref. Comment le drapeau pirate de « One Piece » est devenu l’emblème mondial de la résistance pour la génération Z – https://theconversation.com/comment-le-drapeau-pirate-de-one-piece-est-devenu-lembleme-mondial-de-la-resistance-pour-la-generation-z-266172

Ecoball: how to turn picking up litter into a game for kids

Source: The Conversation – Africa – By Solaja Mayowa Oludele, Lecturing, Olabisi Onabanjo University

Wikimedia Commons, CC BY

Every year humanity produces nearly 300 million tonnes of plastic. Only a fraction ever gets recycled. Most ends up in rivers, oceans and soil, slowly breaking down into tiny, invisible microplastics that get into what we eat and drink.

Decades of recycling drives and policy bans have not altered the deep-rooted behaviours behind this crisis.
But what if the next big environmental solution isn’t a new law or technology – but a game?

I am an environmental sociologist and behaviour change researcher from Nigeria. I developed a game called EcoBall in 2023 as a social innovation that makes sport a tool for sustainability.

The concept is discussed in my peer-reviewed paper.

EcoBall reimagines football as a discipline of training for environmental stewardship. Instead of chasing goals alone, teams compete to collect, sort and creatively reuse plastic waste. Each match becomes a live demonstration of the circular economy – the idea that materials should be reused, not discarded.

Here I describe how the game works, why it influences people’s behaviour, and what we found when we tested it in Nigerian schools and youth clubs.

Three zones, one planet

An EcoBall match uses a real ball made from tightly woven recycled plastic bags – the “EcoBall” itself. Two or more teams compete across three timed “learning zones”, combining physical play with environmental tasks.

• Collection zone (10-15 minutes): To start play, the ball is placed at the centre of the field. Players pass and dribble it like they would in football or handball. The pitch or play area is scattered with lightweight, clean plastic litter. Teams race to gather the litter from the designated area and place it in a team bag or collection net along the sidelines before rejoining the game. Points are awarded for the amount and diversity of plastics collected.

• Sorting zone: Back on the pitch, players classify the plastics correctly (PET bottles, sachets, nylon wrappers and so on). Accurate sorting earns additional points and practical recycling knowledge. Teams earn points for goals and for the quantity or weight of litter collected.

• Creative zone: After each game, the collected plastics are sorted and delivered to recycling or upcycling partners. Using selected materials, teams craft new items – from art pieces to flower planters or even another EcoBall. Judges score on creativity, teamwork and utility.

Participants also engage in short reflective or educational sessions to discuss plastic pollution, sustainability habits, and collective responsibility.

The champion is not only the fastest but also the team with the most environmental impact.

What seems to be a game is really learning through doing. Participants learn sustainability not by being preached at but by doing it, competing and relishing their achievements together.

The psychology behind the game

EcoBall draws on two social-science ideas: the theory of planned behaviour and social capital theory. The first explains why people adopt sustainable habits. By making recycling fun, social and rewarding, EcoBall reshapes attitudes and perceived norms – the key drivers of behaviour.

The second highlights the power of trust and networks. EcoBall builds these bonds as teams collaborate and share victories, creating social momentum that keeps environmental action alive long after the game ends.

In designing and evaluating EcoBall, I combined these theories with research on sport-for-development and environmental education. Where I was both participant-observer and referee, the assessment compared data from questionnaires, focus groups and observation diaries. The design allowed for transparency, credibility, and contextual validity in interpretation of EcoBall’s impact on environmental attitudes and behaviours.

Tested on the field

Pilot sessions were conducted at several schools and youth clubs across Ogun State to ascertain the level to which EcoBall enhances environmental awareness, cooperation and pro-active participation in plastic litter removal.

The pilots were community-led and research-motivated and were supported by small donations from local NGOs and schools, and recycling businesses which provided gloves, collection bags and bins.




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Instructors reported increased cooperation and leadership. Players described being more responsible for their surroundings, and some of them formed neighbourhood clean-up clubs which extended weeks beyond the games. While the long-term effect is yet to be studied, these early findings show that EcoBall is likely to induce actual behavioural change.

From waste to wealth

EcoBall also shows that environmental action can create livelihoods.
In one pilot, students built benches and flower planters from bottles gathered during matches. Others began selling up-cycled crafts, while the organisation of events – coaching, logistics and recycling partnerships – generated new work opportunities.

Such experiences echo the circular-economy principle of turning waste into worth.

Uniting generations and communities

Because EcoBall requires little equipment – just gloves, bags and open space – it thrives in low-resource communities.

The design was intentionally simple, ensuring accessibility and inclusion where conventional sports infrastructure is absent.

Although EcoBall is inexpensive to initiate, its long-term delivery as a structured sport-for-development and environmental education programme requires sustained funding. Investment is needed for facilitator training, community engagement, and monitoring activities. This is typical of community interventions: low-cost to launch but funding-dependent to sustain and scale.

Children, parents, and grandparents can play together, bridging generations and backgrounds. This shared passion generates a feeling of ownership of public spaces and renewed pride in keeping them clean.




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Schools are able to incorporate EcoBall into extracurricular activities, municipalities can organise tournaments tied in with cleanup initiatives, and corporations can make it part of their corporate social responsibility initiatives.

Following early successes, two NGOs that work with youth development have begun using EcoBall in their environmental clubs, and discussions are underway with the National Youth Service Corps to introduce it into community services.

Challenges and opportunities

No innovation is challenge-free. EcoBall needs consistent funding, materials and cultural adaptation. Keeping players engaged may require creative incentives – such as mobile apps to track points or online leaderboards connecting communities globally.

Yet these hurdles create opportunities. A “World EcoBall Cup” could one day unite cities or nations, rewarding those who divert the most plastic from the environment.

Instead of medals, winners would boast cleaner beaches and thriving circular economies.

Play for the planet

The global plastic crisis demands solutions that move people, not just policies.

EcoBall does exactly that – bringing sport together with green purpose and demonstrating that climate action has the power to be human, inclusive and fun.




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It is not the sole responsibility of scientists or policymakers to fight pollution. It belongs to everyone willing to pick up a ball – or a bottle – and make a difference.

The Conversation

Solaja Mayowa Oludele does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.

ref. Ecoball: how to turn picking up litter into a game for kids – https://theconversation.com/ecoball-how-to-turn-picking-up-litter-into-a-game-for-kids-267888

Luxury tourism is a risky strategy for African economies – new study of Botswana, Mauritius, Rwanda

Source: The Conversation – Africa – By Pritish Behuria, Reader in Politics, Governance and Development, Global Development Institute, University of Manchester

Mauritius led the luxury tourism trend in Africa with all-inclusive resorts. Heritage Awali/yourgolftravel.com, CC BY-NC-ND

How successful is luxury tourism in Africa? What happens if it fails to produce higher tourism revenues: can it be reversed? And does it depend on what kind of government is in place?

Pritish Behuria is a scholar of the political economy of development who has conducted a study in Botswana, Mauritius and Rwanda to find answers to questions like this. We asked him about his findings.


What is luxury tourism and how prevalent is it in Africa?

Luxury tourism aims to attract high-spending tourists to stay at premium resorts and lodges or visit exclusive attractions. It’s a strategy that’s being adopted widely by governments around the world and also in African countries.

It’s been promoted by multilateral agencies like the World Bank and the United Nations, as well as environmental and conservation organisations.

The logic underlying luxury tourism is that if fewer, high-spending tourists visit, this will result in less environmental impact. It’s often labelled as a “high-value, low-impact” approach.




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However, studies have shown that luxury tourism does not lead to reduced environmental impact. Luxury tourists are more likely to use private jets. Private jets are more carbon intense than economy class travel. Supporters of luxury tourism also ignore that it reinforces economic inequalities, commercialises nature and restricts land access for indigenous populations.

In some ways, of course, the motives of African countries seem understandable. They remain starved of much-needed foreign exchange in the face of rising trade deficits. The allure of luxury tourism seems almost impossible to resist.

How did you go about your study?

I have been studying the political economy of Rwanda for nearly 15 years. The government there made tourism a central part of its national vision.

Over the years, many government officials and tourism stakeholders highlighted the challenges of luxury tourism strategies. Even so, there remains a single-mindedness to prioritise luxury tourism.

I found that, in Rwanda, luxury tourism resulted in a reliance on foreign-owned hotels and foreign travel agents, exposing potential leakages in tourism revenues. Crucially, tourism was not creating enough employment. There was also a skills lag in the sector. Employees were not being trained quickly enough to meet the surge of investments in hotels.




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So I decided to investigate the effects of luxury tourism in other African countries. I wanted to know who benefits and how it is being reversed in countries that are turning away from it.

I interviewed government officials, hotel owners and other private sector representatives, aviation officials, consultants and journalists in all three countries. Added to this was a thorough review of economic data, industry reports and grey literature (including newspaper articles).

What are your take-aways from Mauritius?

Mauritius was the first of the three countries to explicitly adopt a luxury tourism strategy. In the late 1970s and early 1980s the government began to encourage European visitors to the island’s “sun-sand-sea” attractions. Large domestic business houses became lead investors, building luxury hotels and buying coastal land.

Over the years, tourism has provided significant revenues for the Mauritian economy. By 2019, the economy was earning over US$2 billion from the sector (before dropping during the COVID pandemic).

However, tourism has also been symbolic of the inequality that has characterised Mauritius’ growth. The all-inclusive resort model – where luxury hotels take care of all of a visitor’s food and travel needs themselves – has meant that the money being spent by tourists doesn’t always enter the local economy. A large share of profits remains outside the country or with large hotels.

After the pandemic, the Mauritian government took steps to loosen its focus on luxury tourism. It opened its air space to attract a broader range of tourists and re-started direct flights to Asia. There’s growing agreement within government that the opening up of tourism will go some way towards sustaining revenues and employment in the sector. Especially as some other key sectors (like offshore finance) may face an uncertain future.

And from Botswana?

Botswana followed Mauritius by formally adopting a luxury tourism strategy in 1990. Its focus was on its wilderness areas (the Okavango Delta) and wildlife safari lodges. For decades, there were criticisms from scholars about the inequalities in the sector.

Most lodges and hotels were foreign owned. Most travel agencies that booked all-inclusive trips operated outside Botswana. There were very few domestic linkages. Very little domestic agricultural or industrial production was used within the sector.

An aerial photo of a vast land of water and rocky. Small boats cross the water.
Guides take tourists across Botswana’s Okavango delta in boats.
Diego Delso/Wikimedia Commons, CC BY-SA

However, I found that the direction of tourism policies had also become increasingly political. Certain politicians were aligned with conservation organisations and foreign investors in prioritising luxury tourism. Former president Ian Khama, for example, banned trophy hunting on ethical grounds in 2014. He pushed photographic tourism, where travellers visit destinations mainly to take photos. But critics allege he and his allies benefited from the push for photographic tourism.

Photographic tourism is closely linked with the problematic promotion of “unspoilt” wilderness areas that conform to foreign ideas about the “myth of wild Africa”.

President Mokgweetsi Masisi reversed the hunting ban once he took power. He argued it had adverse effects on rural communities and increased human-wildlife conflict. He believed that regulated hunting could be a tool for better wildlife management and could produce more benefits for communities.

Since the latter 2010s, Botswana’s government has loosened the emphasis on luxury tourism and tried to diversify tourism offerings. It has relaxed visa regulations for Asian countries, for example, to allow a wider range of tourists to visit more easily.

What about Rwanda?

Of the three cases, Rwanda was the most recent to adopt a luxury tourism strategy. However, it has remained the most committed to this strategy. Rwanda’s model is centred on mountain gorilla trekking and premium wildlife experiences. It’s augmented by Rwanda’s attempt to become a hub for business and sports tourism through high-profile conferences and events.

A statue in a breen-leafed area of a male, female, and baby gorilla.
Gorillas are a key attraction for luxury tourists in Rwanda.
Gatete Pacifique/Wikimedia Commons, CC BY-SA

Rwanda invited global hotel brands (like the Hyatt and Marriott) to build hotels and invested heavily in the country’s “nation brand” through sponsoring sports teams. The “luxury” element is managed through maintaining a high price to visit the country’s main tourist attraction: mountain gorillas. Rwanda is one of the few countries where mountain gorillas live.

After the pandemic, the government lowered prices to visit mountain gorillas but has also regularly stated its commitment to luxury tourism.

What did you learn by comparing the three?

I wanted to know why some countries reverse luxury tourism strategies once they fail while others don’t.

It is quite clear that luxury tourism strategies will always have disadvantages. As this study shows, luxury tourism repeatedly benefits only very few actors (often foreign investors or foreign-owned entities) and does not create sufficient employment or provide wider benefits for domestic populations. My research shows that the political pressure faced by democratic governments (like Botswana and Mauritius) forced them to loosen their luxury tourism strategies. This was not the case in more authoritarian Rwanda.




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Rwanda’s position goes against a lot of recent literature on African political economy, which argues that parties with a stronger hold on power would be able to deliver better development outcomes.

While that may be case in some sectors, the findings of this study suggest that weaker political parties may actually be more responsive to changing policies that are creating inequality than countries with stronger political parties in power.

The Conversation

Pritish Behuria is a recipient of the British Academy Mid-Career Fellowship 2024-2025 (MFSS24/240043).

ref. Luxury tourism is a risky strategy for African economies – new study of Botswana, Mauritius, Rwanda – https://theconversation.com/luxury-tourism-is-a-risky-strategy-for-african-economies-new-study-of-botswana-mauritius-rwanda-267877

Nigeria’s government is using digital technology to repress citizens. A researcher explains how

Source: The Conversation – Africa (2) – By Chibuzo Achinivu, Visiting Assistant Professor of Political Science, Vassar College

Digital authoritarianism is a new way governments are trying to control citizens using digital and information technology. It is a growing concern for advocacy groups and those interested in freedom and democracy. It is especially worrying for those who initially heralded digital and information technologies as liberating tools that would spread information more easily for citizens.

I have studied the rise of digital authoritarianism in Africa over the last two decades. My most recent study focused on Nigeria, and its turn to digital tools for control after the 2020 #EndSARS Movement protests.

I found that local conflict and development needs drive the Nigerian government’s demand for digital authoritarianism technologies. Foreign suppliers of these technologies are motivated by both economic gain and influence in the region.

The findings are important. Firstly, it signals that the trend of using digital spaces to control populations has reached the African continent. It also shows that the trend is facilitated by foreign actors that provide governments with the technology and expertise.

What is digital authoritarianism?

One way to understand the concept of digital authoritarianism is as a form of governance or set of actions aimed at undermining accountability. It is the use of digital technologies for this goal.

Technology is used to repress voices, keep people under surveillance, and manipulate populations for regime goals and survival.

It includes but is not limited to internet and social media shutdowns. It prioritises the use of spyware to hack and monitor people through their devices. There is mass surveillance using artificial intelligence for facial recognition, and misinformation and disinformation propaganda campaigns.

What drives it in Africa

In Africa these actions are popping up in democracies like Nigeria and in autocracies alike. Perhaps the noticeable difference between these two types of governments is the subtlety of their form of digital authoritarianism and the legal recourse when such actions are unearthed.

Both governance types make claims of national security and public safety to justify these tactics. For instance, former Nigerian information minister Lai Mohammed claimed the 2020 Twitter ban was due to “the persistent use of the platform for activities that are capable of undermining Nigeria’s corporate existence”.

Autocracies are often cruder with their use of blatant tactics. They employ internet and social media shutdowns. This is often due to their unsophisticated digital authoritarianism apparatuses. Democracies often rely on more subtle surveillance and misinformation campaigns to reach their goals.

This all begs the question: what are the drivers of this trend? There are four clear ones:

  • regime survival/political control

  • security and counterterrorism

  • electoral competition and information manipulation

  • modernisation agendas (development).

On the rise

In the African context digital authoritarianism is on the rise. There’s a cohesive relationship between the foreign suppliers of the hardware, expertise and domestic demand. This demand stems from authoritarian regimes as well as regimes accessing digital systems to consolidate and modernise. There are also hybrid regimes, which are countries with a mixture democratic and authoritarian institutions.

States like China, Russia, Israel, France and the US supply both the technology and instruction or best practices to African regimes. Reasons for supply include economic gain and regional influence.

On the demand side, African regimes seek out digital authoritarianism tools mainly for development needs and for conflict resolution. Some of the largest consumers are Kenya, Rwanda, Uganda, Nigeria and Ghana.

The study

I found there was evidence that Nigeria’s development goals and efforts to quell conflicts drive the use of technology to repress its people. Using the example of the #EndSARS movement, social media platform shutdowns and efforts to build a firewall akin to China’s great firewall serve as evidence for this.

In the days following Twitter’s removal of a post by President Muhammadu Buhari, Twitter was banned in Nigeria. The administration cited its use to further unrest, instability, and secessionist movements. There were claims that this step was taken to maintain internet sovereignty.

However, the ban also undermined social movements that were successfully holding the government accountable. Following domestic and international outcry over the ban, there were reports that the Nigerian government had approached China. The purpose of the contact was to replicate their “Great Firewall” in Nigeria’s internet control apparatus. (The focus of China’s project is to monitor and censor what can and cannot be seen through an online network in China.) This would allow the state to manage access to certain cites and block unwanted content from reaching Nigerians.

On the supply side, China’s economic commitments to the country and concerted efforts to cultivate certain norms in the country and region offer insights into the motivations for supply in this case and the broader continent.

Again, regime type dictates just how these technologies will be used. Interviews conducted with permanent secretaries and ministers of Nigerian ministries were particularly revealing. They confirmed that repressive government practices in the real world are informing their activity in digital spaces.

For instance, they intimated that the repression that occurs during protests in the streets in order to manage “lawlessness” is being replicated online. Its purpose is to ensure peace and stability.

For development needs, countries like Nigeria initially seek out foreign suppliers to furnish them with state of the art technology systems. The objective is to establish or refurbish their information and communications technology apparatuses.

These include but are not limited to national broadband networks) such as fiber optic networks, mobile telecommunications networks and smart city governance systems. Though these are often not repressive in nature, they are capable of dual use. Thus, these development needs provide technologies that are then utilized in an authoritarian fashion for state building goals.

There is also evidence that some suppliers provide instruction on how to use these technologies for repression. In some instances, under the guise of development needs, regimes seek out more repressive tools such as spyware alongside these infrastructural development programs. At this stage, the boundary between development and security blurs, as modernization becomes a vehicle for national security, cyber defense, regime protection, and information control.

What can be done?

I propose a three-pronged approach to address the three drivers. First of all, more has to be done on the international front to curb the sale of repressive tools to states. There must be a conversation about the norms of these technologies and their use for repression in both democracies and autocracies.

On the demand side, it appears those practices that have plagued the hopes of freedom and democracy in the real world have to be addressed. Naturally, no movement on the digital front is complete without a real world manifestation. It seems logical that eradicating digital repression necessitates addressing repression in general.

Finally, regulatory legal and institutional oversight alongside human rights benchmarks must be achieved. These will accompany digital and privacy rights in cyberspace.

The Conversation

Chibuzo Achinivu does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.

ref. Nigeria’s government is using digital technology to repress citizens. A researcher explains how – https://theconversation.com/nigerias-government-is-using-digital-technology-to-repress-citizens-a-researcher-explains-how-267032